Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Clovis, ou la France chrétienne

Livre vingt-unième

 

Par les croupes du mont, le prince valeureux
S’avance avec ses chefs vers le rocher heureux :
Et la crainte qu’il sent d’une seconde perte,
Réveille la douleur qu’il a long-temps soufferte.
Il découvre Arismond, assis sous un ormeau :
Et desja redoutoit un desastre nouveau,
Quand il void la princesse en terre prosternée,
Priant pour le succes de la grande journée ;
Pareille à ce grand chef, conducteur des hebreux,
Qui sur le mont Oreb, au ciel faisoit des vœux,
Cependant qu’au combat Josüé les excite,
Pour vaincre la fureur du fier Amalecite.
Elle se leve au bruit, se presente à Clovis.
De son divin éclat tous les yeux sont ravis.
Le prince émeû d’amour, de joye, et de tendresse,
Va baiser à genoux la main de sa princesse.
Rends grace à Dieu, dit-elle, ô mon vaillant epoux ;
Et tous deux pour luy seul flechissons les genoux.
Il a rendu la gloire à ta vertu guerriere.
Reconnois ses faveurs, et fay cette priere.
Seigneur, je te confirme, en ma prosperité,
Les vœux que je te fis en mon adversité.
Veuïlle dans peu de jours, par ta bonté supreme,
Effacer mes erreurs par les eaux du baptesme.
Clovis redit ces mots, du cœur les confirmant ;
Et les appuye encor d’un celebre serment.
Ma princesse, dit-il, conte moy donc ta vie,
Depuis le jour cruel que tu me fus ravie.
Je brule dés long-temps du desir de sçavoir
Quels dieux ou quels demons t’avoient sous leur pouvoir.
Tous deux s’estant assis : un demon, reprit-elle,
Me trompa, déguisé sous la forme d’Aurele ;
M’emporta dans les airs, m’enferma dans ce lieu.
Car ainsi le permit le vouloir du grand dieu.
Aux divines bontez soudain je me confie.
Aux celestes decrets mon cœur se sacrifie.
Puis une voix me dit : je t’ayme et te soustiens.
Car jamais mon secours n’abandonne les miens.
Une clarté s’épand : la clarté fut suivie
Du grand saint qui tousjours prit le soin de ma vie.
Mais il n’avoit jamais donné l’heur à mes yeux
De contempler l’éclat de son corps glorieux.
Je le vis donc alors, ce grand areopage,
D’un œil estincellant, d’un auguste visage,
Couvert d’un long habit, de lin blanc et frisé ;
Et d’une estole blanche ayant le corps croisé.
Le ciel, dit-il, ma fille, à ton ayde m’envoye ;
Et dans cet antre obscur, veut te combler de joye.
Bien-tost dans ce climat tu reverras Clovis.
C’est icy qu’il suivra ton salutaire advis.
J’auray soin de nourrir et ton corps et ton ame.
Eleve à Dieu ton cœur, par une ardente flame.
Laisse de ton esprit les efforts impuissans.
Monte, par la foy seule, au dessus de tes sens.
Dédaigne les prisons, ton corps, ton penser mesme,
Pour t’unir à l’essence ineffable et supreme.
Mais je dirois en vain les secrets qu’il m’apprit,
Pour mépriser le corps, et vivre par l’esprit :
Puisque ceux d’où l’erreur à peine se separe,
Ne sçauroient concevoir cette doctrine rare.
Enfin dans ces clartez, et ces ravissemens,
Les jours ne m’ont semblé que de legers momens.
Le duc benit alors la divine assistance.
Et toy, luy dit Clovis, quelle injuste puissance
Te retint et Lisois éloignez de mes yeux ?
L’enfer nous mit de mesme en d’effroyables lieux,
Répond le sage Aurele ; où d’une mort funeste
Dieu nous a garentis par une main celeste.
Car l’ame d’Agilane eut le soin de nos jours :
Et bien qu’en lieux divers, nous donna son secours :
Enfin nous fit sortir de nos prisons humides.
