Clovis, ou la France chrétienne
Livre
seizième |
Des-ja les deux guerrers, pleins d’une belle audace,
L’un à l’autre opposez sont aux bouts de la place.
Ils fondent l’un sur l’autre, à chevaux élancez,
En mesurant le coup de leurs bois abbaissez.
Ils roidissent tous deux leurs forces ramassées,
Se heurtent, et du choc leurs lances sont froissées.
Nul ne semble ébranlé de ces rudes efforts :
Aussi fermes tous deux de cœur comme de corps.
Des lances les éclats sont semez sur le sable.
L’air est frapé des voix de ce peuple innombrable.
Les vallons d’alentour, les rochers, et les bois,
De ces bruits redoublez resonnent mille fois.
Ainsi que deux taureaux dans les forests d’Eryce,
Animez par l’amour d’une belle genisse,
Se regardent d’abord avec un œil jaloux ;
Partent l’un contre l’autre en leur ardent courroux ;
Et de fronts obstinez, armez de cornes dures,
Ensanglantent leurs corps par de larges blessures.
Le troupeau, que la crainte à l’entour fait ranger,
En attend le succés, perd le soin du manger.
Les pasteurs éloignez de leur fureur s’estonnent.
De leurs coups redoublez tous les vallons resonnent.
Soudain les deux guerriers, au choc accoustumez,
Un autre bois en main, retournent animez.
Chacun sent qu’en son cœur l’ardeur se renouvelle,
La honte le menace, et la gloire l’appelle.
Sigismond sur la croupe à demy renversé,
Sent de l’horrible coup son corcelet faussé ;
Perd l’estrier et la bride ; et son corps qui chancelle
S’attache aux crins volans, pour se remettre en selle.
Le monarque des francs, par la jouste affermy,
Ne semble pas attaint du fer de l’ennemy ;
Acheve sa carriere ; et fait bondir sur terre
Son superbe Aquilon, amoureux de la guerre.
Tous deux d’une autre lance ayant le bras armé,
Reviennent l’un sur l’autre, et d’un œil enflammé,
Sigismond par la honte, et Clovis par la gloire ;
Et d’un coup mieux assis esperent la victoire.
Le sarde et Sigismond, par un semblable sort,
Sont par terre estendus, à ce terrible effort.
Clovis passe, et ressemble un éclair qui foudroye.
Les francs jusques aux cieux jettent un cry de joye.
Le roy fournit sa course, et revient sur ses pas :
Puis honteux de combattre un prince mis à bas,
D’un saut se met à terre, et genereux s’avance.
Sigismond se levant, réveille sa vaillance.
Tous deux le glaive en main, se martellent de coups.
Le feu jallit sur l’or : on void sauter les clous.
Sigismond sent desja les tranchantes attaintes ;
Et desja void le sang dont ses armes sont teintes.
Il regarde Clotilde ; et le trait de ses yeux
Remplit son cœur de honte, et le rend furieux.
Alors de ses deux mains il hausse le fer large ;
Et par un double effort, sur Clovis le décharge.
Un cry s’éleve aux murs, aux tours, de toutes parts,
Tesmoin du grand espoir des bourguignons épars ;
Comme un bruit surprenant qu’espand dans son passage
De printanniers oyseaux un tenebreux nuage.
Mais Clovis rompt l’effet du bras appesanty.
Par le glaive opposé, le coup est rallenty,
Qui porte sur l’épaule une atteinte legere.
Lors ensemble joignant sa force et sa colere,
Il perce la cuirasse ; et fait de tous costez
Rougir de Sigismond les pas ensanglantez.
La honte, et la douleur, et l’amour, et la rage,
De mille ardens efforts rallument son courage.
Il appelle à son ayde et le ciel et l’enfer,
Pour trouver sur Clovis un passage à son fer.
Sa fureur l’ébloüit, à luy-mesme traistresse ;
Et dédaigne de l’art la secourable addresse.
Le seul hazard le guide en son ardent transport.
Clovis se ménageant, se rend maistre du sort.
Il pare, il presse, il pousse, et d’un coup le renverse,
Quand arrive un grand bruit d’une route diverse.
