Cy
commence la terrible & merveilleuse vie de Robert le
diable, lequel aprés fust nommé l'homme Dieu.
Au commencement de Chascune oeuvre invoque l'ayde de
nostre seigneur ainsi que boece de consolation:
sans laquelle nulle autre chose ne peult bien estre commencee moyenné ne
terminee: mais pource que nous autres pecheurs ne pouons
riens ouyr ne obtenir de dieu que premierement il ne
passe par les mains de la vierge Marie, ainsi que dit monseigneur Sainct
Augustin. Et aussi car l'histoire cy aprés escripte: laquelle j'entens
narrer a esté par le merite de la vierge Marie miraculeusement conduicte:
ainsi que plus a plain par
la Lecteure d'icelle pourrez cognoistre. Afin que a icelle plaise impetrer enver
dieu le createur que je pauvre & simple entendement puisse ceste presente
histoire decreter & reciter au proffit & salut de ceulx qui
icelle liront. Au commencement de ce present traicté
je veulx a icelle dame de grace presenter la salutation angelicque que
l'ange Gabriel luy presenta
du ciel en terre. C'est ave maria priant
& supliant a tous ceulx qui
d'icy en avant lirons ce present
livre qu'ainsi le facent pour mieulx entendre & pour
mieulx retenir les grands enseignemens & bons exemples
en ce dit livre contenus. Tout homme
qui a sens: raison: & entendement s'il cognoist qu'il
soit en peché mortel: de celuy peché se doit repentir
& demander pardon a Dieu ou autrement
le diable au lien duquel il
est lyé le menera a perpetuelle damnation
de laquelle jamais ne sera rachepté, mais il sera en
enfer eternellement tourmenté
avecques les damnez Et se le pecheur prent
cognoissance de son peché & d'iceluy aye repentance &
pardon en la gloire de Paradis ainsi que i a long temps
advint a iceluy duquel vous orrez tantost
en iceluy livre parler.
La declaration du nom de Robert le diable.
Il est vray qu'en la
cité de rouen au pays de normandie nasquit un enfant
lequel fut nommé Robert le diable: qui est un nom fort terrible & espouentable:
mais la cause pourquoy il fut ainsi nommé
je la vous vueil declarer. En celuy temps
y avoit un noble duc en Normandie: vaillant, sage & chevaleureux doux & aussi
courtoys a merveilles: lequel craignoit & aymoit dieu
de bon cueur: & si faisoit faire bonne & droicte
justice a un chascun: hardy: Preux, puissant & plaisant a Dieu & au monde,
lequel Duc estoit appellé Hubert de ses beaulx faitz & vaillances en plusieurs
cronicques anciennes est faicte mention. Tant avoit de
biens & de vertu en luy que a les racompter seroit chose trop longue & quasi
impossible. Or advint que un jour de Noel celuy Duc tint court ouverte a Vernon
sur seine: a laquelle vindrent tous les nobles Barons & chevaliers de la duché
de normandie. Et pource que le duc Hubert n'estoit
point encores marié les nobles barons du pays qui la estoient luy prierent
que ce fut son plaisir de se marier a fin qu'il augmentast
sa lignee: & aussi qu'il eust successeur aprés luy. Ausquelz barons le duc
voulant obtemperer a leurs prieres respondit & dit que
ce qu'il leur plaisoit il feroit mais tant y a qu'il
ne pouoit trouver femme ce que a luy apartient car de
prendre femme de plus hault
lieu que je ne suis a moy n'apartient & aussi de moy abaisser je feroye honte a
tout mon lignage, parquoy me semble soubz vostre correction qu'il vault mieulx
demourer ainsi que faire chose que a moy n'apartienne, de laquelle chose me
porrois repentir lesquelles choses ouyes par les
barons qui la estoient le plus ancien se leva & dist.
Seigneur Duc vous avez parlé sagement: mais se vous
me voulez croire je vous diray chose dont
serez joyeux. Parlez dit le Duc. Sire dit le baron: le Duc de Bourgongne
a une belle fille: sage, honneste & benigne: qui est chose informee a vostre
estat & au moyen de ce pourrez acroistre vostre honneur & puissance: & si aurez
alliance a plusieurs haulx & puissans hommes
se vostre plaisir estoit de la faire demander: je suis seur que vous
l'auriez voluntiers & ne vous la reffusera len point. Adonc
respondit le duc que cela luy plaisoit bien & que
c'estoit sagement parlé au baron. Adonc sans plus
attendre le duc fist demander la damoyselle, laquelle par le duc de Bourgongne
son pere luy fut octroyee, & furent faictes les nopces triumphantes.
Comme aprés que le Duc de Normandie
eut espousé la fille du duc de Bourgongne l'emmena
triumphamment a rouen.
Aprés que le duc eust espousé la damoyselle, il l'emmena en
la cité de Rouen acompagnee de plusieurs Barons & chevaliers, Dames &
Damoyselles. Tant du pays de Bourgongne que d'ailleurs: en laquelle cité de
rouen fut receue a tresgrand triumphe & magnificence, & fust faicte chere
plantureuse entre Bourguignons & Normans qui la estoyent, desquelles choses a
cause de briefveté et me tais: pour plustost venir au principal de ma matiere.
Le Duc & la duchesse vesquirent long temps ensemble, sans
pouoir engendrer enfant jusques a dixsept ans par leur
faulte, pour ce qu'il ne plaisoit pas a dieu estre fait car aucunesfois c'est
grand profit a L'homme et a
la femme, de non avoir enfant. Et seroit plus profitable aux peres et aux meres,
de n'avoir jamais engendrez ne conceu: que par faulte
de doctrine et enseignement de Parens enfans estre damnez. Pourquoy je dy que
L'homme ne doibt demander a Dieu sinon ce qu'il luy
plaist & qui est necessaire au proffit de l'ame. Comme le Duc et la Duchesse
feussent gens devotz craignans et aymans Dieu: souventesfoys en oraison
confessez et repentans de leurs pechez: grands ausmoniers et faisant grand
secours a pauvres gens, doulx humains & begnins au monde & tant misericordieux &
tant charitables aux pauvres: que c'estoit chose
merveilleuse, tant que tous biens et toutes vertus en eulx habonderent Quand il
advenoit que le Duc vouloit habiter avec la duchesse sa femme, il faisoit priere
a Dieu: qu'il luy pleust donner & envoyer lignee &
enfans: par lesquelz Dieu peust estre servy & honnoré,
& aussi pour prendre plaisir & soulas. Mais pour oraison ne pour prieres que
ilz sceussent faire ne pouoient avoir nulz enfans.
Comme le Duc en venant de l'esbat se complaignoit a la
duchesse de ce qu'ilz ne pouoient avoir enfant.
Advint un jour que
le Duc & la Duchesse venoient de l'esbat. Le Duc luy dit Dame, il nous
va mal: car nous ne pouons avoir nulz enfans. Celuy qui nous assembla fist grand
peché. et si a un autre fussiez donnee, je croy que eussiez portez enfans: &
aussi se j'eusse eu une autre femme, je croy que j'eusse engendré
enfans: comme je puis bien faire: que je suis mal fortuné. Mais non pourtant si
n'auray je jour de ma vie charnelle compagnie de femme que
de vous je vous asseure. Et quand la duchesse eut ouy ce que le duc avoit dit
elle dit Sire Duc il nous fault prendre en gré puis
qu'il plaist a Dieu: et avoir patience en toutes choses.
Comme Robert le diable fut engendré. Et comme sa mere le
donna au diable a son concepvement.
Advint un jour que le
duc alla a la chasse: courroucé & quasi comme enragé de dueil, & a soy mesmes se
complaignoit et disoit je voys plusieurs notables Dames lesquelles ont plusieurs
beaux enfans auquelz elles prengnent
plaisir & soulas: je cognois bien maintenant que dieu
me hayt: A quoy tient il que je ne le regnie & toute sa puissance: car trop me
fait le cueur dolent cest que je ne puis nul enfant
avoir. Le duc fist une grande folie de dire telles
parolles, car jamais ne dit parolle dequoy tant se repentist ne qui si cher luy
coutast, car le diable qui est tousjours prest a decepvoir le genre humain
tempta le duc & luy troubla l'entendement tellement que quand il fut retourné en
son palays il trouva la duchesse laquelle semblablement estoit courroucee, &
lors l'acolla et baisa, et du surplus je n'en dis rien,
mais lors le duc fist sa priere a Dieu que a celle heure luy pleust qu'il
engendrast un enfant duquel il fust honoré & servy & qu'il donnast
grace qu'il luy pleust faire chose qui a dieu fust agreable & qu'il fust a son
service. Adonc la dame qui estoit courroucee dit, mais soit au diable puis que
dieu n'y a puissance: car ce je conçoy aujourd'huy enfant au diable soit il
donné et de cy & desja luy donne de bonne volunté. Or
advint que sur ce point le duc qui du diable fut tempté
engendra un enfant lequel fist plusieurs maulx en sa vie: & destruisit maintes
gens ainsi que verrez cy aprés, car il estoit enclin a
tous vices maulx & delitz: mais toutesfois a la fin il
se corrigea & convertit si qu'il paya amende salutaire
de ses forfaitz a Dieu, et a la fin il fut sauvé comme dit L'escripture.
Comme robert le diable fut né et de la grand douleur que sa
mere eut a l'enfantement.
La Duchesse comme dit
est devant grosse de l'enfant Robert & le porta son Terme ainsi que
femmes ont a coustume de porter leurs enfans combien
qu'elle l'eust ja donné au diable, et est a sçavoir que la duchesse en grand
angoisse peine et douleur enfante son enfant: car a la peine de l'enfantement
demoura l'espace d'un moys ou plus, et se n'eust esté les bonnes prieres,
jeusnes, aumosnes que faisoit chascun jour le duc pour
la pitié de la duchesse a laquelle il veoit tant de travail endurer, la Duchesse
ne fut point delivree de son enfant ainsi que len tient
estre vray, ains a l'enfantement fut comme morte. Plusieurs haultes Dames et
Damoyselles lesquelles a l'enfantement de la Duchesse que estoient esbahies de
la peine qu'elles veoient souffrir et endurer a la duchesse, car elles cuidoient
bien qu'elle fust au dernier de ses jours.
Des terribles signes qui furent ouys et veuz au naissement de
Robert le diable.
Et quand
l'enfant duquel je parle fut né il estoit de horrible stature et lors sourdit
une nuee, ainsi que dient les cronicques si obscure qu'il sembloit qu'il deust
venir nuict et commença a tonner et esclairer tellement que il sembloit que le
ciel fust ouvert & le feu parmy la maison. Les quatre
vens aussi furent mis sus par telle maniere que la
maison trembloit si fort que une partie tomba par
terre. Les seigneurs dames et Damoiselles qui la estoient
pensoient bien alors prendre fin veu les terribles tempestes & vens que lors
couroient. Ainsi que Dieu voulut le temps s'apaisa & fut serain et doulx: adonc
on porta baptiser l'enfant qui fut nommé Robert, car chascun qui l'enfant veoit
s'esmerveilloit de ce que il estoit si grand & si bien
fourny: car a le veoir on eust juré qu'il eust eu un
an antier il estoit nourry quasi a demy et en portant
& raportant ledit enfant a l'eglise il ne cessoit de plorer & tantost les dentz
luy saillirent desquelles il mordoit les nourrices qui
l'alaictoient tellement que nulle femme ne le vouloit
plus alaicter, et fut force que on luy baillast a boire par un Bubert qu'on luy
mettoit en la bouche, et avant qu'il eust un an antier
il alloit & parloit aussi bien que font les autres enfans
a cinq ans: tant plus croissoit: tant plus se delectoit a mal faire: car depuis
qu'il sceut aller tout seul il n'estoit homme ne femme
quil le peust tenir. Et quand il trouvoit les autres petis enfans il les batoit
et frapoit et leur jettoit pierres et frapoit de gros bastons et quelque part
qu'il fust il ne cessoit de mal faire. Il commença bien jeune a mener mauvaise
vie: il rompoit les bras a l'un les jambes a l'autre. Les Barons qui ce veoient
desoient que ce estoit jeu: et prenoient plaisir a ce que l'enfant
faisoit: dont puis aprés en furent courroucez.
Comme les enfans tous d'un commun accord le nommerent Robert
le diable.
