Clovis, ou la France chrétienne
Livre
cinquième |
Le perfide Auberon, qui medite en son cœur
D’un injuste dessein la barbare fureur,
Va chercher en son bois d’une veuë attentive,
Celle qu’en son pouvoir il croit tenir captive :
Et d’un esprit douteux ne sçait en son transport,
S’il doit la renfermer, ou luy donner la mort.
Il separe les siens, les anime, les presse
D’entrer où la forest paroist la plus épaisse.
Mais tous cherchent en vain, et rebattent ces lieux.
En vain à son secours il appelle ses dieux.
Le demon devient sourd aux magiques paroles,
Aux charmes les plus forts appris dans ses écoles :
Dans sa ruse impuissante est muët et confus.
Son inflexible orgueil fait qu’il ne répond plus ;
Et quand il le voudroit, la supreme puissance
A sa fiere malice impose le silence.
Et de trouble et de honte Auberon est surpris.
Voyant que de ses dieux nul ne vient à ses cris,
Et que de son pouvoir la princesse est sauvée,
Il croit que quand son art la fit voir enlevée,
Mercure fut moins fort qu’une autre deïté,
Qui fit changer la feinte en une verité.
Mais il ne peut quitter son invincible rage.
Il la cache en luy-mesme, et calme son visage.
Apres mille desseins formez dans sa fureur,
Il prétend enflammer Yoland et sa sœur ;
Et qu’à l’amour du roy leur courage se porte :
Puis le soir en secret leur parle en cette sorte.
Mes filles, mon cher soin, vos yeux ont veû Clovis.
Vos cœurs en sont encor de merveille ravis.
Quelle taille, quel port, quel auguste visage ;
Et jugez les hauts faits que son regard presage.
Desja son jeune bras par tout porte ses loix.
Je vous diray sa race, et ses premiers explois :
Mais sçachez avant tout nos troubles et nos guerres ;
Quels combas, quels accords, partagerent nos terres ;
Et pour en mieux comprendre et la source et le cours,
Je dois par nostre ayeul commencer mon discours.
Le vaillant Clodion, en la saison brulante,
Pour esteindre en nageant la chaleur violente,
Du Belgique rivage alloit chercher les flots,
Quand il entend de loin un cry de matelots ;
Et poussant son coursier, void à voile tenduë
Un vaisseau qui portoit son espouse attenduë,
Fille du roy danois, dont la noble beauté,
Les charmes du discours, l’agreable fierté,
Et l’addresse, et la force en ses forests acquise,
Avoient par leur renom captivé sa franchise.
Elle est sur le tillac ; on void sa tresse au vent ;
Et sa juppe ondoyante, aux zephirs s’émouvant.
La nef qui craint le sable, à la rade s’arreste ;
Et tandis que l’esquif trop lentement s’appreste,
Le roy pique vers elle, en sa nouvelle ardeur ;
Sans redouter des eaux la haute profondeur.
Il s’avance, il s’engage, il s’abbaisse dans l’onde ;
Et presque il s’abysmoit, quand la belle Ildegonde,
Dés ses plus tendres ans docte en l’art de nager,
Dans les vagues s’élance, et le veut dégager.
En voyant leur peril chacun se jette à nage,
Et de ceux du navire, et de ceux du rivage.
Cependant s’approchoient et l’amante et l’amant,
Quand un monstre, du creux de l’humide élement,
Souflant de ses naseaux deux sources élancées,
Et baissant en courroux deux cornes renversées,
Fait voir son vaste corps, et surprend tous les sens,
Pousse avec bruit les flots émus et blanchissans,
Vers les amans s’avance, et soudain les separe.
Le monarque intrepide au combat se prepare :
Le menace de loin de son fer flamboyant.
Mais à l’horrible aspect son cheval s’effrayant,
Se tourne, et malgré luy vers le bord le remporte.
Semblable peur saisit l’une et l’autre cohorte.
Chacun tranche la mer avec ses bras nerveux.
Tous gagnent le rivage, ou de force, ou de vœux.
