Eôs au péplos couleur de
safran éclairait toute la terre, et Zeus qui se réjouit de la foudre
convoqua l'agora des Dieux sur le plus haut faîte de l'Olympos aux
sommets sans nombre. Et il leur parla, et ils écoutaient
respectueusement :
- Ecoutez-moi tous, Dieux et Déesses, afin que je vous dise ce que j'ai
résolu dans mon coeur. Et que nul Dieu, mâle ou femelle, ne résiste à
mon ordre ; mais obéissez tous, afin que j'achève promptement mon
oeuvre. Car si j'apprends que quelqu'un des Dieux est allé secourir soit
les Troiens, soit les Danaens, celui-là reviendra dans l'Olympos
honteusement châtié. Et je le saisirai, et je le jetterai au loin, dans
le plus creux des gouffres de la terre, au fond du noir Tartaros qui a
des portes de fer et un seuil d'airain, au-dessous de la demeure d'Aidès,
autant que la terre est au-dessous de l'Ouranos. Et il saura que je suis
le plus fort de tous les dieux. Debout, Dieux ! tentez-le, et vous le
saurez. Suspendez une chaîne d'or du faîte de l'Ouranos, et tous, Dieux
et Déesses, attachez-vous à cette chaîne. Vous n'entraînerez jamais,
malgré vos efforts, de l'Ouranos sur la terre, Zeus le modérateur
suprême. Et moi, certes, si je le voulais, je vous enlèverais tous, et
la terre et la mer, et j'attacherais cette chaîne au faîte de l'Olympos,
et tout y resterait suspendu, tant je suis au-dessus des Dieux et des
hommes !
Il parla ainsi, et tous restèrent muets, stupéfaits de ces paroles, car
il avait durement parlé. Et Athènè, la déesse aux yeux clairs, lui dit :
- O notre Père ! Kronide, le plus haut des Rois, nous savons bien que ta
force ne le cède à aucune autre ; mais nous gémissons sur les Danaens,
habiles à lancer la pique, qui vont périr par une destinée mauvaise.
Certes, nous ne combattrons pas, si tu le veux ainsi, mais nous
conseillerons les Argiens, afin qu'ils ne périssent point tous, grâce à
ta colère.
Et Zeus qui amasse les nuées, souriant, lui dit :
- Reprends courage, Tritogénéia, chère enfant. Certes, j'ai parlé très
rudement, mais je veux être doux pour toi.
Ayant ainsi parlé, il lia au char les chevaux aux pieds d'airain,
rapides, ayant pour crinières des chevelures d'or ; et il s'enveloppa
d'un vêtement d'or ; et il prit un fouet d'or bien travaillé, et il
monta sur son char. Et il frappa les chevaux du fouet, et ils volèrent
aussitôt entre la terre et l'Ouranos étoilé. Il parvint sur l'Ida qui
abonde en sources, où vivent les bêtes sauvages, et sur le Gargaros, où
il possède une enceinte sacrée et un autel parfumé. Le Père des hommes
et des Dieux y arrêta ses chevaux, les délia et les enveloppa d'une
grande nuée. Et il s'assit sur le faîte, plein de gloire, regardant la
ville des Troiens et les nefs des Akhaiens.
Et les Akhaiens chevelus s'armaient, ayant mangé en hâte sous les tentes
; et les Troiens aussi s'armaient dans la ville ; et ils étaient moins
nombreux, mais brûlants du désir de combattre, par nécessité, pour leurs
enfants et pour leurs femmes. Et les portes s'ouvraient, et les peuples,
fantassins et cavaliers, se ruaient au dehors, et il s'élevait un bruit
immense.