Nous trouvons nos coursiers, et deux fideles guides,
Qui nous donnant l’advis de secourir le roy,
Nous remplissent ensemble et d’ardeur et d’effroy :
Et pour joindre son camp, s’offrent à nous conduire.
Le troisiesme soleil commençoit à reluire.
Des gaulois et des francs nous trouvons le débris.
Soudain nous accourons où sont les plus grands cris.
Aquilon le premier de loin s’est fait connoistre.
Puis à nos yeux heureux a paru nostre maistre,
Qui de corps abbatus s’estoit fait de deux parts,
Contre ses ennemis, deux horribles remparts.
La princesse bénit les bontez souveraines,
Qui par tant de bonheur ont finy tant de peines.
Le roy loüe Arismond de ses faits valeureux.
Mais bien plus de son cœur et juste et genereux,
Qui plustost sur un traistre anima sa furie,
Que contre l’ennemy de sa chere patrie :
Prenant le party foible, armé de la raison,
Contre un party nombreux qu’arma la trahison.
Il pretend quelque jour payer avec largesse
Et sa rare valeur, et sa haute sagesse.
Mais, dit-il, dans mon cœur j’ay mille ennuis secrets,
De ne pouvoir donner que de tristes regrets
A cent nobles martyrs, dont les fidelles flames
Pour Christ et pour leur prince ont prodigué leurs ames.
Car j’entendis ces cris : mourons dans nostre loy :
Mourons pour Jesus-Christ ; mourons pour nostre roy.
Clotilde à ce discours éprise d’un saint zele,
Veut honorer les corps de la troupe fidele :
Sent son cœur enflammé du desir de les voir.
Le prince veut la suivre en ce pieux devoir ;
Et luy donnant la main, part de l’heureuse roche.
La reine avec respect du triste lieu s’approche.
Elle void le spectacle et pitoyable et doux.
Aussi-tost pres d’Argine elle tombe à genoux :
L’embrasse, et son amant ; et de sa bouche pure,
Avec de saints baisers presse chaque blessure.
Le duc suit son exemple. Elle voudroit encor
Ramasser tout leur sang en de grands vases d’or.
Clovis en ce desir veut la rendre contente :
Et parmy les tresors renfermez dans sa tente,
Fait choisir cent vaisseaux d’or pur et ciselé,
Pour recueillir le sang qui pour Christ a coulé.
Mais pendant qu’à ces soins Clotilde est occupée,
Une autre pompe vient, du pillage échapée :
Et Sigalde paroist, par le prince commis,
Pour empescher le sac du camp des ennemis.
Il conduit un amas de cent illustres dames,
Qu’il sauva de l’ardeur des impudiques flames.
Berthe marche à leur teste : et par ses tristes pleurs,
Exprime en mesme temps cent diverses douleurs ;
Le trépas de son pere, et sa beauté captive,
Et mille grands espoirs dont le malheur la prive.
Sa suite est ainsi qu’elle en larmes, en soupirs.
Clotilde laisse au duc le soin des cent martyrs :
Devance par ses pas l’abbord de la princesse ;
L’embrasse, l’accompagne, et flatte sa tristesse.
Apres elle marchoient tous les princes captifs.
Les francs tiennent sur eux leurs regards attentifs :
Et Clovis void en eux toute la Germanie
A son ample domaine heureusement unie.
Il pense à sa conqueste ; et par sa douce loy
Par tout remet le calme, où tout tremble d’effroy :
Accorde trente jours pour relasche à la guerre :
Et pour donner aux morts un repos sous la terre.
De son celebre exploit le plus illustre fruit,
Est le bonheur de voir son bel astre qui luit,
Dont ses yeux à toute heure adorent le miracle.
Mais tousjours à ses vœux il s’oppose un obstacle :
Et brulant de desirs, il pense incessamment
Au heraut d’Alaric qui receut son serment.
Jusqu’au jour du combat, il n’en peut rien pretendre.
L’amour demande un bien ; l’honneur vient le deffendre.
Avant que de son cœur le feu soit soulagé,
Son esprit de deux nœuds doit estre dégagé,
Et du combat promis, et du vœu du baptesme :
Mais son premier devoir s’attache au dieu supreme.
