Un insoumis: Voléron Publilius (473)
[II, 55]
(1) Aussitôt après cette victoire, d'un si pernicieux
exemple, paraît l'édit qui ordonne les enrôlements. Les tribuns épouvantés ne
font aucune opposition, et les consuls procèdent librement à la levée des
troupes. (2) Le peuple alors s'irrite plus encore du silence des tribuns que de
la rigueur des consuls. "C'en était fait, disaient-ils, de leur liberté; on en
revenait à l'ancien état de choses : avec Génucius était morte et descendue dans
le tombeau la puissance tribunitienne : il fallait recourir, aviser à d'autres
moyens de résister aux patriciens; (3) la seule ressource qui restât au peuple,
puisqu'il n'avait plus aucun appui, c'était de se défendre lui-même. Les consuls
avaient autour d'eux vingt-quatre licteurs; mais ces licteurs étaient eux-mêmes
des hommes du peuple; rien n'était plus méprisable, plus faible que cette
barrière, si l'on osait la mépriser; tout cela n'était imposant et terrible que
par l'idée qu'on s'en faisait.
(4) Tandis qu'ils s'animent ainsi l'un l'autre, un licteur
vient, par ordre des consuls, saisir Publilius Voléron, homme du peuple, qui,
ayant été centurion, refusait de servir comme soldat. Voléron en appelle aux
tribuns : (5) et aucun d'eux ne venant à son secours, les consuls ordonnent
qu'on le dépouille de ses vêtements, et qu'on prépare les verges : "J'en appelle
au peuple, s'écrie Voléron, puisque les tribuns aiment mieux voir un citoyen
romain frappé de verges sous leurs yeux, que de s'exposer à être égorgés par
vous dans leur lit." Plus ses cris étaient violents, plus le licteur mettait
d'acharnement à déchirer ses habits et à le dépouiller. (6) Alors, Voléron, doué
d'une grande vigueur par lui-même, et soutenu, d'ailleurs, par ses partisans,
repousse le licteur, et, se retirant au plus épais de la foule, là où les
citoyens indignés faisaient entendre les clameurs les plus violentes en sa
faveur : (7) "J'en appelle au peuple, s'écrie-t-il, j'implore son appui ! À moi,
citoyens ! à moi, camarades ! vous n'avez rien à attendre des tribuns, qui,
eux-mêmes, ont besoin de votre secours."
(8) Ainsi excitée, toute cette multitude se prépare comme
pour un combat; on n'en pouvait douter : la crise était menaçante; aucune
considération, soit publique, soit privée, ne pourrait les retenir. (9) Les
consuls, qui voulurent résister à cette violente tempête, éprouvèrent bientôt
que la majesté du pouvoir est un appui peu sûr sans la force. On maltraite les
licteurs, on brise leurs faisceaux, et les consuls sont repoussés du forum dans
la curie, sans savoir jusqu'où Voléron pousserait sa victoire. (10) Enfin, quand
le tumulte commence à s'apaiser, ils convoquent le sénat, se plaignent de leurs
injures, de la violence du peuple, de l'audace de Voléron. (11) Après plusieurs
avis, dictés par la violence, celui des anciens l'emporta : il fut décidé que le
courroux des patriciens ne lutterait pas contre l'emportement du peuple.
