Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre VIII - Rome, de 341 à 322

 

1. Guerres du Latium - 341 à 337 ([VIII,1] à [VIII, 14])

 

Guerres contre les Privernates et les Antiates (341)

[VIII, 1]

(1) Déjà les consuls C. Plautius, pour la seconde fois, et L. Aemilius Mamercus étaient en charge, quand les colons de Sétia et de Norba vinrent à Rome annoncer la défection des Privernates, et se plaindre du dommage qu'ils avaient reçu. (2) On apprit aussi que l'armée des Volsques, les Antiates en tête, était campée vers Satricum. (3) L'une et l'autre guerre échut par le sort à Plautius. Il marcha d'abord à Privernum, et livra bataille sur l'heure: l'ennemi vaincu sans beaucoup de peine, la ville fut prise, puis rendue aux Privernates: mais on y plaça une forte garnison, et on s'empara des deux tiers de leur territoire.

(4) Puis l'armée victorieuse s'achemina vers Satricum contre les Antiates. Il y eut là de part et d'autre lutte acharnée et grand carnage: l'espoir du succès était douteux encore, quand un orage sépara les combattants. Les Romains, qu'une lutte si incertaine n'avait point rebutés, étaient prêts à recommencer le lendemain; (5) mais les Volsques, calculant ce qu'ils avaient perdu de soldats dans cette bataille, n'étaient point pareillement disposés à recommencer: ils regagnèrent la nuit, en vaincus et à grande hâte, Antium, abandonnant leurs blessés et une partie de leurs bagages. (6) On trouva une immense quantité d'armes au milieu des cadavres ennemis, et dans le camp le consul déclara "qu'il en faisait don à Lua Mater"; et s'en alla dévaster le pays ennemi jusqu'aux rivages de la mer.

(7) L'autre consul, Aemilius, entré dans le Samnium, ne rencontra ni le camp des Samnites, ni leurs légions; il portait déjà les ravages du fer et du feu dans leurs campagnes, quand des ambassadeurs samnites vinrent implorer la paix: (8) il les renvoya au sénat. On leur permit de parler: alors, abaissant leur fierté, ils demandèrent la paix aux Romains, et le droit de combattre les Sidicins: (9) "demande d'autant plus juste, que les Samnites avaient sollicité l'amitié du peuple romain aux jours de leurs prospérités, non dans leur détresse comme les Campaniens; et que les Sidicins, contre qui ils prenaient les armes, avaient toujours été leurs ennemis, sans jamais avoir été les amis du peuple romain, (10) sans avoir sollicité, comme les Samnites, son amitié durant la paix, ni, comme les Campaniens, son appui dans la guerre, et qu'ils n'étaient enfin, ni sous la protection, ni dans la dépendance du peuple romain."

Coalition des peuples du Latium contre les Samnites

[VIII, 2]

(1) Sur ces demandes des Samnites, le préteur Ti. Aemilius prit l'avis du sénat; le sénat consentit à renouveler le traité, (2) et le préteur répondit aux Samnites: "Qu'il n'avait pas tenu au peuple romain que son alliance avec eux n'eût été durable: on ne refuse pas, aujourd'hui qu'ils sont las d'une guerre dont ils sont seuls coupables, de renouer avec eux une alliance nouvelle. (3) Quant à ce qui concerne les Sidicins, on laisse au peuple samnite son libre droit de paix et de guerre". (4) Le traité conclu, ils retournèrent dans leurs foyers. Aussitôt on ramena du Samnium l'armée romaine qui avait reçu là une année de solde et trois mois de vivres: condition imposée par le consul à la trêve consentie jusqu'au retour de la députation.

(5) Les Samnites dirigèrent alors contre les Sidicins les troupes qu'ils avaient employées contre l'armée romaine, comptant bien s'emparer sans délai de la ville ennemie. (6) Les Sidicins offrirent d'abord de se livrer aux Romains: mais le sénat repoussa cette offre tardive et que leur arrachait l'extrême nécessité; alors il s'unirent aux Latins, qui déjà, de leur chef, s'étaient levés en armes. (7) Les Campaniens eux-mêmes (tant ils avaient meilleur souvenir de l'outrage des Samnites que du bienfait de Rome!), n'hésitèrent point à prendre part dans cette guerre.