L’œil du peuple attentif s’y tourne en mesme temps,
Et la princesse émeuë, et les deux combattans.
Un guerrier dont l’orgueil paroist sur son visage,
Grand de taille et de mine, et plus grand de courage,
Accourt avec sa troupe, aux regards empressez,
La visiere haussée, et les longs bois baissez.
Clovis, dit-il, arreste ; et songe à ta deffense.
Crois-tu desja Clotilde acquise à ta vaillance ?
Alaric que tu vois, vient te la disputer ;
Et te monstrer que seul il peut la meriter.
Alors de son coursier il se jette sur terre :
Ordonne que soudain sa troupe se resserre ;
Et pendant le combat, s’aille ranger plus loin.
Il baisse la visiere ; et met le glaive au poin ;
Puis attaque Clovis d’une force nouvelle.
Le monarque françois de fureur estincelle,
Voyant qu’on luy ravit un ennemy battu ;
Et d’un juste dépit renforce sa vertu.
Il quitte Sigismond : sur le goth il se lance ;
Et luy fait de son fer sentir la violence.
D’un grand coup il luy fend les armes et le bras :
D’un autre dans le flanc met la tassette à bas,
Tranchant les cloux dorez qui serrent la jointure.
Sigismond se releve, heureux de l’avanture,
Dont luy renaist l’espoir de voir encor le jour ;
Et porte au secourable un secours à son tour.
Mais il veut qu’à ses coups Alaric donne treve,
Et permette en repos que le combat s’acheve.
Luy dit qu’il peut en suite attaquer le vainqueur.
Le goth sourd à sa voix, et d’un injuste cœur,
Dit que contre son bras l’un et l’autre s’assemble ;
Et qu’il craint peu le fer de tous les deux ensemble.
Chacun d’un art confus, et d’efforts hazardeux,
De deux pare les coups, chacun en combat deux.
Mais du prince et du goth la rage se rend forte ;
Et surmontant l’honneur, sur le franc les emporte.
Clovis combattant l’un, de l’autre se deffend.
Sur l’armet d’Alaric son fer tombe et le fend.
De leur sang tous les deux ont les armes trempées.
Tous deux sur le roy franc font tomber leurs épées.
Mais son bras se renforce ; et de deux coups divers,
Frape, l’un d’un estoc, et l’autre d’un revers.
Du combat inégal la princesse offensée,
Du char saute éperduë ; et d’une ame empressée,
Vient hardie et craintive entre les combattans.
Cessez, cessez, dit-elle. On void en mesme temps
Que le goth sans respect, d’un cœur plein de rudesse,
Frape, et commande aux siens qu’ils prennent la princesse.
Clovis veut la vanger, de courroux s’échauffant :
Se place devant elle ; et du corps la deffend :
Puis veut qu’avec les francs Genobalde s’avance,
Pour reprimer des goths la brutale insolence.
Il dit que son bras seul suffit contre les deux ;
Et tous deux les attaint de ses coups dangereux.
Les goths vers la princesse accourent pour la prendre.
Genobalde et les siens volent pour la deffendre.
Gondomar pour son frere aussi-tost allarmé,
Pousse de ses guerriers l’escadron animé.
Au secours du roy franc on void venir l’armée,
Mouvant le bois baissé, de vangeance allumée.
La princesse engagée en l’horrible combat,
Pour retarder le choc s’écrie et se debat.
Un goth veut l’arrester, d’une fiere insolence.
Genobalde s’oppose, et l’abbat de sa lance.
De toutes parts Clotilde endure cent travaux,
En redoutant le heurt d’hommes et de chevaux.
Clovis s’avance aux coups, les écarte, les pare :
De son fer la deffend : mais un choc les separe.
Lors des murs et des tours s’élevent de grands cris.
Le peuple fuit en foule, et confus et surpris.
On void d’hommes armez les murailles couvertes.
Desja de la cité les portes sont ouvertes.
Une troupe animée en sort d’un roide cours.
Alaric, Sigismond, réjoüis du secours,
Des francs ne craignent plus la redoutable épée.
Mais une fausse joye a leur ame trompée.
Tandis qu’un vain espoir en vient chasser la peur,
Ils se sentent battus par le secours trompeur.
