I. Exploits et mort de Germanicus, père de Caligula
Germanicus, père de Caius César Caligula, et fils de Drusus
et d'Antonia, la plus jeune des filles d'Antoine, fut adopté par son oncle
Tibère. Il exerça la questure cinq ans avant l'âge permis par les lois, et le
consulat immédiatement après. Envoyé à l'armée de Germanie, il contint avec
autant de fermeté que de zèle les légions qui, à la première nouvelle de la mort
d'Auguste, refusaient obstinément de reconnaître Tibère pour empereur, et lui
déféraient le commandement suprême. Il vainquit l'ennemi et triompha. Nommé
consul pour la seconde fois, avant d'entrer en charge, il fut, pour ainsi dire,
chassé de Rome pour aller apaiser l'Orient. Après avoir donné un roi à l'Arménie
et réduit la Cappadoce en province romaine, il mourut à Antioche, à l'âge de
trente-quatre ans, d'une maladie de langueur que l'on soupçonna être causée par
le poison. En effet, outre les taches livides qui couvraient son corps, et
l'écume qui sortait de sa bouche, on trouva, parmi ses cendres et ses os, son
coeur intact. Or, on croit communément que le coeur imprégné de poison résiste
au feu.
II. Il périt victime de la haine de Tibère et de Pison
On attribua sa mort à la perfidie de Tibère et aux manoeuvres
de Cn. Pison. Il venait de prendre le gouvernement de la Syrie, et ne se
dissimulait point qu'il était dans la nécessité absolue de déplaire ou au père
ou au fils. Il ne garda aucune mesure envers Germanicus, et, sans égard pour sa
maladie, il l'accabla des plus cruels outrages par ses paroles et par ses
actions. Aussi, de retour à Rome, il fut sur le point d'être mis en pièces par
le peuple, et fut condamné à la mort par le sénat.
III. Son portrait. Ses vertus, ses talents. Sa modération
On sait que Germanicus réunissait, à un degré que n'atteignit
jamais personne, tous les avantages du corps et les qualités de l'esprit, une
beauté et une valeur singulières, une profonde érudition et une haute éloquence
dans les lettres grecques et les lettres latines, une bonté d'âme admirable, le
plus grand désir de se concilier et de mériter l'affection de ses semblables, et
le plus merveilleux talent pour y réussir. La maigreur de ses jambes n'était pas
en harmonie avec sa beauté; mais il y remédia peu à peu par l'habitude de monter
à cheval après ses repas. Il tua plusieurs ennemis de sa main. Il plaida des
causes, même après son triomphe. Entre autres monuments de ses études, il nous
reste de lui des comédies grecques. Il était également affable dans sa vie
privée et dans sa vie publique. Il entrait sans licteurs dans les villes libres
et alliées. Il honorait de sacrifices funéraires tous les tombeaux des hommes
illustres. Ce fut lui qui recueillit le premier de ses mains et renferma dans un
même sépulcre les ossements blanchis et dispersés des guerriers morts dans la
défaite de Varus. Il n'opposait indistinctement que la douceur et la modération
à tous ses détracteurs, quelle que fût la cause de leur inimitié. Il ne témoigna
de ressentiment à Pison, qui avait révoqué ses décrets et maltraité ses clients,
que lorsqu'il s'aperçut qu'il l'accusait de maléfices et de sortilèges. Alors
même il se contenta, selon la coutume de nos aïeux, de renoncer publiquement à
son amitié, et de confier aux siens le soin de sa vengeance, s'il lui arrivait
quelque malheur.
IV. Sa popularité
Ces vertus furent amplement récompensées. Il était tellement
estimé et chéri de ses parents, qu'Auguste (sans parler des autres) balança
longtemps s'il ne le choisirait pas pour son successeur, et le fit adopter par
Tibère. Il jouissait à un si haut point de la faveur populaire, que, suivant
plusieurs historiens, toutes les fois qu'il arrivait ou qu'il partait, il
risquait d'être étouffé par la foule de ceux qui accouraient à sa rencontre ou
qui suivaient ses pas. Quand il revint de Germanie, après avoir apaisé la
sédition de l'armée, toutes les cohortes prétoriennes allèrent au-devant de lui,
quoiqu'il n'y en eût que deux qui en eussent reçu l'ordre; et le peuple romain,
de tout sexe, de tout âge et de toute condition, se répandit sur sa route
jusqu'au vingtième milliaire.
V. Douleur universelle causée par sa mort
De plus grands et de plus énergiques témoignages d'affection
éclatèrent à sa mort et après sa mort. Le jour où il cessa de vivre, on lança
des pierres contre les temples, on renversa les autels des dieux; quelques
particuliers jetèrent dans les rues leurs dieux pénates; d'autres exposèrent
leurs enfants nouvellement nés. On dit même que les Barbares, alors en guerre
avec nous ou entre eux, consentirent à une trêve, comme dans un malheur à la
fois domestique et universel. On ajoute qu'en signe de grand deuil, quelques
princes se coupèrent la barbe, et firent raser la tête de leurs épouses; et que
même le roi des rois s'abstint de la chasse et n'admit point les grands à sa
table, ce qui, chez les Parthes, équivaut à la clôture des tribunaux.
VI. Marques de deuil à Rome
À la première nouvelle de sa maladie, Rome fut consternée, et
attendit avec tristesse de nouveaux messages. Tout à coup, vers le soir, le
bruit se répandit, on ne sait comment, que Germanicus était rétabli. Aussitôt on
courut au Capitole avec des flambeaux et des victimes; on brisa presque les
portes du temple, dans l'impatience d'offrir des actions de grâces. Tibère fut
réveillé par les cris de ceux qui se félicitaient et qui chantaient de tous
côtés: "Rome est sauvée, la patrie est sauvée, Germanicus est sauvé". Mais
lorsque sa mort fut enfin devenue certaine, aucune consolation, aucun édit ne
put contenir la douleur publique; elle dura même pendant les fêtes de décembre.
Les abominations des années suivantes ajoutèrent encore à la gloire de ce jeune
prince et au regret de sa perte. Tout le monde pensait, et avec raison, que le
respect et la crainte qu'il inspirait à Tibère avaient mis un frein à la
barbarie qu'il fit bientôt éclater.
VII. Mariage et enfants de Germanicus
Germanicus avait épousé Agrippine, fille d'Agrippa et de
Julie, et il en eut neuf enfants. Deux d'entre eux moururent en bas âge, et un
troisième au sortir de l'enfance. Ce dernier était remarquable par sa
gentillesse. Livie orna son image des insignes de Cupidon, et la plaça dans le
temple de Vénus, au Capitole. Auguste la mit dans sa chambre, et la baisait
toutes les fois qu'il y entrait. Les autres survécurent à leur père, savoir
trois filles, Agrippine, Drusilla et Livilla, nées dans trois années
consécutives; et trois enfants mâles, Néron, Drusus et Caius César. Le sénat,
sur les accusations de Tibère, déclara Néron et Drusus, ennemis publics.
VIII. Opinions diverses sur le lieu où naquit Caligula
Caius César naquit la veille des calendes de septembre, sous
le consulat de son père, et de C. Fonteius Capito. On ne s'accorde pas sur le
lieu de sa naissance. Cneius Lentulus Gaetulicus dit qu'il est né à Tibur; Pline
prétend que ce fut dans le village appelé Ambitarvius, dans le pays de Trèves,
au-dessus de Coblence. À l'appui de son opinion, il ajoute qu'on y montre encore
des autels qui portent cette inscription: "En l'honneur des couches
d'Agrippine." Les vers suivants qui furent publiés peu après son avènement,
indiquent qu'il est né dans des quartiers d'hiver des légions:
Au milieu de nos camps le sort qui l'a fait naître, À
l'amour des soldats le désignait pour maître.
Je trouve dans les archives qu'il vit le jour à Antium. Pline
réfute Cneius Lentulus, et l'accuse d'avoir menti par adulation, pour ajouter à
l'éloge d'un prince jeune et glorieux ce que pouvait encore lui donner d'éclat
une ville consacrée à Hercule. Ce qui l'enhardit à ce mensonge, c'est que,
l'année précédente, Tibur avait vu naître un autre fils de Germanicus, également
nommé Caius César, celui dont nous avons rappelé l'aimable enfance et la fin
prématurée. Mais Pline est contredit par la suite des événements; car les
historiens d'Auguste sont d'accord sur ce point, que Germanicus ne fut envoyé
dans les Gaules qu'après son consulat, et lorsque Caius était déjà né.
L'inscription des autels dont se prévaut Pline n'appuie en rien sa thèse,
puisque Agrippine mit au monde deux filles dans ce pays-là, et qu'on applique le
mot "puerperium" à toute espèce d'accouchement sans distinction de sexe; car les
anciens appelaient les filles "puerae" et les garçons "puelli". Nous possédons
aussi une lettre qu'Auguste, peu de mois avant sa mort, écrivait à sa
petite-fille Agrippine. Voici comme il y parle de Caius (et alors il n'y avait
plus d'autre enfant de ce nom): "Je suis convenu hier avec Talarius et Asillius
que, s'il plaît aux dieux, ils partiront le dix-huit mai avec le petit Caius.
J'envoie avec lui un médecin de ma maison, et j'écris à Germanicus de le garder,
s'il le veut. Porte-toi bien, mon Agrippine, et tâche d'arriver en bonne santé
auprès de ton Germanicus." Cette lettre prouve suffisamment, ce me semble, que
Caius n'est point né à l'armée, puisqu'il avait près de deux ans lorsqu'il y fut
amené de Rome pour la première fois. C'en est assez pour n'ajouter aucune foi
aux vers que j'ai cités, d'autant plus que l'auteur en est inconnu. Il faut donc
s'en tenir à l'autorité des registres publics. On sait d'ailleurs que Caius
préféra toujours Antium à toutes les autres retraites, et qu'il eut pour ce lieu
tout l'amour que l'on porte au sol natal. On dit même que, dégoûté de Rome, il
voulut y transporter le siège de l'empire.