Et quand ils se furent rencontrés, les piques et les forces des
guerriers aux cuirasses d'airain se mêlèrent confusément, et les
boucliers bombés se heurtèrent, et il s'éleva un bruit immense. On
entendait les cris de joie et les lamentations de ceux qui tuaient ou
mouraient, et la terre ruisselait de sang ; et tant qu'Eôs brilla et que
le jour sacré monta, les traits frappèrent les hommes, et les hommes
tombaient. Mais quand Hélios fut parvenu au faîte de l'Ouranos, le Père
Zeus étendit ses balances d'or, et il y plaça deux Kères de la mort qui
rend immobile à jamais, la Kèr des Troiens dompteurs de chevaux et la
Kèr des Akhaiens aux cuirasses d'airain. Il éleva les balances, les
tenant par le milieu, et le jour fatal des Akhaiens s'inclina ; et la
destinée des Akhaiens toucha la terre nourricière, et celle des Troiens
monta vers le large Ouranos. Et il roula le tonnerre immense sur l'Ida,
et il lança l'ardent éclair au milieu du peuple guerrier des Akhaiens ;
et, l'ayant vu, ils restèrent stupéfaits et pâles de terreur.
Ni Idoméneus, ni Agamemnôn, ni les deux Aias, serviteurs d'Arès,
n'osèrent rester. Le Gérennien Nestôr, rempart des Akhaiens, resta seul,
mais contre son gré, par la chute de son cheval. Le divin Alexandros,
l'époux de Hélénè aux beaux cheveux, avait percé le cheval d'une flèche
au sommet de la tête, endroit mortel, là où croissent les premiers
crins. Et, l'airain ayant pénétré dans la cervelle, le cheval, saisi de
douleur, se roulait et épouvantait les autres chevaux. Et, comme le
vieillard se hâtait de couper les rênes avec l'épée, les rapides chevaux
de Hektôr, portant leur brave conducteur, approchaient dans la mêlée, et
le vieillard eût perdu la vie, si Diomèdès ne l'eût vu. Et il jeta un
cri terrible, appelant Odysseus :
- Divin Laertiade, subtil Odysseus, pourquoi fuis-tu, tournant le dos
comme un lâche dans la mêlée ? Crains qu'on ne te perce d'une pique dans
le dos, tandis que tu fuis. Reste, et repoussons ce rude guerrier loin
de ce vieillard.
Il parla ainsi, mais le divin et patient Odysseus ne l'entendit point et
passa outre vers les nefs creuses des Akhaiens. Et le Tydéide, bien que
seul, se mêla aux combattants avancés, et se tint debout devant les
chevaux du vieux Nèlèide, et il lui dit ces paroles ailées :
- O vieillard, voici que de jeunes guerriers te pressent avec fureur. Ta
force est dissoute, la lourde vieillesse t'accable, ton serviteur est
faible et tes chevaux sont lents. Mais monte sur mon char, et tu verras
quels sont les chevaux de Trôs que j'ai pris à Ainéias, et qui savent,
avec une rapidité égale, poursuivre l'ennemi ou fuir à travers la
plaine. Que nos serviteurs prennent soin de tes chevaux, et poussons
ceux-ci sur les Troiens dompteurs de chevaux, et que Hektôr sache si ma
pique est furieuse entre mes mains.
Il parla ainsi, et le cavalier Gérennien Nestôr lui obéit. Et les deux
braves serviteurs, Sthénélos et Eurymédôn, prirent soin de ses cavales.
Et les deux Rois montèrent sur le char de Diomèdès, et Nestôr saisit les
rênes brillantes et fouetta les chevaux ; et ils approchèrent. Et le
fils de Tydeus lança sa pique contre le Priamide qui venait à lui, et il
le manqua ; mais il frappa dans la poitrine, près de la mamelle,
Eniopeus, fils du magnanime Thèbaios, et qui tenait les rênes des
chevaux. Et celui-ci tomba du char, et ses chevaux rapides reculèrent,
et il perdit l'âme et la force. Une amère douleur enveloppa l'âme de
Hektôr à cause de son compagnon ; mais il le laissa gisant, malgré sa
douleur, et chercha un autre brave conducteur. Et ses chevaux n'en
manquèrent pas longtemps, car il trouva promptement le hardi
Arképtolémos Iphitide ; et il lui confia les chevaux rapides, et il lui
remit les rênes en main.
Alors, il serait arrivé un désastre, et des actions furieuses auraient
été commises, et les Troiens auraient été renfermés dans Ilios comme des
agneaux, si le Père des hommes et des Dieux ne s'était aperçu de ceci.