Institution des comices tributes (472-471)
[II, 56]
(1) Voléron devint l'objet de la faveur du peuple; et, aux
comices suivants, il fut nommé tribun pour l'année où les consuls Lucius
Pinarius et Publius Furius entrèrent en charge. (2) Contre l'opinion générale
qui s'attendait à le voir user de la puissance tribunitienne pour inquiéter les
consuls de l'année précédente, Voléron, sacrifiant à l'intérêt général ses
ressentiments personnels, et sans même leur adresser une parole outrageante,
propose au peuple un projet de loi pour qu'à l'avenir les magistrats plébéiens
fussent élus dans les comices par tribus. (3) Elle n'était pas sans importance,
cette loi qui, à la première vue, se présentait sous un titre peu alarmant; elle
enlevait aux patriciens la possibilité d'appeler au tribunat, par les suffrages
de leurs clients, les hommes qu'ils avaient choisis. (4) Cette proposition, si
agréable au peuple, les patriciens la combattirent de toutes leurs forces; et,
bien que leur seul moyen de résistance leur eût manqué, le crédit des consuls et
des principaux sénateurs n'ayant pu déterminer aucun membre du collège des
tribuns à former opposition, cependant une question si importante par elle-même
donna lieu à des débats qui conduisirent jusqu'à l'année suivante. (5) Voléron
fut renommé tribun. Le sénat, voyant que cette affaire se terminerait par un
combat à outrance, créa consul Appius Claudius, fils d'Appius, qui, depuis les
démêlés de son père, était odieux et hostile au peuple. Il lui adjoignit pour
collègue Titus Quinctius.
(6) Dès le commencement de cette année, on ne s'occupa que de
la loi. Elle n'était pas seulement appuyée par Voléron, dont elle était
l'ouvrage; Laetorius, collègue de ce tribun, montrait, pour la soutenir, un zèle
d'autant plus vif qu'il s'en était plus récemment constitué le défenseur; (7)
son audace était excitée par l'éclat de sa gloire miliaire; car c'était l'homme
le plus intrépide de son siècle. Voyant que Voléron se bornait à la défense de
la loi, et s'abstenait de toute invective contre les consuls, Laetorius débute
par accuser Appius et toute cette famille si orgueilleuse et si cruelle envers
le peuple; (8) il prétend que les patriciens ont créé, non pas un consul, mais
un bourreau pour tourmenter et torturer le peuple. Mais, chez ce soldat, peu
accoutumé à la parole, la langue ne secondait pas la liberté et le courage, (9)
et l'expression venant à lui manquer : "Romains, dit-il, puisque je parle moins
facilement que je ne sais agir, trouvez-vous ici demain : Je mourrai sous vos
yeux, ou j'emporterai la loi."
(10) Le lendemain, les tribuns s'emparent de la tribune aux
harangues; les consuls et la noblesse s'établissent dans l'assemblée pour
s'opposer à la loi. Laetorius commande d'écarter tous ceux qui n'ont pas droit
de voler. (11) Il se trouvait là quelques jeunes nobles qui refusaient d'obéir à
l'huissier. Laetorius ordonne qu'on en arrête quelques-uns; le consul Appius s'y
oppose, et prétend que le tribun n'a de droit que sur les plébéiens, (11) qu'il
est le magistrat, non du peuple, mais de la plèbe; que lui-même, consul, ne
pouvait, en vertu de son autorité, faire retirer un citoyen; que cela était
contraire aux usages antiques, puisque la formule est ainsi conçue :
"Retirez-vous, citoyens, s'il vous plaît." Il était facile d'embarrasser
Laetorius sur des questions de droit, même en les traitant légèrement. (12)
Transporté de colère, le tribun ordonne à l'huissier de saisir le consul, et le
consul à son licteur de s'emparer du tribun, en s'écriant qu'il n'est qu'un
simple particulier, sans pouvoir, sans magistrature. (14) La personne du tribun
n'eût pas été respectée, si toute l'assemblée ne se fût soulevée avec violence
contre le consul, en faveur du tribun, et si, en même temps, une foule de
citoyens, accourant de tous les quartiers de la ville, ne se fût précipitée dans
le forum.
Néanmoins, Appius résistait à cette tempête avec
l'opiniâtreté de son caractère, (15) et il y aurait eu du sang répandu, si
Quinctius, son collègue, n'eût chargé les consulaires d'employer la force, à
défaut de tout autre moyen, pour enlever Appius du forum, tandis que lui-même,
par ses prières, s'efforçait d'apaiser la fureur du peuple, et conjurait les
tribuns de congédier l'assemblée. (16) Il les prie "de laisser aux passions le
temps de se calmer. Un délai, loin d'ôter rien à leur puissance, ajouterait la
prudence à la force; le sénat pourrait montrer de la déférence pour le peuple,
et le consul pour le sénat."