IX. Il inspire une grande affection aux soldats
Il dut le surnom de Caligula à une plaisanterie militaire: il
lui vint de la chaussure qu'il portait dans le camp où il fut élevé. Ce fut
surtout après la mort d'Auguste que l'on s'aperçut combien cette éducation, au
milieu des soldats, leur inspirait d'attachement pour lui. Sa seule présence
arrêta la fureur des séditieux prêts à se porter aux plus grands excès. Ils ne
s'apaisèrent que lorsqu'ils virent que, pour le dérober au danger, on allait
l'envoyer dans une ville voisine. Alors, pénétrés de repentir, ils retinrent son
char, et demandèrent avec instance qu'on leur épargnât cet affront.
X. Sa jeunesse. Sa dissimulation
Il accompagna son père dans l'expédition de Syrie. À son
retour, il demeura chez sa mère; et, lorsqu'elle fut exilée, il vécut auprès de
sa bisaïeule Livia Augusta. Quoique à la mort de celle-ci, il portât encore la
robe prétexte, il en fit l'éloge funèbre à la tribune aux harangues. Puis il se
rendit auprès de son aïeule Antonia. À vingt et un ans, il fut appelé à Caprée
par Tibère, et dans un même jour il prit la toge et se fit raser la barbe, sans
recevoir aucun des honneurs qui avaient accompagné ses frères à leur entrée dans
le monde. Il n'y eut sorte de pièges qu'on ne lui tendît pour lui arracher des
plaintes; mais il ne s'y laissa jamais prendre. Il ne parut pas s'apercevoir du
malheur des siens, comme s'il ne leur fut jamais rien arrivé, et dévorait ses
propres affronts avec une dissimulation incroyable. Sa complaisance pour Tibère
et pour ceux qui l'entouraient était telle, que l'on a dit de lui, avec raison,
qu'il n'y avait point eu de meilleur valet ni de plus méchant maître.
XI. Ses inclinations basses et cruelles
Toutefois, dès ce temps-là même, il ne pouvait cacher ses
inclinations basses et cruelles. Il assistait avec une curiosité extrême aux
supplices des condamnés. La nuit, il courait les tavernes et les mauvais lieux,
enveloppé d'un long manteau, et la tête cachée sous de faux cheveux. Il était
passionné pour la danse et le chant du théâtre. Tibère ne contrariait pas trop
ces goûts, espérant qu'ils pourraient adoucir son caractère farouche. Le subtil
vieillard le connaissait à fond, et quelquefois il disait tout haut: "Caius ne
vit que pour ma perte et pour celle de tous. J'élève une hydre pour le peuple
romain, et un Phaéton pour l'univers."
XII. Il est soupçonné d'avoir fait périr Tibère
Peu de temps après il épousa Junia Claudilla, fille de M.
Silanus, l'un des plus nobles Romains. Nommé augure à la place de son frère
Drusus, avant d'en exercer les fonctions, il passa au pontificat. Tibère, alors
privé de tout autre appui, et se méfiant de Séjan, dont il se défit bientôt
après, éprouvait ainsi le caractère et l'attachement de Caius, qu'il approchait
du trône par degrés. Pour être plus assuré d'y monter, Caius, quand il eut perdu
Junie à la suite de couches, séduisit Ennia Naevia, femme de Macron, chef des
cohortes prétoriennes, et s'engagea par serment et par écrit à l'épouser, s'il
parvenait à l'empire. Dès qu'il eût ainsi gagné Macron, suivant quelques
historiens, il empoisonna Tibère. L'empereur respirait encore quand il lui fit
enlever son anneau; et, comme il paraissait vouloir le retenir, il fit jeter sur
lui un coussin, et même l'étrangla de sa propre main. Un affranchi, qui s'était
récrié sur l'atrocité de l'acte, fut aussitôt mis en croix. Ce récit paraît
d'autant plus vraisemblable, que Caligula lui-même se vanta, selon quelques
auteurs, sinon d'avoir commis ce parricide, du moins de l'avoir projeté. Il se
glorifiait souvent, pour faire voir son attachement à sa mère et à ses frères,
d'avoir voulu les venger. Il était entré, disait-il, avec un poignard dans la
chambre de Tibère endormi; mais la pitié l'avait retenu; il avait jeté son arme,
et s'était retiré sans que Tibère, quoiqu'il s'en fût aperçu, osât ni le
poursuivre ni le punir.
XIII. Tous les voeux l'appellent à l'empire
En montant ainsi sur le trône, il combla les voeux du peuple
romain ou plutôt de l'univers. Il était cher aux provinces et aux armées qui
l'avaient vu enfant, et cher à tous les habitants de Rome qui honoraient en lui
le fils de Germanicus et plaignaient les malheurs d'une famille presque éteinte.
Aussi, dès qu'il sortit de Misène, quoiqu'il suivît le convoi de Tibère en habit
de deuil, il s'avança au milieu des autels, des victimes et des flambeaux,
escorté d'une foule immense et remplie d'allégresse, qui se pressait à sa
rencontre. Tous lui donnaient les noms les plus flatteurs, et l'appelaient leur
astre, leur petit, leur élève, leur nourrisson.
XIV. Il est proclamé empereur
À son entrée dans Rome, du consentement unanime des sénateurs
et du peuple qui se précipitait dans leur assemblée, il fut sur-le-champ investi
du pouvoir souverain, malgré le testament de Tibère qui lui donnait pour
cohéritier son autre petit-fils encore revêtu de la robe prétexte. La joie
publique fut si grande, qu'en moins de trois mois, on égorgea, dit-on, plus de
cent soixante mille victimes. Quelques jours après, comme il s'était transporté
dans les îles de la Campanie les plus voisines, on fit des voeux pour son
retour, tant on cherchait les occasions de lui témoigner sa sollicitude et
l'intérêt qu'on prenait à sa conservation. Il tomba malade. Alors le peuple
passa la nuit autour de son palais, et plusieurs faisaient voeu de combattre ou
de s'immoler pour son rétablissement. À ce prodigieux amour des citoyens se
joignit la plus grande considération des étrangers. Le roi des Parthes, Artaban,
qui avait toujours affiché son mépris et sa haine pour Tibère, rechercha
l'amitié de Caius. Il eut une conférence avec un lieutenant consulaire, et vint,
au-delà de l'Euphrate, rendre hommage aux aigles romaines et aux images des
Césars.
XV. Honneurs qu'il affecte de rendre à sa famille
L'affection que Caius témoignait à tout le monde le faisait
chérir de plus en plus. Après avoir prononcé devant le peuple assemblé l'éloge
funèbre de Tibère en versant beaucoup de larmes, et avoir en son honneur ordonné
de magnifiques funérailles, il se hâta d'aller à Pandataria et à Ponties
recueillir les cendres de sa mère et de ses frères. Pour mieux faire éclater sa
piété filiale, il partit malgré la saison contraire, approcha de ces restes avec
respect, et les renferma lui-même dans des urnes. Ce ne fut pas avec moins
d'appareil qu'il les transporta jusqu'à Ostie, et de là à Rome en remontant le
Tibre, sur une galère à deux rangs de rames, à la poupe de laquelle flottait un
pavillon. Ces cendres furent reçues par les plus nobles des chevaliers, et
transférées en plein jour, sur deux brancards, dans un mausolée. Il établit en
leur honneur des sacrifices annuels, et en mémoire de sa mère des jeux du
cirque, où son image devait être portée sur un char comme celle des dieux. En
commémoration de son père, il donna au mois de septembre le nom de Germanicus.
Il fit décerner par un sénatus-consulte à Antonia, son aïeule, tous les honneurs
dont avait joui Livia Augusta. Il s'adjoignit pour collègue dans le consulat son
oncle Claudius, qui, jusque-là, était resté simple chevalier. Il adopta son
frère Tibère le jour où il prit la robe virile, et le nomma prince de la
jeunesse. Il voulut que l'on mît cette formule, dans tous les serments: "Caius
et ses soeurs me sont aussi chers que moi et mes enfants"; et cet autre dans les
rapports des consuls: "Pour la prospérité de Caius César et de ses soeurs". Il
réhabilita avec une même affection pour le peuple, tous ceux qui avaient été
condamnés ou bannis, et reprit toutes les poursuites qui dataient du règne
précédent. Il fit porter dans la place publique les pièces relatives au procès
de sa mère et de ses frères, et, après avoir attesté les dieux qu'il n'en avait
lu ni touché aucune, il les brûla toutes, afin d'affranchir désormais de crainte
les délateurs ou les témoins. Il refusa de recevoir un billet qui intéressait sa
vie, prétendant qu'il n'avait rien fait qui pût lui attirer la haine de
personne, et qu'il n'avait point d'oreilles pour les délateurs.
XVI. Il augmente par tous les moyens sa popularité
Il chassa de Rome les inventeurs de débauches monstrueuses,
et l'on n'obtint qu'avec peine qu'il ne les fît pas noyer. Il fit rechercher les
ouvrages de Titus Labienus, de Cremutius Cordus et de Cassius Severus, supprimés
par des sénatus-consultes. Il en permit la distribution et la lecture, comme
étant très intéressé lui-même à ce que l'histoire fût fidèlement écrite. Il
publia la situation de l'empire, suivant la coutume d'Auguste, interrompue par
Tibère. Il concéda aux magistrats une juridiction indépendante et sans appel à
son autorité. Il fit la revue des chevaliers romains avec un soin sévère, et
cependant tempéré par la modération. Il enleva publiquement leur cheval à ceux
qui étaient entachés de bassesse ou d'ignominie, et se contenta d'omettre à
l'appel les noms de ceux qui avaient commis de moindres fautes. Afin de soulager
les juges dans leurs fonctions, il ajouta une cinquième décurie aux quatre
premières. Il essaya aussi de rétablir l'usage des comices et de rendre au
peuple le droit de suffrage. Il paya sans fraude et sans chicane tous les legs
portés sur le testament de Tibère, quoiqu'il eût été annulé, et ceux du
testament de Julia Augusta, quoique Tibère l'eût supprimé. Il remit à toute
l'Italie le deux centième des ventes à l'encan. Il indemnisa un grand nombre
d'incendiés. En rétablissant les rois, il leur restitua les revenus et les
impôts qui avaient été perçus en leur absence. C'est ainsi qu'il rendit à
Antiochos, roi de Commagène, une confiscation de dix millions de sesterces.