Et il tonna fortement, lançant la foudre éclatante devant les chevaux de
Diomèdès ; et l'ardente flamme du soufre brûlant jaillit. Les chevaux
effrayés s'abattirent sous le char, et les rênes splendides échappèrent
des mains de Nestôr ; et il craignit dans son coeur, et il dit à
Diomèdès :
- Tydéide ! retourne, fais fuir les chevaux aux sabots épais. Ne vois-tu
point que Zeus ne t'aide pas ? Voici que Zeus Kronide donne maintenant
la victoire à Hektôr, et il nous la donnera aussi, selon sa volonté. Le
plus brave des hommes ne peut rien contre la volonté de Zeus dont la
force est sans égale.
Et Diomèdès hardi au combat lui répondit :
- Oui, vieillard, tu as dit vrai, et selon la justice ; mais une amère
douleur envahit mon âme. Hektôr dira, haranguant les Troiens : Le
Tydéide a fui devant moi vers ses nefs ! Avant qu'il se glorifie de
ceci, que la terre profonde m'engloutisse !
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
- Ah ! fils du brave Tydeus, qu'as-tu dit ? Si Hektôr te nommait lâche
et faible, ni les Troiens, ni les Dardaniens, ne l'en croiraient, ni les
femmes des magnanimes Troiens porteurs de boucliers, elles dont tu as
renversé dans la poussière les jeunes époux.
Ayant ainsi parlé, il prit la fuite, poussant les chevaux aux sabots
massifs à travers la mêlée. Et les Troiens et Hektôr, avec de grands
cris, les accablaient de traits ; et le grand Hektôr au casque mouvant
cria d'une voix haute :
- Tydéide, certes, les cavaliers Danaens t'honoraient entre tous, te
réservant la meilleure place, et les viandes, et les coupes pleines.
Aujourd'hui, ils t'auront en mépris, car tu n'es plus qu'une femme ! Va
donc, fille lâche ! Tu es par ma faute sur nos tours, et tu emmèneras
point nos femmes dans tes nefs. Auparavant, je t'aurai donné la mort.
Il parla ainsi, et le Tydéide hésita, voulant fuir et combattre face à
face. Et il hésita trois fois dans son esprit et dans son coeur ; et
trois fois le sage Zeus tonna du haut des monts Idaiens, en signe de
victoire pour les Troiens. Et Hektôr, d'une voix puissante, animait les
Troiens :
- Troiens, Lykiens et hardis Dardaniens, amis, soyez des hommes et
souvenez-vous de votre force et de votre courage. Je sens que le Kroniôn
me promet la victoire et une grande gloire, et réserve la défaite aux
Danaens. Les insensés ! Ils ont élevé ces murailles inutiles et
méprisables qui n'arrêteront point ma force ; et mes chevaux sauteront
aisément par-dessus le fossé profond. Mais quand j'aurai atteint les
nefs creuses, souvenez-vous de préparer le feu destructeur, afin que je
brûle les nefs, et qu'auprès des nefs je tue les Argiens eux-mêmes,
aveuglés par la fumée.
Et les Atréides le suivaient, et les deux Aias pleins d'une vigueur
indomptable, et Idoméneus, et Mèrionès, tel qu'Arès, compagnon
d'Idoméneus, et le tueur d'hommes Euryalos, et Eurypylos, fils illustre
d'Evaimôn. Et Teukros survint le neuvième, avec son arc tendu, et se
tenant derrière le bouclier d'Aias Télamôniade. Et quand le grand Aias
soulevait le bouclier, Teukros, regardant de toutes parts, ajustait et
frappait un ennemi dans la mêlée, et celui-ci tombait mort. Et il
revenait auprès d'Aias comme un enfant vers sa mère, et Aias l'abritait
de l'éclatant bouclier.
Quel fut le premier Troien que tua l'irréprochable Teukros ? D'abord
Orsilokhos, puis Onnénos, et Ophélestès, et Daitôr, et Khromios, et le
divin Lykophontès, et Amopaôn Polyaimonide, et Ménalippos. Et il les
coucha tour à tour sur la terre nourricière. Et le roi des hommes,
Agamemnôn, plein de joie de le voir renverser de ses flèches les
phalanges des Troiens, s'approcha et lui dit :
- Cher Teukros Télamônien, prince des peuples, continue à lancer tes
flèches pour le salut des Danaens, et pour glorifier ton père Télamôn
qui t'a nourri et soigné dans ses demeures tout petit et bien que
bâtard. Et je te le dis, et ma parole s'accomplira : Si Zeus tempétueux
et Athènè me donnent de renverser la forte citadelle d'Ilios, le premier
après moi tu recevras une glorieuse récompense : un trépied, deux
chevaux et un char, et une femme qui partagera ton lit.