Retour au calme et vote de la loi
[II, 57]
(1) Quinctius eut beaucoup de peine à calmer le peuple; les
patriciens en eurent plus encore à calmer l'autre consul. (2) Enfin, l'assemblée
est dissoute, et les consuls convoquent le sénat. D'abord la crainte et la
colère firent émettre tour à tour des avis très différents; mais à mesure que le
temps s'écoule, et que l'emportement fait place à la réflexion, tous les esprits
renoncent à l'idée d'une lutte violente, et l'on en vint à rendre des actions de
grâce à Quinctius, pour avoir, par ses soins, apaisé les discordes civiles. (3)
On conjure Appius "de consentir à ce que la majesté consulaire n'ait que le
degré de puissance compatible avec la concorde. Tandis que les consuls et les
tribuns tirent chacun de leur côté, le corps de l'état reste sans force : on
s'arrache la république; on la déchire; chaque parti songe moins à la conserver
intacte qu'à décider entre quelles mains elle restera." (4) Appius, de son côté,
prenait à témoin les hommes et les dieux "Qu'on trahissait, qu'on abandonnait
lâchement la république; que ce n'était pas le consul qui manquait au sénat,
mais le sénat au consul; qu'on subissait des lois plus dures que celles du mont
Sacré." Vaincu toutefois par l'opposition unanime des sénateurs, il se tait, et
la loi passe sans opposition.
Campagne contre les Volsques; mutinerie dans l'armée d'Appius (471)
[II, 58]
(1) Alors, pour la première fois, les comices, par tribus,
nommèrent des tribuns. S'il faut en croire Pison, ce fut dans cette circonstance
que leur nombre fut augmenté de deux, comme si jusque-là ils n'avaient été que
deux. (2) Il donne même leurs noms. C'étaient : Gnaeus Siccius, Lucius
Numitorius, Marcus Duilius, Spurius Icilius, Lucius Mécilius.
(3) La guerre des Volsques et des Èques s'était rallumée
pendant les dissensions de Rome. Ils avaient ravagé la campagne, afin d'offrir
un asile au peuple, s'il venait à quitter encore une fois la ville. Ces troubles
une fois apaisés, ils se retirèrent. (4) Appius fut envoyé contre les Volsques;
le sort assigna les Èques à Quinctius. La dureté qu'Appius avait montrée à Rome,
il la déploya plus librement à l'armée, n'étant plus retenu par les entraves du
tribunat. (5) Lui, qui haïssait le peuple d'une haine plus violente que celle de
son père, avoir été vaincu par le peuple ! Sous le consulat du seul homme qu'on
pût opposer à la puissance tribunitienne, on avait fait passer la loi; tandis
qu'avec moins d'efforts, et alors que les patriciens concevaient moins
d'espérance, les consuls précédents l'avaient arrêtée.
(6) Ces sentiments de colère et d'indignation portaient ce
caractère violent à tourmenter son armée par toutes les rigueurs du
commandement. Mais elle était indomptable; tant l'esprit de résistance avait
fait de progrès. (7) Tout se faisait avec lenteur, avec paresse, avec
négligence, avec un dédain qui tenait de la révolte. Ni l'honneur ni la crainte
n'avaient action sur eux. Appius voulait-il accélérer la marche, on affectait de
la ralentir; venait-il encourager les travaux, tous spontanément interrompaient
leur ouvrage. (8) En sa présence, ils baissaient la tête, et sur son passage ils
murmuraient des imprécations; en sorte que cette âme endurcie contre la haine du
peuple en était quelquefois émue. (9) Quand il eut épuisé, sans succès, tous les
moyens de rigueur, il finit par n'avoir plus de rapports avec ses soldats. Il
disait que les centurions avaient corrompu son armée, aussi les appelait-il
quelquefois pour les railler, des tribuns du peuple, des Volérons.