Cependant Yoland, dans ce honteux malheur,
Pressant plus son cheval de rage que de peur,
Aux vallons de la Vauge arrive avec Myrrhine.
Son invincible orgueil contre les maux s’obstine :
Et son ame enflammée, au deffaut de son fer,
Pretend contre Clovis animer tout l’enfer.
Elle monte à pas lents ces croupes si fecondes
En chesnes verdoyans, en murmurantes ondes.
Elle entend des bruits sourds, et des gemissemens :
Puis des cris plus aigus, et de longs heurlemens.
La cime qu’elle attaint paroist toute enfermée
Dans le nuage obscur d’une épaisse fumée,
D’où sortent mille éclairs, rouges, estincellans ;
Et des dragons ailez, aux corps noirs et brulans,
Qui par leurs siflemens, et par leur fuite prompte,
Monstrent qu’un puissant bras les combat et les dompte.
Malgré son grand courage, elle en fremit d’horreur :
Et cet affreux spectacle allentit sa fureur.
Toutefois elle marche, à ces bruits attentive :
Mais Myrrhine paslit, estonnée, et craintive ;
N’ose lever les yeux, s’arreste, et ne peut pas
Dans sa frayeur extreme avancer un seul pas.
Yoland, sur la cime où s’estend une place
Qui du vaste palais monstre la riche face,
Void un air sans broüillards, et découvre un beau jour,
Qui dissipe l’horreur des ombres d’alentour.
Elle void à genoux une troupe muette,
De l’un et l’autre sexe, et de beauté parfaitte.
Elle void devant eux un auguste vieillard,
Couronné de rayons, d’un celeste regard,
Richement revestu d’une chape superbe,
Sur une aube de lin, traisnant jusques sur l’herbe.
Et sa dextre puissante, alentour de ces monts,
Par le signe adorable écarte les demons.
Ne crains pas, Yoland, dit-il à la princesse.
De Dieu voy le pouvoir, de l’enfer la foiblesse.
Il se tourne à l’instant vers le temple orgueilleux,
A Mercure élevé sur un roc sourcilleux :
Et de ce mesme signe, avec une parole,
Il renverse, il destruit, et le temple et l’idole.
Cette masse en tombant se separe en morceaux :
Puis dans l’abysme creux se rassemble en monceaux.
Mille terribles sons par les monts se répandent :
Et cent fois redoublez, par les vallons s’entendent.
Auberon estonné de tant d’horribles bruits,
Et de voir en plein jour la noire ombre des nuits,
Accourt, et du palais ouvre la large porte,
D’Albione effrayée ayant la seule escorte.
Voy, méchant, dit le saint, voy par quelle vertu
Tes demons sont chassez, et ce temple abbatu.
Clovis a la victoire, en dépit de tes ruses :
Et par tout tu verras tes malices confuses.
Severin est mon nom, de qui le saint troupeau
Dans Agaune helvetique honore le tombeau
Des six mille martyrs de la bande thebaine,
Dont Maurice fut chef sous l’enseigne romaine.
Le chef de cette troupe, est ton fils genereux,
Valbert, des loix de Dieu constamment amoureux,
Qui chassé par ta rage est devenu patrice,
Ayant veu l’orient à ses vœux plus propice.
Voy son épouse aussi, la fille de Zenon,
Lucille, qui possede un celebre renom,
Un rang imperial, une grande richesse,
Et sur toutes grandeurs, une extreme sagesse.
Depuis deux mois entiers ils errent en ces lieux :
Et Dieu les a souvent presentez a tes yeux.
Tu les as méprisez, et ces dames chrestiennes,
Pour deux filles de rois, qui ne sont pas les tiennes.
Enfin le ciel m’envoye, afin de se vanger,
Si sous la loy de Christ tu ne veux te ranger.
Je puis briser ton corps, comme j’ay fait ce temple.
Crains Dieu, crains sa colere, et tremble à cet exemple.
L’enchanteur effrayé de ces graves accens,
Veut tenter contre Dieu ses charmes impuissans.