Le ciel mesme complice, à la frayeur mortelle
Adjouste, en se voilant, une frayeur nouvelle.
Le prince tourne en vain le rebelle coursier,
Employant, et la bride, et le piquant acier.
L’animal fuit la mer, retourne, ou se renverse ;
Et s’élance, en cherchant une route diverse.
Le roy se desespere ; et pour s’en dégager,
Se jette à terre enfin, d’un mouvement leger.
Nul des siens ne paroist : la nuit, la solitude,
Aigrissent à l’envy sa triste inquietude.
Il cherche, il crie, il court ; et parmy tant d’horreur,
La perte d’Ildegonde est sa seule fureur.
Il se replonge en mer ; et plein de hardiesse
Nage, et cherche le monstre, ou sa chere princesse.
Sans donner à ses bras un moment de repos,
Et presque sans espoir, il lutte en vain les flots.
Ildegonde est en vain par sa voix appellée.
Sa bouche, en l’appellant, hume l’onde salée.
Quels furent ses regrets, ses soupirs, ses efforts ?
Ah ! Monstre, as-tu, dit-il, englouty ce beau corps ?
Sa force succomboit, quand le nuage s’ouvre ;
Et rien qu’une ample mer son regard ne découvre.
Ildegonde, dit-il pour la derniere fois.
Ildegonde, respond une plus foible voix.
Mais c’est sa mesme voix qu’une roche repousse.
Il s’avance : il entend l’accent d’une voix douce.
Est-ce vous, Clodion ? Clodion, est-ce vous ?
Venez à moy, mon prince : à moy, mon cher espoux.
A cette aimable voix, son grand cœur se r’anime.
Il nage vers le roc, d’un transport magnanime :
Et doublant une pointe avec un prompt effort,
Dans le roc void un antre, et sa princesse au bord,
Qui sent par la surprise une joye excessive,
Et qui luy tend les bras, et contente et craintive.
Telle, pour expier le maternel orgueil,
Parut sur le sommet du rigoureux écueil,
Au guerrier qui portoit la Gorgone en trophée,
La fille que pleuroient Cassiope et Cephée.
Ildegonde s’avance ; et de ses belles mains
Tire son noble espoux des goufres inhumains.
A peine sur le bord s’élevoit le monarque,
Qu’il entend de grands cris, et découvre une barque,
Dont le nocher pleurant, et les pasles rameurs,
Cherchoient le corps du roy, fendant l’air de clameurs.
Le prince les appelle ; et cette voix connuë
Fait que d’un cry de joye ils attaignent la nuë.
La barque les reçoit, et les remeine au bord.
Chacun, pour les revoir, se presse à leur abord.
L’un raconte sa peur ; l’autre accourt ; l’autre tremble,
Coupable de sa fuite ; et chacun se r’assemble.
Plusieurs furent en vain cherchez par tous ces bords,
Dont le monstre ou la mer engloutirent les corps.
Le roy dans son palais conduit l’epouse aimable.
Alors la renommée, ou fausse, ou veritable,
Respand, qu’un dieu surpris de la rare beauté,
Sous ce taureau marin couvrit sa deïté :
Et le fils qui nasquit dans la neufiesme lune,
Fut reveré des francs, comme fils de Neptune.
Ce fils fut Meroüée : et dans cinq ans apres,
Au chasteau de Disparg, couronné de forests,
Parut le second fils de la vaillante reine,
Flambert, de Clodion la race plus certaine.
Quand le preux conquerant fut receû dans les cieux,
L’aisné prend les estats, guerrier ambitieux :
Et son avide ardeur non encore assouvie,
Au malheureux Flambert laisse à peine la vie.
Ildegonde en vain parle, égale en son amour,
Pour le fils que son flanc mit le dernier au jour.
La sensible princesse avec luy s’achemine
Vers le Sicambre Ausbert, regnant dans Agrippine,
Frere de Clodion, qui juste et genereux,
A son neveu fuyant preste un asyle heureux,
Et sur un fier refus de partager la terre,
Menace Meroüée, et luy porte la guerre.
