L'Odyssée
- traduction Leconte de Lisle (1867)
Chant
VII |
Tandis que le patient et divin Odysseus suppliait ainsi
Athènè, la vigueur des mulets emportait la jeune vierge vers la ville. Et quand
elle fut arrivée aux illustres demeures de son père, elle s'arrêta dans le
vestibule ; et, de tous côtés, ses frères, semblables aux Immortels,
s'empressèrent autour d'elle, et ils détachèrent les mulets du char, et ils
portèrent les vêtements dans la demeure. Puis la vierge rentra dans sa chambre
où la vieille servante Epirote Eurymédousa alluma du feu. Des nefs à deux rangs
d'avirons l'avaient autrefois amenée du pays des Epirotes, et on l'avait donnée
en récompense à Alkinoos, parce qu'il commandait à tous les Phaiakiens et que le
peuple l'écoutait comme un Dieu. Elle avait allaité Nausikaa aux bras blancs
dans la maison royale, et elle allumait son feu et elle préparait son repas.
Et, alors, Odysseus se leva pour aller à la ville, et Athènè, pleine de
bienveillance pour lui, l'enveloppa d'un épais brouillard, de peur qu'un des
Phaiakiens insolents, le rencontrant, l'outrageât par ses paroles et lui
demandât qui il était. Mais, quand il fut entré dans la belle ville, alors
Athènè, la Déesse aux yeux clairs, sous la figure d'une jeune vierge portant une
urne, s'arrêta devant lui, et le divin Odysseus l'interrogea :
- O mon enfant, ne pourrais-tu me montrer la demeure du héros Alkinoos qui
commande parmi les hommes de ce pays ? Je viens ici, d'une terre lointaine et
étrangère, comme un hôte, ayant subi beaucoup de maux, et je ne connais aucun
des hommes qui habitent cette ville et cette terre.
Et la Déesse aux yeux clairs, Athènè, lui répondit :
- Hôte vénérable, je te montrerai la demeure que tu me demandes, car elle est
auprès de celle de mon père irréprochable. Mais viens en silence, et je
t'indiquerai le chemin. Ne parle point et n'interroge aucun de ces hommes, car
ils n'aiment point les étrangers et ils ne reçoivent point avec amitié quiconque
vient de loin. Confiants dans leurs nefs légères et rapides, ils traversent les
grandes eaux, et Celui qui ébranle la terre leur a donné des nefs rapides comme
l'aile des oiseaux et comme la pensée.
Ayant ainsi parlé, Pallas Athènè le précéda promptement, et il marcha derrière
la Déesse, et les illustres navigateurs Phaiakiens ne le virent point tandis
qu'il traversait la ville au milieu d'eux, car Athènè, la vénérable Déesse aux
beaux cheveux, ne le permettait point, ayant enveloppé Odysseus d'un épais
brouillard, dans sa bienveillance pour lui. Et Odysseus admirait le port, les
nefs égales, l'agora des héros et les longues murailles fortifiées de hauts
pieux, admirables à voir. Et, quand ils furent arrivés à l'illustre demeure du
Roi, Athènè, la Déesse aux yeux clairs, lui parla d'abord :
- Voici, hôte, mon père, la demeure que tu m'as demandé de te montrer. Tu
trouveras les Rois, nourrissons de Zeus, prenant leur repas. Entre, et ne crains
rien dans ton âme. D'où qu'il vienne, l'homme courageux est celui qui accomplit
le mieux tout ce qu'il fait. Va d'abord à la Reine, dans la maison royale. Son
nom est Arètè, et elle le mérite, et elle descend des mêmes parents qui ont
engendré le roi Alkinoos. Poseidaôn qui ébranle la terre engendra Nausithoos que
conçut Périboia, la plus belle des femmes et la plus jeune fille du magnanime
Eurymédôn qui commanda autrefois aux fiers Géants. Mais il perdit son peuple
impie et périt lui-même. Poseidaôn s'unit à Périboia, et il engendra le
magnanime Nausithoos qui commanda aux Phaiakiens. Et Nausithoos engendra
Rhèxènôr et Alkinoos. Apollôn à l'arc d'argent frappa le premier qui venait de
se marier dans la maison royale et qui ne laissa point de fils, mais une fille
unique, Arètè, qu'épousa Alkinoos. Et il l'a honorée plus que ne sont honorées
toutes les autres femmes qui, sur la terre, gouvernent leur maison sous la
puissance de leurs maris. Et elle est honorée par ses chers enfants non moins
que par Alkinoos, ainsi que par les peuples, qui la regardent comme une Déesse
et qui recueillent ses paroles quand elle marche par la ville. Elle ne manque
jamais de bonnes pensées dans son esprit, et elle leur est bienveillante, et
elle apaise leurs différends. Si elle t'est favorable dans son âme, tu peux
espérer revoir tes amis et rentrer dans ta haute demeure et dans la terre de la
patrie.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs s'envola sur la mer indomptée, et elle
abandonna l'aimable Skhériè, et elle arriva à Marathôn, et, étant parvenue dans
Athéna aux larges rues, elle entra dans la forte demeure d'Erekhtheus.