Puis peu de temps
l'enfant devint grand en corsage et aussi en tresmauvais et despiteux courage:
lon dit communement que mauvaise Herbe croist: plus
voluntiers que la bonne: Tousjours alloit parmy les
Rues heurtant l'un et frappant l'autre: et pareillement tout ce qu'il
rencontroit comme s'il fust enragé ou hors du sens: nul ne s'osoit trouver
devant luy: aucunesfois les enfans s'assembloient tous ensemble contre luy et le
batoient: et quand ilz le veoient venir les uns disoient. Voyez cy venir robert
le diable et s'enfuyoient devant luy ainsi que le diable fait devant l'eaue
beniste. Et pource que il estoit mauvais les enfans qui avec luy conversoient le
nommoient tous d'un accord robert le diable & tellement fut divulgué par tout le
Pays que depuis ce nom ne luy fut mué ne jamais ne sera tant que le monde
durera. Quand l'enfant eut environ six a sept ans, le duc voyant les manieres de
son filz l'appella et luy dit. Mon filz il est temps que tu ayes maistre pour
t'aprendre & instruire, et pour te mener a l'escolle: car tu es ja assez grand
pour aprendre tous honneur et pour suivre bonne meurs et aprendre a lyre et a
escripre, et de fait le duc luy bailla un maistre a fin que par luy fust nourry
et gouverné.
Comme Robert le diable tua son maistre
Nous trouvons
que le maistre voulut corriger robert pour le retraire
des maux que il faisoit: mais Robert tira son cousteau duquel il frapa son
maistre tel coup par le ventre que il luy fist yssir les boyaux tellement qu'il
en mourut: puis dit Robert a son maistre en luy jettant
son livre par despit. Voila vostre science
jamais prebstre ne clerc ne sera mon maistre, je le vous ay bien fait a
cognoistre: & onc depuis ne fut maistre si hardy qui osast entreprendre de
l'instruire & chastier: mais il fut force de le laisser tel que il estoit, a
tout mal faire se deduisoit & de bien faire ne luy chaloit il desprisoit Dieu et
nostre mere saincte eglise, en luy n'avoit raison ne mesure: et estoit enclin a
tous vice, car quand il alloit a l'eglise & il veoit
que les prebstres et clercz vouloient chanter il avoit des cendres, pouldres et
autres ordures que il jectoit en leur bouche par grand trahison et derision de
Dieu: il s'appliquoit a tout mal faire, quand il veoit
aucun a l'eglise Dieu prier il le frapoit par derriere, chascun le maudissoit
pour les horribles maulx qu'il faisoit, & le duc voyant son filz estre mauvais &
si mal moriginé il en estoit si courroucé qu'il eust
voulu qu'il eust esté mort: et la Duchesse aussi en estoit si angoisseuse que
c'estoit merveilles, et un jour elle dit au duc, l'enfant
a ja beaucoup de temps et est grand
et bien fourny, il me semble qu'il seroit bon de le faire chevalier et par ainsi
il pourra changer ses conditions.
Le Duc dit a la duchesse qu'il en estoit content: & si n'avoit Robert que
dixsept ans.
Comme Robert le diable fut fait chevalier.
A une feste de Penchecouste
le duc voulant assembler plusieurs de ses barons
& principaulx amys a la presence de ses barons. Adonc
il appella robert et luy dit aprés qu'il eust ouy l'opinion des assistans.
Robert mon filz entendez ce que je vous vueil dire: par conseil de noz bons
amys je suis deliberé de vous faire chevalier a fin
que d'icy en avant vous frequentez les autres Chevaliers preudhommes/ et que
changez conditions et ayez meilleures manieres que par avant
qui sont desplaisantes au monde, ains serez doulx
courtois: humain: humble et begnin ainsi que les autres chevaliers: car honneur
change meurs Lors Robert respondit a son pere, je feray ce qu'il vous plaira
mais quand est a moy il ne me chault que je soye, car soit hault ou bas je suis
deliberé de faire ce que mon courage pense & ainsi que
mon plaisir me conduira: et je ne suis pas deliberé de mieux faire que le temps
passé, je suis dit robert la moytié trop sage: d'estre chevalier ne me chault.
La veille de la Penthecouste fut bien
veillee, mais celle nuit Robert le diable ne cessa de frapper l'un & heurter
l'autre. Robert ne pouoit demourer en un lieu, car il ne se soucioit gueres de
prier dieu: le lendemain fut le jour de Penthecouste
Robert fut fait chevalier. Le duc fist crier unes joustes ausquelles
fut Robert et si ne craignoit homme tant fust preux et hardy il assailloit un
chascun qui la estoit: Les joustes commencerent et eussiez veu chevaliers tomber
par terre: car Robert le Diable qui estoit plain de
cruaulté n'espargnoit homme, tous ceulx qui devant luy
estoient il faisoit tresbucher du cheval a terre. A l'un rompit la cuisse: a
l'autre le col. Il attendoit tout homme qui contre luy vouloit jouster: mais nul
ne eschappoit de ses mains qu'il n'emportast sa merque aux rains: ou aux
cuisses, tous estoient navrez quelque par que ce fust, Robert rompit
& gasta dix chevaulx aux joustes: les nouvelles en furent
aportees au duc qui en fut marry. Et quand il eust sceu comme robert s'estoit
gouverné aux joustes il alla celle part et voulut faire cesser les joustes, mais
robert qui sembloit estre enragé ne voulut obeir au Duc son pere et commença
a fraper d'un costé & d'autre et abatre chevaulx et chevalier tellement que ce
jour il occist trois des plus vaillans chevaliers qui fussent la, tous
ceulx qui la estoient crioient a Robert qu'il cessast: Mais c'estoit pour neant:
car il n'en vouloit rien faire: nul ne s'osoit trouver devant luy, et pource
qu'il estoit si inhumain chascun le hayoit et on luy disoit. Pour dieu Robert
laissez la jouste, car vostre Pere a fait crier que chascun cesse pource que
maint preudhomme y a perdu la vie dont il est courroucé, Mais robert qui estoit
eschauffé & quasi hors du sens, ne tenoit compte de chose qu'on luy dit, ains de
pis en pis navroit & tuoit ceulx qu'il rencontroit. Tant fist Robert que
le peuple qui la estoit s'esmeut, et tout esmeut vint vers le Duc disant.
Seigneur duc c'est grant folie de souffrir a vostre filz Robert de faire ce que
il fait, Pour dieu mettez y remede.
Comme Robert s'en alla au pays de Normandie robant & pillant
tout le pays, forçant et destruisant femmes et violant pauvres filles pucelles
Quand robert vit que
il n'y avoit plus personne
aux joustes, il partit de la & alla a son adventure
par le pays & commença a faire grans maulx plus que jamais n'avoit fait: car il
efforça femmes & viola pucelles sans nombre: il tua
tant de gens que ce fut pitié et n'y avoit homme
en Normandie que par robert ne fust desrobé et outragé, mesmement
il pilloit les eglises & si leur faisoit guerre: et n'y avoit abaye autour le
pays de Normandie que Robert ne fist pillier les
nouvelles des faitz de robert furent racomptez au Duc, et tous ceulx qu'il
avoit batus et destruis se venoient plaindre au duc & luy comptoient les
meffaitz que Robert faisoit par le pays de Normandie, l'un disoit, monseigneur
vostre filz robert a efforcé ma femme, l'autre disoit il a violé ma fille, et
l'autre disoit il m'a desrobé et pillé, et l'autre disoit il m'a batu et navré,
or estoit piteuse chose a ouyr compter les maulx que faisoit Robert. Le duc qui
oyoit dire ces choses de son filz robert, de grand dueil qu'il avoit en son
cueur se print a plorer & dit, beau sire Dieu de Paradis j'ay eu si grand
joye & estoit tout mon plaisir d'avoir un filz pource que j'esperois en avoir
grand soulas et joye. Or j'en ay un lequel me fait
tant de douleur et de tristesse que je ne sçay que je dois faire..
Comme le duc de Normandie envoya
gens pour prendre son filz Robert: ausquelz Robert creva les yeulx.
l y avoit un
chevalier qui estoit la & voyant le duc en si grand
douleur il dit: Monseigneur je vous conseille que mandez Robert et le faictes
venir devant vous et en la presence de toute vostre cour & luy deffendez qu'il
ne face mal a personne ou autrement vous luy direz que le ferez emprisonner
& si ferez faire de luy justice. A ce s'acorda le Duc et dit que le chevalier
avoit bien parlé: et incontinent
envoya gens par le pays chercher Robert et leur commanda
que il fust amené devant luy robert qui estoit par le pays sceut les nouvelles
que le peuple s'estoit plaint a son pere et avoit commandé qui fust prins et
mené vers luy et tous ceulx que robert rencontroit: et mesmement aux messagers
du duc il leur crevoit les yeulx par despit de son pere qui les avoit la envoyez
Et quand il les avoit ainsi fait aveugles il leur
disoit par grand mocquerie: Galans vous en dormirez mieulx allez et dictes a mon
pere que je ne le prise guere et que par despit de luy
et de ce qu'il m'a mandé je vous ay les yeulx crevez & ainsi le devez croire par
quoy Robert estoit hay de Dieu et du monde. La vie et fame de luy estoit
divulguee par tout le monde. Les messagers qui par le duc avoient esté envoyez
querir Robert retournerent plorant devant le duc & luy
dirent Voyez seigneur duc comme vostre filz nous a
aveuglez et mal atournez. Le duc fut courroucé des nouvelles qu'il ouyt par ses
messagers & commença a penser qu'il pourroit faire: &
comme il en pourroit chevir.
Comme le Duc de Normandie fist faire un commandement par tout
son pays que robert fust prins et mis en prison luy et
ses compagnons.
Lors un de son
conseil se leva et dit au Duc: Seigneur ne pensez plus a cecy, car je vous
asseure que veu la rebellion de robert et de ce qu'il
a fait aux pauvres messagers jamais ne reviendra vers
vous: Mais est necessaire de le pugnir des maulx et homicides lesquelz il a
faitz et perpetrez et ainsi le trouvons nous aux loix et droitz escriptz ainsi
raison le veult et le doit faire. Le Duc estoit sage si voulut user de son
conseil: & incontinent envoya par toutes les ville de sa duché crier et publier
& faire exprés commandemens de par luy a tous sergens
justiciers & officiers qu'ilz fissent diligence de prendre robert et iceluy
prins le garder & enfermer & tout ceulz qui estoient
avec luy & qui a mal faire luy tenoient compagnie.
Cest edit fait & publié par le duc: Ledit edit vint
tantost a la cognoissance de Robert & quand il le sceut a peu qu'il n'enragea de
dueil & peu s'en faillit que il ne yssit hors du sens et aussi semblablement les
meurtriers lesquelz estoient en la compagnie de Robert furent espouentez et de
la criee que le Duc avoit faicte eurent grand paour: Robert quasi enragé & hors
du sens estraignoit les dentz et jura qu'il feroit
guerre a son pere et qu'il destruiroit son lignage:
car le diable enhortoit Robert a ce faire.
Comme robert le diable fist faire une maison en un grand
boys tenebreux et obscur & la fist des maulx sans nombre.
Aprés ces choses
dessusdictes ouyes par Robert, il fist faire une maison forte en un boys en un
lieu tenebreux et la alla robert faire sa demourance, et estoit le lieu quasi
inhabitable, merveilleux, espouentable, estrange & hideux et avec ce le plus
perilleux que lon sçauroit penser ne dire: robert fist
assembler avec luy tous les plus mauvais garsons du pays et iceulx retint pour
le servir et acompagner: car il y avoit gens mauvais de terribles & diverses
sortes, comme larrons, meurdriers: escorcheurs, gens
pervers et maulditz, agresseurs de chemins: Brigans de boys, et gens bannis et
excommuniez et gens du diable toute mauvaise garsonnaille,
desirans de mal faire, gens
felons et orgueilleux & les plus terribles de dessoubz les cieulx, et de telz
gens fist robert grand assemblee et d'eux estoit capitaine robert. En ce boys
fist Robert le diable luy et ses compagnons des maulx innumerables & sans
nombre: ilz coupoient gorges et destruisoient marchans: nul ne s'en osoit aller
sur les chaus pour la crainte de Robert le diable et de ses compagnons. Chascun
en avoit paour: tout le pays estoit par eulx robbé et pillé ne nul n'osoit
saillir de son hostel que il ne fust prins et ravy de robert et de ses
compagnons. Pauvres pelerint qui passoient par le pays estoient prins et
meurtris par robert et ses gens. Chascun craignoit et doubtoit robert et ceux de
sa compagnie: ainsi que les brebis craignent les loups
car a la verité dire c'estoient loups ravissans & devorans tout ce qu'il
pouoient autaindre & rencontrer on s'esbahissoit comme
dieu seuffroit telles choses estre faicte. La mena robert mauvaise vie avec ses
compagnons: a toute heure il vouloit menger &
gourmander ne jamais ne jeusna jeusne Tant fust grande vigile ne la quarantaine
ne les quatre temps: Tous les jours mengeoit chair aussi tost le vendredy
que le dimenche: mais aprés qu'il
eut luy et ses gens fait plusieurs maulx il souffrit beaucoup de peine en ce
monde ainsi que verrez cy aprés.