Flambert du roy danois tire un second support ;
Et d’Alban roy germain, qui par un double accord
Luy joint Berthe sa fille, et par armes luy jure
De luy donner un trône, et vanger son injure.
De gendarmes soudain les champs furent couverts.
Cette guerre enflammée eut des succés divers.
Berthe en ces rudes temps me fit voir la lumiere ;
Et vingt lunes apres, en sa couche derniere,
Enfantant deux jumeaux, Ranchaire et Rignimer,
Flata son triste espoux dans un desastre amer.
Lors le grand Attila, dans l’ample Pannonie,
De peuples ramassant une tourbe infinie,
Comme un tigre douteux surquoy fondra sa dent,
Enfin se destinoit l’empire d’occident.
Ildegonde, à ce bruit, prudente et genereuse,
Le previent ; et baisant sa dextre valeureuse,
Emeut son cœur farouche ; et d’un ferme discours,
L’excite, et luy promet et passage et secours :
Luy presente ses fils ; et flateuse l’engage
A nous reconquerir nostre juste heritage.
Le franc laisse Agrippine aux flots de ce torrent.
Attila s’en approche, et soudain la surprend.
Dans le rapide cours de l’heur qui l’accompagne,
Il dompte l’Austrasie, et la vaste Champagne ;
Ravage la Neustrie, et les Belgiques bords ;
Et sur la Loire seule allentit ses efforts.
Flambert, qui partagea ses travaux et sa gloire,
Eut part à sa conqueste, ainsi qu’à sa victoire :
Fit qu’au prudent Ausbert le trône fut rendu :
Reconquit en dix mois l’heritage perdu :
Se borna dans sa terre ; et sans plus entreprendre,
Donna ses douces loix à sa fertile Flandre.
Cependant Meroüée, ardent à se vanger,
Animant ses voisins dans le commun danger,
Joignit à ses drapeaux, par des trames soudaines,
Et la force gothique, et les aigles romaines :
Contre ce conquerant marcha d’un brave cœur :
De corps joncha la terre, et vainquit son vainqueur.
Le monarque destruit les Gaules abandonne.
Le romain cherche Rome, et le goth sa Garonne.
Le seul roy des françois reste libre et puissant :
Void par tout sous sa loy le gaulois fléchissant ;
Et dans peu de saisons adjouste à son domaine,
Et tous les bords de l’Oise, et tous ceux de la Seine.
Contre ce fier torrent tout le reste s’unit.
Flambert qui craint le choc, dans Cambray se munit.
Alors pour le sauver du fer qui le menace,
J’amasse les germains, j’endosse la cuirasse.
Le belge, l’ubien, le tongre, le danois,
Me suit, et je suis chef des armes de cinq rois.
Desja ma jeune ardeur donne à tous l’esperance ;
Et jusques dans Cambray va semer l’asseurance.
Le franc, seur dans son camp, en détache une part ;
Et contre mon abbord veut s’en faire un rampart :
Me prepare une embusche ; et de troupes nombreuses
Remplit les noirs vallons des Ardennes ombreuses.
Je découvre leur piege ; et prompt les enfonçant,
De vingt mille guerriers j’en laisse à peine cent,
Qui portent à Cambray la nouvelle sanglante,
Et consolent Flambert en sa ville tremblante.
Un lustre se consume en combas furieux.
Nous sommes tour à tour vaincus, victorieux :
Puis il pousse mon camp jusqu’aux bords de la Sambre.
Cependant s’écouloit un pluvieux decembre,
Sans voir, depuis neuf ans que durerent nos maux,
Nul fruit de tant de sang, et de nos longs travaux.
Les forces qui restoient des legions romaines,
Des françois, sous egide, écornoient les domaines :
Et ce patrice adroit, seul avec peu d’efforts
Moissonnoit tous les fruits de nos aspres discords.
Il prend Chartres, Evreux ; dompte la Seine et l’Oise ;
Et va ravir Soissons à la race françoise.
Meroüée et Flambert, las d’un trouble eternel,
Partagent d’un accord le regne paternel :
Et mon pere, en touchant la dextre fraternelle,
Eut la Flandre, et les champs que lave la Moselle.