Jaloux d'encourager la vertu, il donna quatre-vingt mille sesterces à une
affranchie, qui, malgré les plus affreuses tortures, avait gardé le silence sur
le crime de son maître. C'est pour de tels actes qu'on décerna à Caius, outre
beaucoup d'autres honneurs, un bouclier d'or que, tous les ans, à un jour
déterminé, les collèges des pontifes devaient porter au Capitole, suivis du
sénat et de la jeune noblesse des deux sexes qui chantait des hymnes à sa
louange. On statua que le jour de son avènement à l'empire serait appelé "Parilia",
comme si c'eût été une nouvelle fondation de Rome.
XVII. Ses consulats. Ses largesses au peuple
Il fut quatre fois consul: la première, depuis les calendes
de juillet, pendant deux mois; la seconde, depuis les calendes de janvier,
pendant trente jours; la troisième, jusqu'aux ides de janvier; et la quatrième,
jusqu'au sept de ce mois seulement. Ses deux derniers consulats furent
consécutifs. Il prit possession du troisième à Lyon, sans collègue, non par
orgueil ou par indifférence, comme quelques-uns le croient, mais parce qu'étant
absent, il ne put savoir que son futur collègue était mort vers le jour des
calendes. Il donna deux fois au peuple trois cents sesterces par tête, et servit
deux repas somptueux au sénat et aux chevaliers, et même à leurs femmes et à
leurs enfants. Dans le second de ces repas, il distribua des costumes de ville
aux hommes, et des bandelettes de pourpre aux enfants et aux femmes; puis, afin
d'augmenter à perpétuité les réjouissances publiques, il ajouta un jour aux
Saturnales, qu'il appela "jour de la jeunesse".
XVIII. Ses spectacles
Il donna des combats de gladiateurs, tantôt dans
l'amphithéâtre de Taurus, tantôt dans le champ de Mars. Il y mêla des troupes de
lutteurs africains et campaniens, choisis parmi les plus habiles au pugilat.
Quand il ne présidait pas lui-même au spectacle, il chargeait de ce soin des
magistrats ou ses amis. Il donna souvent aussi des jeux scéniques de diverses
espèces en beaucoup d'endroits, quelquefois même la nuit, et alors il faisait
illuminer toute la ville. Il distribua au peuple toutes sortes de présents, et
des corbeilles renfermant des rations de pain et de viande. S'étant aperçu qu'un
chevalier romain, qui était vis-à-vis de lui, mangeait sa part avec beaucoup de
gaieté et d'avidité, il lui envoya la sienne. Un sénateur, pour la même raison,
reçut de lui un billet qui le nommait préteur extraordinaire. Il donna beaucoup
de spectacles au cirque qui duraient depuis le matin jusqu'au soir. Ils avaient
pour intermède, tantôt une chasse d'Afrique, tantôt une parade troyenne. Dans
quelques-uns de ces jeux, plus remarquables que les autres, l'arène était
parsemée de vermillon et de poudre d'or; alors les sénateurs avaient seuls le
droit de conduire les chars. Un jour il donna des jeux à l'improviste, sur la
demande que lui firent quelques personnes du haut des maisons voisines, pendant
que, de sa maison de Gelos, il examinait l'appareil du cirque.
XIX. Il jette un pont sur le Golfe de Baïes
Le genre de spectacle qu'il imagina quelque temps après est
incroyable et inouï. Il jeta un pont de Baïes aux digues de Pouzzoles, sur une
longueur de trois mille six cents pas. À cet effet, il réunit de toutes parts
des bâtiments de transport, les mit à l'ancre sur une double rangée, les couvrit
de terre, et leur donna la forme de la voie Appienne. Pendant deux jours, il ne
fit qu'aller et venir sur ce pont. Le premier jour, il montait un cheval
magnifiquement harnaché, et portait une couronne de chêne sur la tête, armé
d'une hache, d'un bouclier, d'une épée, et couvert d'une chlamyde dorée. Le
second jour, il conduisit en habit de cocher un char attelé de deux chevaux
célèbres. Il était précédé du jeune Darius, l'un des otages des Parthes, et
suivi de ses gardes prétoriennes et de ses amis montés sur des chariots. Je sais
que la plupart ont cru que Caligula n'avait imaginé ce pont que pour imiter
Xerxès qu'on avait admiré, lorsqu'il traversa de la même manière le détroit de
l'Hellespont, moins large que celui de Baïes. D'autres ont pensé qu'il voulait
effrayer par une entreprise gigantesque la Germanie et la Bretagne qu'il
menaçait de la guerre. Mais, dans mon enfance, j'ai ouï dire à mon aïeul que la
cause de cette construction, s'il en faut croire les serviteurs les plus intimes
du palais, était une prédiction du devin Thrasylle, qui, voyant Tibère inquiet
sur son successeur, et montrant plus de penchant pour son petit-fils selon la
nature, lui avait assuré que Caius ne serait pas plus empereur qu'il ne
traverserait à cheval le détroit de Baïes.
XX. Ses spectacles dans les provinces, où il fonde aussi
des concours
Il donna aussi des spectacles hors de l'Italie. Les jeux
urbains, en Sicile, à Syracuse, et des jeux variés à Lyon, dans les Gaules. En
outre, il établit des luttes d'éloquence grecque et d'éloquence latine où les
vaincus, dit-on, étaient obligés de couronner eux-mêmes les vainqueurs et de
chanter leurs louanges. Ceux dont les compositions étaient trop mauvaises
devaient les effacer avec une éponge ou avec leur langue, sous peine de recevoir
des férules ou d'être jetés dans la rivière voisine.
XXI. Ses constructions. Ses projets
Il acheva les ouvrages que Tibère avait laissés imparfaits,
le temple d'Auguste et le théâtre de Pompée. Il commença un aqueduc près de
Tibur et un amphithéâtre attenant au Champ de Mars. Son successeur, Claude,
finit le premier de ces édifices, et abandonna l'autre. Il rétablit les murs de
Syracuse et les temples des dieux, tombés en ruine. Il voulait aussi
reconstruire le palais de Polycrate à Samos, achever à Milet le temple d'Apollon
Didyméen, et bâtir une ville au sommet des Alpes; mais, avant tout, percer
l'isthme de Corinthe, et déjà il avait envoyé un centurion primipilaire pour
prendre les dimensions nécessaires.
XXII. Son orgueil. Il se fait dieu
J'ai parlé jusqu'ici d'un prince; je vais parler d'un
monstre. Chargé d'une foule de surnoms, tels que le pieux, l'enfant des armées,
le père des soldats, le très bon, le très grand, après un souper qu'il avait
donné à des rois venus à Rome pour lui rendre leurs devoirs, il les entendit se
disputer entre eux sur la noblesse de leur origine, et s'écria: "N'ayons qu'un
roi, qu'un chef auquel tout soit soumis". Et il s'en fallut de peu qu'il ne prît
aussitôt le diadème et ne convertit l'appareil du souverain pouvoir en insignes
de la royauté. Mais, comme on l'avertit qu'il avait surpassé la grandeur des
princes et des rois, il commença à s'attribuer la majesté divine. Il fit venir
de Grèce les statues des dieux les plus célèbres par leur perfection ou par le
respect des peuples, entre autres celle de Jupiter Olympien. Il leur ôta la tête
et mit à la place celle de ses statues. Il prolongea jusqu'au Forum une aile de
son palais, et transforma en vestibule le temple de Castor et Pollux. Souvent il
venait se placer entre ces deux frères et s'offrait aux adorations de ceux qui
entraient. Quelques-uns le saluèrent du nom de Jupiter Latial. Il institua pour
sa divinité un temple spécial, des prêtres et les victimes les plus recherchées.
Il y avait dans ce temple une statue d'or faite d'après nature, que chaque jour
on habillait comme lui. Les plus riches briguaient avidement ce sacerdoce, et
ils enchérissaient à l'envi les uns sur les autres. Les victimes étaient des
flamants, des paons, des tétras, des poules d'Afrique, des pintades et des
faisans, qu'on sacrifiait chaque jour, selon le rang établi entre les espèces.
La nuit, Caligula invitait la lune, lorsqu'elle brillait dans son plein, à venir
l'embrasser et à partager sa couche. Le jour, il s'entretenait secrètement avec
Jupiter Capitolin, tantôt lui parlant à l'oreille et feignant d'écouter ses
réponses, tantôt élevant la voix et se brouillant avec lui; car on l'entendit un
jour le braver en ces termes: "Ou tu m'enlèveras, ou je t'enlèverai"; enfin
selon son expression, il se laissa fléchir; et, invité par Jupiter à venir loger
chez lui, il établit un pont par-dessus le temple d'Auguste, du mont Palatin
jusqu'au Capitole. Bientôt, pour être encore plus voisin, il fit jeter les
fondements d'un nouveau palais sur la place même du Capitole.
XXIII. Ses attentats contre sa famille
Il ne voulait pas qu'on crût ni qu'on dît qu'il était
petit-fils d'Agrippa, à cause de la bassesse de son origine, et il se fâchait
lorsque, en prose ou en vers, on le rangeait parmi les aïeux des Césars. Il
disait hautement que sa mère était née d'un inceste d'Auguste avec sa fille
Julie, et non content de calomnier ainsi la mémoire d'Auguste, il défendit que
l'on célébrât par des fêtes solennelles les victoires d'Actium et de Sicile,
qu'il nommait des journées déplorables et funestes au peuple romain. Il appelait
quelquefois Augusta Livia, sa bisaïeule, un Ulysse en jupon. Dans une lettre au
sénat, il osa lui reprocher la bassesse de sa naissance, sous prétexte que son
aïeul maternel n'était qu'un décurion de Fondi. Cependant les actes publics font
foi qu'Aufidius Lurco avait exercé des magistratures à Rome. Il refusa un
entretien particulier à son aïeule Antonia, à moins que Macron, chef de sa
garde, ne fût présent. Les dégoûts et les indignités dont il l'accabla furent
cause de sa mort, si toutefois il ne l'empoisonna pas, comme quelques-uns le
pensent. Il ne lui rendit aucun honneur funèbre, et de sa salle à manger il
regarda les flammes de son bûcher. Il envoya un tribun des soldats tuer à
l'improviste son frère Tibère, et obligea son beau-père Silanus à se couper la
gorge avec un rasoir, alléguant pour prétexte de ces deux meurtres, que son
frère, dans l'espoir de s'emparer de Rome, s'il périssait dans une tempête,
avait refusé de le suivre sur mer par un temps d'orage, et que Silanus avait
respiré un antidote pour se garantir du poison qu'il pouvait lui donner.