Et l'irréprochable Teukros lui répondit :
- Très illustre Atréide, pourquoi m'excites-tu quand je suis plein
d'ardeur ? Certes, je ferai de mon mieux et selon mes forces. Depuis que
nous les repoussons vers Ilios, je tue les guerriers de mes flèches.
J'en ai lancé huit, et toutes se sont enfoncées dans la chair des jeunes
hommes impétueux ; mais je ne puis frapper ce chien enragé !
Il parla ainsi, et il lança une flèche contre Hektôr, plein du désir de
l'atteindre, et il le manqua. Et la flèche perça la poitrine de
l'irréprochable Gorgythiôn, brave fils de Priamos, qu'avait enfanté la
belle Kathanéira, venue d'Aisimè, et semblable aux Déesses par sa
beauté. Et, comme un pavot, dans un jardin, penche la tête sous le poids
de ses fruits et des rosées printanières, de même le Priamide pencha la
tête sous le poids de son casque. Et Teukros lança une autre flèche
contre Hektôr, plein du désir de l'atteindre, et il le manqua encore ;
et il perça, près de la mamelle, le brave Arkhéptolémos, conducteur des
chevaux de Hektôr ; et Arkhéptolémos tomba du char ; ses chevaux rapides
reculèrent, et sa vie et sa force furent anéanties. Le regret amer de
son compagnon serra le coeur de Hektôr, mais, malgré sa douleur, il le
laissa gisant, et il ordonna à son frère Kébriôn de prendre les rênes,
et ce dernier obéit.
Alors, Hektôr sauta du char
éclatant, poussant un cri terrible ; et, saisissant une pierre, il
courut à Teukros, plein du désir de l'en frapper. Et le Télamônien avait
tiré du carquois une flèche amère, et il la plaçait sur le nerf, quand
Hektôr au casque mouvant, comme il tendait l'arc, le frappa de la pierre
dure à l'épaule, là où la clavicule sépare le cou de la poitrine, à un
endroit mortel. Et le nerf de l'arc fut brisé, et le poignet fut écrasé,
et l'arc s'échappa de sa main, et il tomba à genoux. Mais Aias
n'abandonna point son frère tombé, et il accourut, le couvrant de son
bouclier. Puis, ses deux chers compagnons, Mèkisteus, fils d'Ekhios, et
le divin Alastôr, emportèrent vers les nefs creuses Teukros qui poussait
des gémissements.
Et l'olympien rendit de nouveau le courage aux Troiens, et ils
repoussèrent les Akhaiens jusqu'au fossé profond ; et Hektôr marchait en
avant, répandant la terreur de sa force. Comme un chien qui poursuit de
ses pieds rapides un sanglier sauvage ou un lion, le touche aux cuisses
et aux fesses, épiant l'instant où il se retoumera, de même Hektôr
poursuivait les Akhaiens chevelus, tuant toujours celui qui restait en
arrière. Et les Akhaiens fuyaient. Et beaucoup tombaient sous les mains
des Troiens, en traversant les pieux et le fossé. Mais les autres
s'arrêtèrent auprès des nefs, s'animant entre eux, levant les bras et
suppliant tous les Dieux. Et Hektôr poussait de tous côtés ses chevaux
aux belles crinières, ayant les yeux de Gorgô et du sanguinaire Arès. Et
la divine Hèrè aux bras blancs, à cette vue, fut saisie de pitié et dit
à Athènè ces paroles ailées :
- Ah ! fille de Zeus tempétueux, ne secourrons-nous point, en ce combat
suprême, les Danaens qui périssent ? Car voici que, par une destinée
mauvaise, ils vont périr sous la violence d'un seul homme. Le Priamide
Hektôr est plein d'une fureur intolérable, et il les accable de maux.