Lors nos camps furent joints : et contre les romains,
Soudain fondent flamans, francs, tongres, et germains.
Tous les peuples encor que la Gaule fit naistre,
Regardent en suspens qui deviendra leur maistre.
La Neustrie et le Mans se rangent sous nos loix.
Et nous eussions dompté tous les estats gaulois,
Si des freres unis la fin precipitée
N’eut soudain des françois la fortune arrestée.
Flambert devant Soissons par un trait fût esteint.
L’autre, d’un mal aigu mortellement attaint,
Voulant à Childeric asseurer ses provinces,
Traite avec le patrice, et separe les princes ;
Craignant que ses neveux, de leur force abusans,
Ne pûssent de son fils trancher les jeunes ans.
D’Egide par l’accord il obtient un ostage :
Me donne en mesme temps l’Austrasie en partage,
A Ranchaire la Flandre, à Rignimer le Mans :
Nous lie à son empire avec de forts sermens :
Et du prince son fils engage la tutele
A Bisin le tongrois, prince sage et fidele :
Luy joignant Guyemans, confident esprouvé,
Qui passant le Danube, adroit avoit sauvé
Des barbares prisons Childeric et sa mere,
Enlevez par les huns quand le sort fut contraire.
Lassé de Mars j’aspire aux douceurs de la paix.
J’habite l’Austrasie aux bois les plus épais.
Là je consacre un temple à ce puissant Mercure,
Qui m’ouvre les clartez d’une science obscure :
Qui m’apprend loin du bruit les secrets curieux
Des enfers, de la mer, de la terre, et des cieux ;
Et de tant de faveurs accompagne ma vie,
Qu’à nul roy des mortels elle ne porte envie.
Cependant le saxon, de ses voisins suivy
Que l’Elbe et le Vezer abbreuvent à l’envy,
Pour chercher d’autres champs à leurs races fecondes,
Fendoit de mille nefs les germaniques ondes.
Albion d’une troupe assouvit la fureur.
L’autre, aux bouches de Loire allumant la terreur,
Desja domptoit ses flots, à voiles estenduës ;
Desja pilloit ses champs, à bandes épanduës.
D’autre-part les bretons, peuples hardis et forts,
De la belle Armorique occupoient tous les bords :
Et desja détruisoient, vagans par la campagne,
Ses villes et son nom, et l’appelloient Bretagne,
Quand le fier Childeric, d’un sang jeune et boüillant,
Court aux rives de Loire avec un camp vaillant.
Egide, avec la force et gauloise et romaine,
Deffend d’autre costé l’Armorique et le Maine.
L’heur ne fut pas égal. à peine les romains
Ravirent trente bourgs aux bretons inhumains.
Mais l’ardent Childeric, d’une fureur soudaine,
Couvrit de corps saxons les rives et la plaine :
Et força les vaincus à regagner leurs masts ;
Pour fondre par les mers en de nouveaux climats.
Enflé du grand succés, il veut que sa vaillance
Ayde Egide à dompter la bretonne insolence :
Mais par un sage advis, Bisin et Guyemans
Donnent un rude frein à ses prompts mouvemens ;
Luy font revoir la Seine ; afin que le patrice
Seul dans ses vains efforts, ou s’énerve ou perisse :
Et que les deux partys, l’un par l’autre abbaissez,
Soient enfin, d’un seul choc, par le franc terrassez.
Le vainqueur se renferme en sa natale terre ;
Et guerrier, dans la paix cherche à faire la guerre.
Le beau sexe le dompte : il le dompte à son tour.
Souvent la force obtient ce que n’a peû l’amour :
Et souvent la fureur de sa flame effrenée
Attente sur les droits du jaloux Hymenée.
Le sage Guyemans, par ses graves discours,
En vain de ce torrent veut arrester le cours.
(car Bisin dans ce temps à Tongres se retire,
Dont le roy luy laissoit sa fille et son empire.)
Les peres, les espoux, dans le cœur outragez,
Des infames affronts veulent estre vangez.