Cependant Silanus n'avait voulu qu'éviter le mal de mer et l'incommodité de la
navigation, et Tibère n'avait recouru aux médicaments que pour combattre une
toux opiniâtre dont il était tourmenté. Quant à Claude, son oncle, il ne
l'épargna que pour en faire son jouet.
XXIV. Son commerce criminel avec ses soeurs
Il entretint un commerce criminel avec toutes ses soeurs. À
table, il les faisait placer tour à tour au-dessous de lui, tandis que sa femme
était au-dessus. On croit qu'il abusa de Drusilla, lorsqu'il portait encore la
robe prétexte. On prétend même qu'il fut surpris avec elle par son aïeule
Antonia chez laquelle on les élevait tous deux. Bientôt il l'enleva à Lucius
Cassius Longinus, personnage consulaire, à qui elle était mariée, et la traita
publiquement comme son épouse légitime. Dans une maladie, il l'institua
héritière de ses biens et de l'empire; et, lorsqu'elle mourut, il ordonna une
suspension générale de toutes les affaires. Pendant ce temps, ce fut un crime
capital que d'avoir ri, d'avoir été au bain, ou d'avoir mangé avec ses parents,
sa femme ou ses enfants. Ne pouvant résister à sa douleur, il s'échappa la nuit
de Rome, traversa la Campanie, se rendit à Syracuse, et en revint brusquement,
laissant croître sa barbe et ses cheveux. Dans la suite, il ne jura jamais que
par le nom de Drusilla, même dans les affaires les plus importantes, et en
parlant au peuple ou aux soldats. Il n'eut pour ses autres soeurs ni un amour
aussi vif ni de pareils égards: il les prostitua souvent à ses compagnons de
débauche. Aussi n'eut-il aucune peine à les condamner à l'exil comme complices
de la conjuration de Lepidus et comme adultères. Non seulement il publia leurs
lettres autographes, qu'il avait surprises par fraude ou par corruption, mais il
consacra à Mars Vengeur trois épées, qu'il disait avoir été préparées contre
lui, et y joignit une inscription.
XXV. Ses adultères
Il serait difficile de dire s'il fut plus impudent à
contracter ses mariages qu'à les maintenir ou à les dissoudre. Caius Pison
venait d'épouser Livia Orestilla. L'empereur, qui avait assisté à la noce, fit
conduire l'épouse chez lui, la répudia peu de jours après, et deux ans plus
tard, l'exila, parce que, dans cet intervalle, elle paraissait avoir renoué sa
liaison avec son premier mari. D'autres prétendent qu'étant invité au repas
nuptial, l'empereur dit à Pison assis à côté d'Orestilla: "Ne serrez pas ma
femme de si près"; que sur-le-champ, il l'emmena hors du festin, et que le
lendemain il publia qu'il avait rencontré un mariage à la manière de Romulus et
d'Auguste. Ayant entendu dire que l'aïeule de Lollia Paulina, femme de C.
Memmius, personnage consulaire qui commandait les armées, avait été fort belle,
il fit aussitôt venir Lollia de sa province, l'enleva à son mari, l'épousa, et
la renvoya bientôt en lui interdisant désormais tout commerce avec un homme. Il
aima avec plus de constance et de passion Césonia, dépourvue sans doute de
beauté et de jeunesse, et mère de trois filles, mais femme de la plus impudente
lubricité. Il la fit voir souvent à ses soldats, revêtue d'une chlamyde, avec un
casque et un bouclier, et montant à cheval à côté de lui. Il la montra nue à ses
amis. Quand elle eût mis au monde une fille, il l'honora du nom de son épouse,
et le même jour, se reconnut son mari et le père de l'enfant. Il la nomma Julia
Drusilla, la promena dans les temples de toutes les déesses, et la déposa sur
les genoux de Minerve qu'il chargea du soin de la nourrir et de l'élever. Il ne
croyait pas qu'il y eût de plus sûr indice de sa paternité que la cruauté, de sa
fille, cruauté déjà poussée à un tel point, que de ses doigts elle attaquait
avec fureur le visage et les yeux des enfants qui jouaient avec elle.
XXVI. Ses meurtres. Son mépris pour tous les ordres de
l'État.
Après ces détails, il est presque indifférent de raconter
comment il traita ses proches et ses amis. Ptolémée, par exemple, fils du roi
Juba et cousin de Caligula (car il était petit-fils de Marc-Antoine, étant né de
sa fille Séléné), et Macron, et cette même Ennia, qui l'élevèrent à l'empire,
tous, pour prix de leur parenté ou de leurs services, périrent d'une mort
sanglante. Il ne fut pas plus respectueux ni plus humain envers le sénat. Il
souffrait que des personnages qui avaient été honorés des plus hautes dignités
vinssent en toge au-devant de son char l'espace de plusieurs milliers de pas, et
que ceints d'une serviette, ils se tinssent debout pendant son repas, soit
derrière son siège, soit à ses pieds. Il se défit de quelques-uns secrètement,
et ne laissa pas de les appeler, comme s'ils eussent vécu encore; et, peu de
jours après, il leur imputa une mort volontaire. Il destitua les consuls pour
avoir oublié d'annoncer par un édit l'anniversaire de sa naissance, et l'empire
resta pendant trois jours sans autorité souveraine. Il fit battre de verges son
questeur, qui avait été nommé dans une conjuration, et jeter ses vêtements dont
on l'avait dépouillé sous les pieds des soldats pour que leurs coups fussent
plus assurés. Il traita avec la même hauteur et la même violence les autres
ordres de l'État. Importuné par le bruit de ceux qui, dès le milieu de la nuit,
se hâtaient de s'emparer au cirque des places gratuites, il les fit chasser à
coups de bâton. Plus de vingt chevaliers romains, autant de matrones et une
foule d'autres personnes furent écrasés dans cette bagarre. Il se plaisait à
exciter des querelles entre le peuple et les chevaliers. Il faisait commencer
les distributions scéniques avant l'heure ordinaire, afin que les bancs des
chevaliers fussent occupés par les gens de la plus basse condition. Au milieu
d'un spectacle de gladiateurs, il ordonnait tout à coup qu'on retirât les toiles
qui garantissaient l'assemblée des ardeurs du soleil, et défendait que personne
ne sortît. Au lieu des combats ordinaires, il faisait entrer dans le cirque des
bêtes épuisées, les gladiateurs les plus vieux et les plus abjects, et même des
gladiateurs de rebut, ainsi que des pères de famille connus, mais affligés de
quelque infirmité. Quelquefois il faisait fermer les greniers publics et
annonçait au peuple une famine.
XXVII. Ses cruautés
Voici les traits les plus marqués de sa barbarie. Comme on
achetait fort cher les animaux qui servaient de nourriture aux bêtes destinées
au spectacle, il leur fit livrer les criminels. À cet effet, il visita lui-même
les prisons, et, sans examiner la cause de la détention de chacun des
prisonniers, il se tint sous le portique, et condamna aux bêtes tous ceux qui y
étaient renfermés. Un citoyen avait promis de combattre dans l'arène pour les
jours de César. L'empereur exigea l'accomplissement de son voeu, il assista au
combat, et ne le renvoya que lorsqu'il fut vainqueur, et après beaucoup de
supplications. Il livra aux enfants un autre homme qui avait juré de mourir pour
la même cause, et qui hésitait à remplir son engagement. On le couronna de
rameaux sacrés, on le ceignit de bandelettes, et les enfants lui rappelant son
voeu, le promenèrent de quartier en quartier jusqu'à ce qu'il se fût précipité
du haut des remparts. Il condamna aux mines, ou aux travaux des chemins, ou aux
bêtes, une foule de citoyens distingués, après les avoir flétris d'un fer
brûlant. Il y en eut qu'il enferma dans des cages où ils étaient obligés de se
tenir à quatre pattes; il en fit scier d'autres par le milieu du corps. Et
pourtant ce n'était pas pour des motifs graves: les uns avaient été mécontents
d'un de ses spectacles, les autres n'avaient jamais juré par son génie. Il
forçait les pères à assister au supplice de leurs enfants. L'un d'eux s'excusant
sur sa santé, il lui envoya sa litière. Un autre venait d'assister à un supplice
pareil. Immédiatement après, Caius l'invita à un festin où il déploya toutes
sortes de politesses pour l'exciter à rire et à plaisanter. Il fit battre avec
des chaînes pendant plusieurs jours de suite l'intendant de ses spectacles et de
ses chasses, et n'ordonna sa mort que lorsqu'il se sentit incommodé de l'odeur
de sa cervelle en putréfaction. Il condamna à être brûlé au milieu de
l'amphithéâtre, l'auteur d'une Atellane, à cause d'un vers qui renfermait une
plaisanterie à double sens. Un chevalier romain, exposé aux bêtes, s'étant écrié
qu'il était innocent; sur l'ordre de César, on l'emmena, on lui coupa la langue,
et on le ramena au supplice.
XXVIII. Ses cruautés
Il demandait à un citoyen, rappelé d'un long exil, ce qu'il
avait coutume d'y faire. Celui-ci répondit pour le flatter: "J'ai toujours
demandé aux dieux de faire périr Tibère, et de te donner l'empire. Mon voeu a
été accompli." Alors, persuadé que tous ceux qu'il avait exilés lui souhaitaient
la mort, il envoya dans les îles des soldats pour les égorger tous. Voulant
faire mettre en pièces un sénateur, il aposta des sicaires pour le traiter
d'ennemi public au moment où il entrerait dans le sénat, le percer de coups et
le donner à déchirer à la populace. Il ne fut satisfait que lorsqu'il vit
entassés devant lui ses membres et ses entrailles qu'on avait traînés dans tous
les quartiers de la ville.