Et Odysseus se dirigea vers l'illustre maison d'Alkinoos, et il s'arrêta, l'âme
pleine de pensées, avant de fouler le pavé d'airain. En effet, la haute demeure
du magnanime Alkinoos resplendissait comme Hèlios ou Sélènè. De solides murs
d'airain, des deux côtés du seuil, enfermaient la cour intérieure, et leur
pinacle était d'émail. Et des portes d'or fermaient la solide demeure, et les
poteaux des portes étaient d'argent sur le seuil d'airain argenté, et,
au-dessus, il y avait une corniche d'or, et, des deux côtés, il y avait des
chiens d'or et d'argent Hèphaistos avait faits très habilement, afin qu'ils
gardassent la maison du magnanime Alkinoos, étant immortels et ne devant point
vieillir. Dans la cour, autour du mur, des deux côtés, étaient des thrônes
solides, rangés jusqu'à l'entrée intérieure et recouverts de légers péplos,
ouvrage des femmes. Là, siégeaient les Princes des Phaiakiens, mangeant et
buvant toute l'année. Et des figures de jeunes hommes, en or, se dressaient sur
de beaux autels, portant aux mains des torches flambantes qui éclairaient
pendant la nuit les convives dans la demeure. Et cinquante servantes habitaient
la maison, et les unes broyaient sous la meule le grain mûr, et les autres,
assises, tissaient les toiles et tournaient la quenouille agitée comme les
feuilles du haut peuplier, et une huile liquide distillait de la trame des
tissus. Autant les Phaiakiens étaient les plus habiles de tous les hommes pour
voguer en mer sur une nef rapide, autant leurs femmes l'emportaient pour
travailler les toiles, et Athènè leur avait accordé d'accomplir de très beaux et
très habiles ouvrages. Et, au delà de la cour, auprès des portes, il y avait un
grand jardin de quatre arpents, entouré de tous côtés par une haie. Là,
croissaient de grands arbres florissants qui produisaient, les uns la poire et
la grenade, les autres les belles oranges, les douces figues et les vertes
olives. Et jamais ces fruits ne manquaient ni ne cessaient, et ils duraient tout
l'hiver et tout l'été, et Zéphyros, en soufflant, faisait croître les uns et
mûrir les autres ; la poire succédait à la poire, la pomme mûrissait après la
pomme, et la grappe après la grappe, et la figue après la figue. Là, sur la
vigne fructueuse, le raisin séchait, sous l'ardeur de Hèlios, en un lieu
découvert, et, là, il était cueilli et foulé ; et, parmi les grappes, les unes
perdaient leurs fleurs tandis que d'autres mûrissaient. Et à la suite du jardin,
il y avait un verger qui produisait abondamment toute l'année. Et il y avait
deux sources, dont l'une courait à travers tout le jardin, tandis que l'autre
jaillissait sous le seuil de la cour, devant la haute demeure, et les citoyens
venaient y puiser de l'eau. Et tels étaient les splendides présents des Dieux
dans la demeure d'Alkinoos.