Enfin dans leur honneur le peuple s’interesse.
Puis le juste dépit produit la hardiesse.
Tout se rebelle, s’arme, et s’anime à l’envy ;
Et nul que par sa mort ne peut estre assouvy.
Le prudent Guyemans dit que de la tempeste
Dans la seule Tongrie il peut sauver sa teste :
Luy conseille la fuite ; et devant son depart,
Rompt une piece d’or, en reserve une part,
Remet l’autre en ses mains, et jure qu’au monarque
Le retour sera seur, recevant cette marque.
Le confident, prisé pour ses sages leçons,
Demeure, et ses vertus écartent les soupçons.
Il conseille aux mutins, se feignant leur complice,
Qu’au trône de leur prince ils placent le patrice ;
Qui par son grand suffrage appellé dans ce rang,
Use de ses conseils, et gourmande le franc.
Guyemans prevoyoit que la haine publique
S’esteindroit par l’essay d’une humeur tyrannique.
Cependant Childeric, d’un coursier diligent
Ayant passé la Marne, et l’Aisne aux flots d’argent,
Touchoit les champs tongrois, vers la part où la Meuse
En costoyant le Rhein, long-temps coule douteuse
Si de ce puissant fleuve agréant les amours,
Elle doit épouser et son lit et son cours ;
Puis vierge se détourne ; et dans les mers profondes
Va, sans perdre son nom, noyer ses pures ondes.
Le fidele Bisin accourt d’un pas hastif ;
Et le reçoit en roy, non pas en fugitif.
Une pompeuse entrée à l’instant s’appareille,
Dont la prompte surprise enrichit la merveille.
Au porche du palais la princesse l’attend,
Dont la suite superbe autour d’elle s’estend.
Mais sa rare beauté toutes beautez efface ;
Et son port fait paroistre une guerriere audace.
Le monarque frapé du surprenant éclat,
A ce charmant abbord livre un foible combat.
L’œil, la bouche, le teint, tout luy plaist, tout le brule :
Et son ardeur s’accroist plus il la dissimule.
Il perd le cœur, la voix, le repas, le repos.
La nuit tout luy revient, ses attraits, ses propos :
Et d’un nouveau soleil il revoid la lumiere,
Sans avoir peû fermer sa veillante paupiere.
Bisin croit son ennuy causé par son malheur ;
Et par divers plaisirs veut charmer sa douleur.
Desja les chiens, les cors, par le palais s’entendent :
Aux portes, les coureurs impatiens attendent,
Battent les durs pavez, en font sortir les feux :
Et remaschent l’argent de leurs mords écumeux.
La belle et noble reyne, en juppe retroussée,
Desja d’un saut leger à cheval s’est lancée,
L’arc et la trousse au dos, le javelot en main ;
Dompte le fier coursier, le fait partir soudain ;
Telle que Marthesie à la volante tresse,
Qui des vents à la course égaloit la vistesse.
L’amoureux Childeric la suit en l’admirant.
Il vole apres son cœur, qu’elle emporte en courant.
Il resiste à l’amour, et ne peut s’en deffendre.
Il brule de parler, et n’ose l’entreprendre.
Par tout Bisin le suit, amy plein de candeur.
Le prince veut couvrir sa criminelle ardeur.
Il n’aime ny les champs, ny les bois, ny la chasse.
Tout luy déplaist, luy nuit, le trouble, et l’embarrasse.
Il n’ose à son retour la voir pour l’admirer.
Il prend dans la nuit seule un temps pour soupirer.
Est-ce ainsi, Childeric, que l’exil te rend sage,
Dit-il ? à ton amy veux-tu faire un outrage ?
Et pour tes voluptez chassé de ton estat,
Veux-tu te perdre encor, par un mesme attentat ?
D’un roy qui t’a receu veux-tu ravir l’espouse,
Et luy ravir l’honneur dont son ame est jalouse ?
Esteins ta flame impure : ou si tu ne le peux,
Esteins tes tristes jours, pour esteindre tes feux.
Mais l’amour violent, tout infame, tout traistre,
Tout detesté qu’il est, tousjours se rend le maistre.