XXIX. Ses cruautés (suite)
L'atrocité de ses paroles rendait encore plus exécrable la
cruauté de ses actions. Il ne trouvait, dans son caractère, rien de plus beau et
de plus louable que ce qu'il appelait son inflexibilité. Son aïeule Antonia lui
faisait quelques remontrances. Non content de n'y avoir aucun égard:
"Souvenez-vous, lui dit-il, que tout m'est permis, et envers tous." Il allait
donner l'ordre de massacrer son frère qu'il soupçonnait de s'être muni de
contrepoison: "Quoi, dit-il, un antidote contre César?" Lorsqu'il exila ses
soeurs, il leur dit avec menace "qu'il avait non seulement des îles, mais des
glaives." Un ancien préteur, qui s'était retiré à Anticyre pour sa santé, lui
demandait souvent la permission d'y faire un plus long séjour. Il envoya l'ordre
de le tuer, disant "qu'il lui fallait une saignée, puisque, depuis si longtemps,
l'ellébore ne lui servait de rien." Tous les dix jours il faisait la liste des
prisonniers qu'on devait exécuter, et il appelait cela "apurer ses comptes." Un
jour qu'il avait condamné en même temps des Grecs et des Gaulois, il se vantait
"d'avoir subjugué la Gallo-Grèce".
XXX. Ses cruautés (suite)
Il ne faisait guère périr ses victimes qu'à petits coups
réitérés, et l'on connaît de lui ce mot qu'il répétait souvent: "Fais en sorte
qu'il se sente mourir." Une méprise de nom ayant fait punir un autre homme que
celui qu'il destinait au supplice: "Celui-ci, dit-il, l'a autant mérité que
l'autre." Il avait fréquemment à la bouche ce mot d'une tragédie: "Qu'ils me
haïssent, pourvu qu'ils me craignent." Il s'emportait souvent contre tous les
sénateurs, et les appelait créatures de Séjan ou dénonciateurs de sa mère et de
ses frères; et, produisant les pièces qu'il avait feint de brûler, il justifiait
la cruauté de Tibère autorisée par tant d'accusations. Il ne cessait d'attaquer
l'ordre des chevaliers comme idolâtre de jeux et de spectacles. Irrité de voir
le peuple d'un avis contraire au sien dans une représentation théâtrale, il
s'écria: "Plût aux dieux que le peuple romain n'eût qu'une tête!" On accusait
devant lui un voleur nommé Tetrinius. il dit que ceux qui en demandaient la
condamnation étaient eux-mêmes des Tetrinius. Cinq des champions en tuniques que
l'on nomme rétiaires, et qui combattent en troupe, ayant succombé sans
résistance sous un pareil nombre de gladiateurs, on avait prononcé leur arrêt de
mort. Mais l'un d'eux, reprenant sa fourche, tua tous les vainqueurs. Ce
massacre lui parut affreux. Il le déplora dans un édit, et chargea
d'imprécations ceux qui avaient soutenu ce spectacle.
XXXI. Ses cruautés (suite)
Il avait coutume de se plaindre de ce que son règne n'était
marqué par aucune grande calamité, tandis que celui d'Auguste l'avait été par la
défaite de Varus, et celui de Tibère par la chute de l'amphithéâtre de Fidènes.
Il ajoutait que la prospérité publique menaçait le sien d'oubli, et de temps en
temps il souhaitait le massacre de ses armées, la famine, la peste, des
incendies et des tremblements de terre.
XXXII.
Ses cruautés (suite)
La même cruauté qui accompagnait ses paroles et ses actions,
ne le quittait pas dans ses délassements, dans ses jeux, et dans ses festins.
Souvent, pendant qu'il dînait ou faisait une orgie, on appliquait la question
sous ses yeux. Un soldat, habile à décapiter, coupait indifféremment toutes les
têtes des prisonniers. À la dédicace du pont qu'il imagina de construire à
Pouzzoles, comme nous l'avons dit, il appela près de lui une foule de gens qui
étaient sur le rivage, et tout à coup il les jeta tous dans la mer. Quelques-uns
saisissaient les gouvernails des navires; mais il les faisait submerger à coups
de rames et d'avirons. À Rome, dans un repas public, un esclave avait détaché
d'un lit une lame d'argent. Il le livra sur-le-champ au bourreau, ordonna qu'on
lui coupât les mains, qu'on les suspendît à son cou, et qu'on le promenât devant
tous les convives, précédé d'un écriteau qui indiquait la cause de son
châtiment. Un gladiateur, qui s'exerçait avec lui à la baguette, s'étant laissé
tomber volontairement, Caius le perça d'un poignard, et courut, la palme à la
main, comme les vainqueurs. Au moment où l'on allait faire un sacrifice, il prit
l'habillement de ceux qui égorgent les victimes, et, ayant levé sa massue, il
immola le sacrificateur. Dans un splendide festin, il se mit tout à coup à
éclater de rire. Les consuls, assis à ses côtés, lui demandèrent avec douceur
pourquoi il riait: "C'est que je songe, dit-il, que, d'un signe de tête, je puis
vous faire égorger tous deux."
XXXIII. Ses cruautés (suite)
Voici quelques-unes de ses plaisanteries. Un jour, étant
devant une statue de Jupiter, il demanda à l'acteur tragique, Appelle, lequel
des deux lui paraissait le plus grand. Comme l'acteur hésitait à répondre, il le
fit battre de verges, et ne cessa de louer sa voix suppliante, qu'il trouvait
extrêmement douce jusque dans ses gémissements. Toutes les fois qu'il baisait le
cou de sa femme ou de sa maîtresse, il ajoutait: "Cette belle tête tombera quand
je voudrai." Souvent même, il disait qu'il ferait donner la question à sa chère
Césonia pour savoir d'elle pourquoi il l'aimait tant.
XXXIV. Ses cruautés (suite)
Sa méchanceté envieuse et son orgueil cruel s'attaquaient,
pour ainsi dire, aux hommes de tous les siècles. Il abattit et dispersa les
statues des personnages illustres que, du Capitole où elles étaient à l'étroit,
Auguste avait transportées au Champ de Mars; et, dans la suite, lorsqu'on voulut
les rétablir, on ne put en retrouver les inscriptions. Il défendit qu'à l'avenir
on érigeât, en quelque lieu que ce fût, de statue à personne ou qu'on exposât
son image, sans avoir demandé et obtenu son consentement. Il conçut aussi la
pensée d'anéantir les poèmes d'Homère. "Pourquoi, disait-il, n'userais-je point
du même droit que Platon qui le bannit de sa république?" Peu s'en fallut qu'il
n'enlevât de toutes les bibliothèques les écrits et les portraits de Virgile et
de Tite-Live. Il trouvait l'un sans génie et sans science, et l'autre un
historien verbeux et inexact. Il disait souvent qu'il abolirait l'usage de
recourir à la science des jurisconsultes, et jurait qu'il ferait en sorte qu'il
n'y eut plus d'autre arbitre que lui.
XXXV. Ses cruautés (suite)
Il ôta aux familles les plus illustres les décorations de
leurs ancêtres, à Torquatus le collier, à Cincinnatus la chevelure, à Cneius
Pompée, qui était de cette race antique, le surnom de grand. Ptolémée, dont j'ai
parlé, ce prince qu'il avait fait venir de ses États, et qu'il avait
honorablement reçu, tomba sous ses coups, uniquement parce qu'en entrant dans
l'amphithéâtre où Caius donnait des jeux, il avait attiré les regards de
l'assemblée par l'éclat de son manteau de pourpre. Rencontrait-il des gens dont
une longue chevelure relevait la beauté, il leur faisait raser le derrière de la
tête. Aesius Proculus, fils d'un primipilaire, était, pour sa figure et sa
taille remarquable, surnommé "l'Amour colosse". Sur l'ordre de l'empereur, il
fut tout à coup enlevé des jeux publics, et entraîné dans l'arène où il eut à
combattre d'abord un gladiateur thrace, puis un adversaire armé de toutes
pièces. Proculus fut deux fois vainqueur. Mais Caius le fit aussitôt garrotter
et promener de quartier en quartier, tout couvert de haillons, pour le montrer
aux femmes et le livrer ensuite au bourreau. Enfin, il n'y eut personne, quelque
infime et misérable qu'il fût, à qui il ne cherchât à nuire. Il suscita un
concurrent plus robuste au grand prêtre de Diane, qui était en possession du
sacerdoce depuis plusieurs années. Un jour de spectacle, Porius, gladiateur de
chars, ayant affranchi publiquement un de ses esclaves pour avoir vaillamment
combattu, reçut du peuple de grands applaudissements. Caius sortit alors si
brusquement de l'assemblée, qu'en marchant sur un pan de sa toge, il tomba du
haut des degrés. Dans son indignation il s'écria que le peuple souverain
accordait à un gladiateur, qui n'avait rien fait que de très commun, plus
d'honneur qu'aux Césars déifiés et à l'empereur en personne.
XXXVI. Ses débauches
Il n'épargna ni sa pudeur ni celle d'autrui. On dit que,
passionné pour M. Lepidus, pour Mnester le pantomime, et quelques otages, il
entretint avec, eux un commerce infâme. Valerius Catulus, jeune homme d'une
famille consulaire, lui reprocha hautement d'avoir abusé de son âge jusqu'à lui
briser les reins. Sans parler de ses incestes avec ses soeurs et de son amour
connu pour la courtisane Pyrallis, il ne respecta aucune des femmes les plus
illustres. Souvent il les invitait à souper avec leurs maris, les faisait passer
devant lui, et les soumettait à un examen attentif et lent, comme s'il eut voulu
les acheter; il allait même jusqu'à leur relever le menton avec la main, si la
pudeur leur faisait baisser la tête. Puis, prenant à part celle de son choix, il
sortait de la salle à manger autant de fois qu'il lui plaisait, et, rentrant
quelque temps après avec les marques toutes récentes de la débauche, il louait
ou critiquait ouvertement ce que sa personne et ses rapports avec elle avaient
d'agréable ou de défectueux. Il répudia quelques femmes au nom de leurs maris
absents, et fit insérer ces divorces dans les registres publics.