D’un cœur impenitent, et d’une aveugle rage,
Il pretend par son art soustenir son courage :
Appelle, à son secours un reste de demons,
Qui se cachoient encore aux antres de ces monts ;
Sur leurs ailes s’éleve, et dans les airs s’emporte.
Le saint luy fait sentir une vertu plus forte.
Il est abandonné de ces foibles esprits,
Qui fondent sous la terre, en jettant mille cris.
Le corps sur les rochers se brise et se déchire.
L’ame avec les demons fuit dans le noir empire.
Ainsi du haut sommet du rocher Aventin,
S’éleva dans les airs sur le peuple latin,
Et tomba par les vœux du prince de l’eglise,
L’orgueilleux enchanteur qui mourut dans Arise.
Valbert sent à sa mort une extreme douleur.
Les deux sœurs s’écrians, deplorent son malheur.
Severin, par ces mots, veut consoler leur ame.
Vous pleurez, comme un pere, un ravisseur infame,
Qui suivant la fureur d’un conseil infernal,
Vous ravit au berceau dans vostre lieu natal :
Vous nourrit pour Clovis, comme nobles infantes,
Qui pouvoient de son cœur estre un jour triomphantes :
Et vous cachant la loy qu’adoroient vos ayeux,
Força vostre ame tendre à servir les faux dieux ;
Puis dans l’amour du roy vous ayant engagées,
Vous laisse dans l’ardeur de vous en voir vangées.
Toy, dit-il, Yoland, fille du sage Euric,
Roy des fiers visigots, sœur du brave Alaric,
Pres de l’Ebre il te prit, quand ton valeureux pere
Avoit dans ses combas la fortune prospere.
Et toy, belle Albione, il te prit aux anglois,
Quand ton pere engagé dans ses rares explois,
A l’Ecosse adjoustoit l’Irlande et la Norvege,
Et ne redoutoit pas cette main sacrilege.
Helas ! Que je te plains, noble fille d’Artus,
Qui t’ayant mise au jour, t’eut donné ses vertus,
Si ce traistre payen ne t’eut portée au crime :
Tu sens croistre en ton ventre un fruit illegitime.
Tu perdis par son rapt ton pere et ta maison :
Et perdis par ton feu l’esprit et la raison.
Maintenant sans secours, infame, et vagabonde,
Quel lieu pour te cacher te reste-t-il au monde ?
Mais quittez toutes deux vos indignes ardeurs.
Portez vostre grand cœur aux celestes grandeurs.
Quittez les deïtez vainement adorées.
Que sans fin de vos yeux vos fautes soient pleurées.
Vos chefs furent trempez dans le sacré lavoir.
Detestez du trompeur et l’art et le pouvoir.
Songez, par son desastre, à redouter le vostre.
Il dit. Mais trop de rage occupe l’une et l’autre.
Et la celeste grace, avec ses traist vainqueurs,
Jamais ne peut entrer dans les superbes cœurs.
Vieillard, dit Yoland, nous cedons à tes charmes.
Mais en vain tu pretens que nous versions des larmes.
Le trépas de Clovis vangera nos douleurs.
Nous verserons plustost de son sang que des pleurs.
Il ne vaincra jamais Yoland en courage.
Je le croiray vainqueur, s’il peut vaincre ma rage.
Si nous sommes du rang où tu veux nous placer,
Tu nous hausses le cœur, puis tu veux l’abbaisser.
Que l’enfer m’abandonne, et que le ciel m’opprime.
Je hay le repentir, encor plus que le crime.
Allez, dit Severin, ô ! Detestables cœurs ;
Le ciel vous abandonne à vos propres fureurs.
Mais vous, suivez mes pas : venez, troupe fidelle.
Allons chercher Clovis aux bords de la Moselle.
Ne pleure point, Valbert, un pere furieux,
Indigne du cercueil, esclave des faux dieux,
Ministre de l’enfer, ennemy de mon maistre.
Laissons ce corps aux loups, qui doivent s’en repaistre.