En vain de l’amitié le juste souvenir
Contre sa folle ardeur s’efforce à le munir.
L’éclat imperieux tous les devoirs opprime ;
Regne, et confond en luy les vertus et le crime.
Il resiste ; il succombe : une jaune langueur
Triomphe des efforts de sa jeune vigueur.
Enfin dans ces combas, une chaleur fievreuse
Mesle ses feux malins à l’ardeur amoureuse.
La reyne vient au lit ; et devant son espoux,
Luy parle, prend sa main, et luy presse le poux.
A l’aimable toucher, l’accés qui se redouble,
Son œil qui tantost brille, et qui tantost se trouble,
Son teint tantost de pourpre, et tantost blemissant,
Et le soufle enflammé, ses poumons oppressant,
Qui sort entre-coupé, quand à peine il respire,
Luy découvrent assez qu’il est sous son empire.
Courage, Childeric, dit-elle, il faut guerir.
J’ay le remede heureux qui te doit secourir.
Je connois les vertus des plantes salutaires ;
Et les cueïlle à la lune, aux vallons solitaires.
Le mal n’est pas mortel, et doit cesser demain.
D’un regard, d’un soupir, d’une estrainte de main,
Où descend un baiser de sa bouche blesmie,
Il respond, et rend grace à sa douce ennemie.
Il sent à son depart l’accés se moderer.
Il espere, et ne sçait ce qu’il doit esperer.
L’autre soleil doroit la cime des montagnes,
Quand Bisine revient, sans espoux, sans compagnes ;
S’assit pres de l’amant, et luy tient ce discours.
Prince, ne cele plus ton mal, ny tes amours.
Tu brules, Childeric, et d’un feu legitime.
Ouy, sçache que ta flame est exempte de crime.
De ton cœur agité je sçay tous les combas.
Reprens l’espoir ; escoute ; et ne m’interromps pas.
Le roy qui me fit voir la celeste lumiere,
Se connoissant voisin de son heure derniere,
Tira de tes estats Bisin ton sage amy.
Sur son trône avec moy veut le voir affermy,
Pour voir regner son sang avant sa mort prochaine :
Nous lie, et nous remet sa splendeur souveraine.
Je tire à part Bisin, et luy tiens ce propos.
Laissons de ce bon roy sortir l’ame en repos.
Mais pour un autre espoux le ciel m’a destinée.
Je sçay que ma grandeur n’est pas icy bornée.
Prens doncques de mary le titre seulement :
Et lors que me luira mon glorieux moment,
Tout l’estat sera tien : desja je te le donne ;
Et pure je suivray ce que le ciel m’ordonne.
Il consent : le roy meurt. Enfin depuis ce jour
Nul n’a paru que toy digne de mon amour.
Je connois ta valeur : j’aime ta noble mine ;
Et sçay quelle puissance un astre te destine.
Mais attens la saison. Mon cœur seroit soüillé,
De se soumettre au sort d’un prince dépoüillé.
Employe addresse ou force, et r’entre en ton empire.
Lors j’esteindray l’ardeur pour qui ton cœur soupire.
Quel heur inesperé ? Quels sons delicieux ?
D’aise il sent que son cœur s’éleve jusqu’aux cieux.
Sur les mains de sa reyne il se pasme, il se cole :
Et l’excés du plaisir luy ravit la parole.
Elle sort ; et la fievre en peu de jours s’esteint.
Le cinabre vermeil refleurit sur son teint.
Il escorte en tous lieux sa princesse adorable :
Et bénit mille fois son exil favorable.
Guyemans d’autre-part, aux intrigues sçavant,
Donne au simple patrice un conseil decevant :
Luy fait presser d’imposts le françois indocile :
Veut qu’il soit d’œil severe, et d’accés difficile ;
Et pour dompter les cœurs rebelles et mouvans,
Qu’il oste les plus fiers du nombre des vivans.
On deteste un tyran, avare, sanguinaire.
On regrette son roy, liberal, debonnaire ;
Dont la jeunesse ardente, et penchante aux plaisirs,
Auroit peû dans l’exil attiedir ses desirs.