Sur eux de toutes parts fond une aspre tempeste.
Et le duc et Lisois paroissent à la teste.
Ces guerriers impreveûs qui leur portent l’effroy,
En coulant par le fleuve avec l’ordre du roy,
Avoient trouvé passage à leurs bandes secretes,
Lors que de toutes parts les troupes indiscretes
Tenoient l’œil curieux au spectacle arresté ;
Et s’estoient emparez des murs de la cité :
De peur qu’encore un coup quelque ruse traistresse
Ne fit dans les prisons renfermer la princesse.
Alors de toutes parts et bourguignons et goths,
Sont justement punis de leurs traistres complots ;
Ayant creû d’un seul choc, pleins de rage et d’envie,
Estouffer de Clovis la victoire et la vie.
Les troupes d’Alaric le soustiennent long-temps.
Les fils de Gondebaut d’un grand cœur combattans,
Retardent des françois la fureur irritée :
Mais enfin par Clovis leur valeur est domptée.
Puis il pense à Clotilde ; il revient sur ses pas :
De loin void Amalgar, qui luy soustient le bras,
Qui de ce grand peril veut sauver la princesse,
Et la tire à l’écart de la sanglante presse,
De ses justes frayeurs, et des travaux passez,
Voulant donner repos à ses membres lassez.
Malgré l’ayde, elle sent son beau corps qui succombe ;
Et sous un chesne épais, sur la terre elle tombe.
Le prince court vers elle, émeû d’aise et d’amour :
Met un genoüil en terre ; et bénit l’heureux jour
Qui luy rend sa Clotilde, et sa chere conqueste.
Il dépoüille d’acier et sa dextre et sa teste,
Prend sa main adorable, et soudain la pressant
D’un baiser amoureux, et long et languissant :
Enfin je suis heureux : je vous vois, ma princesse,
Je vous vois, et non pas vostre image traistresse ;
Dit-il : et des enfers les charmes eternels
Souffrent que mes baisers ne soient plus criminels.
Ah ! Ma reyne, est-ce vous, ou celle dont la rage
Me trompa si long-temps sous vostre belle image ?
Il rebaise ses mains ; il se perd dans ses yeux :
Il y boit à longs traits un heur delicieux.
Quels devoirs, répond-elle, et quels soins memorables,
Pourront payer jamais vos travaux secourables,
Et les coups que pour moy vous avez endurez,
Et vostre sang, peut-estre. Ah ! Dit-il, vous pleurez.
Ma princesse, quel mal est digne de vos larmes ?
Je voy teintes de sang et vos mains et vos armes,
Reprit-elle en soupirs, d’un visage blesmy.
Tout ce sang, luy dit-il, n’est que de l’ennemy.
Mais il m’en faut encore, et pousser la deffaite,
Puisque vostre vangeance encor n’est pas parfaite.
J’ay combattu pour vous les hommes à vos yeux :
Et pour vous cette nuit j’ay combattu les dieux.
Apres un tel assaut, rien ne m’est indomptable.
Mais j’en reserve au soir le recit agreable.
Et pour vous j’ay souffert les fers de Gondebaut,
Dit-elle : de la mort j’ay soustenu l’assaut,
De mon sang répandu non encore assouvie :
J’ay combattu le prince à qui je dois la vie :
Et quand il m’a promis le bonheur de vous voir,
Encor j’ay combattu ; puis qu’avec cet espoir,
Mon esprit deffiant a souffert mille craintes,
Qu’il ne me fist parer pour des nopces contraintes.
Vos combas, reprend-il, ont surmonté les miens.
Que de charmes je gouste en vos doux entretiens !
Mais de quitter vos yeux ma vangeance me presse.
Pour achever de vaincre, il faut que je vous laisse.
Il regarde ses chefs autour d’eux ramassez,
Et les chevaux du char, par son ordre avancez.
Qu’Amalgar et sa troupe accompagnent la reine,
Dit-il : que dans le camp seûrement il la meine.
Sur le siege de pourpre il la place à l’instant ;
Et baise avec transport sa main en la quittant.