Alors la sainte bande, en marchant deux à deux,
Par la pente du mont suit le saint lumineux ;
Bénit le tout-puissant, et joint leur equipage,
Qui sans bruit les attend à l’ombre d’un bocage.
Albione, Yoland, regardent ce depart ;
Puis fixement en terre arrestent leur regard.
L’une et l’autre confuse, interditte, estonnée,
De secours tout à coup se trouve abandonnée.
O ! Dieux ! Dit Yoland, pouvions-nous concevoir
Qu’un mortel sur la terre eut un si grand pouvoir ?
Qu’il a fait à nos yeux d’effroyables prodiges ?
A peine de ce temple on peut voir les vestiges.
Mais dans ce changement, rien ne peut m’ébranler.
Et je voy dans nos maux dequoy nous consoler.
Nous ne sommes plus sœurs ; nous n’avons plus de pere.
Mais nous avons chacune un grand prince pour frere.
Goustons le doux espoir qui vient nous soulager ;
D’avoir un rang illustre, et dequoy nous vanger.
Ma sœur, dit Albione, (avant ma derniere heure
Permets que ce cher nom encore nous demeure)
Helas ! De quel espoir nous pouvons-nous flater ?
Helas ! De quel secours nous pouvons-nous vanter ?
Bien que contre Clovis nostre fureur assemble
L’Espagne, et l’Aquitaine, et l’Angleterre ensemble ;
Quand nous pourrions encore y joindre les romains ;
Que doit plus redouter le vainqueur des germains ?
Mesmes de nostre sang, quelles certaines marques
Pourrions-nous faire voir à ces puissans monarques ?
Quoy doncques, nostre cœur d’affronts n’est pas content.
Cette derniere honte encore nous attend.
Ah ! Que nulle esperance au jour ne nous retienne.
Mourons : et si ta honte est moindre que la mienne,
Laisse-moy mourir seule, et souffre qu’en mon sang
Ma main noye et mon crime, et le fruit de mon flanc.
En meurtrissant l’enfant par une juste rage,
Du pere pour le moins je meurtriray l’image.
Hé quoy ? Mon sang en moy combat contre le sien ?
Versons l’un avec l’autre, et ne divisons rien.
Mais ? Je sens contre moy s’émouvoir mes entrailles ?
Et mes yeux, ô ! Mon fruit, pleurent tes funerailles ?
Si mes pleurs malgré moy sortent de leur prison,
La nature les verse, et non pas la raison.
Il faut que de mes flancs moy mesme je t’arrache :
Que comme un ennemy, de moy je te détache.
Et que ne puis-je encor survivre à mon trépas,
Pour en faire à ton pere un horrible repas ?
O ! De fille de rois ravisseur detestable,
C’est toy qui m’as plongée en ce goufre effroyable ;
Quand me vantant Clovis, ses faits, et ses ayeux,
Tu rallumois l’ardeur que je pris dans ses yeux :
Quand tu portois mon ame, helas ! Trop enflammée,
Au plaisir de l’aimer, et de m’en voir aimée.
Tu me fis mediter cet aveugle dessein,
De le tenir au moins par un charme en mon sein :
Quand je perdis l’espoir qu’aimant une chrestienne,
Il quittast sa beauté, pour adorer la mienne.
Apres m’avoir volée à ceux de ma maison,
Tu m’as volé l’honneur, corrompant ma raison.
Ne pouvant l’esperer par un nœu legitime,
Tu fis que je l’acquis par la honte et le crime :
Que je conceûs de luy ce fruit doux et cruel,
D’une part innocent, de l’autre criminel ;
Et qu’il ne reste plus à ma fureur extreme,
Qu’à vanger mon forfait sur l’innocence mesme.
Mais c’est le seul remede à mon mal si pressant.
La rage est plus celebre à perdre un innocent.
Ah ! Que ne peut encor ma mourante colere
Le jetter par morceaux dans le sein de son pere ?
Immolant à ses yeux ma vie et son enfant,
Je penserois alors mourir en triomphant.
Mais avant mon trépas, répandons la vangeance,
Et sur toute sa race, et sur toute sa France.
Si le ciel et l’enfer écoutent les mourans,
Ciel, enfer, suspendez vos aspres differends.