Nouvelle mutinerie de l'armée romaine (471)
[II, 59]
(1) Rien de tout cela n'était ignoré des Volsques, qui en
pressaient d'autant plus vivement l'armée romaine, dans l'espoir qu'elle
opposerait à Appius l'esprit de résistance qu'elle avait déjà déployé contre le
consul Fabius. (2) La révolte contre Appius fut encore plus violente. L'armée de
Fabius s'était bornée à refuser de vaincre, celle d'Appius voulut être vaincue.
À peine rangée en bataille, elle prend honteusement la fuite et regagne le camp.
Elle ne s'arrêta qu'en voyant les Volsques se diriger contre les retranchements,
après avoir fait un horrible massacre de l'arrière-garde. (3) Alors ils se font
une loi de combattre pour repousser l'ennemi hors des palissades; mais il était
évident qu'ils n'avaient voulu qu'empêcher la prise du camp. Du reste, ils se
réjouissent de leur défaite et de leur déshonneur.
(4) L'âme altière du consul n'en fut pas ébranlée : il
voulait déployer plus de sévérité encore, et assemble l'armée; mais les
lieutenants et les tribuns accourent auprès de lui; ils lui conseillent "de ne
pas mettre plus longtemps à l'épreuve une autorité qui tire toute sa force du
consentement de ceux qui obéissent; (5) les soldats, disaient-ils, refusent
généralement de se rendre à l'assemblée; on entend même des voix demander qu'on
lève le camp et qu'on sorte du territoire des Volsques; on venait de voir
l'ennemi vainqueur s'avancer jusqu'aux portes et jusqu'aux retranchements. On
n'en était pas aux simples soupçons du mal, on en avait les preuves certaines
sous les yeux."
(6) Le consul cède enfin, puisque aussi bien les coupables
n'y gagneront autre chose qu'un sursis; il révoque l'ordre de s'assembler, et
fait annoncer le départ pour le lendemain. Dès la pointe du jour, les trompettes
donnèrent le signal. (7) Au moment où l'armée se déployait hors du camp, les
Volsques, comme appelés par le même signal, viennent tomber sur l'arrière-garde.
Le désordre gagne les têtes de colonne; les rangs, les corps, tout se confond;
on n'entend plus les commandements, on ne peut se former en bataille. Chacun ne
songe qu'à fuir; (8) toute l'armée débandée s'échappe à travers des monceaux
d'armes et de cadavres : et tel est son effroi, que l'ennemi se lassa de
poursuivre avant qu'on cessât de fuir.
(9) Enfin, le consul parvient à réunir les débris épars de
ses troupes qu'il a vainement poursuivies pour les arrêter dans leur fuite, et
va camper hors du territoire ennemi. Là, il assemble l'armée, s'emporte avec
raison contre une armée qui a lâchement trahi la discipline militaire, abandonné
les aigles, (10) et demande à chaque soldat désarmé ce qu'il a fait de ses
armes, à chaque porte-enseigne ce qu'il a fait de son étendard. (11) Bien plus,
les centurions et les duplicaires qui ont quitté les rangs sont battus de verges
et frappés de la hache; le reste de l'armée est décimé, et le sort désigne les
victimes.
Victoire sur les Èques (471)
[II, 60]
(1) Dans l'autre armée, au contraire, le consul et le soldat
luttaient de bienveillance et de bons procédés. Quinctius, il est vrai, était
naturellement plus doux qu'Appius; et le malheureux effet des rigueurs de son
collègue l'avait encore porté à suivre ses penchants. (2) Aussi les Èques,
instruits de la bonne intelligence qui régnait entre le général et ses troupes,
n'osèrent point se présenter au combat, et laissèrent l'ennemi parcourir et
dévaster impunément leur territoire. Jamais, dans aucune guerre, le pillage ne
s'était étendu plus loin. Tout le butin fut abandonné aux troupes, (3) et le
consul y joignit des éloges non moins chers au soldat que les récompenses.