Elle craint pour le roy, connoissant son audace :
Et ne peut redouter le mal qui la menace.
Il monte en mesme temps son coursier indompté ;
Et court où le combat est encor disputé.
Cependant de l’enfer la malice confuse
A regret void Clovis triompher de leur ruse :
Vers Auberon depute Astarot le trompeur.
L’esprit se forme un corps d’une molle vapeur :
Et s’en fait aussi-tost l’agreable figure,
Les ailes, la souplesse, et l’habit de Mercure,
Dont il a mille fois le visage emprunté,
Pour tenir l’enchanteur sous leurs loix arresté.
Dans le bois il le trouve, où soigneux il essaye
De guerir d’Albione et la rage et la playe :
Où de ses mesmes soins il assiste Yoland,
Dont le beau sang se perd, de l’épaule coulant.
Auberon, que fais-tu ? Laisse-là de ces belles
Les blessures, dit-il, plus grandes que mortelles.
Moy-mesme en ce besoin je veux te soulager.
Mais leur plus doux remede, est de les bien vanger.
Quoy ? Tu laisses Clovis maistre de la chrestienne ?
Et sa force aujourd’huy triomphe de la tienne ?
Dijon est sous ses loix : tout se rend, ou le fuit.
Clotilde est en ses mains : Amalgar la conduit.
Elle va dans le camp, pleine d’aise et de gloire,
Où le prince l’envoye, en poussant sa victoire.
Ce dessein par ton art doit estre prevenu.
Prens du duc de Melun le visage connu :
Et sous cette semblance, enleve la princesse,
Où jamais de Clovis le chemin ne s’addresse.
Dans un antre desert, cache à tous les mortels
Sa trop grande beauté, fatale à nos autels.
Mercure prend les sœurs ; dans la Vauge les porte.
Auberon se transforme ; et prend la mine accorte,
Et les armes d’Aurele, et l’œil estincellant.
Puis il monte empressé le cheval d’Yoland.
Sa course attaint le char, d’une prompte vistesse,
Avant que dans le camp arrive la princesse.
Amalgar, luy dit-il d’un ton remply d’effroy,
Va t-en avec ta troupe au secours de ton roy.
Nostre camp n’est pas loin : j’auray soin de la reine.
Son beau teint se ternit d’une pasleur soudaine.
Alors aux loix du duc les fiers gaulois soumis,
D’un cours precipité cherchent les ennemis.
Clotilde épand des pleurs à la triste nouvelle.
Le beau char arresté reçoit le feint Aurele.
Aux pieds de la princesse il s’est desja placé,
Pres des chevaux persans, sur un siege avancé.
Des resnes desja maistre, il branle sa houssine.
Aussi-tost, comme on peint la triste Proserpine,
Qu’en Sicile enleva le noir dieu des enfers,
Les chevaux et le char s’élevent dans les airs.
Clotilde est effrayée ; et regarde éperduë
La terre qui paroist de plus large estenduë ;
Et le ciel sur sa teste et plus vaste et plus pur,
De qui nulle vapeur ne corrompoit l’azur.
Elle vole à l’égal des mobiles nuages :
Sous ses pieds void les eaux, les plaines, les bocages,
Les monts et les citez, qu’elle passe à l’instant :
Et d’un esprit confus dans le doute flotant,
Entre des mouvemens de tristesse et de joye,
Et craintive et contente en la celeste voye ;
Enfin, dit-elle, Aurele, où me conduisez-vous ?
En un lieu, répond-il, pour y voir vostre espoux.
Cependant le grand roy de toutes parts foudroye :
De bourguignons, de goths, par tout jonche sa voye.
Les princes, au besoin faisant ceder leur cœur,
Sont à peine échapez à sa juste fureur.
Les morts et les captifs restent seuls dans la plaine.
La troupe de ses chefs triomphant le rameine.
Du casque il se dépoüille : un zephir, à ses vœux,
Vient ressuyer son front, et ses flotans cheveux.
De l’aimable fraischeur il gouste les doux charmes.
Puis ses prompts escuyers luy détachent ses armes.
Il quitte la cuirasse ; et d’un soin glorieux,
Donne à laver le sang du fer victorieux.