(8) Tous ces peuples assemblés en une seule et immense armée, sous les ordres d'un Latin, envahirent les frontières samnites, où ils firent plus de mal à dévaster qu'à combattre; et, quoique vainqueurs en toutes rencontres, les Latins, las d'avoir à lutter sans cesse, sortirent volontairement du pays ennemi: (9) ce qui donna loisir aux Samnites d'envoyer des députés à Rome. Ils se présentent devant le sénat; ils se plaignent de souffrir autant depuis qu'ils sont les alliés de Rome que lorsqu'ils étaient ses ennemis; (10) ils demandent avec d'humbles prières "qu'il suffise aux Romains de leur avoir arraché leur victoire sur le Campanien et le Sidicin, sans les laisser vaincre encore par les plus lâches ennemis. (11) Si les Latins et les Campaniens sont sujets du peuple romain, il peut, en vertu de son autorité, leur défendre de violer le territoire samnite; sinon, et s'ils déclinent son autorité, les contraindre par les armes."

(12) On ne leur donna qu'une réponse équivoque; on rougissait d'avouer qu'on avait perdu de son pouvoir sur les Latins, et l'on craignait, en les irritant, de les aliéner sans retour. (13) "Quant aux Campaniens, leur position n'est pas la même; ce n'est point un traité, c'est une soumission qui les enchaîne à Rome; ainsi les Campaniens, bon gré, mal gré, poseront les armes; mais les Latins, rien dans leur traité ne les empêche de porter la guerre à qui bon leur semble."

Complot de la Ligue latine contre Rome (341)

[VIII, 3]

(1) Cette réponse, qui renvoyait les Samnites incertains de ce que Rome voudrait faire, fit peur aux Campaniens, qu'elle aliéna, et donna plus d'audace aux Latins, qui ne doutèrent plus que Rome n'eût renoncé à tous ses droits sur eux. (2) Aussi, sous le prétexte de quelques préparatifs de guerre contre les Samnites, ils convoquèrent plusieurs assemblées, et, dans toutes ces réunions, leurs chefs mûrissaient de concert et en secret la guerre contre Rome: et de cette guerre contre ses sauveurs, le Campanien était complice encore. (3) Mais, malgré le soin qu'on prit de cacher tous ces projets, car on voulait, avant d'attaquer les Romains, se défaire par derrière du Samnite ennemi, quelques Latins, que rattachaient à Rome d'intimes liaisons d'hospitalité et d'amitié, laissèrent percer des indices du complot. (4) On ordonna aux consuls d'abdiquer avant le temps, afin d'avoir plus tôt de nouveaux consuls pour soutenir le poids de tant de guerres: mais un scrupule religieux ne permit pas que ceux dont l'autorité était ainsi réduite, ouvrissent les comices. (5) On recourut à l'interrègne: deux interrois se succédèrent, M. Valerius et M. Fabius. On créa consuls T. Manlius Torquatus, pour la troisième fois, et P. Decius Mus.

(6) On s'accorde à dire que cette année Alexandre, roi d'Épire, aborda sur sa flotte en Italie; et si ses premiers efforts eussent eu du succès, ses armes, à coup sûr, seraient venues jusqu'à Rome. (7) C'est à la même époque qu'un neveu de ce prince, Alexandre le Grand, se signala dans une autre partie du monde, où la fortune après l'avoir fait sortir victorieux de tant de guerres, l'enleva par une maladie, à la fleur de son âge.

(8) Au reste, les Romains, qui ne doutaient plus de la défection des alliés et des peuples latins, affectèrent néanmoins de ne craindre que pour les Samnites et non pour eux-mêmes: ils mandèrent à la ville dix chefs des Latins, pour leur déclarer les volontés de Rome. (9) Le Latium avait alors deux préteurs, L. Annius de Sétia et L. Numisius de Circei, tous deux colons romains, et qui, après avoir soulevé Signia et Vélitres, colonies romaines elles-mêmes, avaient encore entraîné les Volsques à la guerre. Ceux-là, on résolut de les mander nommément. (10) Nul ne put se méprendre sur l'objet de cette convocation. Aussi les préteurs, avant de partir, assemblent le conseil, l'instruisent des ordres du sénat qui les appelle à Rome, des intentions qu'ils lui supposent, et demandent ce qu'ils devront répondre.