Et la divine Athènè aux yeux clairs lui répondit :
- Certes, le Priamide aurait déjà perdu la force avec la vie et serait
tombé mort sous la main des Argiens, sur sa terre natale, si mon père,
toujours irrité, dur et inique, ne s'opposait à ma volonté. Et il ne se
souvient plus que j'ai souvent secouru son fils accablé de travaux par
Eurystheus. Hèraklès criait vers l'Ouranos, et Zeus m'envoya pour le
secourir. Certes, si j'avais prévu ceci, quand Hèraklès fut envoyé dans
les demeures aux portes massives d'Aidès, pour enlever, de l'Erébos, le
Chien du haïssable Aidés, certes, il n'aurait point repassé l'eau
courante et profonde de Styx ! Et Zeus me hait, et il cède aux désirs de
Thétis qui a embrassé ses genoux et lui a caressé la barbe, le suppliant
d'honorer Akhilleus le destructeur de citadelles. Et il me nommera
encore sa chère fille aux yeux clairs ! Mais attelle nos chevaux aux
sabots massifs, tandis que j'irai dans la demeure de Zeus prendre l'Aigide
et me couvrir de mes armes guerrières. Je verrai si le Priamide Hektôr
au casque mouvant sera joyeux de nous voir descendre toutes deux dans la
mêlée. Certes, plus d'un Troien couché devant les nefs des Akhaiens va
rassasier les chiens et les oiseaux carnassiers de sa graisse et de sa
chair !
Elle parla ainsi, et la
divine Hèrè aux bras blancs obéit. Et la divine et vénérable Hèrè, fille
du grand Kronos, se hâta d'atteler les chevaux liés par des harnais
d'or. Et Athènè, fille de Zeus tempétueux, laissa tomber son riche
péplos, qu'elle avait travaillé de ses mains, sur le pavé de la demeure
de son père, et elle prit la cuirasse de Zeus qui amasse les nuées, et
elle se revêtit de ses armes pour la guerre lamentable.
Et elle monta dans le char flamboyant, et elle saisit la lance lourde,
grande et solide, avec laquelle, étant la fille d'un père tout-puissant,
elle dompte la foule des héros contre qui elle s'irrite. Et Hèrè frappa
du fouet les chevaux rapides, et les portes de l'Ouranos s'ouvrirent
d'elles-mêmes en criant, gardées par les Heures qui sont chargées
d'ouvrir le grand Ouranos et l'Olympos, ou de les fermer avec un nuage
épais. Et ce fut par là que les Déesses poussèrent les chevaux obéissant
à l'aiguillon. Et le Père Zeus, les ayant vues de l'Ida, fut saisi d'une
grande colère, et il envoya la Messagère Iris aux ailes d'or :
- Va ! hâte-toi, légère Iris ! Fais-les reculer, et qu'elles ne se
présentent point devant moi, car ceci serait dangereux pour elles. Je le
dis, et ma parole s'accomplira : J'écraserai les chevaux rapides sous
leur char que je briserai, et je les en précipiterai, et, avant dix ans,
elles ne guériront point des plaies que leur fera la foudre. Athènè aux
yeux clairs saura qu'elle a combattu son père. Ma colère n'est point
aussi grande contre Hèrè, car elle est habituée à toujours résister à ma
volonté.
Il parla ainsi, et la Messagère Iris aux pieds prompts comme le vent
s'élança, et elle descendit des cimes Idaiennes dans le grand Olympos,
et elle les arrêta aux premières portes de l'Olympos aux vallées sans
nombre, et elle leur dit les paroles de Zeus :
- Où allez-vous ? Pourquoi votre coeur est-il ainsi troublé ? Le Kronide
ne veut pas qu'on vienne en aide aux Argiens. Voici la menace du fils de
Kronos, s'il agit selon sa parole : Il écrasera les chevaux rapides sous
votre char qu'il brisera, et il vous en précipitera, et, avant dix ans,
vous ne guérirez point des plaies que vous fera la foudre. Athènè aux
yeux clairs, tu sauras que tu as combattu ton père ! Sa colère n'est
point aussi grande contre Hèrè, car elle est habituée à toujours
résister à sa volonté. Mais toi, très violente et audacieuse chienne,
oseras-tu lever ta lance terrible contre Zeus ?