L'armée revint à Rome mieux disposée pour son général, et, à cause de son
général, pour l'ordre entier des patriciens. Elle disait que le sénat lui avait
donné un père, tandis que l'autre armée n'en avait reçu qu'un maître. (4) Cette
alternative de revers et de succès, les dissensions cruelles qui éclatèrent tant
à Rome que dans les camps, et bien plus, l'établissement des comices par tribus,
rendent cette année particulièrement remarquable. Du reste, la victoire du
peuple dans la lutte où il s'était engagé donne à cette innovation plus
d'importance que les avantages qui en résultèrent pour lui; (5) car, en écartant
les patriciens de ces assemblées, on enleva aux comices une partie de leur
dignité, sans fortifier beaucoup le parti populaire ou affaiblir celui du
sénat.
Le procès d'Appius Claudius (470)
[II, 61]
(1) Aussi, l'année suivante, qui eut pour consuls Lucius
Valérius et Titus Aemilius, fut-elle plus orageuse encore, tant à cause des
contestations sur la loi agraire entre les deux ordres, qu'à cause du jugement
d'Appius Claudius. (2) Comme ce redoutable adversaire de la loi défendait la
cause des possesseurs de terres conquises avec autant d'arrogance que s'il eût
été un troisième consul, Marcus Duilius et Gnaeus Siccius l'appelèrent en
justice. (3) Jamais accusé plus odieux aux plébéiens n'avait comparu devant le
tribunal du peuple; à la haine qu'il inspirait, se joignait encore celle qui
avait pesé sur son père. (4) Jamais aussi les patriciens ne firent pour un autre
d'aussi puissants efforts. Le défenseur du sénat, le vengeur de sa majesté,
toujours prêt à lutter contre les factions tribunitiennes et populaires, se
voyait, sans autre tort que d'avoir dépassé la mesure dans la discussion, exposé
au ressentiment des plébéiens.
(5) Seul d'entre les patriciens, Appius Claudius comptait
pour rien les tribuns, le peuple et son jugement. Ni les menaces de la
multitude, ni les prières du sénat ne purent le déterminer à changer de
vêtement, à recourir aux supplications, pas même à tempérer, à adoucir, quand il
plaiderait devant le peuple, l'âpreté ordinaire de son langage. (6) Ce fut
toujours la même contenance, la même expression de fierté sur son visage, la
même rudesse dans ses discours; si bien qu'une grande partie du peuple ne
tremblait pas moins devant Appius accusé que devant Appius consul. (7) Il prit
une seule fois la parole pour se défendre, et avec ce ton accusateur qu'il avait
en toute circonstance; sa fermeté frappa les tribuns et le peuple d'une telle
stupeur, qu'ils lui accordèrent d'eux-mêmes un sursis, et laissèrent ensuite
traîner l'affaire. (8) Du reste, ce ne fut pas pour longtemps; car avant le jour
fixé, Appius mourut de maladie. (9) Un tribun tenta d'empêcher qu'on prononçât
son oraison funèbre; mais le peuple ne voulut point qu'un si grand homme fût à
son dernier jour privé de cet honneur suprême; et, après sa mort, il écouta son
éloge d'une oreille aussi favorable qu'il avait écouté son accusation durant sa
vie. Bien, plus, il se porta en foule à ses funérailles.
Combats indécis contre les Èques et les Sabins (470)
[I, 62]
(1) La même année, le consul Valérius marcha avec une armée
contre les Èques; et ne pouvant les amener à une bataille, il essaya de forcer
leur camp. Mais il fut arrêté par une horrible tempête, accompagnée de grêle et
de tonnerre. (2) Son étonnement redoubla, quand on vit, aussitôt après le signal
de la retraite, l'air redevenir calme et serein. Il se fit dès lors un scrupule
religieux d'attaquer une seconde fois un camp qu'une divinité semblait prendre
sous sa protection. Toute la fureur de la guerre fut reportée sur les campagnes
qu'on ravagea.