Il repasse en son cœur d’une ville la prise,
Le gain d’une bataille, et Clotilde conquise ;
Tant de gloire en peu d’heure ; et roule en ses projets,
D’avoir bien-tost la Saône et le Rhône sujets.
Mais que l’heur est de pres suivy du malheur blesme !
Et que l’on void souvent, que la victoire mesme,
Pompeuse, aux ailes d’or, au chef orné de fleurs,
Ameine apres ses pas les plus vives douleurs !
Ainsi ce grand romain, qui sceût dompter et prendre
Le dernier possesseur du trône d’Alexandre,
Triomphoit glorieux des peuples déconfis :
La mort en mesme char triomphoit de son fils.
Le prince dans son cœur s’élevoit un trophée.
La troupe d’Amalgar, d’une course échauffée,
Vient paroistre, s’approche ; et connoissant le roy,
En plaisirs tout à coup sent changer son effroy :
Et par un triste sort, bien contraire et bien traistre,
Va changer en effroy les plaisirs de son maistre.
Quel sujet te conduit, dit le prince estonné ?
Amalgar, où vas-tu d’un cours abandonné ?
Pourquoy laisser Clotilde ? Où que me mande-t-elle ?
Je l’ay, dit-il, laissée en la garde d’Aurele.
D’Aurele ? Et tu le vois marchant à mon costé,
Dit le prince. Amalgar à l’abbord transporté,
N’ayant point veû le duc, le regarde, et se trouble.
Par l’objet surprenant, son transport se redouble.
Clovis est enflammé d’une rouge couleur :
Et le front du gaulois luy presage un malheur.
Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Dit-il : que fait la reine ?
Amalgar luy répond : Aurele dans la plaine
Naguere m’a donné cette pressante loy,
Qu’avec les miens je vinsse au secours de mon roy :
Qu’il prendroit en mon lieu le soin de la princesse.
Clovis, en redoublant sa crainte et sa tristesse,
Ah ! Clotilde est perduë. Aurele en mesme temps
De douleur frape l’air par ses cris éclatans.
Le roy court aussi-tost, pour en trouver la piste.
Sa bande, apres ses pas, court et muette et triste.
Il presse, il crie, il veut que le simple Amalgar
Luy monstre en quelle route il a quitté le char.
Il s’y rend en peu d’heure : il observe la trace.
Il la suit, il la perd : il court, il s’embarrasse :
Dans un chemin douteux son esprit se confond.
Alors pour l’égarer, sort de l’enfer profond
Un demon qui plus loin éleve une poussiere,
Afin que le monarque y tourne sa carriere.
Parmy la poudre émeuë, un char paroist roulant.
Le prince plein d’espoir le suit d’un cours volant.
Sa joye en mesme temps en courant se réveille.
Le char vole devant, d’une course pareille.
Il pense, mais en vain, l’attaindre à tous momens ;
Et presse d’Aquilon les efforts vehemens.
Le char à ses desirs donne une douce amorce :
Et de son premier cours semble allentir la force.
Il l’approche, il le joint, trompé des doux appas ;
Puis le void tout à coup éloigné de cent pas.
Comme un lievre leger, dans une vaste plaine,
Asseuré de sa force, et de sa longue haleine,
Souvent devant les chiens fait voir ses pas plus lents :
Puis tout prest d’estre pris, redouble ses élans ;
Et se perdant aux yeux, d’une plus prompte fuite,
Trompe le doux espoir de l’abboyante suite.
Le prince de sa course animant la roideur,
En pressant du cheval la genereuse ardeur,
De son bonheur souvent gouste ainsi l’esperance :
Et du fier ravisseur medite la vangeance,
Quand il sent d’Aquilon les membres se lassans,
S’estonnant des efforts de ces vistes persans.
Les chevaux de ses chefs le suivent avec peine :
Puis perdent tout à coup et la force et l’haleine.
Aurele restoit seul : mais son barbe lassé,
Fond encore, et sous luy le tient embarrassé.
Enfin le char trompeur entre dans un bocage.
Clovis abandonné, seul dans le fort s’engage.
Le soir, et l’ombre noire en ce bois écarté,
Ne luy fournissent plus qu’une foible clarté.