Comme Robert le diable tua sept hermites qu'il rencontra
dedans le boys.
Du temps que Robert
le diable estoit en ce boys avec ces meurdriers et pilleurs d'esglises, pires
que loups ravissans, Il ne craignoit Dieu ne sa doulce mere en mal il n'y avoit
son pareil au monde car il ne avoit singulier reffuge
a sainct ny a saincte: il ne craignoit ne dieu ne diable: sathan ne lucifer ne
autre. Un jour robert qui estoit entalenté de mal faire s'en alla tout seul
dehors son hostel pour chercher quelque malle adventure
ou aucun a qui il peust mal faire ainsi qu'il avoit acoustumé de faire. Et d'aventure
il rencontra au meilleu du Boys sept Hermites: et
incontinent se tira vers eulx comme un homme enragé desgaina son Espee et occist
les sept hermites qui estoient gens
devotz sainctz et de bonne vie et fors et puissans pour eulx revencher contre
Robert Mais ilz ne luy voulurent faire resistence: & souffrirent pour l'honneur
de dieu ce qu'il leur voulut faire et quand il les
eust occis tous sept: il dit en se mocquant des
Hermites qui estoient mors: j'ay cy trouvé une belle nichee laquelle j'ay mise
ou elle devoit venir: Galans dit Robert vostre vie est finee. La fist Robert
grand meurdre par despit de dieu & de la saincte eglise: Robert vouloit mettre
en sa subjection tout le monde & aprés qu'il eust fait
ce bel ouvrage il saillist de la forest comme un diable forcené et pis que un
homme enragé tous ses habillemens
estoient rouges de sang de ceulx qu'il avoit occis. En cest estat chevauchoit
Robert par les champs ensanglanté: mains: piedz &
visage.
Comme Robert le diable s'en alla au chasteau D'arques devers
sa mere la Duchesse: laquelle estoit la venue disner.
Tant chevaucha Robert
que il fust auprés du Chasteau d'arques:
mais en son chemin rencontra un berger lequel luy dit que la duchesse sa mere
celuy jour devoit venir disner au chasteau par quoy
robert se tira celle part mais quand il aprocha du chasteau vous
eussiez veu fuyr hommes: femmes & petis enfans ainsi
que les brebis font devant le Loup les uns s'enfermoient dedans
leur maisons: & les autres en L'eglise se reculoient: Robert voyant
que chascun s'enfuyoit ainsi devant luy commença a penser en luy mesme et dit
tout en plorant. Beau sire dieu de Paradis a quoy tient il que
chascun s'enfuyt en telle maniere de devant moy. Or
suis je bien malheureux & le plus fortuné que homme du
monde, il semble que je soye un Juif ou un ladre. Helas dit robert le diable je
congnois bien que je suis des mauvais le pire. Or doy
je bien mauldire ma vie: car je croy bien que je suis
hay de Dieu, et du monde, en ce penser & douleur vint Robert jusques
a la porte du chasteau & la descendit de dessus son cheval: mais il n'y avoit
homme qui de luy osast approcher pour prendre
son cheval. Si le laissa a la porte du chasteau: & puis desgayna son Espee
laquelle estoit toute ensanglantee, & s'en alla a la salle ou estoit sa mere.
Quand la duchesse vit robert son filz duquel elle
sçavoit la cruaulté fust toute effroyee & s'en voulut fuyr Lors Robert le diable
qui ja avoit veu comme les gens s'en estoient fuys devant luy il en eut si grand
douleur qu'il s'escria effroyement a sa mere. Madame pour Dieu ayez mercy de
moy: & ne vous bougez jusques a ce que j'aye parlé a vous. Lors s'approcha
Robert de la Duchesse & luy dit en ceste maniere: Madame je vous supplye
humblement qu'il vous plaise me dire a quoy il tient
que je suis si cruel: car il fault que cela procede de
vous ou de mon pere, pourtant je vous prie que m'en dictes la verité.
Comme la Duchesse mere de Robert luy requist que il luy
coupast la teste, & puis luy compta comme elle l'avoit
donné au diable.
Moult fut la duchesse
esbahye d'ouyr ainsi parler Robert le diable & elle cognoissant son cas se jecta
aux piedz de son filz & luy dit en plorant. Mon filz je vueil d'icy & desja que
vous me coupez la teste & que vous m'ostez la vie. La Duchesse mere de Robert
disant cela pour la pitié qu'elle avoit de son enfant pource qu'elle sçavoit
bien que c'estoit par elle que Robert estoit si mauvais pour les parolles qu'elle
dit a sa conception. Robert dit a sa mere tout triste: Helas Madame pourquoy vous
occiroys je moy qui tant ay fait de maulx: encores feroys je pis que jamais ne
fis: pour nulle chose je ne le ferois. La duchesse luy recita de point en point,
comme ce luy estoit advenu: & comme premier qui fust
engendré elle l'avoit donné au diable en soy blasmant
& vituperans d'avoir commis si grand meschef & se reputoit estre la plus
malheureuse, que jamais fut sur terre & peu s'en
faillit qu'elle ne fut toute desesperee. Quand
Robert eut entendu ce que sa mere luy avoit dit, de la grand douleur qu'il
eust au cueur en tomba a terre tresvanouy: & fut une grand piece sans ce celer:
& en plorant dit, les diables ont grand envie d'avoir mon corps et mon ame, mais
d'icy en avant je vueil delaisser a mal faire &
renoncer a toutes les oeuvres du diable. Puis dit a sa mere en plorant laquelle
il veoit en si grand douleur: ma treshonnoree dame & mere je vous
supplye humblement que soit vostre plaisir me
recommander a monseigneur le duc mon pere: car je m'en vueil aller a Rome pour
me confesser des Pechez que j'ay faictz ne jamais ne dormiray a mon ayse jusques
a ce que j'aye esté a Rome. Mon pere m'a fait bannir de son pays: & tousjours
m'a mené grand guerre: mais de cela ne m'en chault: car je ne vueil jamais
assembler richesses ne autres biens: je suis deliberé
du tout a faire le sauvement de mon ame & a cela d'icy
en avant vueil employer mon temps & mon entendement..
Comme Robert print congé de sa mere: laquelle
demena grand dueil de sa departie.
Tost aprés Robert monta a Cheval & retourna
vers ses gens: lesquelz il avoit layssez en la Forest:
& la Duchesse demoura en son hostel faisant grand Dueil, pour l'amour de Robert
qui d'eulx avoit prins congé. Souventesfoys elle s'escrioit. Lasse dolente que
feray je: mon filz Robert n'a pas tort s'il n'a cure de moy. Car bien me doit
hayr & mal vouloir, qui suis cause de tant de maulx
que il a faictz. Ainsi que la Duchesse demenoit ce dueil, le Duc arriva: & quand
la Duchesse le vit elle luy compta ce que Robert avoit faict: & le Duc luy
demanda se Robert se repentoit point du mal qu'il
avoit fait: ouy dit la duchesse le Duc souspira fort & dit. Helas c'est pour
neant ce que Robert fait. Car il ne sçauroit jamais
restaurer les dommages qu'il a fais par le pays & toutesfoys je prie a Dieu
qu'il le vueille conduire en telle façon que il puisse venir a bonne fin: car je
ne croy pas que jamais il puisse retourner s'il est en chemin d'aller a Rome
qu'il ne meure si dieu n'a pitié de luy
Depuis que Robert fust party D'arques d'avec
sa mere Chevaucha tant par ses journees: qu'il arriva
dedans le boys ou avoit laissé ses compagnons lesquelz
disnoient. Et quand ilz virent Robert tous ensemble se
leverent pour luy faire honneur et reverence. Adonc
Robert leur commença a remonstrer leur vie perverse & mauvaise en les voulant
Corriger des maulx qu'ilz avoient faitz & leur dit. Pour l'honneur
de Dieu compaignons entendez ce que je vous diray:
vous sçavez la delectable vie que nous avons mené le
temps passé pour noz corps & noz ames vous
sçavez quantes eglises nous avons ravies &
destruictes, et quantz marchantz destroussez & mis a mort, quantz
gens d'eglises & autres vaillans hommes par nous ont
esté mis a mort: desquelz le nombre est infiny.
Parquoy nous sommes tous en danger de estre damnez se
dieu n'a pitié de nous, parquoy je vous suplye pour l'amour de dieu que
soit vostre plaisir de laisser ce dangereux train Et que d'icy en avant entendons
a bien faire & a faire penitence de tous les pechez que vous avez commis, car
quand est a moy je suis deliberé de m'en aller a rome pour mes pechez confesser:
esperant obtenir grace et pardon: et la je feray penitence
salutaire ainsi qu'il me sera enjoint. Alors l'un des larrons se leva comme
enragé et hors du sens & va dire par grand mocquerie
a ses compagnons. Advisez le regnard il deviendra un
Hermite. Robert se mocque bien de nous qui est nostre
capitaine & nostre maistre & est celuy qui fait pis que nous autres: & qui nous
a monstré le train: que vous en semble, cecy durera il
en ceste façon. Seigneurs dit Robert je vous prie que vous laissez ces choses &
entendez au sauvement de voz ames & de voz corps, et demandez pardon &
misericorde a dieu tout puissant & il aura pitié de
vous & si vous fera grace: ce seroit une grande erreur a vous de demourer
tousjours en tel estat: & pourtant employez voz oeuvres a dieu servir et
honorer. Quand Robert eut ce dit l'un des larrons luy
dit. Notre maistre laissez toutes ces choses: car vous
parlez pour neant: car moy ne mes compagnons
pour rien que vous puissiez dire ne faire nous n'en ferons autre chose soyez en
seur: & nous donnissiez vous deux cens mille mars tout d'or fin, telle est
nostre destinee & intention a cela sommes nous obstinez. Ne nous ne sçaurions
jamais demourer en paix ne nous retraire de mal faire tant
a cela nous sommes abandonnez et acoustumé quoy qu'il en doive advenir. Tous les
autres qui la estoient dirent tous d'un commun accord: il dit vray: car pour vie
ne pour mort nous ne nous tiendrons point de mal faire & occire tous les
contredisans: & si dirent encores plus outre s'ilz ont esté le temps passé bien
mauvais et divers encores seront ilz pires le temps
advenir. Il est conclud entre nous autres que de mal faire ne laisserons jamais
jour de nostre vie car c'est nostre plaisir et volunté.
Comme Robert assomma tous ses compagnons.
Or quand Robert eut
entendu ce que les larrons luy dirent: il en fut
courroucé & s'advisa que ce ses ribaulx pilleurs
demouroient en telle opinion qu'ilz feroient encores beaucoup de mal, si se tira
vers la porte & la ferma: puis print une grosse massue dequoy il frappa un des
ribaulx tel coup qu'il tomba par terre, & tellement
exploicta Robert sur ces Larrons que l'un aprés l'autre les assomma. Quand
Robert eut ainsi atourné ces galans il dit en luy
mesme: Galans je vous ay bien guerdonnez de tel service tel loyer. Pour ce que
m'avez bien servis je vous ay bien payez selon voz
dessertes: car qui bon maistre sert bon loyer en
atend. Or a la fait Robert un tel exploit, & pour achever son chef d'oeuvre il
pensa qu'il mettroit le feu en la maison: & n'eust
esté qu'il y avoit tant de biens
lesquelz par le feu se fussent gastez & jamais n'eussent proffité
robert eust bruslé la maison, mais il pensa en luy mesmes que ce seroit grand
dommage que tant de biens perissent tout en un coup,
mais cela ne voulut pas faire: ains ferma la maison & print la clef & avec luy
l'emporta.
Comme Robert envoya la clef de sa
maison a son pere le duc de Normandie.