(3) L'autre consul, Aemilius, avait été envoyé contre les
Sabins; mais comme ils se tenaient aussi renfermés dans leurs murs, il dévasta
leur territoire. (4) Enfin, l'incendie des fermes et même des nombreux bourgs
qui couvraient le pays détermina les Sabins à sortir de leurs villes pour
marcher au-devant des dévastateurs. L'issue du combat fut douteuse; mais le
lendemain ils reportèrent leur camp dans une position plus sûre. (5) Cela suffit
au consul pour regarder l'ennemi comme vaincu, et se retirer, à son tour, sans
avoir terminé la guerre.
Reprise de la guerre contre les Volsques et les Èques (469)
[II, 63]
(1) Au milieu de ces guerres et de la discorde qui ne cessait
pas d'agiter Rome, Titus Numicius Priscus et Aulus Verginius sont créés consuls.
(2) Le peuple paraissait disposé à ne pas souffrir qu'on différât plus longtemps
l'exécution de la loi agraire, et l'on allait en venir aux dernières violences,
quand l'arrivée des Volsques fut annoncée au loin par l'incendie des fermes, et
la fuite des habitants de la campagne. Cet événement arrêta la sédition déjà
mûre et sur le point d'éclater. (3) Les consuls, forcés aussitôt par le sénat de
repousser l'attaque, emmènent de Rome la jeunesse, et laissent le reste du
peuple plus tranquille (4) L'ennemi, satisfait de la vaine terreur qui a mis les
Romains en campagne, se retire précipitamment. (4) Numicius marche contre les
Volsques et se dirige vers Antium; Verginius se porte contre les Èques. Ce
dernier tomba dans des embûches, et il allait essuyer une grande défaite, si les
soldats, par leur valeur, ne se fussent tirés du danger où les avait jetés la
négligence du consul.
(6) L'armée envoyée contre les Volsques fut plus habilement
conduite. Les ennemis, dispersés dans une première rencontre, se réfugièrent
dans Antium, ville très considérable pour cette époque. Le consul, n'osant en
faire le siège, se contenta d'enlever aux Antiates la place de Cénon, beaucoup
moins importante. (7) Pendant que les Èques et les Volsques occupaient ainsi les
armées romaines, les Sabins vinrent exercer leurs ravages jusqu'aux portes de
Rome. Mais, peu de jours après, ils virent arriver sur leur propre territoire
les deux armées romaines que l'indignation des consuls y amenait, et on leur fit
plus de mal qu'ils n'en avaient causé.
Attaque des Sabins; combats contre les Volsques (468)
[II, 64]
(1) Vers la fin de l'année on eut quelques instants de paix,
mais d'une paix troublée, comme à l'ordinaire, par la lutte des patriciens et du
peuple. Le peuple irrité ne voulut pas prendre part aux comices consulaires :
(2) ce furent les patriciens et leurs clients qui nommèrent les consuls Titus
Quinctius et Quintus Servilius. L'année de leur magistrature ressemble à la
précédente : des séditions la commencent, puis la guerre étrangère vient tout
calmer. (3) Les Sabins, traversant précipitamment le territoire de Crustumérie,
portèrent le fer et la flamme sur les bords de l'Anio, et ils étaient presque
arrivés à la porte Colline et sous les murs de Rome, quand on les repoussa.
Toutefois ils se retirèrent avec un immense butin tant en hommes qu'en
troupeaux. (4) Le consul Servilius les poursuivit à la tête d'une armée qui ne
respirait que la vengeance, et, ne pouvant les atteindre en rase campagne, il
porta si loin ses ravages, qu'il ne laissa partout que des ruines, et revint à
Rome chargé de dépouilles de tout genre.