L’amy souffle ce feu, les picque, les anime.
Chacun cherche de vœux son prince legitime.
Il envoye à son roy la part de l’or coupé ;
Signe qu’il peut r’entrer dans l’estat usurpé.
Dans Tongres, Childeric forme une prompte armée,
Où se joint, de françois une troupe animée.
Il part : son camp leger marche en se grossissant,
Comme un monceau neigeux, qui des Alpes descend.
A ce bruit foudroyant Egide se réveille ;
Et Guyemans le trouble, alors qu’il le conseille.
Il ramasse à l’instant francs, romains et gaulois.
Childeric le combat ; met sa force aux abois.
Le patrice vaincu dans Soissons se renferme.
Bisine, de ses vœux void enfin le doux terme :
Vers son amant remis au trône paternel,
Vient pompeuse, et se joint d’un lien solemnel.
Aux francs comme aux espoux la joye en est égale.
Tous ayment à le voir sous la loy conjugale.
Au soir l’heureux monarque à la couche est conduit.
Va, dit-elle, au balcon : sois chaste cette nuit :
Et par mon art puissant, de ta race future
Tu verras dans ta court la mystique peinture.
Il void un fort lion jettant de fiers regards :
Il void des ours, des loups, suivans des leopards :
Puis des chiens casaniers qu’un grand dragon devore.
D’autres dragons ailez se presentent encore.
Regarde en haut, dit-elle. Il void un aigle ardent,
Sur le dernier dragon des nuages fondant,
Qui le serre, et s’en paist : puis paroist admirable.
Et d’aigles et d’aiglons une suite innombrable.
Demain tout les destins te seront découverts,
Dit Bisine : et leurs yeux au jour s’estant ouverts ;
De nous, commença-telle, un grand lion doit naistre ;
Un roy, des champs gaulois le dompteur et le maistre.
De son sang sortiront des fils avanturiers,
Tels que des leopards, et hardis et guerriers.
Leurs neveux acharnez se raviront leurs terres ;
Et des ours et des loups imiteront les guerres.
Leurs foibles descendans, du repos amoureux,
Tomberont sous le fer d’un prince valeureux,
Qui comme un fier dragon, dressant sa haute creste,
Apres cent beaux exploits, couronnera sa teste.
Ses enfans regiront, comme dragons nouveaux,
L’empire où le soleil s’abysme dans les eaux.
Leur suite déclinant de cette ardeur guerriere,
Par un aigle perdra le sceptre et la lumiere ;
Par un prince celeste, et puissant, et pieux,
Suivy de fils vaillans, sages, religieux,
Dont la race en guerriers heureusement feconde,
Sur un trône éternel doit regir tout le monde.
Childeric estonné de ses grands successeurs,
Dans les siecles futurs va chercher des douceurs.
Son ame de leurs faits est ravie et jalouse :
Et sa bouche rend grace à la sçavante espouse.
Soudain s’épand le bruit que les traistres saxons
Des champs voisins de Blois emportoient les moissons.
Childeric les combat sur les bords de la Loire ;
Et jusques dans Angers va pousser sa victoire.
Tout cede à ses efforts ; et ses vaillantes mains
Dépoüillent et saxons, et bretons, et romains.
Alors le grand Clovis naist de la noble reine :
Et remplit d’allegresse et la Loire et la Seine.
Elevé sous des soins tendres et genereux,
Il croist, beau, liberal, sage, adroit, valeureux.
A peine sur son chef avoient roulé trois lustres,
Quand finirent les ans de deux testes illustres,
D’Egide et du roy franc, tous deux princes puissans.
Clovis devient monarque en ses jours innocens :
Desja d’un cours trop lent void couler ses années :
Desja brule d’ouvrir ses hautes destinées.
Il dompte les coursiers, il exerce les francs,
Les forme en bataillons, serre ou double leurs rangs,
S’endurcit à la peine, au soleil, à l’orage ;
Et l’on void dans ses yeux reluire son courage.
Depuis son jour natal, il comptoit vingt moissons.