Puis quand
robert cest ce fait il fist le signe de la Croix & puis se print a chevaucher
parmy la Forest, & puis il print son chemin a Rome: ce jour chevaucha tant
Robert que la nuyct le print, il avoit grand fain & si
ne sçavoit ou il debvoit souper. Tant fist Robert que il approcha d'une Abbaye
laquelle avoit en son temps haye, & l'avoit plusieurs fois pillee, & toutesfois
un sien parent en estoit abbé: & les moynes hayoient
Robert a mort autant que le triacle faict le venim. Robert fist tant qu'il
arriva en l'abbaye triste & entra leans sans dire mot a personne. Et quand les
moynes le virent si en furent esbahys & espouentez & se mirent a fouyr devant
luy en disant. Voyez cy venir robert hors du sens, quel diable l'a icy amené.
Adonc renouvellerent les douleurs de Robert & dict a luy mesmes en souspirant en
son cueur: bien dois hayr ma vie: car chascun me hayt & me fuyt & deboute: j'ay
bien mal usé ma vie & passé mon temps. Robert s'en alla tout droit descendre
devant la grand porte de l'eglise de l'abbaye: & la fist son oraison a dieu en
ceste maniere: mon Dieu mon createur je te suplye que
ayes pitié et mercy de moy, et me vueillez garder de peril & de danger: puis
retourna sa parolle vers la table des religieux, & doulcement
parla a eulx tant que l'abbé & les religieux vindrent
vers luy ausquelz Robert dit. Messeigneurs j'ay grand tort de vous & de vostre
eglise: & sçay bien que je vous ay fais plusieurs
maulx desquelz je vous
requiers pardon: & vous supplie que ayez de moy compassion. En disant ces
parolles Robert estoit a genoulx devant l'abbé & les religieux. Quand Robert
eust ainsi parlé en general, il dit a l'abbé. Je vous prie de me recommander a
mon pere et que luy baillez ceste clef qui est de la maison
ou je me tenois moy & mes compagnons lesquelz j'ay
tous occis: en celle maison sont tous mes tresors,
lesquelz j'ay a plusieurs desrobez tant ceans que ailleurs dequoy j'ay grand
douleur & grande desplaisance a mon cueur. Si vous requiers pardon, & supplie
que tous les biens qui sont en ceste maison qu'ilz soient rendus a ceulx a qui
il apartiennent. Robert demoura celle nuict en ceste abaye & le lendemain se
departit & laissa son espee de laquelle il avoit fait tant de maulx, & aussi son
cheval & a piedz se mist a chemin pour aller a Rome. Celuy jour l'abbé s'en alla
devers le duc & luy porta la clef laquelle Robert luy avoit baillee & luy compta
la vie de son filz. Le duc fist rendre aux pauvres gens
leurs biens, & a chascun ce qu'il luy appartenoit: icy
laisserons a parler du duc & de l'abbé: & retournerons
a Robert qui s'en alla a Rome a grand humilité &
devotion.
Comme robert s'en alla a Rome pour avoir de ses pechez
pardon.
Robert s'en alla tout
seul a Rome Dieu le vueille conduire & luy doint grace
de parvenir a son propos, si chemina tant robert par ses journees qu'il arriva a
Rome au jour du jeudy sainct la veille du grand
vendredy, il arriva a bon jour pour soy confesser & mettre en bon estat. Je vous
prie que etendez ce que aprés s'ensuyt: & vous orrez
merveilles de l'extreme penitence que fist robert
ainsi que il pleut au saint pere luy enjoindre pour ses pechez et meffaictz:
desquelz il avoit grand contriction et repentance. Robert fist tant que il alla
jusques a Rome & changea tout son courage, tellement qu'il fut preudhomme: &
pour la grand bonté qui en luy fut L'empereur de Rome
qui pour lors estoit luy donna sa fille a femme & l'emmena Robert: a grand
honneur et triumphe de Rome jusques en Normandie, mais
premier il fist penitence l'espace de sept ans comme
cy aprés orez.
Comme Robert vint a Rome.
Quand Robert fust
arrivé a Rome comme dessus est dict le jeudy absolu, le Pape qui est vicaire de
Dieu en terre, estoit en l'eglise de sainct Pierre &
la faisoit le divin service ainsi qu'il est accoustumé
de faire. Robert s'efforçoit de aprocher pres du Pape, mais les ministres du
Pape estoient courroucez de ce que robert se vouloit aprocher du pape. et aucuns
qui le veoient frapoient sur luy. Mais tant plus frapoient robert tant plus
s'avançoit et fist tant que il vint ou estoit le pape & se jetta a ses pieds en
disant. Pere sainct ayez pitié de moy. Ces motz dit Robert par plusieurs fois,
ceux qui estoient pres du pape estoient marris de ce que Robert faisoit si grand
bruit & le vouloient oster mais le sainct Pere vayant l'ardent desir de Robert
il en eut pitié et dit a ses gens. Laissez le, car a ce que je puis cognoistre
de luy il a grand devotion & commanda le Pape faire
silence a fin que il peust mieulx entendre ce que robert vouloit dire. Lors
Robert parla au pape et dit. Pere sainct je suis le plus grand pecheur & le pire
du monde. Le pape print robert par la main & le fist
lever puis luy demanda. Mon amy que veux tu dire: et
pourquoy crie tu ainsi. Ha pere sainct dit robert je vous supplye de moy ouyr en
confession: car ce je n'ay absolution de vous des
pechez que j'ay faictz je seray dampné ainsi que on m'a dit, et si ay grand
paour que le Diable ne m'emporte: veu les terribles et enormes pechez desquelz
suis renpli plus que nul qui soit sur la terre et
pource que estes celuy ainsi qu'on dit qui avez la puissance de donner
confort a ceulx qui en ont besoing: je vous supplye en l'honneur de la passion
de Dieu que il vous plaise de mes maulx & delitz desquelz la conscience me
remort: & par lesquelz je suis tant vil & abohminable le plus que n'est un
Diable: que vous me vueillez nettoyer de mes pechez. Et quand le Pape ouyt
Robert il se doubta que ce ne fust Robert le diable & luy demanda Beau filz es
tu point robert duquel j'ay tant ouy parler qu'on dit
estre si mauvais & le pire que onc fust sur terre. Ouy dit robert. Le pape luy
dit. Tu auras absolution, mais je te conjure de par Dieu tout puissant que tu ne
faces mal a nully: et estoit le Pape et ceulx qui la estoient tous espouentez de
veoir robert. Alors robert s'agenoilla devant le Pape en grande humilité
contriction & repentance de ses pechez & dist. Ja a Dieu ne plaise que je face
mal a personne qui soit icy ne autre tant que je m'en
pourray garder: tantost le Pape se tira a part et fist venir Robert devant luy
lequel il confessa et declara au Pape comme a sa conception pource que sa mere
estoit courroucee elle l'avoit donné au diable, disant
que de ce avoit grand douleur paour et crainte.
Comme le Pape envoya Robert a trois lieues de Rome vers un
sainct Hermite pour avoir penitence de ses pechez.
Quand le Pape
l'entendit parler il s'esmerveilla fort et fist le
signe de la croix: devant son visage et dict a robert. Mon amy il fault que tu
voyses a trois lieues d'icy en un lieu auquel tu trouverras un prebstre qui est
mon confesseur, a luy tu te confesseras de tous
les pechez que tu fis onc et luy diras qu'il te donne penitence: selon que tu as
merite. Celuy que je dys, et le plus preudhomme et le
plus sainct qui soit sur terre, je suis seur que par luy seras bien confessé &
absoubz: robert respondit au Pere sainct: je le feray voluntiers puis print
congé du sainct Pere en disant: dieu vueille que je
puisse faire chose par laquelle je puisse faire le sauvement de mon ame, ce jour
se passa et demoura Robert a Rome pource que il estoit presque nuyct. Le
lendemain au matin Rober se mist a chemin pour aller vers L'hermite, auquel le
pape l'envoya: et fist tant robert qu'il arriva au lieu auquel l'hermite se
tenoit: et quand il fust la arrivé il compta a l'hermite comme
le pape l'envoyoit devers luy pour se confesser. Adonc l'hermite luy dit vous
soyez le bien venu. Et quand ilz eurent un peu demouré ensemble Robert luy
compta l'estat de sa vie et luy declara ses pechez. Et premierement luy compta
comme par courroux sa mere l'avoit donné au diable par sa conception: dont il
avoit grand paour. Et comme aprés qu'il fut un peu grand batoit les enfans Et
comme il rompoit la teste a l'un les bras a l'autre, et a l'autre les jambes: &
comme il avoit tué son maistre d'escolle pour ce qu'il
le vouloit chastier: et comme pour sa malice il n'y eust depuis maistre si hardy
qui l'osast prendre en gouvernement, dequoy faisoit conscience
pource qu'il avoit ainsi mal employé son temps sans
rien aprendre et comme aprés que son pere l'avoit fait chevalier il occist tant
de vaillans & nobles chevaliers en la jouste par sa grand cruauté: et aprés
comme il s'en estoit allé par le Pays: en destruisant les eglises et efforçant
les femmes mariees en violant pauvres filles pucelles & comme par despit de son
pere il avoit crevé les yeux aux messagers de son pere & comment il tua les sept
hermites, et pour abreger compta toute sa vie a
L'hermite depuis le jour qu'il fut né jusques a celle
heure: dequoy L'hermite s'esmerveilloit: & non pourtant il estoit fort joyeux de
la contriction qu'il veoit avoir a Robert de ses pechez. Quand ilz eurent
longuement parlé ensemble. L'hermite dit a Robert, mon filz vous
demourrez aujourd'huy ceans avec moy: & demain au
matin au plaisir de dieu je vous confesseray & vous
donneray bon conseil de ce que vous avez affaire: robert lequel avoit esté ainsi
que dessus avez ouy le pire, le plus cruel, le plus terrible, et le plus felon
que jamais fut sur terre: plus orgueilleux et fier
qu'un Lyon & estoit alors le plus doulx, le plus
begnin, le plus humble: & le plus debonnaire qu'on eust jamais sur terre veu ne
sceu: le plus beau: le plus plaisant en touz ses faitz & ditz: & aussi belle
contenance que jamais eust prince. Robert estoit tant las de la peine que il
avoit enduree que il ne pouoit boire ne menger: si se
mist a part a genoux pour faire son oraison, & commença a dieu prier que par sa
saincte misericorde le voulsist garder de l'ennemy d'enfer & qu'il luy pleust
donner victoire sur luy. Quand il fut nuit L'hermite fist coucher robert en une
petite chapelle laquelle estoit en celuy hermitage gente & plaisante, moult
saincte et devote. L'hermite ne cessa toute nuict de prier dieu pour robert le
diable lequel il veoit avoir si grande repentance, si fut si longuement
L'hermite en oraison: que il s'endormit.
Comme l'ange de dieu annonça a l'hermite la penitence qu'il
devoit enjoindre & donner a robert pour le salut de
son ame.
Par la volunté de
dieu incontinent que il fut endormy il songea: et luy fut advis que un ange lequel
estoit envoyé de Dieu luy disoit en ceste maniere. Homme de dieu escoute ce que
Dieu par moy te mande. Se Robert veult avoir pardon de ses pechez il fault qu'il
contreface le fol & le muet & que il ne menge riens sinon ce que il pourra oster
aux Chiens: & si fault qu'il soit en tel estat sans
parler & sans menger jusques a ce qu'il plaira a Dieu
luy reveler & qu'il aura fait penitence suffisante
pour purger ses pechez, en telle maniere se contiendra robert sans parler, et
sans menger comme dessus est dist: et adonc l'hermite s'esveilla tout effroyé et
commença a penser sur son songe: & quand il eut longuement pensé il commença a
louer & remercier Dieu de ce que il avoit prins pitié de son pecheur: et fut
joyeux en luy mesmes de son songe, puis se mist en oraison en attendant le jour.