Le patient et divin Odysseus, s'étant arrêté, admira toutes ces choses, et,
quand il les eut admirées, il passa rapidement le seuil de la demeure. Et il
trouva les princes et les chefs des Phaiakiens faisant des libations au vigilant
Tueur d'Argos, car ils finissaient par lui, quand ils songeaient à gagner leurs
lits. Et le divin et patient Odysseus, traversa la demeure, enveloppé de l'épais
brouillard que Pallas Athènè avait répandu autour de lui, et il parvint à Arètè
et au roi Alkinoos. Et Odysseus entoura de ses bras les genoux d'Arètè , et le
brouillard divin tomba. Et, à sa vue, tous restèrent muets dans la demeure, et
ils l'admiraient. Mais Odysseus fit cette prière :
- Arètè, fille du divin Rhèxènôr, je viens à tes genoux, et vers ton mari et
vers ses convives, après avoir beaucoup souffert. Que les Dieux leur accordent
de vivre heureusement, et de laisser à leurs enfants les biens qui sont dans
leurs demeures et les récompenses que le peuple leur a données ! Mais préparez
mon retour, afin que j'arrive promptement dans ma patrie, car il y a longtemps
que je subis de nombreuses misères, loin de mes amis.
Ayant ainsi parlé, il s'assit dans les cendres du foyer,
devant le feu, et tous restaient muets. Enfin, le vieux héros Ekhénèos paria
ainsi. C'était le plus âgé de tous les Phaiakiens, et il savait beaucoup de
choses anciennes, et il l'emportait sur tous par son éloquence. Plein de
sagesse, il parla ainsi au milieu de tous :
- Alkinoos, il n'est ni bon, ni convenable pour toi, que ton hôte soit assis
dans les cendres du foyer. Tes convives attendent tous ta décision. Mais
hâte-toi ; fais asseoir ton hôte sur un thrône orné de clous d'argent, et
commande aux hérauts de verser du vin, afin que nous fassions des libations à
Zeus Foudroyant qui accompagne les suppliants vénérables. Pendant ce temps, l'Econome
offrira à ton hôte les mets qui sont dans la demeure.
Dès que la Force sacrée d'Alkinoos eut entendu ces paroles, il prit par la main
le sage et subtil Odysseus, et il le fit lever du foyer, et il le fit asseoir
sur un thrône brillant d'où s'était retiré son fils, le brave Laodamas, qui
siégeait à côté de lui et qu'il aimait le plus. Une servante versa de l'eau d'un
belle aiguière d'or dans un bassin d'argent, pour qu'il lavât ses mains, et elle
dressa devant lui une table polie. Et la vénérable Econome, gracieuse pour tous,
apporta le pain et de nombreux mets. Et le sage et divin Odysseus buvait et
mangeait. Alors Alkinoos dit à un héraut :
- Pontonoos, mêle le vin dans le kratère et distribue le à tous dans la demeure,
afin que nous fassions des libations à Zeus Foudroyant qui accompagne les
suppliants vénérables.
Il parla ainsi, et Pontonoos mêla le doux vin, et il le distribua en goûtant
d'abord à toutes les coupes. Et ils firent des libations, et ils burent autant
que leur âme le désirait, et Alkinoos leur parla ainsi :
- Ecoutez-moi, Princes et chefs des Phaiakiens, afin que je dise ce que mon
coeur m'inspire dans ma poitrine. Maintenant que le repas est achevé, allez
dormir dans vos demeures. Demain matin, ayant convoqué les vieillards, nous
exercerons l'hospitalité envers notre hôte dans ma maison, et nous ferons de
justes sacrifices aux Dieux ; puis nous songerons au retour de notre hôte, afin
que, sans peine et sans douleur, et par nos soins, il arrive plein de joie dans
la terre de sa patrie, quand même elle serait très lointaine. Et il ne subira
plus ni maux, ni misères, jusqu'à ce qu'il ait foulé sa terre natale. Là, il
subira ensuite la destinée que les lourdes Moires lui ont filée dès l'instant où
sa mère l'enfanta. Qui sait s'il n'est pas un des Immortels descendu de
l'Ouranos ? Les Dieux auraient ainsi médité quelque autre dessein ; car ils se
sont souvent, en effet, manifestés à nous, quand nous leur avons offert
d'illustres hécatombes, et ils se sont assis à nos repas, auprès de nous et
comme nous ; et si un voyageur Phaiakien les rencontre seul sur sa route, ils ne
se cachent point de lui, car nous sommes leurs parents, de même que les Kyklôpes
et la race sauvage des Géants.