Ou si vous ne pouvez quitter vostre querelle,
Ciel, tu n’es pas pour moy : c’est l’enfer que j’appelle.
Tristes dieux, ou demons, pour la derniere fois,
Sortez du sombre Averne aux accens de ma voix.
Accourez, Alecton, Megere, Tisiphone,
Si vous vinstes jamais au secours d’Albione.
Entortillez vos crins des serpens les plus noirs
Dont jamais vostre rage arma les desespoirs.
Escoutez à ma mort ce que dicte ma bouche.
Si Clotilde jamais parvient à cette couche,
Dont par vostre conseil j’ay gousté le bonheur,
Trop peu pour mon desir, et trop pour mon honneur ;
Que ses fils à ses yeux, par de cruelles guerres,
Comme loups acharnez, se ravissent leurs terres.
Que malgré ses soupirs, ses larmes, et ses vœux,
Ils rougissent leurs mains du sang de ses neveux :
Et que toute sa race en marastres feconde,
De tragiques horreurs épouvante le monde.
Puis sortez de mon sang, normans, et me vangez.
Que tous les champs françois par vous soient ravagez :
Et qu’apres vos fureurs, dans une longue guerre,
La France éprouve encor les fureurs d’Angleterre.
Ah ! Que je dois gouster de delices là bas,
Lors que mes descendans, par de sanglans combas,
Feront, d’un fer vangeur, dans les demeures sombres,
Tomber de tant de francs les odieuses ombres !
Doux, mais tardif espoir ! Hé bien, pour me guerir,
Mourons, si je ne puis me vanger sans mourir.
Lors se voyant sans fer à son dessein propice,
Elle court furieuse, et cherche un precipice.
Mais Yoland l’arreste ; et veut pour un moment
Qu’elle preste l’oreille à ces mots seulement.
Ma sœur, s’il faut mourir, je sçay perdre la vie.
Que ta fureur est belle ! Et que je te l’envie !
Mais quel bien penses-tu qui survive au trépas ?
Ny haine ny desir ne se ressent là bas.
Toute vangeance est morte en la demeure noire ;
Et se perd dans le fleuve où se perd la memoire.
C’est se vanger sur soy, que de vouloir perir.
Et du moins, en mourant, il faut faire mourir.
Je veux perdre Clovis, le poursuivre à toute heure :
Et ne veux point mourir, que premier il ne meure.
Mais je puis souhaiter, comme un supreme bien,
Qu’à jamais nostre sang soit ennemy du sien.
Qu’à jamais, tour à tour, l’Espagne et l’Angleterre
Enfantent des projets pour desoler sa terre.
Que de contraires mœurs, que de contraires bords,
Que sans cesse opposant cent forts contre cent forts,
Leurs haines, leurs fureurs, ne soient jamais bornées
Ny par les vastes mers, ny par les Pyrenées.
Toutes deux dans leur rage à l’envy s’embrazans,
Cherchent un long espoir en la suite des ans.
Toutes deux sont un temps dans un morne silence.
Puis Albione ainsi reprend sa violence.
Mon esprit, que mon feu rend plus ingenieux,
Conçoit un fait plus beau, plus il est furieux :
Et la posterité, quand je seray vangée,
Sçaura ce que peut faire une femme enragée.
Du fier prince des francs vange-toy par ton bras.
Mais si ton fer le peut, le mien ne le peut pas.
Mon fardeau malheureux m’en oste la puissance.
Je ne puis que sur moy de luy prendre vangeance.
Mais je rendray bien mieux mes transports assouvis,
Si je reçoy la mort par la main de Clovis.
Cherchons-la par luy-mesme, afin que ce perfide
Soit de son propre enfant le cruel parricide.
L’une et l’autre à ces mots, d’un pas precipité,
Tournant de toutes parts son regard irrité,
Marche vers le palais, qui n’ayant plus de maistre,
Tout superbe qu’il est, semble un desert champestre ;
Où chacune s’écarte ; et couve dans son sein
La criminelle ardeur d’un funeste dessein.

 
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