Discours d'Annius à l'assemblée des Latins

[VIII, 4]

(1) Les avis étaient partagés; alors Annius: "Quoique j'aie moi-même demandé au conseil ce qu'il faudra répondre, néanmoins je pense qu'il est pour nous d'un plus grave intérêt d'examiner ce que nous aurons à faire que ce que nous aurons à dire: il sera facile, une fois un parti pris, d'approprier le langage aux actions. (2) Car si nous pouvons encore, sous ombre d'alliance, endurer bonnement l'esclavage, qu'hésitons-nous à trahir les Sidicins, à subir les volontés, non de Rome seulement, mais des Samnites, à répondre au sénat romain que, dès qu'il fera signe, nous poserons les armes? (3) Mais si enfin un regret de liberté nous mord au coeur; s'il y a pacte; si toute alliance suppose droit égal; si nous sommes du même sang que les Romains, aveu pénible autrefois, glorieux aujourd'hui; si notre armée sociale est telle pour eux, qu'à se l'adjoindre ils doublent leurs forces; si, pour entreprendre ou mettre à fin leurs guerres, jamais leurs consuls n'ont voulu se séparer d'elle; pourquoi pas toutes choses égales entre nous? (4) pourquoi l'un des consuls n'est-il pas fourni par les Latins? à qui donne part de force, on doit part de pouvoir. (5) Et ce n'est certes pas trop exiger, puisque nous accordons que Rome soit la capitale du Latium; mais nous paraîtrons encore exiger beaucoup, après avoir si longtemps et si patiemment laissé faire."

(6) "Toutefois, si jamais vous avez souhaité l'occasion de vous associer à l'empire, de reconquérir la liberté, voici que cette occasion se présente: prenez-la de votre vaillance et de la bonté des dieux. (7) Vous avez essayé leur patience en refusant des troupes. Doutiez-vous qu'ils ne fissent rage quand nous brisions ce joug de plus de deux cents ans? ils ont enduré pourtant cet affront. (8) Nous avons, en notre nom, porté la guerre aux Péligniens, et ces Romains, qui auparavant nous refusaient le droit de défendre nous-mêmes nos frontières, n'ont point osé intervenir. (9) Les Sidicins se sont rangés sous notre tutelle, les Campaniens ont quitté Rome pour venir à nous, nos armées vont marcher contre les Samnites, ses alliés; ils le savent, et n'ont pas fait un pas hors de leur ville. (10) D'où leur vient tant de modération, sinon de la conscience et de nos forces et des leurs? J'ai de sûrs garants que, dans sa réponse aux Samnites qui se plaignaient de nous, le sénat romain laissa facilement voir qu'ils ne prétendaient plus eux-mêmes à tenir encore le Latium sous la domination romaine. Prenez donc, et il ne faut que le demander, ce qu'ils vous accordent tacitement. (11) Si la peur vous défend de parler, me voici; oui, à la face du peuple romain, du sénat et de Jupiter même, qui loge au Capitole, je m'engage à leur dire, que, s'ils veulent notre amitié et notre alliance, ils auront un des consuls et moitié du sénat à recevoir de nous."

(12) Il ne se bornait pas à donner un conseil hardi; il en prenait sur lui l'exécution: il n'y eut qu'un cri d'assentiment; on lui permit de faire et de dire ce que lui inspirerait l'intérêt du nom latin et sa propre conscience.

Discussion au sénat

[VIII, 5]

(1) Ils arrivent à Rome: le sénat leur donne audience au Capitole. Là, T. Manlius, consul, leur défendit, au nom des sénateurs, de porter la guerre aux Samnites, alliés de Rome. (2) Alors Annius, comme un vainqueur en armes assis au Capitole, et non plus comme un député qui n'a que le droit des gens pour sauvegarde, parla ainsi: (3) "Il serait bien temps, T. Manlius, et vous, pères conscrits, de renoncer enfin à nous traiter en maîtres, aujourd'hui que vous voyez le Latium si puissant en armes et en guerriers, grâce à la bonté des dieux, à ses victoires sur les Samnites, à son alliance avec les Sidicins et les Campaniens, à la récente jonction des Volsques, aujourd'hui que vos colonies ont préféré son empire à l'empire de Rome."