(5) Contre les Volsques aussi on obtint d'éclatants succès,
dus au général et non moins aux soldats. Un premier combat fut livré en rase
campagne, et des deux côtés il y eut beaucoup de morts, encore plus de blessés :
(6) les Romains, dont le petit nombre rendait la perte plus sensible, étaient
prêts à lâcher pied, quand le consul, par un heureux mensonge, ranima leur
courage en s'écriant que les Volsques fuyaient à l'autre aile. Ils fondent sur
l'ennemi, et, se croyant vainqueurs, ils sont vainqueurs en effet. (7) Le
consul, craignant qu'une poursuite trop vive ne renouvelât le combat, fit donner
le signal de la retraite. (8) Plusieurs jours s'écoulèrent durant lesquels les
deux armées se reposèrent comme par suite d'une trêve tacite; dans cet
intervalle, de nombreux renforts arrivèrent au camp ennemi de tous les cantons
des Èques et des Volsques. Ne doutant pas que les Romains, s'ils venaient à
l'apprendre, ne se retirassent à la faveur de la nuit, (9) l'ennemi vient
attaquer leur camp vers la troisième veille. (10) Quinctius, après avoir apaisé
le tumulte causé par cette alarme subite, ordonne aux soldats de rester
tranquilles sous leurs tentes, et place en observation devant le camp la cohorte
des Herniques. En même temps il fait monter à cheval les cors et les trompettes,
avec ordre de sonner devant les retranchements et de tenir l'ennemi en échec
jusqu'au jour. (11) Le reste de la nuit, tout fut si tranquille dans le camp que
les Romains purent même se livrer au sommeil. Quant aux Volsques, à la vue de
cette infanterie, qu'ils croyaient plus nombreuse et qu'ils prennent pour les
Romains, au bruit des trépignements et des hennissements des chevaux
qu'effarouchent le poids d'un cavalier inconnu et le bruit qui retentit à leurs
oreilles, ils restent sur leurs gardes, comme si l'ennemi allait attaquer.
Défaite des Volsques et prise d'Antium (468)
[II, 65]
(1) Au point du jour, le Romain, plein de vigueur, et
rafraîchi par un long sommeil, s'avance contre le Volsque, harassé d'être resté
debout sous les armes, et d'avoir veillé toute la nuit. Dès le premier choc il
le repousse. (2) Cependant ce fut plutôt une retraite qu'une déroute; car
derrière eux s'élevaient des collines où leurs lignes, encore intactes (la
première seule avait été rompue), trouvèrent un refuge assuré. Le consul, arrivé
devant cette position désavantageuse, arrête l'armée : le soldat s'indigne
d'être retenu; il crie, il demande à poursuivre sa victoire. (3) La cavalerie se
montre encore plus impatiente; elle entoure le général et déclare à grands cris
qu'elle va commencer l'attaque. Le consul hésitait. Sûr du courage des soldats,
il se défie du terrain. Alors ils s'écrient qu'ils vont marcher, et l'effet suit
les paroles.
Ils fichent leurs javelots en terre, pour gravir plus
lestement la colline, et s'élancent au pas de course. (4) Le Volsque épuise ses
armes de trait pour repousser cette première attaque; ensuite, soulevant les
quartiers de roc qu'il trouve à ses pieds, il les fait rouler sur les
assaillants. Les rangs se débandent sous les coups redoublés d'un ennemi qui les
accable du haut de sa position. L'aile gauche est presque écrasée; et ils
allaient fuir, si le consul, leur reprochant une conduite tout à la fois
imprudente et lâche, n'eût chassé la crainte en réveillant l'honneur. (5) Ils
s'arrêtèrent d'abord, déterminés à ne pas reculer; puis, comme ils conservent
leur position, ils sentent renaître leurs forces, et osent s'élancer en avant.
Alors poussant de nouveau le cri de guerre, toute l'armée s'ébranle; on reprend
son élan, on redouble d'efforts, et l'on gravit la pente la plus escarpée. (6)
Déjà ils allaient atteindre le sommet de la colline, quand les ennemis prirent
la fuite. Vainqueurs et vaincus, confondus dans une course rapide et ne formant
plus pour ainsi dire qu'une seule armée, pénètrent ensemble dans le camp. Les
Romains, à la faveur de ce désordre, s'en emparent. Ceux des Volsques qui
peuvent échapper gagnent Antium. (7) Mais Antium voit arriver l'armée romaine,
et se rend après un siège de quelques jours; non que les assaillants eussent
fait un nouvel effort; mais l'issue malheureuse du combat et la perte du camp
avaient abattu le courage des Volsques.
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