Et quand le jour fut apparu il fut esmeu d'ardant
amour envers Robert & l'apella & luy dit. Mon amy
venez ça vers moy: & lors robert s'aprocha incontinent
du sainct hermite & en grand contriction & reverance de tous ses pechez se
confessa, et aprés que Robert se fut humblement confessé: L'hermite luy dit. Mon
filz j'ay pensé a la penitence laquelle vous convient
faire et acomplir a fin que puissiez grace & pardon
obtenir envers dieu de tous les pechez que vous avez faitz: c'est que vous ferez
le fol & ne mengerez rien sinon ce que pourrez oster
aux chiens quand on leur aura donné a menger & si vous gardez bien de parler nom
plus que un muet: ainsi a esté vostre penitence ordonnee a moy de par dieu
revelee & durant le temps de vostre penitence: ne feré
mal a personne et vivrez en cest estat jusques a ce que il plaira a dieu vous
faire assavoir que il suffise et ces choses icy vous commande
& enjoinctz faire & accomplir expressement. Car quand vous aurez fait vostre
penitence suffisante il vous sera mandé de par dieu que vous cessez. Quand
robert eut entendu ces choses il fut joyeulx et remercia dieu pource qu'il
estoit quite et assoubz pour si peu. Lors print congé robert de l'hermite & s'en
alla par grand humilité et devocion commencer son
aspre et dure penitence, laquelle luy avoit enjoint L'hermite et si sembloit
bien a luy qu'elle estoit petite et de peu d'importance veu et consideré les
enormes pechez, lesquelz avoit commis du temps de sa jeunesse Dieu demonstra
alors un beau miracle par sa grace & infinie bonté, puissance & misericorde quand
d'un homme plus orgueilleux qu'un lyon: plus felon et
cruel que n'est un tigre de tous maulx, vices & pechez, plus remply que
jamais fut homme: et par sa grand pitié et misericorde: en a fait innocent, humble,
gracieux, doulx et begnin comme un Aygneu: & toutes ces meurs & conditions
changees de mal en bien.
Comme Robert print congé de L'hermite: & s'en
retourna a Rome faire sa penitence.
Disant a Dieu a L'hermite: il s'en alla &
pria Dieu que par sa saincte grace, il le voulsist conduire
si tresbien qu'il puisse faire et accomplir sa penitence au proffit et a la
salvation de son ame. Et tant chemina que il vint a Rome. Et quand fut la venu
se print a cheminer par devers la ville contrefaisant
le fol, il n'eut gueres cheminé que plusieurs petis enfans qui cuydoient
que il fust fol: tous ensemble alloient courant en se mocquant de luy & jettant
contre luy souliers vieulx & alloient criant aprés en faisant grand
bruyt par les rues les gens de rome qui cela pouoient
veoir s'en mocquoient et crioient car c'est la coustume de se rire plustost
d'une folie que d'une grand sagesse: Robert avoit plus
de gens autour de luy que se il eust esté bien sage.
Quand robert eut longuement demouré a rome un jour advint que il se trouva
auprés de la maison de L'empereur, et pource que la porte estoit ouverte il
entra dedans, et tantost se print a pourmener par la salle, a l'une fois il
alloit fort a l'autre tout bellement: et puis couroit et s'arrestoit tout quoy:
mais ne demouroit gueres en un lieu: l'empereur qui la
estoit s'en print garde et vit de robert les manieres & puis dit a un de ses
escuyers en parlant de Robert. Voyez le plus bel escuyer que jamais je vis: mais
je cuyde qu'il soit fol dont c'est dommage: car il a beau corps et bien formé:
faictes luy donner a menger appellez le et le faictes bien servir. Lors
l'escuyer appella robert, mais Robert ne respondit mot: puis on le fist seoir a
table, et onc ne voulut boire ne manger combien qu'on
luy presentast assez pain vin et viandes ceulx qui la estoient presens
s'esmerveilloient de ce que robert faisoit malle chere et ne vouloit rien menger
tandis que robert estoit a table l'empereur advisa un chien qui estoit soubz la
table et estoit blessé d'un autre qui l'avoit mors: auquel
chien L'empereur jetta un os auquel os le chien se
print a ronger: quand robert
vit le chien tenir l'os: saillit de la table en laquelle
il estoit & courut vers le chien et tant feist que il print l'os: mais le chien
se voulut revencher: et illec eussiez veu beau deduyt & plaisance: car Robert et
le chien tiroient chascun de son costé: robert estoit couché par terre, et
mengeoit a un bout de l'os et le chien de l'autre.
Il ne fault pas demander se l'empereur
& ceux qui la estoient rioient
de voir le deduit de robert & du Chien. Mais toutesfois Robert fist tant que il
osta l'os du chien, et le commença a menger, car il mouroit de fain: pource que
il avoit esté long temps sans menger L'empereur qui
regardoit ces choses cognoissant que robert avoit grand
fain: lors jetta a un autre chien un pain tout entier: mais incontinent robert
luy osta et le rompit & en donna au chien ainsi que raison estoit: car par le
chien avoit eu le pain. L'empereur commença a rire quand il vit cela: et puis
dit a ses gens nous avons ceans le plus
nouveau fol et le plus villain que je vis oncques jour de ma vie, qui oste le
pain aux chiens pour le menger parquoy lon peult bien cognoistre sa folie. Je
croy que il ne boit ne menge rien: fors que par le moyen des chiens & affin que
Robert peust menger son saoul, tous ceulx de la maison de l'empereur donnoient
a grande habondance a menger aux chiens de L'empereur et tant eurent a menger
que robert fust saoul. Puis robert commença a soy pourmener par la salle tenant
en sa main un baston: duquel il frappoit contre les bancz & murailles comme s'il
fust fol, & en se pourmenant par celle salle il vint
trouver une porte par laquelle on entroit en un beau verger auquel avoit une
belle fontaine et clere laquelle alloit coulant par dedans ledit verger: a
laquelle robert qui avoit grand soif alla boire tout son saoul.
Quant la nuyt
s'aprocha Robert se tint auprés du chien & tousjours le suivoit le chien qui
avoit accoustumé de coucher soubz un degré de la Salle, et Robert qui ne sçavoit
ou il debvoit gesir, au plus pres du Chien se alla coucher pour celle nuyt.
L'empereur qui ce regardoit eut pitié de Robert et commanda luy apporter un lict
et qu'il fust couché bien a droit. Incontinent deux Chevaliers apporterent un
lict: mais Robert ne voulut que le lict demourast et fist signe que on le
reportast et ayma mieulx coucher sur la terre que sur
le lict qui estoit bien mol: et adonc Robert fist signe a ceulx qui la estoient
qu'ilz s'en retournassent dont l'empereur s'en
esbahissoit fort, et de rechef commanda qu'on apportast de la paille a grand
foison pour mettre dessoubz Robert laquelle fut aportee, et Robert qui estoit
las et rompu se coucha pour soy dormir et reposer.
Pensez quelle vertu de patience il y avoit
en robert: car celuy qui par avant avoit acoustumé de coucher en lict mol et
bien encourtiné et linceux fins et deliez: en chambre bien paree et tapissee &
avoit accoustumé de boire vin & bruvage delicatz & frians & de menger viandes
exquises ainsi qu'a son estat appartenoit estoit venu tant qu'il luy failloit
boire et menger & coucher avec les chiens comme avez ouy. Chascun le souloit
appeller monseigneur en luy faisant honneur comme le plus craint de la terre,
alors chascun l'appelloit fol et se mocquoit de luy. Helas quelle douleur pouoit
avoir robert quand estoit contraint
de telles choses endurer: mais a un homme qui a hault courage riens ne luy est
impossible, et a un homme pacient on ne luy sçauroit
faire injure. Ne homme qui est remply de vertu ne peult estre deceu. C'est proffit
& merite a l'homme de souffrir & porter en patience les injures & opprobre
lesquelles a tort luy sont faictes en ce monde, car en l'autre il en obtient
la grace & amour de Dieu & bien souvent en acroissent en luy vertus.
Quia nomine virtutem acuit. En tel estat ainsi que vous
avez peu entendre cy devant vesquit robert long temps: & le chien qui
cognoissoit que pour l'amour de Robert on luy donnoit plus a menger
qu'on n'avoit acoustumé & aussi que pour l'amour de
Robert nul ne luy faisoit mal, ledit chien se print a
aymer Robert & a toute heure luy faisoit feste.
Comme Robert fist baiser le cul de son chien a un juif lequel
disnoit avec L'empereur.
Advint un jour que
l'empereur tenoit a Rome court: a laquelle il avoit
faict assembler plusieurs grans et puissans hommes:
entre lesquelz il y avoit un juif riche et puissant & qui estoit recepveur de la
plus grand partie de toute la terre de L'empereur: & quand chascun fust assis a
table: robert qui tenoit son chien entre ses bras et
cheminoit parmy la salle contrefaisant le fol ainsi qu'il avoit acoustumé vint
auprés d'un juif et le tira par derriere. Le Juif qui
sentoit qu'on le tenoit par derriere: incontinent se retourna pour veoir que
c'estoit, mais robert avoit apareillé le cul de son chien & luy avoit la queue
levee incontinent il fist baiser le cul de son chien au Juif. Alors chascun se
print a rire du juif: Ducz, Contes, Barons & Chevaliers. Le Juif qui cognoissoit
qu'on se moquoit de luy il en eut grand despit: mais il n'en fist autre semblant
pour celle heure. Aprés cela Robert laissa aller le Chien par la salle: mais
incontinent le Chien saillit sur la table: & tant aux dentz que aux piedz si
fist tumber ce qui estoit dessus la table: napes: pain, tasses & saillieres. A
telz jeux passoit Robert son temps sans mot dire ainsi qu'il
luy avoit esté enjoinct par le sainct hermite son
confesseur. Ainsi faisoit Robert la penitence a luy enjointe, toutesfois sans
faire a nul grevance ne desplaisirs aucunement tousjours pensoit robert a faire
quelque esbatement pour passer le temps: Si advint un jour que on menoit une
Royne a l'eglise pour espouser: laquelle estoit richement paree et vestue &
avoit dessus elle de riches joyaulx ainsi que a Royne
apartenoit acompagnee de plusieurs nobles et puissans
Hommes: Dames & damoyselles: robert qui apperceut celle royne ainsi paree l'alla
prendre par la main et puis aprés la va mener en la plus grande fange qui
fut en toute la rue: et la fist tomber, tellement qu'elle fut toute souillee: et
puis s'enfuit la gueule ouverte et criant comme
un fol en riant portant sa massue sur son col & s'en
alla tout droit bouté dedans la cuisine en laquelle
celle royne avoit fait appareiller le disner des nopces et quand il fut la
arrivé sans gueres sejourner il print un chat qui la
estoit et le jetta tout vif en une chauldiere en laquelle cuisoient les viandes
du disner, cela fait incontinent fut rapporté a L'empereur lequel en rist moult
& aussi firent tous ceulx
qui estoient avecques luy. Ainsi fut Robert longuement
par la cité de Rome contrefaisant le fol et le muet, combien
que il ne le fust pas, mais l'avoit de commandement
ainsi que dessus est dist pour sa penitence parfaire: car en tel estat fut
robert sans mot dire et sans boire vin jusques a tant que
sa penitence fust accomplie: & aussi il ne mengeoit
que ce qu'il pouoit oster aux chiens: ne ne couchoit
en lit du monde: mais tant seulement
gisoit sur un bien peu de paille avecques les chiens il souffroit moult d'ennuy
et de tourment en menant telle vie, & quand il pleut a
nostre seigneur Jesuchrist l'appeller, & lui faire assavoir qu'il
auroit assez souffert il fut exaulcé et eslevé en honneur & magnificence
plus que jamais n'avoit esté, aymé et tenu cher de toutes manieres de gens:
car il souloit estre debouté et hay de tout le monde alors fut prisé et aymé de
tous plus que jamais n'avoit esté, qui est une chose fort miraculeuse, comme icy
aprés pourrez veoir et entendre.
Comme le seneschal de L'empereur assembla grand
nombre de sarrazins pour faire guerre a L'empereur pour ce qu'il ne luy vouloit
donner sa fille en mariage.