(4) "Mais puisque vous ne pouvez vous mettre en tête d'imposer un terme à votre despotisme, quoique nous soyons de force à assurer par les armes la liberté du Latium, néanmoins, en faveur des liens du sang qui nous unissent, nous consentons à proposer des conditions de paix, égales pour les deux peuples, puisqu'il a plu aux dieux immortels de leur faire une égale puissance. (5) Il faut que l'un des consuls soit pris de Rome, l'autre du Latium, que par portion égale le sénat soit tiré de l'une et de l'autre nation, qu'il se fasse un seul peuple, une seule république; (6) et, pour qu'il n'y ait plus qu'un même siège d'empire, un même nom pour tous, comme il faut bien qu'ici l'une des parties cède à l'autre, pour le profit de toutes deux, nous accordons que cette ville soit la commune patrie, et que nous soyons tous appelés Romains".

(7) Par hasard il se trouva que Rome eut à lui opposer un adversaire non moins altier que lui, le consul T. Manlius, qui ne put contenir sa colère, et déclara hautement que si les pères conscrits avaient la démence d'accepter des lois d'un homme de Sétia, il viendrait armé d'un glaive au sénat, et que tout Latin qu'il verrait dans la curie, il le tuerait de sa main. (8) Puis, se tournant vers la statue de Jupiter: "Jupiter, entends ces crimes, s'écrie-t-il; entendez-le, droit et Justice! Des étrangers consuls! des étrangers au sénat! et c'est dans ton temple auguré, Jupiter, c'est captif et opprimé toi-même que tu verrais cela! (9) Est-ce là le traité de Tullus, roi de Rome, avec les Albains, vos ancêtres, Latins? le traité que L. Tarquin fit plus tard avec vous? (10) N'avez-vous plus souvenir de la bataille au lac Régille? et vos vieilles défaites, et nos bienfaits envers vous, avez-vous tout oublié?"

La chute d'Annius et le rêve des consuls (340)

[VIII, 6]

(1) L'indignation des sénateurs suivit le discours du consul, et l'on rapporte que, par mépris des supplications réitérées des consuls qui imploraient avec instance les dieux témoins des serments, on entendit la voix d'Annius se moquer de la divinité du Jupiter romain. (2) Il est certain qu'entraîné par la colère, il s'arracha brusquement du vestibule du temple, tomba sur les degrés, et, roulant jusqu'au bas, alla se heurter si violemment la tête contre une pierre, qu'il s'évanouit. (3) Il en mourut, dit-on mais comme ce fait n'est pas affirmé par tous les auteurs, je le laisse aussi dans le doute, ainsi que ce violent coup de tonnerre suivi d'un orage, au moment de l'appel aux dieux contre la rupture des traités; tout cela peut être vrai, et n'être aussi qu'une fiction imaginée pour mieux prouver la colère du ciel.

(4) Torquatus, envoyé par le sénat pour congédier les députés, voyant par terre Annius, s'écria, assez haut pour être entendu du peuple et du sénat tout ensemble: (5) "C'est bien; les dieux justes veulent la guerre. Il est au ciel une providence! grand Jupiter, tu existes! et ce n'est point vainement que nous te proclamons père des dieux et des hommes, et que nous t'avons consacré cette demeure. (6) Que tardez-vous, Romains, et vous, pères conscrits, à prendre les armes? les dieux marchent avec nous. Je vous coucherai par terre les légions latines, comme leur député que vous voyez à vos pieds." (7) L'assentiment du peuple accueillit la voix du consul: il avait inspiré tant d'ardeur aux esprits, que, sans la présence des magistrats qui, par ordre du consul, accompagnèrent le départ des députes, le droit des gens n'eût pu les défendre de la rage et de l'emportement de la foule.

(8) Le sénat aussi approuva la guerre, et les consuls, après avoir levé deux armées, traversèrent le pays des Marses et des Péligniens, se rallièrent à l'armée des Samnites, et vinrent asseoir leur camp devant Capoue, où les Latins et leurs alliés s'étaient réunis. (9) Là, durant leur sommeil, on dit que les deux consuls eurent une même vision. Un homme leur apparut, d'une taille et d'une majesté plus qu'humaine, (10) et leur dit, "Qu'un général d'un côté, de l'autre une armée étaient dus aux dieux Mânes et à la Terre Mère; et que celui des généraux de l'une ou l'autre armée, qui aurait dévoué les légions ennemies et lui-même après elles, donnerait à son peuple, à son parti, la victoire."