Et le prudent Odysseus lui répondit :
- Alkinoos, que d'autres pensées soient dans ton esprit. Je ne suis point
semblable aux Immortels qui habitent le large Ouranos ni par l'aspect, ni par la
démarche ; mais je ressemble aux hommes mortels, de ceux que vous savez être le
plus accablés de misères. C'est à ceux-ci que je suis semblable par mes maux. Et
les douleurs infinies que je pourrais raconter, certes, je les ai toutes
souffertes par la volonté des Dieux. Mais laissez-moi prendre mon repas malgré
ma tristesse ; car il n'est rien de pire qu'un ventre affamé, et il ne se laisse
pas oublier par l'homme le plus affligé et dont l'esprit est le plus tourmenté
d'inquiétudes. Ainsi, j'ai dans l'âme un grand deuil, et la faim et la soif
m'ordonnent de manger et de boire et de me rassasier, quelques maux que j'aie
subis. Mais hâtez-vous, dès qu'Eôs reparaîtra, de me renvoyer, malheureux que je
suis, dans ma patrie, afin qu'après avoir tant souffert, la vie ne me quitte pas
sans que j'aie revu mes biens, mes serviteurs et ma haute demeure !
Il parla ainsi, et tous l'applaudirent, et ils s'exhortaient à reconduire leur
hôte, parce qu'il avait parlé convenablement. Puis, ayant fait des libations et
bu autant que leur âme le désirait, ils allèrent dormir, chacun dans sa demeure.
Mais le divin Odysseus resta, et, auprès de lui, Arètè et le divin Alkinoos
s'assirent, et les servantes emportèrent les vases du repas. Et Arètè aux bras
blancs parla la première, ayant reconnu le manteau, la tunique, les beaux
vêtements qu'elle avait faits elle-même avec ses femmes. Et elle dit à Odysseus
ces paroles ailées :
- Mon hôte, je t'interrogerai la première. Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Qui t'a
donné ces vêtements ? Ne dis-tu pas qu'errant sur la mer, tu es venu ici ?
Et le prudent Odysseus lui répondit :
- Il me serait difficile, Reine, de raconter de suite tous les maux dont les
Dieux Ouraniens m'ont accablé ; mais je te dirai ce que tu me demandes d'abord.
Il y a au milieu de la mer une île, Ogygiè, qu'habite Kalypsô, Déesse
dangereuse, aux beaux cheveux, fille rusée d'Atlas ; et aucun des Dieux ni des
hommes mortels n'habite avec elle. Un Daimôn m'y conduisit seul, malheureux que
j'étais ! car Zeus, d'un coup de la blanche foudre, avait fendu en deux ma nef
rapide au milieu de la noire mer où tous mes braves compagnons périrent. Et moi,
serrant de mes bras la carène de ma nef au double rang d'avirons, je fus emporté
pendant neuf jours, et, dans la dixième nuit noire, les Dieux me poussèrent dans
l'île Ogygiè, où habitait Kalypsô, la Déesse dangereuse aux beaux cheveux. Et
elle m'accueillit avec bienveillance, et elle me nourrit, et elle me disait
qu'elle me rendrait immortel et qu'elle m'affranchirait pour toujours de la
vieillesse ; mais elle ne put persuader mon coeur dans ma poitrine. Et je passai
là sept années, et je mouillais de mes larmes les vêtements immortels que
m'avait donnés Kalypsô. Mais quand vint la huitième année, alors elle me pressa
elle-même de m'en retourner, soit par ordre de Zeus, soit que son coeur eût
changé. Elle me renvoya sur un radeau lié de cordes, et elle me donna beaucoup
de pain et de vin, et elle me couvrit de vêtements divins, et elle me suscita un
vent propice et doux. Je naviguais pendant dix-sept jours, faisant ma route sur
la mer, et, le dix-huitième jour, les montagnes ombragées de votre terre
m'apparurent, et mon cher coeur fut joyeux. Malheureux ! j'allais être accablé
de nouvelles et nombreuses misères que devait m'envoyer Poseidaôn qui ébranle la
terre. Et il excita les vents, qui m'arrêtèrent en chemin ; et il souleva la mer
immense, et il voulut que les flots, tandis que je gémissais, accablassent le