XXXVII. Ses prodigalités
Il surpassa en prodigalités tout ce qu'on avait vu jusqu'à
lui. Inventeur de nouveaux bains, ainsi que de repas et de mets extraordinaires,
il se faisait parfumer d'essences chaudes et froides, avalait les perles les
plus précieuses après les avoir dissoutes dans le vinaigre, et servait à ses
convives des pains et des viandes en or. Il avait souvent à la bouche cet adage:
"Il faut être économe, ou vivre en César." Pendant plusieurs jours, du haut de
la basilique Julia, il jeta au peuple une somme considérable de monnaies. Il
fabriqua des galères liburniennes à dix rangs de rames. Les poupes étaient
garnies de pierreries, et les voiles enrichies de diverses couleurs. On y voyait
des bains, des galeries et des salles à manger d'une large dimension, des vignes
et des arbres fruitiers de toute espèce. C'était sur ces navires qu'il
parcourait les côtes de la Campanie, assis à table au milieu des danses et du
son des instruments. Dans la construction de ses palais et de ses villas, il ne
tenait pas compte des règles de l'art, et ne souhaitait rien tant que d'exécuter
ce qui paraissait impraticable. En conséquence, il jetait des digues dans une
mer orageuse et profonde, taillait les rochers les plus durs, élevait des
plaines à la hauteur des collines, et abaissait des montagnes au niveau du sol,
avec une incroyable célérité, car le moindre retard était puni de mort. En un
mot, il épuisa en moins d'un an tous les trésors de Tibère, qui montaient à deux
milliards sept cent millions de sesterces.
XXXVIII. Ses exactions
Quand il se vit dans la disette et l'indigence, il eut
recours aux rapines et imagina un nouveau genre de chicanes, d'enchères et
d'impôts. Il contesta le droit de cité aux descendants de ceux qui l'avaient
obtenu pour eux et leur postérité, à moins qu'ils n'en fussent les fils, parce
que le mot "posteri" ne s'étendait pas au-delà de la première génération. Il
annulait, comme vieux et surannés, les titres émanés de Jules César et
d'Auguste. Ceux dont la fortune s'était accrue d'une manière quelconque étaient
accusés d'avoir faussement indiqué le cens. Il cassa, comme ingrats, les
testaments des centurions primipilaires qui, depuis le commencement du règne de
Tibère, n'avaient institué héritiers ni ce prince ni lui-même. Il suffisait,
pour qu'il rescindât ceux des autres citoyens, que quelqu'un assurât qu'ils
avaient eu dessein d'appeler César à leur succession. L'alarme qu'il répandit
fit que des inconnus l'inscrivirent publiquement, comme héritier, au nombre de
leurs amis, et des parents au nombre de leurs enfants. Alors il les traitait de
mauvais plaisants qui s'obstinaient à vivre encore après leur déclaration, et il
y en eut beaucoup auxquels il envoya des friandises empoisonnées. Il ne jugeait
les causes qu'après avoir fixé le prix du jugement, et il levait l'audience
quand il l'avait reçu. Impatient au dernier point, un jour il condamna par un
même arrêt plus de quarante accusés poursuivis pour divers crimes, et, au réveil
de Césonia, il se vanta du grand travail qu'il avait fait pendant sa méridienne.
Il soumit et fit vendre, à une enchère qu'il avait annoncée, tout ce qui lui
restait de l'appareil des spectacles, fixant lui-même les prix, et poussant
tellement les mises, que quelques citoyens, forcés d'acheter à un taux immense,
et se voyant dépouillés de leurs biens, s'ouvrirent les veines. On sait qu'Aponius
Saturninus s'étant endormi sur un banc, Caius avertit le crieur de ne pas
oublier cet ancien préteur qui, par ses fréquents mouvements de tête, paraissait
faire des signes affirmatifs. On ne finit l'enchère que lorsque treize
gladiateurs lui eurent été adjugés à son insu, et pour neuf millions de
sesterces.
XXXIX. Ses exactions
Lorsque Caius eut vendu dans la Gaule, et pour des prix
énormes, les bijoux, les meubles, les esclaves et les affranchis des condamnés,
séduit par l'appât du gain, il fit venir de Rome tout le mobilier de la vieille
cour. Il s'empara, pour l'y conduire, de voitures de louage et de chevaux de
meunier, en sorte que le pain manqua souvent à Rome, et que la plupart des
plaideurs encoururent la déchéance pour n'avoir pu se trouver à l'assignation.
Il n'y eut point de fraude et d'artifice qu'il n'employât pour se défaire de ce
mobilier. Tantôt il reprochait à ses concitoyens leur avarice, et leur demandait
s'ils n'avaient pas honte d'être plus riches que lui; tantôt il feignait de se
repentir d'avoir prodigué à des particuliers des meubles de princes. Il apprit
un jour qu'un riche provincial avait donné deux cents sesterces aux appariteurs
pour qu'il l'admissent frauduleusement à un de ses repas. L'empereur ne fut
point fâché que l'on mît à un si haut prix l'honneur de manger à sa table. Le
lendemain, voyant cet homme à l'enchère, il lui fit adjuger un objet frivole
pour deux cent mille sesterces, et lui envoya dire qu'il souperait avec César,
d'après son invitation personnelle.
XL. Il lève de nouveaux impôts
Il leva des impôts nouveaux et inouïs jusqu'alors, d'abord
par des fermiers publics; puis, comme les bénéfices devenaient immenses, par des
centurions et des tribuns prétoriens. Il n'y eut aucune chose et aucune personne
qui ne fût taxée. On mit un droit fixe sur tous les comestibles qui se vendaient
à Rome. On préleva sur les procès et les jugements, en quelque lieu qu'ils
fussent rendus, le quarantième de la somme en litige; et il y eut une peine pour
ceux qui seraient convaincus d'avoir voulu transiger ou renoncer à l'affaire.
Les portefaix furent obligés de donner le huitième de leur gain journalier, et
les courtisanes ce qu'elles gagnaient dans chaque visite. La loi ne se borna pas
là. Celles qui avaient exercé le métier d'entremetteuses ou de prostituées
furent soumises à ce droit. Les mariages même n'en furent pas exempts.
XLI. Il établit un mauvais lieu dans le palais. Ses
profits au jeu
Ces impôts ayant été proclamés, mais non affichés, il se
commettait beaucoup de contraventions par ignorance de leurs dispositions. Caius
se décida enfin, sur les instances du peuple, à afficher sa loi, mais en très
petits caractères, et dans un lieu fort étroit, afin que personne ne pût en
prendre copie. Pour essayer toute espèce de rapine, il établit un mauvais lieu
dans son palais. Un grand nombre de cabinets furent construits et meublés
conformément à la majesté du local. On y plaça des matrones et des hommes de
condition libre. Des esclaves nomenclateurs étaient envoyés sur les places et
dans les basiliques pour inviter à la débauche les jeunes gens et les
vieillards. On prêtait aux arrivants de l'argent à usure, et des employés
recueillaient publiquement leurs noms, comme favorisant les revenus de
l'empereur. Il ne dédaignait pas même les profits des jeux de hasard; mais il en
retirait bien plus encore de la fraude et du parjure. Un jour qu'il avait chargé
son voisin de jouer pour lui, il vit passer, en se promenant dans le vestibule
de son palais, deux chevaliers romains qui étaient riches. Il les fit arrêter
sur-le-champ, confisqua leurs biens, et rentra, au comble de la joie, en se
vantant de n'avoir jamais fait un plus beau coup de dés.
XLII. Sa passion pour l'argent
Lorsqu'il lui naquit une fille, sous prétexte qu'il était
pauvre, et qu'aux charges de l'empire se joignaient celles d'une famille, il
voulut que l'on contribuât à son éducation et à sa dot. Il annonça qu'il
recevrait des étrennes au renouvellement de l'année; et, le jour des calendes de
janvier, il se tint dans le vestibule de son palais pour y attendre les cadeaux
qu'une foule de gens de toute condition répandait devant lui à pleines mains en
vidant ses vêtements. Enfin, pour se mettre en contact avec le métal qui
l'enflammait d'ardeur, il se promenait souvent nu-pieds sur d'énormes monceaux
d'or étalés dans un vaste bâtiment, et quelquefois il s'y roulait tout entier.
XLIII. Son expédition en Germanie
Il ne se mêla qu'une fois de la guerre, et encore sans
dessein prémédité. Il était venu visiter le Clitumne et les bois qu'il arrose,
et s'était avancé jusqu'à Mévania. On lui conseilla de compléter la garde batave
qui l'accompagnait. Aussitôt il résolut de faire une expédition en Germanie.
Sans perdre de temps, il leva de tous côtés des légions et des troupes
auxiliaires, déploya la plus grande rigueur pour le recrutement, fit en tout
genre des approvisionnements tels qu'on n'en avait jamais vu, et se mit en
marche avec une si brusque précipitation, que, pour le suivre, les cohortes
prétoriennes furent obligées, contre l'usage, de mettre leurs enseignes sur des
bêtes de somme. Quelquefois il s'avançait avec tant de nonchalance et de
mollesse, que huit personnes portaient sa litière, et que les habitants des
villes voisines avaient ordre de balayer en son honneur les chemins, et de les
arroser pour abattre la poussière.
XLIV. Ses exploits
Lorsqu'il fut arrivé au camp, pour se montrer exact et sévère
dans le commandement, il renvoya avec ignominie les lieutenants qui étaient
arrivés trop tard avec les troupes qu'ils devaient amener; et, dans la revue
qu'il fit de l'armée, il cassa, sous prétexte de caducité et de faiblesse, la
plupart des centurions d'un âge mûr, et quelques-uns auxquels il ne manquait que
très peu de jours pour accomplir leur temps de service. Il accusa les autres de
cupidité, et restreignit à six mille sesterces les avantages de leur retraite.
Il se borna, pour tout exploit, à recevoir la soumission d'Adminius, fils de
Cynobellinus, roi des Bretons, qui, chassé par son père, s'était réfugié auprès
de lui avec une suite peu nombreuse. Alors, comme s'il eût subjugué l'île
entière, il écrivit à Rome des lettres fastueuses, et il ordonna aux courriers
de ne descendre de leur voiture que sur le Forum et à la porte de la curie, et
de ne remettre ses dépêches aux consuls que dans le temple de Mars, et devant le
sénat assemblé.