Ayant ainsi parlé, Iris aux pieds rapides s'envola, et Hèrè dit à Athènè
:
- Ah ! fille de Zeus tempétueux, je ne puis permettre que nous
combattions contre Zeus pour des mortels. Que l'un meure, que l'autre
vive, soit ! Et que Zeus décide, comme il est juste, et selon sa
volonté, entre les Troiens et les Danaens.
Ayant ainsi parlé, elle fit retourner les chevaux aux sabots massifs, et
les Heures dételèrent les chevaux aux belles crinières et les
attachèrent aux crèches divines, et appuyèrent le char contre le mur
éclatant. Et les Déesses, le coeur triste, s'assirent sur des sièges
d'or au milieu des autres Dieux. Et le Père Zeus poussa du haut de
l'Ida, vers l'Olympos, son char aux belles roues et ses chevaux, et il
parvint aux sièges des Dieux. Et l'illustre qui ébranle la terre détela
les chevaux, posa le char sur un autel et le couvrit d'un voile de lin.
Et Zeus à la grande voix s'assit sur son thrône d'or, et le large
Olympos trembla sous lui. Et Athènè et Hèrè étaient assises loin de
Zeus, et elles ne lui parlaient ni ne l'interrogeaient ; mais il les
devina et dit :
- Athènè et Hèrè, pourquoi êtes-vous ainsi affligées ? Vous ne vous êtes
point longtemps fatiguées, du moins, dans la bataille qui illustre les
guerriers, afin d'anéantir les Troiens pour qui vous avez tant de haine.
Non ! Tous les Dieux de l'Olympos ne me résisteront point, tant la force
de mes mains invincibles est grande. La terreur a fait trembler vos
beaux membres avant d'avoir vu la guerre et la mêlée violente. Et je le
dis, et ma parole se serait accomplie : frappées toutes deux de la
foudre, vous ne seriez point revenues sur votre char dans l'Olympos qui
est la demeure des Immortels.
Et il parla ainsi, et Athènè et Hèrè gémissaient, assises à côté l'une
de l'autre, et méditant le malheur des Troiens. Et Athènè restait
muette, irritée contre son père Zeus, et une sauvage colère la brûlait ;
mais Hèrè ne put contenir la sienne, et elle dit :
- Très dur Kronide, quelle parole as-tu dite ? Nous savons bien que ta
force est grande, mais nous gémissons sur les belliqueux Danaens qui
vont périr par une destinée mauvaise. Nous ne combattrons point, si tu
le veux ; mais nous aiderons les Argiens de nos conseils, afin qu'ils ne
périssent point tous par ta colère.
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit :
- Certes, au retour d'Eôs, tu pourras voir, vénérable Hèrè aux yeux de
boeuf, le tout-puissant Kroniôn mieux détruire encore l'armée
innombrable des Argiens ; car le brave Hektôr ne cessera point de
combattre, que le rapide Pèléiôn ne se soit levé auprès des nefs, le
jour où les Akhaiens combattront sous leurs poupes, luttant dans un
étroit espace sur le cadavre de Patroklos. Ceci est fatal. Je me soucie
peu de ta colère, quand même tu irais aux dernières limites de la terre
et de la mer, où sont couchés Iapétos et Kronos, loin des vents et de la
lumière de Hélios, fils de Hypériôn, dans l'enceinte du creux Tartaros.
Quand même tu irais là, je me soucie peu de ta colère, car rien n'est
plus impudent que toi.
Il parla ainsi, et Hèrè aux bras blancs ne répondit rien. Et la
brillante lumière Hélienne tomba dans l'Okéanos, laissant la noire nuit
sur la terre nourricière. La lumière disparut contre le gré des Troiens,
mais la noire nuit fut la bienvenue des Akhaiens qui la désiraient
ardemment.