(11) Les consuls se communiquèrent leurs visions nocturnes, et, pour détourner la colère des dieux, résolurent d'immoler des victimes, afin aussi que si les présages des entrailles s'accordaient avec leurs visions, l'un ou l'autre consul accomplît les destins. (12) Les réponses des haruspices confirmèrent les pieuses impressions dont leur âme était secrètement pénétrée; alors ils convoquent les lieutenants et les tribuns, leur exposent sans détours les ordres des dieux, et, comme la mort volontaire d'un consul eût effrayé l'armée au milieu du combat, (13) on convient que celui des consuls qui commanderait le côté de l'armée romaine qui commencerait à plier, se dévouerait pour le peuple romain et les Quirites. (14) On décida aussi dans le conseil que si jamais guerre avait eu besoin d'une direction sévère, c'était celle-ci, et qu'on devait y ramener la discipline militaire à son antique rigueur. (15) C'est qu'on allait combattre contre les Latins, c'est qu'on redoutait vivement la conformité du langage, des moeurs, des armes, des institutions militaires surtout: de soldats à soldats, de centurions à centurions, de tribuns à tribuns, tous se valent; tous frères d'armes, ils ont partagé les mêmes garnisons, et souvent les mêmes manipules. (16) Aussi, pour épargner aux soldats toutes méprises, un édit des consuls défendit à tous d'attaquer l'ennemi hors des rangs.

Le combat singulier du fils du consul et ce qu'il en advint

[VIII, 7]

(1) Envoyé par hasard, ainsi que d'autres préfets de cavalerie, pour faire de tous côtés des reconnaissances, T. Manlius, fils du consul, vint avec sa troupe déboucher sur le camp ennemi, et si près qu'il était à peine à une portée de trait de leur premier poste. (2) Il y avait là des cavaliers tusculans, commandés par Geminus Maecius, homme distingué par sa naissance entre les siens, et par ses exploits.

(3) Si tôt qu'il eût aperçu les cavaliers romains, et remarqué parmi eux et à leur tête le fils du consul (car ils se connaissaient tous, surtout les hommes de renom): (4) "Est-ce avec un seul escadron, Romains, leur dit-il, que vous comptez livrer bataille aux Latins et à leurs alliés? Que feront pendant ce temps-là les consuls et les deux armées consulaires?" - (5) "Ils viendront en leur temps, répondit Manlius, et avec eux viendra Jupiter, témoin des traités par vous violés, et qui plus que nous a force et pouvoir. (6) Si nous vous avons battu à satiété au lac Régille, ici encore nous ferons si bien que de longtemps vous n'aurez pas envie de vous mesurer en plaine avec nous." (7) À ces mots Geminus s'étant porté à cheval un peu en avant des siens: "Veux-tu alors, avant que le jour vienne où, pour cette grande oeuvre, s'ébranleront vos armées, te mesurer en attendant avec moi, afin que l'issue de notre lutte apprenne combien le cavalier latin surpasse le romain?"

(8) L'âme altière du jeune homme se soulève: soit colère, soit honte de refuser le combat, soit enfin l'insurmontable empire du destin, il oublie et l'autorité paternelle et l'édit des consuls, il se précipite en aveugle à cette lutte, où il importait si peu d'être vainqueur ou vaincu. (9) Les autres cavaliers se rangent pour contempler ce spectacle, et, dans l'espace qu'on leur a laissé libre, les rivaux s'élancent, poussent leurs chevaux et s'attaquent à coups de piques: celle de Manlius glissa au-dessus du casque de l'ennemi, celle de Maecius effleura le cou du cheval. (10) Ils font tourner leur chevaux, et reviennent à la charge: plus prompt pour ce nouveau coup, Manlius se dresse et plante sa javeline entre les oreilles du cheval; le cheval se sent blessé, se cabre en secouant violemment la tête, et renverse son cavalier, (11) qui, s'appuyant sur sa pique et sur son bouclier, essayait de se relever de cette lourde chute, quand Manlius lui plonge son fer dans la gorge, lui traverse les côtes et le cloue à terre. (12) Il recueille ses dépouilles, revient près des siens, rentre au camp au milieu de l'ovation joyeuse de sa troupe, et va droit à la tente de son père, ignorant le sort fatal qui l'attend, et s'il a mérité la louange ou le supplice: (13) "Afin, dit-il, ô mon père, de bien convaincre ici tout le monde que je suis sorti de ton sang, j'apporte ces dépouilles d'un cavalier ennemi qui m'a défié et que j'ai tué."