Lors Aquilon succombe ; et sa vigueur derniere
S’abbat en mesme temps que s’esteint la lumiere.
Le prince au pied d’un chesne estendu malheureux,
Sans espoir jette en l’air des soupirs douloureux.
Doncques de moy, dit-il, la fortune se jouë.
Naguere elle m’a mis au plus haut de sa rouë,
Pour me precipiter dans un goufre de maux.
Que me sert mon bonheur ? Quel fruit de mes travaux ?
Helas ! J’ay tout conquis, et j’ay perdu ma reine.
Ce n’est point un mortel, c’est un dieu qui l’emmeine,
Où de flames brulant pour sa rare beauté,
Où d’un courroux vangeur contre moy transporté,
Pour avoir dédaigné ses loix et ses promesses.
Mais j’apperçois du ciel les embusches traistresses.
Et le seul Jupiter, pour m’oster mes amours,
Avoit des autres dieux emprunté le secours.
Que leur importe à tous si j’aime une chrestienne,
Pourveu que sous leurs loix mon esprit se maintienne ?
Ah ! Je voy la fureur dont il est allumé.
Il aime la princesse, et n’en peut estre aimé.
M’ordonnant de quitter les feux que j’ay pour elle,
Il veut par le dépit me la rendre infidelle.
Quels dieux, pour me tromper, vindrent à ses costez ?
Les dieux les plus enclins aux molles voluptez.
Pourquoy, si d’un hymen il portoit la promesse,
N’amenoit-il Junon, des nopces la deesse ?
Mais il se cache d’elle en ses larcins d’amour.
Il craint sa rude espouse : il craint mesme le jour.
Il m’incite à trahir mes flames legitimes.
Perdant toute justice, il m’ordonne des crimes.
Où pourra-t-on trouver l’équité sous les cieux,
Si mesme elle n’est pas dans le maistre des dieux ?
Vien, Junon, assemblons nostre fureur jalouse.
Ton espoux te trahit, et ravit mon espouse.
Dy moy le lieu du moins où je le puis chercher.
J’iray, sous quelque corps qu’il se puisse cacher,
D’un taureau, d’un lion, d’un monstre épouvantable,
Arracher à ses feux ma princesse adorable.
Ah ! Ma chere Clotilde, espoir seul de mes jours,
De qui la voix en vain m’appelle à ton secours,
Puisque mon sort cruel m’y donne tant d’obstacles,
Appelle donc ton Christ, qui fait tant de miracles.
Peut-estre que ce dieu, d’une vierge enfanté,
Vient par tout l’univers restablir l’équité ;
Et nous rend, si l’on croit les chants de la sibylle,
Le regne de Saturne, innocent et fertile.
Que me sert que le ciel me laisse tout dompter,
Si de moy triomphant triomphe Jupiter ?
Tu m’appelles, Clotilde ; et je ne puis t’entendre.
Pour toy je puis tout vaincre, et ne puis te deffendre.
O ! Honte ! Un dieu se change en l’un de mes sujets.
Devroit-il se couvrir de ces masques abjets ?
Que ne vient-il au moins la prendre à guerre ouverte,
A force contre force, à face découverte ?
Sigismond, Alaric, sont plus vaillans que luy.
Il devoit avec eux me combattre aujourd’huy.
Ouy, je pouvois aux yeux de celle que j’adore,
Et les vaincre tous deux, et Jupiter encore.
Un dieu n’oseroit-il combattre contre un roy ?
Et ce n’est qu’en fuyant, qu’il triomphe de moy.
Je suis seul, et sans fer : ma force est abbatuë.
Qu’attend-il ? Que craint-il ? Qu’il combatte, ou me tuë.
C’est pour se mieux cacher, qu’il a hasté le soir.
Il ne peut me dompter que par mon desespoir.
Mais, Junon, je t’attens. D’une commune rage,
Vien vanger avec moy nostre commun outrage.
Pour mon pressant malheur, que ton secours est lent !
Ainsi le triste roy, de colere brulant,
Dans une horrible nuit, luy-mesme se devore :
Et nul rayon d’espoir ne luit avec l’aurore.
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