Et l'illustre Hektôr réunit l'agora des Troiens, les ayant conduits loin
des nefs, sur les bords du fleuve tourbillonnant, en un lieu où il n'y
avait point de cadavres. Et ils descendirent de leurs chevaux pour
écouter les paroles de Hektôr cher à Zeus. Et il tenait à la main une
pique de onze coudées, à la brillante pointe d'airain retenue par un
anneau d'or. Et, appuyé sur cette pique, il dit aux Troiens ces paroles
ailées :
- Ecoutez-moi, Troiens, Dardaniens et Alliés. J'espérais ne retourner
dans Ilios battue des vents qu'après avoir détruit les nefs et tous les
Akhaiens ; mais les ténèbres sont venues qui ont sauvé les Argiens et
les nefs sur le rivage de la mer. C'est pourquoi, obéissons à la nuit
noire, et préparons le repas. Dételez les chevaux aux belles crinières
et donnez-leur de la nourriture. Amenez promptement de la ville des
boeufs et de grasses brebis, et apportez un doux vin de vos demeures, et
amassez beaucoup de bois, afin que, toute la nuit, jusqu'au retour d'Eôs
qui naît le matin, nous allumions beaucoup de feux dont l'éclat s'élève
dans l'Ouranos, et afin que les Akhaiens chevelus ne profitent pas de la
nuit pour fuir sur le vaste dos de la mer. Qu'ils ne montent point
tranquillement du moins sur leurs nefs, et que chacun d'eux, en montant
sur sa nef, emporte dans son pays une blessure faite par nos piques et
nos lances aiguës ! Que tout autre redoute désormais d'apporter la
guerre lamentable aux Troiens dompteurs de chevaux. Que les hérauts
chers à Zeus appellent, par la ville, les jeunes enfants et les
vieillards aux tempes blanches à se réunir sur les tours élevées par les
Dieux ; et que les femmes timides, chacune dans sa demeure, allument de
grands feux, afin qu'on veille avec vigilance, de peur qu'on entre par
surprise dans la Ville, en l'absence des hommes. Qu'il soit fait comme
je le dis, magnanimes Troiens, car mes paroles sont salutaires. Dès le
retour d'Eôs je parlerai encore aux Troiens dompteurs de chevaux. Je me
vante, ayant supplié Zeus et les autres Dieux, de chasser bientôt d'ici
ces chiens que les Kères ont amenés sur les nefs noires. Veillons sur
nous-mêmes pendant la nuit ; mais, dès la première heure du matin,
couvrons-nous de nos armes et poussons l'impétueux Arès sur les nefs
creuses. Je saurai si le brave Diomèdès Tydéide me repoussera loin des
nefs jusqu'aux murailles, ou si, le perçant de l'airain, j'emporterai
ses dépouilles sanglantes. Demain, il pourra se glorifier de sa force,
s'il résiste à ma pique ; mais j'espère plutôt que, demain, quand Hélios
se lèvera, il tombera des premiers, tout sanglant, au milieu d'une foule
de ses compagnons. Et plût aux Dieux que je fusse immortel et toujours
jeune, et honoré comme Athènè et Apollôn, autant qu'il est certain que
ce jour sera funeste aux Argiens !
Hektôr parla ainsi, et les Troiens poussèrent des acclamations. Et ils
détachèrent du joug les chevaux mouillés de sueur, et ils les lièrent
avec des lanières auprès des chars ; et ils amenèrent promptement de la
ville des boeufs et des brebis grasses ; et ils apportèrent un doux vin
et du pain de leurs demeures, et ils amassèrent beaucoup de bois. Puis,
ils sacrifièrent de complètes hécatombes aux Immortels, et le vent en
portait la fumée épaisse et douce dans l'Ouranos. Mais les Dieux heureux
n'en voulurent point et la dédaignèrent, car ils haussaient la sainte
Ilios, et Priamos, et le peuple de Priamos aux piques de frêne.
Et les Troiens, pleins d'espérance, passaient la nuit sur le sentier de
la guerre, ayant allumé de grands feux. Comme, lorsque les astres
étincellent dans l'Ouranos autour de la claire Sélènè, et que le vent ne
trouble point l'air, on voit s'éclairer les cimes et les hauts
promontoires et les vallées, et que l'Aithèr infini s'ouvre au faîte de
l'Ouranos, et que le berger joyeux voit luire tous les astres ; de même,
entre les nefs et l'eau courante du Xanthos, les feux des Troiens
brillaient devant Ilios. Mille feux brûlaient ainsi dans la plaine ; et,
près de chacun, étaient assis cinquante guerriers autour de la flamme
ardente. Et les chevaux, mangeant l'orge et l'avoine, se tenaient auprès
des chars, attendant Eôs au beau thrône.
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