XLV. Ses supercheries pour faire croire à sa bravoure et à
des victoires
Ensuite, ne sachant à qui faire la guerre, il fit passer le
Rhin à quelques Germains de sa garde, qui devaient se tenir cachés jusqu'au
moment où, après son dîner, on viendrait dans le plus grand trouble lui annoncer
la présence de l'ennemi. La chose fut faite. Aussitôt il s'élança dans la forêt
voisine avec ses amis et une partie des cavaliers prétoriens, coupa des arbres
qu'il façonna comme des trophées, et revint, à la lueur des flambeaux,
reprochant à ceux qui ne l'avaient pas suivi leur paresse et leur lâcheté. Ceux,
au contraire, qui avaient participé à sa victoire reçurent de lui des couronnes
d'un nouveau genre qu'il appela "exploratoires", et sur lesquelles étaient
représentés le soleil, la lune et les astres. Une autre fois, il fit enlever de
l'école et partir secrètement de jeunes otages; puis, quittant tout à coup son
repas pour les poursuivre avec sa cavalerie comme des fugitifs, il les ramena
chargés de chaînes, sans garder dans cette comédie plus de mesure que dans tout
le reste. Revenu à table, il engagea ceux qui lui annonçaient que sa troupe
était réunie à prendre part au festin, revêtus de leurs cuirasses, et il leur
cita dans cette occasion ce vers si connu de Virgile: "Tenez ferme, et comptez
sur des temps plus heureux." Cependant il reprocha durement, dans un édit, au
sénat et au peuple de se livrer aux plaisirs de la table, du cirque et du
théâtre, et de se délasser dans de charmantes retraites, tandis que César
s'exposait à de si grands dangers au milieu des combats.
XLVI. Ses immenses préparatifs de guerre, pour ramasser
des coquillages
Enfin, comme pour terminer la guerre, il dirigea son front de
bataille vers le rivage de l'Océan. Il disposa les machines, et les balistes,
sans que personne connût ou pût deviner son dessein. Tout à coup il ordonna
qu'on ramassât des coquillages, et qu'on en remplît les casques et les
vêtements. "C'étaient, disait-il, les dépouilles de l'Océan dont il fallait
orner le Capitole et le palais des Césars." Il éleva, pour monument de sa
victoire, une tour très haute où il fit placer des fanaux, comme sur un phare,
pour éclairer les navires pendant la nuit. Il décerna aux soldats une récompense
de cent deniers par tête, et, comme s'il eût dépassé toutes les libéralités
anciennes: "Allez-vous-en, leur dit-il, allez-vous-en joyeux et riches."
XLVII. Son triomphe
Occupé ensuite du soin de son triomphe, il ne se contenta pas
d'emmener les prisonniers et les transfuges barbares, il choisit les Gaulois de
la taille la plus haute, et, comme il le disait, la plus triomphale,
quelques-uns même des plus illustres familles, et les réserva pour le cortège.
Il les obligea non seulement à se rougir les cheveux, mais encore à apprendre la
langue des Germains et à prendre des noms barbares. Il fit transporter, en
grande partie par la voie de terre, à Rome, les galères qui lui avaient servi
sur l'Océan. Il écrivit à ses intendants de lui préparer son triomphe avec le
moins de frais possible, et néanmoins de le faire tel que jamais on n'en eût vu
de pareil, puisqu'ils avaient le droit de disposer des biens de tout le monde.
XLVIII. Ses desseins contre les légions révoltées après la
mort d'Auguste
Avant de quitter les Gaules, il conçut un projet d'une
atrocité abominable; c'était de massacrer les légions qui autrefois s'étaient
révoltées après la mort d'Auguste, parce qu'elles avaient tenu assiégé son père
Germanicus, qui les commandait, et lui-même, qui alors était enfant. On eut
beaucoup de peine à le faire revenir d'un aussi aveugle dessein. Il n'en
persista pas moins à vouloir les décimer. Il les assembla donc sans armes, même
sans épées, et les fit cerner par sa cavalerie. Mais voyant que les soldats se
doutaient de son projet, et que la plupart s'échappaient pour reprendre leurs
armes et résister à la violence, il prit la fuite, et revint aussitôt à Rome,
reportant toute sa rancune sur le sénat, qu'il menaça publiquement, afin de
détourner l'effet de bruits si déshonorants pour lui. Il se plaignait, entre
autres choses, qu'on ne lui eût pas décerné le triomphe qu'il méritait, oubliant
qu'il avait défendu, peu de temps auparavant, sous peine de mort, que l'on
parlât jamais de lui rendre aucun honneur.
XLIX. Ses menaces contre le sénat. Il se contente de
l'ovation. Crimes qu'il méditait
Lorsque les députés du sénat vinrent au-devant de lui pour le
prier de hâter son retour: "Je viendrai, dit-il d'une voix forte, je viendrai,
et celle-ci avec moi," ajouta-t-il en frappant à coups réitérés sur la garde de
son épée. Il annonça qu'il ne revenait que pour ceux qui le souhaitaient,
c'est-à-dire pour les chevaliers et pour le peuple; qu'à l'égard des sénateurs,
il ne serait plus pour eux ni citoyen ni prince. Il défendit qu'aucun d'eux vint
à sa rencontre; et, renonçant à son triomphe ou le différant, il rentra à Rome
le jour anniversaire de sa naissance, et se contenta de l'ovation. Il périt
avant l'expiration du quatrième mois, méditant des crimes plus odieux encore que
tous ceux qu'il avait commis. Il voulait se retirer à Antium ou à Alexandrie,
après avoir immolé tout ce qu'il y avait de plus illustre dans les deux premiers
ordres de l'État. On n'en saurait douter, puisque l'on trouva dans ses papiers
secrets deux écrits intitulés, l'un "le glaive", et l'autre "le poignard":
c'était la liste de ceux qu'il devait immoler. On découvrit aussi un grand
coffre rempli de divers poisons. Lorsque Claude les eut plus tard jetés à la
mer, elle en fut, dit-on, tellement infectée, que le flux laissa sur les plages
voisines une grande quantité de poissons morts.
L. Son portrait. Ses infirmités. Ses insomnies
Caius avait la taille haute, le teint très pâle, le corps mal
fait, le cou et les jambes extrêmement grêles, les yeux enfoncés, les tempes
creuses, le front large et menaçant, les cheveux rares, le sommet de la tête
dégarni, le reste du corps velu. Aussi était-ce un crime capital de regarder
d'en haut quand il passait, ou de prononcer le mot chèvre pour quelque raison
que ce fût. Son visage était naturellement affreux et repoussant, et il le
rendait plus horrible encore en s'étudiant devant son miroir à imprimer à sa
physionomie tout ce qui pouvait inspirer la terreur et l'effroi. Il n'était sain
ni de corps ni d'esprit. Épileptique dès son enfance, dans l'âge adulte il était
quelquefois sujet à des défaillances subites au milieu de ses travaux; et alors
il ne pouvait ni marcher, ni se tenir debout, ni revenir à lui, ni se soutenir.
Il connaissait lui-même la maladie de son esprit, et plus d'une fois il avait
songé à se retirer pour y porter remède. On croit que Césonia lui donna un
philtre qui n'eut d'autre effet que de le rendre furieux. Il était surtout en
proie à l'insomnie; car il ne dormait pas plus de trois heures par nuit; encore
ne jouissait-il pas d'un repos complet. Son sommeil était troublé par de
bizarres fantômes. Une fois entre autres, il rêva qu'il avait un entretien avec
la mer. Aussi, la plus grande partie de la nuit, las de veiller ou d'être
couché, tantôt il restait assis sur son lit, tantôt il parcourait de longs
portiques, attendant et invoquant plusieurs fois le jour.
LI. Ses fanfaronnades et ses lâchetés
On pourrait avec raison imputer à une maladie mentale les
vices les plus opposés du caractère de Caligula, une confiance extrême et une
crainte excessive. Cet homme, qui méprisait tant les dieux, fermait les yeux et
s'enveloppait la tête au moindre éclair, au plus léger coup de tonnerre; et, si
ce bruit redoublait, il s'élançait de sa couche et se cachait sous son lit. Dans
son voyage en Sicile, quoiqu'il se fût moqué des miracles dont se vantaient
beaucoup de villes, il s'enfuit la nuit de Messine, effrayé de la fumée et du
bruit de l'Etna. Malgré ses grandes menaces aux barbares, un jour qu'il se
trouvait au-delà du Rhin, dans un chemin étroit, porté sur un chariot et entouré
de ses troupes, ayant entendu dire à quelqu'un que l'apparition subite de
l'ennemi causerait un désordre épouvantable, il monta aussitôt à cheval, et s'en
retourna précipitamment vers les ponts. Mais, les voyant encombrés par les
bagages et les valets de l'armée, il ne put supporter ce retard, et se fit
transporter à bras par-dessus les têtes. Quelque temps après, à la nouvelle d'un
soulèvement de la Germanie, il se hâtait déjà de faire préparer des vaisseaux
pour s'enfuir. Son unique consolation était qu'il conserverait du moins les
provinces d'outre-mer, si les vainqueurs s'emparaient des Alpes, comme les
Cimbres, ou de Rome, comme les Gaulois. C'est, sans doute, ce qui donna plus
tard à ses meurtriers l'idée de dire, pour apaiser la sédition militaire,
qu'effrayé d'une défaite qu'il venait d'apprendre, il s'était tué lui-même.
LII. Sa manière de s'habiller
Ses vêtements, sa chaussure et sa tenue en général n'étaient
ni d'un Romain ni d'un citoyen, ni même d'un homme. Souvent il endossait des
casaques bigarrées et couvertes de pierreries, et se montrait ainsi en public
avec des manches et des bracelets. Quelquefois il portait des robes de soie
arrondies et traînantes. Il mettait tour à tour des sandales ou des cothurnes,
des chaussures militaires ou des brodequins de femme. D'ordinaire il paraissait
avec une barbe d'or, tenant en main les insignes des dieux, la foudre, le
trident ou le caducée. On le vit aussi avec les attributs de Vénus. Il portait
habituellement les ornements du triomphe, même avant son expédition, et de temps
en temps la cuirasse d'Alexandre le Grand qu'il avait fait tirer de son tombeau.
LIII. Son genre d'éloquence
En fait d'études libérales, il s'appliqua fort peu à
l'érudition et beaucoup à l'éloquence. Il avait la parole abondante et facile,
surtout s'il fallait invectiver contre quelqu'un. La colère lui fournissait les
mots et les idées. L'enthousiasme l'empêchait de rester en place. Sa
prononciation était vive, et sa voix se faisait entendre des personnes les plus
éloignées. Quand il devait parler en public, il menaçait de lancer les traits de
ses veilles. Il méprisait tellement le style élégant et orné, qu'il appelait les
ouvrages de Sénèque, l'auteur alors le plus en vogue, des amplifications
scolastiques, et les comparait à du sable sans ciment. Il avait coutume de
répondre aux discours des orateurs qui avaient le mieux réussi; et, quand il y
avait de grandes causes dans le sénat, il jouait le rôle de défenseur ou
d'accusateur, selon ce qui pouvait le plus favoriser son genre d'éloquence,
accabler son adversaire ou sauver son client, et il invitait par des affiches
l'ordre des chevaliers à venir l'entendre.