Or en ce temps que
Robert estoit a Rome faisant sa penitence laquelle
estoit achevee ainsi qu'il pleut a dieu lequel prent pitié de son pauvre pecheur
quand il se retourne a luy de bon
cueur en luy demandant pardon
de ses pechez Robert qui estoit purgé de tous
ses vices & delitz en lieu de ceulx estoit aorné de belles vertus. Et avoit
demouré a Rome par l'espace de sept ans ou environ en faisant sa penitence
ainsi comme dessus avez ouy contrefaisant
le fol & le muet en la maison de l'empereur: lequel
avoit une fille, laquelle estoit muette ne jamais
n'avoit parlé. Et nonobstant ce qu'elle estoit muette, le seneschal de
L'empereur qui estoit puissant homme l'avoit fait plusieurs fois demander, et la
vouloit avoir a femme: mais L'empereur congnoissant
qu'il eust fait honte a son lignage. Ne s'i voulut consentir
ne accorder de laquelle chose le seneschal fut iré & mal content
contre son seigneur l'empereur
et eu grand despit en son cueur: et se pensa en
luymesmes qu'il luy feroit guerre & dommage:
si commença ledit seneschal a assembler gens a grand
puissance pour mener grand
guerre a l'empereur son
seigneur, car il luy sembloit bien que
par sa force & sa prouesse il conquerroit tantost
toute la terre de l'empereur: si fist ledit seneschal
grand amas de sarrazins & mescreans: & toute sa compagnie
vint jusques au plus pres de
Rome, & la voulut assieger la cité & tous ceux qui
estoient dedans Dequoy l'empereur de Rome fut fort esbahy de l'entreprinse
& lors il appella tous ses barons & tous ceulx de son
conseil ensemble toute sa noblesse & chevalerie. Et
print conseil avecques eux
en leur disant. Seigneurs
avisons que nous pourrons
faire contre ses mauditz chiens
sarrazins qui nous viennent ainsi assieger & faire
grans outrages & vituperes: dont j'ay si grand douleur
que peult s'en fault que je n'enrage: car il tiennent desja tout le pays en leur
subjection, & nous destruiront tous
se dieu par sa grace & misericorde ne nous ayde. Si vous
prie que trouvons façon & maniere de les destruire et
que a grand force et puissance les allons assaillir &
reveiller: a fin que nous les puissions mieulx garder de dormir & sejourner trop
longuement. Alors les barons et chevaliers qui estoient tous d'une aliance et
d'un consentement vont dire a l'empereur. Sire
empereur vous avez parlé sagement si sommes tous
d'accord tous prestz et appareillez de deffendre nous
et noz droitz: & ferons tant qu'au plaisir de dieu tous les ferons mourir de
malle mort: & maudiront l'heure que oncques en ceste
terre entrerent. De la responce des barons fust bien joyeulx l'empereur: &
incontinent fit crier par toute la cité de rome que tout homme
qui sçauroit porter armes s'armast et se mist bien en point, pour aller
assaillir les chiens mastins et mauditz sarrazins pour les desconfire et ruer
jus: incontinent que la criee fust faite, chacun fust prest et en point
par devers l'empereur de franc courage pour
l'accompagner: et tous ensemble par belle ordonnance
s'en allerent assaillir les mauditz chiens sarrazins &
L'empereur mesmement estoit en personne en son ost. Et combien que la puissance
de l'empereur & des romains fust grande si eussent ilz esté desconfitz
se dieu ne leur eust envoyé ayde et secours par Robert lequel Dieu envoya pour
secourir L'empereur et les Romains.
Comme dieu envoya par son bon ange
a robert un cheval blanc et armes blanches: et luy commanda qu'il
allast secourir l'empereur et les Romains.
Le jour que
l'empereur & tous les Romains devoient avoir journee
avec les sarrazins & les gens du seneschal. Ainsi comme
robert alla a la fontaine ainsi comme il avoit
acoustumé de boire laquelle fontaine estoit au jardin
de L'empereur. Si vint une voix du ciel laquelle luy
fut envoyee de par dieu. Et robert estant pres de
ladicte fontaine entendit celle voix en parlant
doucement en disant en ceste maniere. Robert dieu te
mande de par moy & te commande
que incontinent et sans arrest tu te arme de ces blanches
armes & que tu monte sur le
cheval que je t'ameine & que sans plus sejourner tu
ailles secourir l'empereur. Robert ne sceut contredire aux commandemens
que l'ange luy dit Et sans faire aucun refus: incontinent
s'arma des armes blanches que l'ange du ciel luy avoit
aportees & monta sur le courcier. La fille de l'empereur dequoy cy dessus avez
ouy parler estoit au fenestres, par lesquelles on pouoit veoir sur le jardin
auquel estoit la fontaine vit comment robert estoit desguisé, comment il estoit
armé et se elle eust sceu parler elle l'eust bien revellé: mais elle estoit
muette par quoy ne l'eust sceu dire. Nonobstant elle
ne l'oublia par ains bien retint en son courage. Robert ainsi armé et monté
comme vous avez ouy s'en alla en l'ost de L'empereur
que les sarrazins tenoient de bien pres car se dieu et Robert n'y eussent ouvré
L'empereur eust esté desconfit, et tous ses gens mis a mort mais quand robert
fut armé il se mist en la plus grand presse des sarrazins & commença
ferir a dextre & a senestre sur les turcz, la luy vissiez trencher
testes & couper bras et jambes: il faisoit tomber gens
chevaulx par terre: si ne perdit pas un coup qu'il
ne mist a mort de ses Sarrazins: c'estoit merveilleuse chose a veoir ainsi tuer
et meurdrir a Robert ses ennemys. Et a bref parler par sa force & prouesse il
mist en fuyte tous les sarrazins: et tellement ouvra que le champ demoura a
L'empereur.
Comme aprés que Robert eut desconfit les sarrazins il s'en
retourna a la fontaine dessusdicte.
Adonc
quand le champ & L'honneur de la journee fut ainsi demouré a l'empereur a l'aide
de robert tout armé sur son cheval s'en retourna vers la fontaine, & la se
desarma, et puis mist les armes sur son cheval. Et incontinent il se esvanouit.
Et ne sceut que ledict cheval ne les armes devindrent
& demoura tout seul. La fille de l'empereur de Romme
qui tout cela veoit: se esmerveilloit moult et l'eust voluntiers dit, mais elle
ne sçavoit parler ne dire mot: car elle n'avoit jamais
parlé. Or avoit robert le visage tout esgratigné de quelque coup qu'il
avoit receu en la bataille. Ne autre mal il n'en avoit aporté l'empereur
fut moult joyeux & loua & remercia Dieu grandement
de ce qu'il luy avoit donné
victoire sur ces ennemys & en ceste joye retourna en son Palais. Et quand
il fut heure de souper robert se presenta a l'empereur
ainsi qu'il avoit accoustumé contrefaisant
tousjours le fol & le muet comme dessus est dit.
L'empereur qui voluntiers regarda robert congneut
qu'il estoit blessé & qu'il avoit ainsi le visage
atourné cuydoit que ce luy eussent fait aucuns
de ses serviteurs: si se courrouça & dit: ceans il y a
de mauvaises gens, car ainsi que avons
esté aujourd'huy a la journee: ilz ont batu & mutilé ce pauvre homme,
& mesmement par le visage dont
ilz ont fait mal & grand peché: car il ne dit ne fait
nul mal a homme: ne a personne du monde
il ne fait tort: il est fol mais est debonnaire & de
bon affaire que homme
ne pouoit estre: & cuyde qu'il doit estre fort. Lors
un chevaliers se print a parler & dit Tandis
qu'avons esté en la bataille les gens qui
sont cy demourez luy ont fait cela. Alors L'empereur
deffendit a tous ses gens qu'ilz
ne fussent si hardys de le toucher aucunement puis se
print a interroguer ses chevaliers s'il y avoit nul qui
sceust qui estoit le chevalier par lequel ilz avoient
esté secouruz: & sans lequel ilz estoient perduz: je
ne sçay fait l'empereur qui il peult estre: mais ce
n'eust il esté nous estions
tous honnyz & deshonorez:
c'est le plus vaillant & le plus hardy chevalier que
oncques je veis quel qu'il
soit il a en luy grand hardiesse. Alors la fille qui
ce entendit s'approcha de son pere & luy feist signe que
par robert avoient eu victoire & avoient
gagné la journee l'empereur n'entendoit
pas le patois de sa fille ne ce qu'elle vouloit dire pource qu'elle
ne pouoit parler ne exprimer ses parolles sinon
par signes il fist venir la maistresse de sa fille par
devant luy pour sçavoir qu'elle vouloit dire: la
maistresse qui entendoit ce
que la fille disoit exposa a l'empereur
en ceste maniere: la fille se dit la maistresse se veux dire que ce fol a
aujourd'huy tant fait que n'eust il esté vous
eussiez esté vaincus & eussiez perdu
la journee: & que par luy avez eu victoire contre
voz ennemis & qu'en telle façon
il a combatu qu'il a la
bataille gaignee, lors l'empereur se print
a rire & a ce mocquer de ce que disoit la maistresse en luy disant
que c'estoit une grand folie & grand
abusion: & de cela se courrouça L'empereur en luy disant.
Vous la deussiez enseigner & endoctriner en bonnes
meurs mais vous l'affolez & gastez. Se vous
n'en pensez autrement je vous
feray dolente & courroucee: ce seroit grand abusion de
penser que ce fol qui
est innocent eust sceu faire une telle vaillance
veu qu'il n'a force ne puissance: lors quand
la pucelle entendit ainsi parler son pere elle se
voulut retraire & s'en alla jaçoit ce qu'elle sçavoit bien comme
la chose estoit aucune & semblablement sa maistresse eust grand paour & frayeur
des parolles de L'empereur: & pourtant celle chose si demoura en cest estat
jusque a une autre fois que le seneschal lequel avoit esté une fois desconfit
eut fait grand amas de sarrazins: & vint de rechef assaillir Rome & y vouloit
mener dure guerre aux Romains: & de fait les romains eussent esté desconfitz, ce
n'eust esté le chevalier que l'autre fois les avoit secouruz: lequel vint au
secours de l'empereur par le
commandement de l'ange ainsi
que a la premiere fois avoit fait & fist si
vaillamment que pour abreger il mist tous
les chiens sarrazins a desconfiture: car il n'y avoit
homme si preux ne si hardy qui l'osast attendre: car
il menoit tous ses chiens
devant luy comme un loup fait un troupeau de brebis,
dequoy tout le monde s'en esbahissoit, car il frapoit
sur celle chiennaille comme
un diable il les detailloit & trenchoit comme un
boucher la chair en la boucherie. Car nul n'eschapoit de ses mains tant
fust il grand & hardy que lors ne fust mis a fin
chascun des gens de l'empereur prenoit garde a iceluy
chevalier: mais a la fin quand la bataille fut fenee
nul ne peu dire que le chevalier devint fors seulement
la pucelle fille de l'empereur laquelle luy souvenoit de l'autre fois & prins
garde comment Robert se contiendroit
& vit comment il se desarma ainsi que a l'autre fois
il avoit fait: & toutesfois elle tint secret tout le fait: car autre qu'elle ne
l'avoit veu. Et de tout ne fut rien sceu jusques a la tierce fois.
Comme robert gaigna
la tierce bataille, a laquelle furent mis a mort tous
les sarrazins.
Et peu de temps
aprés l'ost des sarrazins retourna a plus grand
puissance que jamais devant la cité de Romme: dont mal leur en print car il y
demourerent tous par ledit Robert: mais premier que
l'empereur les alla combatre. Il manda tous ces chevaliers & leur pria que se le
chevalier blanc revenoit qu'ilz missent peine de le
prendre, a fin qu'il sceust de quelle nation il estoit
& leur commanda qu'ilz sceussent quel part il yroit ne
dont il viendroit car se dist l'empereur j'ay grand
desir de sçavoir la verité. Alors les chevaliers respondirent qu'ilz le feroient
voluntiers & quand la journee fut venue un grand nombre des meilleurs chevaliers
de l'empereur s'en allerent embuscher en un petis boys
pour essayer a prendre le chevalier blanc:
mais perdirent leur peine car ilz ne peurent oncques sçavoir dont
il venoit mais quand ilz le virent en bataille tous
saillirent du Boys et la eussiez veu grans coup donner, harnois reluyre,
trompettes & clairons sonner pour sarrazins espouenter et lances
rompre & briser gens. Chevaulx vissiez aller par terre, c'estoit un plaisir a
les regarder: robert qui estoit la venu sur son cheval
blanc & blanches armes se mist au plus
gros de la meslee comme celuy qui riens ne doutoit ses
ennemis: car depuis qu'il y fut arrivé nul tant fut
hardy ne l'osoit attendre pour les grans coups qu'il
donnoit, car il frapa de maint horion & maint coup de
lance d'espee il frapoit d'estoc de taille. Il ne
perdit pas un coup, car a chacun coup qu'il
donnoit vous eussiez veu
aller un de ses chiens par terre. A l'un rompoit
la teste a l'autre rompoit les rains et illec
demouroient tous mors. Et
pour abreger robert fist tant que
les chrestiens eurent victoire sur les sarrazins car avec ce qu'il frapoit sur
les mastins si donnoit il courage aux Romains tousjours les rallioit ensemble.
