De tous les rois que les Romains attaquèrent, Mithridate seul se
défendit avec courage et les mit en péril.
La situation de ses États était admirable pour leur faire la
guerre. Ils touchaient au pays inaccessible du Caucase, rempli de nations
féroces dont on pouvait se servir. De là, ils s’étendaient sur la mer du Pont.
Mithridate la couvrait de ses vaisseaux et allait continuellement acheter de
nouvelles armées de Scythes. L’Asie était ouverte à ses invasions. Il était
riche, parce que ses villes sur le Pont-Euxin faisaient un commerce avantageux
avec des nations moins industrieuses qu’elles.
Les proscriptions, dont la coutume commença dans ces
temps-là, obligèrent plusieurs Romains de quitter leur patrie. Mithridate les
reçut à bras ouverts : il forma des légions où il les fit entrer, qui furent ses
meilleures troupes.
D’un autre côté, Rome, travaillée par ses dissensions
civiles, occupée de maux plus pressants, négligea les affaires d’Asie et laissa
Mithridate suivre ses victoires ou respirer après ses défaites.
Rien n’avait plus perdu la plupart des rois que le désir
manifeste qu’ils témoignaient de la paix : ils avaient détourné par là tous les
autres peuples de partager avec eux un péril dont ils voulaient tant sortir
eux-mêmes. Mais Mithridate fit d’abord sentir à toute la terre qu’il était
ennemi des Romains, et qu’il le serait toujours.
Enfin, les villes de Grèce et d’Asie, voyant que le joug des
Romains s’appesantissait tous les jours sur elles, mirent leur confiance dans ce
roi barbare, qui les appelait à la liberté.
Cette disposition des choses produisit trois grandes guerres,
qui forment un des beaux morceaux de l’histoire romaine, parce qu’on n’y voit
pas des princes déjà vaincus par les délices et l’orgueil, comme Antiochus et
Tigrane, ou par la crainte, comme Philippe, Persée et Jugurtha, mais un roi
magnanime, qui, dans les adversités, tel qu’un lion qui regarde ses blessures,
n’en était que plus indigné.
Elles sont singulières, parce que les révolutions y sont
continuelles et toujours inopinées : car, si Mithridate pouvait aisément réparer
ses armées, il arrivait aussi que, dans les revers, où l’on a plus besoin
d’obéissance et de discipline, ses troupes barbares l’abandonnaient ; s’il avait
l’art de solliciter les peuples et de faire révolter les villes, il éprouvait, à
son tour, des perfidies de la part de ses capitaines, de ses enfants et de ses
femmes ; enfin, s’il eut affaire à des généraux romains malhabiles, on envoya
contre lui, en divers temps, Sylla, Lucullus et Pompée.
Ce prince, après avoir battu les généraux romains et fait la
conquête de l’Asie, de la Macédoine et de la Grèce, ayant été vaincu à son tour
par Sylla, réduit par un traité à ses anciennes limites, fatigué par les
généraux romains, devenu encore une fois leur vainqueur et le conquérant de
l’Asie, chassé par Lucullus, suivi dans son propre pays, fut obligé de se
retirer chez Tigrane, et, le voyant perdu sans ressource, après sa défaite, ne
comptant plus que sur lui-même, il se réfugia dans ses propres États et s’y
rétablit.
Pompée succéda à Lucullus, et Mithridate en fut accablé : il
fuit de ses États, et, passant l’Araxe, il marcha de péril en péril par le pays
des Laziens, et, ramassant dans son chemin ce qu’il trouva de Barbares, il parut
dans le Bosphore, devant son fils Maccharès, qui avait fait sa paix avec les
Romains.
Dans l’abîme où il était, il forma le dessein de porter la
guerre en Italie et d’aller à Rome avec les mêmes nations qui l’asservirent
quelques siècles après, et par le même chemin qu’elles tinrent.
Trahi par Pharnace, un autre de ses fils, et par une armée
effrayée de la grandeur de ses entreprises et des hasards qu’il allait chercher,
il mourut en roi.
Ce fut alors que Pompée, dans la rapidité de ses victoires,
acheva le pompeux ouvrage de la grandeur de Rome. Il unit au corps de son empire
des pays infinis ; ce qui servit plus au spectacle de la magnificence romaine
qu’à sa vraie puissance. Et, quoiqu’il parût par les écriteaux portés à son
triomphe qu’il avait augmenté le revenu du fisc de plus d’un tiers, le pouvoir
n’augmenta pas, et la liberté publique n’en fut que plus exposée.
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