LIV. Sa passion pour le chant, la danse, les courses de
chars et les combats de gladiateurs
Il exerça avec passion des talents d'un autre genre, et même
les plus opposés, tour à tour gladiateur, cocher, chanteur et danseur. Il
s'escrimait avec l'armure des combattants ou conduisait des chars dans les
cirques qu'il avait fait construire en divers endroits. Enthousiaste du chant et
de la danse, il ne pouvait s'empêcher, dans les spectacles, d'accompagner la
voix de l'acteur et d'imiter publiquement ses gestes et ses pas en les
approuvant ou en les réformant. C'est pour cela sans doute que, le jour de sa
mort, il avait indiqué une veille générale, parce qu'il espérait s'essayer sur
le théâtre avec plus de hardiesse dans une assemblée nocturne. C'était aussi le
temps qu'il prenait pour danser. Une fois, à la seconde veille, il fit venir
dans son palais trois personnages consulaires. Ils arrivèrent en redoutant les
plus affreux malheurs. Caius les plaça sur l'avant-scène, et tout à coup, au
bruit retentissant des flûtes et des pédales, il s'élança sur le théâtre, vêtu
d'un manteau et d'une longue robe, et, après avoir dansé, il se retira.
Cependant cet homme, qui apprenait si aisément tant de choses, ne savait pas
nager.
LV. Ses préférences et ses antipathies dans les jeux du
cirque. Ses folies pour le cheval Incitatus
Son penchant pour ceux qui étaient de son goût allait jusqu'à
la frénésie. Il embrassait le pantomime Mnester, même en plein spectacle. Si
quelqu'un faisait le moindre bruit pendant qu'il dansait, il ordonnait qu'on le
mît à la porte, et il le fouettait de sa main. Il chargea un centurion
d'annoncer à un chevalier romain qui causait du désordre qu'il eût à se rendre
sur-le-champ à Ostie, et de porter en Mauritanie, au roi Ptolémée, une lettre
qui contenait ces mots: "Ne faites ni du bien ni du mal à celui que je vous
envoie." Il mit à la tête de sa garde germaine quelques gladiateurs thraces. Il
diminua l'armure des mirmillons. Un de ces derniers, nommé Columbus, était
vainqueur et légèrement blessé. Il fit mettre dans sa plaie un poison qui fut
appelé de son nom "poison de Columbus": c'est ainsi du moins qu'on le trouva
écrit de sa main parmi les autres étiquettes de ses poisons. Il était tellement
attaché à la faction des cochers verts, qu'il mangeait souvent dans leur écurie,
et en faisait sa demeure. L'un d'eux, nommé Eutychus, reçut de lui, dans une
orgie, un présent de deux millions de sesterces. La veille des jeux du cirque,
il ordonnait à des soldats d'imposer silence à tout le voisinage pour que rien
ne troublât le repos de son cheval Incitatus. Il lui fit faire une écurie de
marbre, une crèche d'ivoire, des housses de pourpre et des licous garnis de
pierres précieuses. Il lui donna un palais, des esclaves et un mobilier, afin
que les personnes invitées en son nom fussent reçues plus magnifiquement. On dit
même qu'il voulait le faire consul.
LVI. Conspirations formées contre lui
Au milieu de tant d'extravagances et d'excès, la plupart ne
manquèrent pas de courage pour l'attaquer. Mais une ou deux conspirations furent
découvertes; et, tandis que leurs concitoyens hésitaient, faute d'occasion, deux
Romains se concertèrent, et mirent leur projet à exécution, après s'être ménagé
des intelligences avec les plus puissants de ses affranchis, et avec les préfets
du prétoire, qui, ayant été désignés, quoique à tort, comme complices dans une
conjuration, sentaient que depuis ce moment ils étaient devenus odieux et
suspects. Caius s'était attiré toute leur haine, lorsque, les prenant à part, il
leur avait protesté, le glaive nu, qu'il était prêt à se donner la mort, s'il
leur paraissait la mériter. Il ne cessa, depuis ce temps, de les accuser les uns
auprès des autres, et de les compromettre entre eux. On résolut de l'attaquer à
midi au sortir d'un spectacle qui devait avoir lieu dans son palais. Cassius
Chéréa, tribun de la cohorte prétorienne, demanda à porter le premier coup. Il
était déjà vieux, et Caius avait coutume de lui prodiguer toutes sortes
d'outrages, en le traitant de mou et d'efféminé. Quand il venait lui demander le
mot d'ordre, il répondait "Priape" ou "Venus". Quand il le remerciait pour une
raison quelconque, il ne lui présentait sa main à baiser qu'en lui imprimant une
attitude et un mouvement obscènes.
LVII. Présages de sa mort
Sa mort fut annoncée par un grand nombre de présages. À
Olympie, la statue de Jupiter qu'il voulait enlever pour la transporter à Rome,
fit tout à coup un si grand éclat de rire, que les ouvriers laissèrent tomber
leurs machines et s'enfuirent. Aussitôt il survint un certain Cassius qui
prétendait avoir reçu en songe l'ordre d'immoler un taureau à Jupiter. Aux ides
de mars, le capitole de Capoue fut frappé de la foudre, et à Rome, la chapelle
d'Apollon palatin. On ne manqua pas de conjecturer que l'un de ces prodiges
annonçait à l'empereur un danger de la part de ses gardes, et que l'autre
présageait le meurtre d'un personnage distingué, comme celui qui, autrefois,
avait eu lieu à pareil jour. L'astrologue Sylla, que Caius consultait sur son
horoscope, lui prédit une mort prochaine. Les sorts d'Antium l'avertirent de se
défier de Cassius; et, là-dessus, il ordonna de faire périr Cassius Longinus,
proconsul d'Asie, oubliant que Chéréa s'appelait aussi Cassius. La veille de sa
mort, il rêva qu'il était dans le ciel, à côté du trône de Jupiter, et que
Jupiter, en le poussant avec le gros orteil du pied droit, l'avait précipité sur
la terre. On mit encore au nombre des prodiges plusieurs accidents arrivés le
même jour. En offrant un sacrifice, Caius fut couvert du sang d'un flamant. Le
pantomime Mnester dansa dans une tragédie qu'avait représentée autrefois
l'acteur Néoptolème aux jeux où Philippe, roi de Macédoine, fut assassiné. Dans
la pièce intitulée "Laureolus", où l'acteur échappe à la ruine d'un édifice et
vomit du sang, plusieurs de ceux qui jouaient les doublures, s'évertuèrent à
donner une preuve de leur talent, et la scène fut ensanglantée. On préparait
aussi pour la nuit un spectacle où des Égyptiens et des Éthiopiens devaient
représenter des sujets empruntés des enfers.
LVIII. Il est tué par Chéréa et d'autres conjurés
Le vingt-quatre janvier, environ vers la septième heure, se
sentant l'estomac chargé des aliments de la veille, Caius hésitait à se lever
pour dîner. Il sortit pourtant, à la prière de ses amis. Sous une voûte qu'il
fallait traverser, se préparaient de nobles jeunes gens d'Asie, qu'on avait fait
venir pour les produire sur la scène. Il s'arrêta pour les considérer et les
encourager; et, si le chef de la troupe n'avait pas dit qu'il souffrait du
froid, il allait retourner sur ses pas pour recommencer la répétition. Ici, les
historiens ne s'accordent point. Les uns disent que, pendant que l'empereur
parlait à ces jeunes gens, Chéréa l'avait grièvement blessé à la nuque du
tranchant de son glaive, en criant: "À moi!", qu'aussitôt Cornélius Sabinus, le
second des tribuns conjurés, lui avait percé le cœur. D'autres prétendent que
Sabinus, ayant fait écarter la foule par des centurions qui étaient du complot,
lui avait, selon l'usage militaire, demandé le mot d'ordre, et que Caius ayant
répondu "Jupiter", Chéréa s'était écrié: "Le voici!" et, comme le prince se
retournait, il lui avait brisé la mâchoire. Renversé par terre et se repliant
sur lui-même, il criait qu'il vivait encore; mais les autres conjurés lui
portèrent trente coups, selon le mot de ralliement: "Redouble". Quelques-uns lui
enfoncèrent l'épée dans les parties honteuses. Au premier bruit, ses porteurs,
armés de leurs bâtons, volèrent à son secours, et furent bientôt suivis de sa
garde germaine. Ils tuèrent quelques meurtriers, et même des sénateurs qui
étaient innocents.
LIX. Ses funérailles. Son exhumation. Mort de Césonia et
de sa fille
Il vécut vingt-neuf ans, et en régna trois, dix mois et huit
jours. Son corps fut porté secrètement dans les jardins de Lamia, brûlé à demi
sur un bûcher fait à la hâte, puis enterré et recouvert de gazon. Quand ses
soeurs revinrent de leur exil, elles l'exhumèrent, le brûlèrent et ensevelirent
ses cendres. On sait que ceux qui gardaient ces jardins étaient inquiétés par
des fantômes, et que la maison où il fut tué était, chaque nuit, troublée par
quelque bruit terrible, jusqu'à ce qu'elle fût consumée par un incendie.
L'épouse de Caius, Césonia, périt en même temps que lui, sous le glaive d'un
centurion, et sa fille fut écrasée contre un mur.
LX. Incrédulité générale à la nouvelle de sa mort. Le
sénat songe à rétablir la liberté
Ce qui peut donner une idée de ces temps-là, c'est que la
nouvelle de ce meurtre s'étant répandue, on refusa d'abord d'y croire. On
soupçonna que c'était un bruit inventé et semé par Caius pour sonder l'opinion
publique à son égard. Les conjurés ne destinaient l'empire à personne, et le
sénat était tellement d'accord pour rétablir la liberté, que les consuls ne le
convoquèrent point dans la curie, parce qu'elle s'appelait Julia, mais au
Capitole. Quelques-uns furent d'avis d'abolir la mémoire des Césars et de
détruire leurs temples. On a remarqué que les Césars, qui avaient le prénom de
Caius, sont tous tombés sous le fer, à partir de celui qui fut tué au temps de
Cinna.
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