De la grand joye que les romains avoient
de voir ainsi besongner a robert encontre ceste chiennaille
la force leur croissoit & tellement besongnerent avec l'ayde de Robert que tous
les sarrazins furent desconfitz & mis a mort: dequoy lon mena joye parmy la cité
de Rome.
Comme l'un des chevaliers de L'empereur mist le fer de sa
lance en la cuysse de Robert.
Donc quand la journee
fust passee et la bataille gaignee: chascun s'en retourna en son hostel, et
Robert s'en voulut retourner a la fontaine dessusdicte pour se desarmer comme il
avoit accoustumé mais les dessusdiz chevaliers qui s'estoient retourné embuscher
au bois dessusdit saillirent tous ensemble et luy dirent. Seigneur chevalier
parlez a nous, dictes nous se il vous plaist qui vous estes, de quel pays: ne de
quelle contree. Quand Robert les ouit ainsi parler il fut tout esbahy, & se
print a picquer son cheval contreval a fuyr afin qu'il ne fut cogneu: et de ce
tant fist qu'il eschapa aux chevaliers. Nul d'eulx ne sceut sçavoir que Robert
devint fors un lequel le suyvit de pres tenant une lance en son poing de
laquelle il frappa en la cuisse tellement que le fer
demoura dedans la playe, mais pourtant ne pouoit il pas sçavoir qui estoit le
chevalier aulx armes blanches. ains luy eschappa Robert & vint a la fontaine &
se desarma & mist les armes sur son Cheval ainsi qu'il avoit accoustumé, &
tantost aprés ne sceust que devint cheval ne Lance ne les armes: ains demoura la
tout seul, navré de la lance: dont il sentoit grand douleur. Et incontinent
luy mesmes tira le fer de sa cuysse & le mussa entre deux pierres a la fontaine
robert si ne sçavoit ou aller pour adouber la playe de paour que il ne feust
cogneu il se mist luy mesmes a l'adouber & print de l'herbe et la mist dessus,
et puis amassa grande quantité de mousse: de laquelle il enveloppa sa playe tout
autour du mieulx qu'il peut: a fin que l'air n'entrast dedans. La fille de
L'empereur, laquelle estoit aux fenestres si veoit tout cela & bien le nota. Et
pource qu'elle cogneut Robert estre beau & vaillant chevalier & avoit veu sa
maniere de armer et desarmer elle le mist tant en son cueur que
ce fust merveilles, et commença fort a l'aymer. Or ne sçavoit homme
vivant qui estoit le Chevalier aux armes blanches. Quand robert eust bien
adoubbé sa playe il s'en vint a la court pour avoir a soupé: mais il clochoit
fort pour le coup qu'il avoit receu: nonobstant qu'il se gardoit de clocher le
plus qu'il pouoit: car il sentoit cent mille foys plus
grand douleur qu'il ne monstroit Tantost aprés arriva le chevalier, lequel
avoit blecé robert & commença a compter a l'empereur comment le chevalier leur
estoit eschappé, & comment il le avoit blecé dequoy il estoit fort courroucé et
dolent et disoit Je croy que ce soit chose spirituelle: & non pas mortelle. Car
il ne dit mot ne pour beau parler que je luy ay sceu
dire ne n'a oncques voulu parler ne respondre
mot. Je prie a dieu qu'il le vueille reconforter en quelque lieu qu'il
soit: car je suis seur qu'il est fort blecé. Mais sire Empereur je vous diray que
vous ferez si m'en voulez croire, et se voulez sçavoir
en bref temps qui est le chevalier aux armes blanches. C'est que vous faciez
crier par toutes voz villes citez & chasteaulx que
s'il y a chevalier qui aye blanches armes et cheval blanc qu'i vienne par devers
vous. Et aussi qu'il apporte le fer de la lance de laquelle il a esté blecé en
la cuysse & qu'il monstre la playe et que vous luy donnerez
vostre fille a femme, et avec ce luy donnerez la moytié de vostre Empire. Quand
l'empereur entendit ainsi parler le chevalier il fut moult joyeulx: et dist que
il avoit sagement parlé et incontinent fist publier par tout son Empire ce que
ledit chevalier avoit conseillé.
Comme le seneschal se mist un fer
de lance en la cuisse pour cuider avoir la fille de
l'empereur.
Les criees de par
l'empereur faictes & publiees vindrent a la cognoissance
du trahistre seneschal qui aymoyt tant
la fille de l'empereur qu'il ne pouoit dormyr ne
reposer & la cuidoit avoir a femme par son outrecuidance
& pour l'amour d'elle avoit fait tant de folles
entreprinses desquelles tousjours se trouvoit deceu & marry: & encores en fist
un autre bien grande comme
cy aprés orrez: car lon dit communement, que plus
hault monte qu'il ne doit: plus bas descend qu'il ne
voudroit, & n'est rien plus desplaisant a dieu que
orgueil ne plus nuisible a l'homme:
mais qui a dieu servir entend: en la fin bon
loyer en attend Ledit seneschal aprés ce qu'il
eut ouy les criees dessusdictes: il s'advisa d'une grand malice: laquelle luy
tourna depuis a grand deshonneur
car incontinent il fist chercher un cheval blanc,
lance & armes blanches et
print un fer de lance: lequel il le mist en sa cuysse en grand douleur &
angoisse: toutesfois pour parvenir a estre empereur il
se souffrit & endura paciemment: & pareillement pour avoir la fille de
l'empereur: de laquelle il estoit si tresamoureux que peu s'en failloit qu'il
n'enrageoit tout vif: dont c'estoit grand follie: car
il ne avoit garde de l'avoir: & aussi c'est grande
folie a ceulx qui veulent maintenir vie de foles
amours: car a la fin mal douleur & honte en vient
Aprés cela fait le seneschal fist armer tous
ses gens & les fist mettre sur les champs pour le acompagner
et tant chevaucha qu'il arriva a Romme a grand
honneur & triumphe Or estoit
il bel homme grand & plaisant. Mais il estoit tant
fier & orgueilleux que au monde n'y avoit point son pareil plus
cault ne plus subtil & malicieulx trahistre &
frauduleux & cuidoit bien avoir par
envie & subtilité ce qu'il n'avoit pas desservy & que a luy n'appartenoit pas:
en tel estat vint le trahistre seneschal a la ville de
Rome. Et sans sejourner se vint presenter
a l'empereur en luy disant fort humblement: sire
empereur pour certain je suis celuy qui si vaillanment
vous ay par trois fois secouru: & qui tant ay fait
mourir de gens pour l'amour de vous. Alors L'empereur
qui ne pensoit point de trahison luy respondit
et dit: vous estes moult fort preudhomme et hardy:
mais par mon ame je eusse bien pensé
le contraire: car on vous tient pour un couart. Lors
le seneschal dit tout marry & courroucé. Sire Empereur de ce ne soyez esbahy:
car je n'ay pas encores le cueur si failly que on cuyde: & en disant
ces parolles il tira un fer de lance: lequel il monstra
a l'empereur puis il descouvrit sa playe laquelle il s'estoit faite luy mesmes
en la cuysse. Le chevalier qui avoit blessé robert
estoit la present Et quand
il vit le fer que le seneschal monstroit il se print a
soubzrire: car il congnoissoit bien que ce n'estoit
pas son fer, & toutesfois de paour d'avoir debat il n'osat dire le contraire:
mais il luy grevoit bien toutesfois il ne dist mot
jusques a ce qu'il vit bien
son point comme cy aprés
orrez: mais nous laisserons a parler de l'empereur et
du seneschal et retournerons a robert lequel gisoit avec les chiens blessé a
mort comme dessus avez ouy.
Comme L'ange vint annoncer a L'hermite que la penitence de
Robert estoit accomplie et qu'il allast a Rome le chercher.
Moult servit long
temps robert au service de Dieu duquel service par sa volunté il a enduré
plusieurs peines & est de present temps que dieu l'en
guerdonne, & ainsi qu'il pleut a dieu que le temps fut
venu de payer robert selon sa desserte & ses biens
faitz il le voulut exaulcer & eslever du lict des chiens
auquel il gisoit, navré a mort de la lance ainsi
qu'avez ouy & si faisoit lescher sa playe aux chiens & n'avoit autre medecin: &
iceluy colloquer & mettre en fort grand honneur & haultesse, robert ne tenoit compte
de luy non plus que d'une
beste & n'avoit honte de personne
ne aussi n'avoit jamais pensé a avoir la fille de L'empereur a femme, mais
tousjours estoit en oraison en priant nostre seigneur
que il eust pitié de luy & tousjours il plouroit ses pechez. Si advint un jour que
l'hermite duquel avez cy devant ouy parler & lequel avoit confessé
Robert & enjoinct sa penitence estoit en son hermitage & dormoit, en dormant
luy vint en vision un ange lequel luy dit qu'il allast
a rome chercher & enquerir en quel lieu estoit robert & luy dict tout ce qui
estoit advenu de Robert, et qu'il devoit avoir la fille de l'empereur en mariage
et de fait luy declara de point en point tout le mistere dont
l'hermite fut joyeux: & le lendemain au matin l'hermite se leva & s'en alla a
Rome, aussi fist le seneschal qui vouloit avoir la
fille de l'empereur: & s'en alla vers l'empereur
auquel il demanda sa fille ainsi que promise luy avoit en ses criees, laquelle
luy fut octroyee sans contredit, quand
la fille sceut qu'elle estoit octroyee au seneschal
elle cuyda enrager & devenir folle. Et incontinent se print a desrompre ses
cheveulx & a mener grand dueil, mais tout ne luy valut rien: car il convint
qu'elle fut habillee & aornee comme une espousee richement ainsi qu'a son estat
apartenoit, & comme a fille d'empereur. Son pere la
print par la main pour la mener au monstier acompagnee de plusieurs notables
seigneurs, Barons, Dames & Damoyselles, mais la Fille ne s'en pouoit resjouyr:
mais elle s'en alloit grand dueil demenant.
Comme la Fille de L'empereur par la grace de dieu commença a
parler.
Il advint quand
L'empereur & sa Baronnie qui la estoit assemblee
furent a l'eglise ou devoient espouser le seneschal & la fille de L'empereur laquelle
n'avoit jamais parlé commença a parler. La demonstra dieu un grand miracle pour
exaucer le preudhomme Robert duquel nul ne tenoit compte, ains chascun se
railloit de luy en le reputant pour fol. Ainsi que le
prebstre venoit commencer le divin service pour
espouser la pucelle & le Seneschal: par la grace de
Dieu la fille commença a parler
& dict a son pere. Vous estes bien fol & hors du sens de croyre ce que ce
mauldit enragé & orgueilleux fol vous a dit &
racompté: car tout ce qu'il dit ne sont que bourdes. Bien est vray que
ceans a un homme sainct et bien devot: qui par sa
bonté & grand merite dieu m'a rendu la parolle dont je
suis grandement tenue a luy. Car il y a long temps que j'ay congneu les grans
biens qui en luy sont, & toutefoys nul jamais ne m'en
volut croire pour chose que j'en sceusse faire. Quand
L'empereur entendit ainsi parler
la fille laquelle n'avoit jamais parlé il fust tout
ravy de joye & vit que mal alloit & qu'il n'estoit pas vray ce que
le seneschal luy avoit dit: & se pensa qu'il l'avoit villainement deceu. Le
seneschal qui ce ouyt cuyda enrager de dueil & de courroux: & du grand dueil que
il en eust il monta a cheval incontinent, & s'enfouyt tout honteux sans espouser
ladicte fille tout yré & courroucé comme felon
& hors du sens. Le pape qui la estoit present demanda a la fille qui
estoit celuy duquel on parloit tant, lors elle mena le
Pape & L'empereur son pere a la fontaine a laquelle Robert s'armoit & desarmoit
& la elle chercha entre les deux pierres ou Robert
avoit mussé le fer de la lance dessusdicte & tant
chercha qu'elle le trouva: & quand elle l'eust trouvé elle demanda la lance de
laquelle estoit yssu le fer & incontinent luy fut
aporté: & la lance & le fer si se trouverent tout un,
car le fer estoit bien proprement joinct au boys & le boys au fer aussi bien que
se jamais il ne eust esté brisé puis dit la fille au pape. Pere sainct encores y
a bien autre chose, car en ce propre lieu a esté trois
fois armé. Celuy par qui
avons esté trois foys delivrez des mains de noz ennemys. Car j'ay veu trois foys
son cheval & ses armes, desquelles par trois foys je l'ay veu armer, & desarmer:
mais je ne sçaurois dire ou le cheval alloit ne dont il venoit ne qui luy
bailloit armes ne harnoys ne a qui il les rendoit,
mais je sçay bien au vray de luy: que incontinent s'en
venoit gesir avec les chiens. Tout ce que je vous racompte est verité & ainsi le
demonstrois par signes. Mais on ne m'en vouloit croire. Lors la fille tourna son
langage vers L'empereur son pere en luy disant. C'est
celuy lequel a bien gardé & deffendu vostre bon droit
& vostre honneur, parquoy est raison desormais que
par vous guerdonné en soit: & s'il vous plaist tous
ensemble yrons parler a luy. Lors le pape, L'empereur:
sa fille: & la baronnie vindrent vers robert lequel
trouverent couché au lict des chiens: & tous ensemble
le saluerent & luy firent la reverence: mais Robert ne leur respondit rien.