radeau, que la tempête dispersa ; et je nageai, fendant les eaux, jusqu'à ce que
le vent et le flot m'eurent porté à terre, où la mer me jeta d'abord contre de
grands rochers, puis me porta en un lieu plus favorable ; car je nageai de
nouveau jusqu'au fleuve, à un endroit accessible, libre de rochers et à l'abri
du vent. Et je raffermis mon esprit, et la nuit divine arriva. Puis, étant sorti
du fleuve tombé de Zeus, je me couchai sous les arbustes, où j'amassai des
feuilles, et un Dieu m'envoya un profond sommeil. Là, bien qu'affligé dans mon
cher coeur, je dormis toute la nuit jusqu'au matin et tout le jour. Et Hèlios
tombait, et le doux sommeil me quitta. Et j'entendis les servantes de ta fille
qui jouaient sur le rivage, et je la vis ellemême, au milieu de toutes,
semblable aux Immortelles. Je la suppliais, et elle montra une sagesse
excellente bien supérieure à celle qu'on peut espérer d'une jeune fille, car la
jeunesse, en effet, est toujours imprudente. Et elle me donna aussitôt de la
nourriture et du vin rouge, et elle me fit baigner dans le fleuve, et elle me
donna des vêtements. Je t'ai dit toute la vérité, malgré mon affliction.
Et Alkinoos, lui répondant, lui dit :
- Mon hôte, certes, ma fille n'a point agi convenablement, puisqu'elle ne t'a
point conduit, avec ses servantes, dans ma demeure, car tu l'avais suppliée la
première.
Et le subtil Odysseus lui répondit :
- Héros, ne blâme point, à cause de moi, la jeune vierge irréprochable. Elle m'a
ordonné de la suivre avec ses femmes, mais je ne l'ai point voulu, craignant de
t'irriter si tu avais vu cela ; car nous, race des hommes, sommes soupçonneux
sur la terre.
Et Alkinoos, lui répondant, dit :
- Mon hôte, mon cher coeur n'a point coutume de s'irriter sans raison dans ma
poitrine, et les choses équitables sont toujours les plus puissantes sur moi.
Plaise au Père Zeus, à Athènè, à Apollôn, que, tel que tu es, et sentant en
toutes choses comme moi, tu veuilles rester, épouser ma fille, être appelé mon
gendre ! Je te donnerais une demeure et des biens, si tu voulais rester. Mais
aucun des Phaiakiens ne te retiendra malgré toi, car ceci ne serait point
agréable au Père Zeus. Afin que tu le saches bien, demain je déciderai ton
retour.
Jusque-là, dors, dompté par le sommeil ; et mes hommes profiteront du temps
paisible, afin que tu parviennes dans ta patrie et dans ta demeure, ou partout
où il te plaira d'aller, même par-delà l'Euboiè, que ceux de notre peuple qui
l'ont vue disent la plus lointaine des terres, quand ils y conduisirent le blond
Rhadamanthos, pour visiter Tityos, le fils de Gaia. Ils y allèrent et en
revinrent en un seul jour. Tu sauras par toi-même combien mes nefs et mes jeunes
hommes sont habiles à frapper la mer de leurs avirons.
Il parla ainsi, et le subtil et divin Odysseus, plein de joie, fit cette
supplication :
- Père Zeus ! qu'il te plaise qu'Alkinoos accomplisse ce qu'il promet, et que sa
gloire soit immortelle sur la terre féconde si je rentre dans ma patrie !
Et tandis qu'ils se parlaient ainsi, Arètè ordonna aux servantes aux bras blancs
de dresser un lit sous le portique, d'y mettre plusieurs couvertures pourprées,
et d'étendre par-dessus des tapis et des manteaux laineux. Et les servantes
sortirent de la demeure en portant des torches flambantes ; et elles dressèrent
un beau lit à la hâte, et, s'approchant d'Odysseus, elles lui dirent :
- Lève-toi, notre hôte, et va dormir : ton lit est préparé.
Elles parlèrent ainsi, et il lui sembla doux de dormir. Et ainsi le divin et
patient Odysseus s'endormit dans un lit profond, sous le portique sonore. Et
Alkinoos dormait aussi au fond de sa haute demeure. Et, auprès de lui, la Reine,
ayant préparé le lit, se coucha.
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