Il va chercher Siagre aux plaines de Soissons,
Le vaillant fils d’Egide ; et sensible il soupire
Qu’un romain, de son pere ayt occupé l’empire.
Il dénonce la guerre aux fieres legions.
Tous deux forts et vaillans, comme jeunes lions
Qui brulent de la soif d’ensanglanter la plaine,
Pour vaincre, n’ont soucy de hazard ny de peine.
Tous deux, en se trouvant par un commun desir,
Se sentent animez d’ardeur et de plaisir.
L’un baisse contre l’autre une lance dorée.
Clovis sur l’ennemy rompt la pointe acerée.
Puis du coup le renverse ; et poussant ses beaux faits,
Ouvre d’un mesme cours les escadrons épais.
Les francs suivent sa route ; et par tout l’aigle tombe.
Par tout ils se font jour ; et tout fuit, ou succombe.
Siagre par les siens du danger emporté,
Vers les goths aquitains cherche sa seureté.
Cent villes, de Clovis estendent le domaine :
Et ce coup, au tombeau met la force romaine.
Mais le prince à son gré n’a vaincu qu’à demy.
Il veut que le roy goth livre son ennemy :
Fait partir un heraut ; et superbe luy mande
Qu’il s’arme, s’il est sourd à sa juste demande.
Alaric tremble au bruit du foudre menaçant :
Rend Siagre blessé, captif et languissant.
Le ciel rend de Clovis la vangeance assouvie,
En bornant du romain la langueur et la vie.
Bisin en mesme temps trouve son jour fatal ;
Et la reine succede au royaume natal.
Les rois qui regissoient le marse et le bructere,
Veulent avoir le tongre esclave ou tributaire :
Clovis jaloux du sien, court pour le secourir ;
D’un bras pour tout deffendre, et pour tout conquerir.
Bisine en fait sa guerre, et fiere l’accompagne.
Desja leurs estendarts flotent par la Champagne.
Dé-ja la Meuse entend leur martial airain ;
Et dé-ja le françois arrive aux bords du Rhein ;
Surprend des fourrageurs mille bandes éparses ;
Et dans les champs saccage et bructeres, et marses
Qui portent à leurs rois, de cent troupes suivis,
Le message estonnant des armes de Clovis.
Pourrois-je raconter la sanglante journée,
Qui d’un heureux succés fut enfin couronnée ?
Mais la nuit, de son ombre ayant voilé les cieux,
Avec ses froids pavots appesantit nos yeux.
Clovis, aux siens aimable, aux ennemis terrible,
A ses bandes inspire une ardeur invincible :
Heurte les premiers rangs ; renverse les plus forts :
Où le choc est plus grand, redouble ses efforts :
On le void se lancer, fendre, poursuivre, abbatre :
Et tantost il combat, tantost il fait combatre.
La reine qui le suit sur un barbe leger,
Partage avec son fils la peine et le danger.
Mais un trait inconnu tranche sa noble vie :
Et ce coup n’est suivy ny d’honneur ny d’envie.
Du sensible trépas le monarque irrité,
D’une double fureur a le cœur agité :
Mesle à ses feux guerriers, les feux de la vangeance
Et d’un triste dépit renforce sa vaillance.
Il immole cent corps aux manes maternels.
Une main seule a fait cent mille criminels.
Et par tout où son fer tombe avec sa colere,
Il pense terrasser le meurtrier de sa mere.
De semblable fureur les siens sont animez.
Tout le fuit : tout luy céde. En ses yeux allumez
Brillent en mesme temps son courroux et sa gloire.
Le desastre est heureux, et sert à la victoire.
Enfin tel est Clovis : tels son sang, et ses faits.
O ! Mes filles, pensez, par ces premiers effets,
Que fera ce grand fleuve enflé de cent rivieres,
Qui de son bord natal ravage les barrieres.
Preparez vos attraits pour dompter ce vainqueur ;
Et mettez vostre gloire à conquerir son cœur.
Il se leve : et dé-ja leurs ames enflammées,
Pour le vaincre, à l’envy se sentent animées.
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