Comme l'hermite trouva Robert auquel
il commanda qu'il parlast &
que la penitence estoit acomplie.
Alors L'empereur
commença a parler a robert & dict, vien ça mon amy je
te prie qu'il te plaise me monstrer ta cuisse car je
le vueil veoir. Quand Robert l'entendit parler il
sceut bien pourquoy il le disoit: si faisoit semblant
de ne l'entendre point: puis print une paille & commença a la rompre par
mocquerie en se jouant: & lors fist mainte folie
robert pour faire rire le Pape & L'empereur, & aussi maintz esbatemens
pour les faire parler & dire quelque chose nouvelle. Et lors le pape commença
a parler a Robert & le conjura de par Dieu qui en
croix pendit pour rachepter l'humain lignage & luy dit. Je te commande que
ce tu as pouoir de parler que tu parles a nous. Adonc
Robert se leva & en contrefaisant le fol donna la benediction au Pape, & en
faisant cela il regarda derriere luy: & vit venir L'hermite auquel
il s'estoit confessé: & aussi tost que L'hermite aperceut robert il luy dict si
hault que chascun l'ouyt. Mon amy entendez a moy. Je sçay bien qu'estes Robert
lequel se nomme le diable. Or est maintenant plus agreable a dieu car au lieu du
diable avez nom l'homme dieu, vous estes celuy par lequel ceste contree est
delivree des mains des Sarrazins: je vous prie que ainsi qu'avez acoustumé
honorez & prisez Dieu lequel m'a icy envoyé. Si vous mande de par moy que
d'icy en avant vueillez parler sans plus faire le fol: car ainsi est sa volunté.
Et vous a pardonné voz pechez lesquelz aviez commis.
Pource que de iceulx avez faict penitence suffisante. Et incontinent, Robert se
mist a genoulx & joignit les mains vers le Ciel en disant: Souverain Roy des
Cieulx je te remercie: puis qu'il t'a Pleu me pardonner mes offenses & pechez,
loué soyes tu. Lors quand la Fille & ceulx qui la estoient presens entendirent
le doulx langage de Robert ilz furent esmerveillez car alors robert leur sembla
si beau & gracieux & beau de corps & si bien fourny que c'estoit chose
merveilleuse a voir. Adonc l'empereur luy voulut
donner sa fille en mariage pour les grands biens &
vertus qui sont en luy. L'hermite qui la estoit ne si voulut consentir pourquoy
tous se departirent de la: & s'en allerent chascun en son hostel.
Comme par le commandement de Dieu
Robert retourna a Rome pour espouser la fille de l'empereur.
En aprés que robert
eust obtenu pardon de ses pechez & s'en estoit allé hors de rome, Dieu feist
dire trois fois par son bon ange que il s'en retournast a Rome et qu'il
espouseroit la fille de L'empereur laquelle estoit
tant belle & gracieuse, doulce & benigne, & si avoit en luy tout son cueur mis.
Et que d'eux deux descenderoit une noble lignee de laquelle
tout le pays en vaudroit mieux & que la foy chrestienne en seroit exaucee. Adonc
Robert par le commandement de Dieu s'en retourna a Rome pour espouser la fille
de l'empereur a grand honneur & triumphe: car vous eussiez veu demener joye a
L'empereur: & a tous ceulx de Rome. Belle feste y eut & belle assemblee
honorable & triumphante: car tous demenoient grand
joye, a la feste nul ne se pouoit saouler de regarder Robert & disoient tous.
Bien sommes tenus a cest homme, car par luy sommes
hors des mains de noz ennemys. La feste fut si grande qu'elle dura quinze
jours tous entiers & aprés que la feste fut passee robert avec sa femme s'en
voulurent retourner en Normandie: pour visiter son
Pere & sa mere & demanda congé a l'empereur lequel luy
bailla des gens pour l'acompagner: & luy donna de beaulx & riches dons: or &
argent & pierres precieuses & alors robert & sa femme
bien accompagnez de plusieurs nobles chevaliers, dames
& damoyselles: or & argent en abondance: si print congé de L'empereur
& de ceulx de Rome & se mirent a chemin pour aller en Normandie.
Comme Robert avec sa femme arriverent a Rouen a grand
honneur.
Robert & sa femme
cheminerent tant que ilz arriverent a rouen en grand
honneur & triumphe dont plusieurs furent joyeux de
leur venue: car ceulx du pays estoient en grand
desconfort pour ce que le duc pere de robert estoit trespassé et estoyent
demourez sans seigneur dont ilz estoyent tristes & dolens. Car c'estoit un
tressage prince & de grand renom. Auprés de rouen
demouroit un chevalier tresmauvais et cruel, lequel faisoit a la duchesse mere
de Robert souffrir plusieurs tourmens, et luy faisoit plusieurs injures: car il
la persecutoit du corps et des biens & si la vouloit faire brusler. Il n'y avoit
baron ne chevalier qui osast contredire a luy, sur
chascun vouloit estre maistre et pour doubte de luy nul n'osoit ayder a la
duchesse: mais quand robert fut venu que chacun l'eut
cogneu alors le doubterent & grand joye demenerent
& luy firent grand honneur & disoient les uns aux
autres nous cuydions qu'il fust mort. Tous les
seigneurs & bourgeoys de Rouen s'assemblerent & en grand triumphe allerent
tous faire honneur & reverence a Robert leur souverain seigneur, & aprés que
tous luy eurent fait & rendu le salut ilz luy compterent
la façon comme le seigneur dessusdit traictoit & malmenoit la duchesse sa mere,
depuis que son pere estoit mort: & luy reciterent la
grand vilennie & outrage
qu'i luy avoit fait. Quand Robert entendit ce que les bourgoys luy avoient
dit tant de cela que de la mort de son pere il en fut fort courroucé & demena
grand dueil: car il cuydoit trouver son pere en vie. Il jura sainct Pierre de
rome que a ce chevalier feroit guerre mortelle, & que
s'il le pouoit tenir que vilainement il le feroit
mourir comme trahistre & desloyal, incontinent robert mist gensdarmes en oeuvre
pour prendre ce trahistre: & ne cessa tant qu'il fust prins: & incontinent fist
faire son procés & fut condampné a estre pendu et estranglé: laquelle chose fut
faicte, & ainsi fut la duchesse vengee de ce faulx &
mauvais paillard qui tant luy avoit fait de peine et
de tourment: & combien que la duchesse fut bien
joyeuse de la mort de ce trahistre, si fut elle encores plus joyeuse cent
mille foys de la venue de son filz lequel elle cuydoit qu'il fut mort: car par
luy elle fut delivree de ce trahistre larron: & aussi fut tout le Pays de Normandie
auquel il faisoit mainte tirannie & les tenoit en sa
subjection. Quand Robert & sa mere furent ensemble il luy compta comme
il c'estoit gouverné a Rome & comme il avoit enduré beaucoup de maulx en faisant
sa penitence: & comme l'empereur luy avoit donné sa fille pour femme & luy dict
toute la maniere. Et de fait luy compta tout son gouvernement. Quand la Duchesse
entendit ce que son Filz luy disoit, elle commença
a plorer de la grand pitié qu'elle eut de son enfant qui avoit souffert tant de
peine & de tourment.
Comme un messager arriva devant le noble duc robert lequel
luy dit que L'empereur luy mandoit qu'il
l'allast secourir a l'encontre du Seneschal.
Cependant que Robert
estoit a Rouen en grand triumphe avecq sa Mere & sa femme en comptant ses aventures:
Si advint un jour qu'il arriva un messager lequel L'empereur envoya a robert. Le
messager si vint saluer robert & luy dit. Seigneur duc L'empereur
m'envoye par devers vous &
vous prie que le veniez secourir contre ce maudit trahistre seneschal lequel
c'est rebellé contre luy, & dict qu'il aura vostre femme par force maulgré luy:
et vous. Lors quand Robert eust ouy ces parolles: il
fust mal content: & incontinent fist amasser plusieurs gensdarmes les plus
vaillans qu'il peult trouver en Normandie: & au plus tost qu'il peust se mist a
chemin pour aller secourir L'empereur: & tant chemina luy & ses gens qu'ilz
arriverent a Rome & s'en alla droit ou estoit le
seneschal qui desja tenoit la ville de rome en sa subjection. Et quand Robert
apperceut le trahistre seneschal commença a s'escrier en luy disant, trahistre
pas n'eschaperas que je puisses puis que je t'ay trouvé: de malle heure es tu
icy venu. Car jamais n'en retourneras: & puis luy
dict. Tu boutas le fer de la Lance en ta cuysse par tricherie. Or deffend
maintenant ta vie: aussi tu as tué Monseigneur L'empereur par trahison, dont de
tous tes faitz fault que tu sois guerdonné selon ta desserte: & en disant ces
parolles Robert par grand yre estrainct les dentz par maltalent: & s'en vint
courrant contre le Seneschal & luy donna si grand coup sur son heaulme qu'il
le rompit & luy fendit la teste jusques aux dentz, & puis luy osta la visiere
tellement que la cervelle
luy tomba par terre & tomba le trahystre Seneschal tout mort en la place, puis
Robert le fist prendre & porter par la Cité de Rome en un lieu propre pour
l'escorcher afin qu'il fust mieux de luy vengé, & si fist le Duc robert devant
tous ceulx de Rome le seneschal escorcher: & ainsi le fist mourir de malle mort
par quoy on peult cognoistre que c'est grand folie de desirer chose qu'il
n'apartient d'avoir: car se le seneschal n'eust desiré la fille de L'empereur
laquelle ne luy appartenoit pas. Il ne fust pas ainsi mort: ains fust tousjours
demouré amy de L'empereur.
Comme aprés que le duc Robert eut fait escorcher le seneschal
il s'en retourna a Rouen en Normandie.
Quand Robert de Normandie eust fait escorcher le Seneschal,
& mis en paix & seureté les Romains: il s'en retourna a Rouen avec sa compagnie
la ou il trouva sa mere & sa femme, laquelle demena grand dueil quand elle sceut
que L'empereur estoit mort par le seneschal, mais la duchesse mere de Robert la
reconfortoit & luy faisoit tout ce qu'elle sçavoit penser pour la tenir en
joyeuseté.
Pour mettre fin a nostre livre nous
laisserons le dueil de la jeune duchesse & parlerons de Robert lequel fut en sa
jeunesse mauvais & enclin a tout vice & a mal sans ce qu'il luy eust aucune
raison et amytié, plus felon qu'un Lyon: sans avoir nulle misericorde: & fut
depuis comme un homme sauvage sans parler comme une
beste mue, abstinent & plus arresté que jamais fut homme puis fut exaucé en
noblesse & honneur comme cy devant avez ouy. Robert vesquit longuement
avec sa femme & sainctement: & en bonne renommee, & fust prisé & aymé de grands
& de petis. Car il faisoit a tous bonne justice & tenoit tout son pays en bonne
paix. Il eut de sa femme un beau filz lequel fut nommé Richard, & fist avec
Charlemaigne Plusieurs proesses. Il ayda a exaulcer la foy chrestienne. Car sans
cesser menoit guerre aux sarrazins & les destruysoit. Car il ne les pouoit
aymer, il vesquit noblement a grand honneur & bonne
renommee en son vivant par tout son pays ainsi que son pere: car tous deux
vesquirent sainctement jusques a la fin de leurs
jours: dieu par sa infinie puissance nous
doint si bien & sainctement vivre: que a la fin de noz jours noz ames puissent
avec les leurs voler lassus en la gloire eternelle: avec tous les Sainctz &
Sainctes de Paradis. Amen.
.
|