(14) Le consul eut à peine entendu son fils, qu'il détourna de lui ses regards, fit sonner la trompette et convoquer l'armée. (15) Dès que l'assemblée fut assez nombreuse: "Puisque toi, T. Manlius, lui dit-il, sans respect pour l'autorité consulaire et pour la majesté paternelle, tu as, contre notre défense et hors des rangs, combattu l'ennemi; (16) puisque tu as, autant que tu l'as pu, brisé les liens de la discipline militaire, qui, jusqu'à ce jour, a fait la force de Rome; et que tu m'as réduit à la nécessité de mettre en oubli, ou la république, ou moi et les miens: (17) il vaut mieux que nous portions la peine de notre crime, que de faire payer si cher nos fautes à la république: triste exemple à donner, mais salutaire leçon pour la jeunesse à l'avenir. (18) À la vérité, ma tendresse naturelle pour un fils, et cet essai d'une valeur séduite par une vaine image de gloire, me touchent en ta faveur. (19) Mais puisqu'il faut ou sanctionner par ta mort les arrêts consulaires, ou par ton impunité les abroger à jamais, je ne pense pas que, si tu as encore du sang à nous dans les veines, tu refuses de rétablir par ton supplice cette discipline militaire que ta faute a renversée. Va, licteur, attache-le au poteau."

(20) Un si atroce commandement consterna l'armée: chacun pensa voir la hache levée sur sa tête, et, plus par crainte que par ménagement, on se tut. (21) Puis, revenue enfin de sa stupeur, cette foule, d'abord morne et silencieuse, eut à peine vu tomber la tète et le sang rejaillir, qu'elle laissa librement éclater ses plaintes et ses cris, et n'épargna ni ses regrets ni ses imprécations. (22) Ils couvrirent des dépouilles le corps du jeune homme, et pour célébrer ses funérailles avec tout l'appareil d'une solennité militaire, ils élevèrent un bûcher hors du camp, et l'y brûlèrent; et la "sentence de Manlius", après avoir effrayé son siècle, laissa encore un triste souvenir à la postérité.

Organisation de l'armée manipulaire

[VIII, 8]

(1) Toutefois, l'atrocité de ce châtiment rendit le soldat plus docile à son chef; les gardes, les factions, le roulement du service, tout se fit avec plus de vigilance et de soin; enfin, même dans la bataille décisive, quand on descendit au combat dans la plaine, cette sévérité fut utile encore. (2) Cette bataille, du reste, eut toute l'apparence d'une guerre civile: tant, au courage près, les Latins différaient peu des Romains!

(3) Les Romains s'étaient servis d'abord du bouclier; plus tard, et depuis l'institution d'une solde, l'écu remplaça le bouclier. Ils se rangeaient d'abord par phalanges, comme les Macédoniens; ensuite ils disposèrent leurs troupes par manipules, (4) divisés enfin en plusieurs sections. Une section avait soixante soldats, deux centurions, un vexillaire. (5) En bataille, au premier rang étaient les hastats, formant quinze manipules, séparés entre eux par un court intervalle. Le manipule avait vingt soldats de troupes légères; le reste marchait chargé de l'écu: on appelait troupes légères celles qui portaient seulement une lance et des javelots.

(6) C'était dans cette première ligne de bataille que la fleur de la jeunesse essayait sa puberté militaire. Après eux, et formant autant de manipules, venaient des soldats d'un âge plus robuste, appelés principes, tous portant l'écu, et remarquables par l'éclat de leurs armes. (7) Ces trente manipules s'appelaient "antepilani", parce qu'ils précédaient sous les enseignes quinze autres sections, qui chacune se divisaient en trois parties. (8) Chacune de ces parties, appelée primipile, avais trois drapeaux: le drapeau réunissait cent quatre-vingt-six hommes. Sous le premier drapeau marchaient les triaires, vieux soldats d'une vaillance éprouvée; sous le second, les "rorarii", dont l'âge et le bras avaient moins de vigueur; sous le troisième enfin les "accensi", peu dignes de confiance et rejetés pour cela aux derniers rangs.

(9) Quand toutes ces divisions de l'armée étaient ainsi disposées, les hastats les premiers engageaient le combat. Si les hastats ne pouvaient enfoncer l'ennemi, ils se retiraient pas à pas et rentraient dans les rangs des principes qui s'ouvraient pour les recevoir; alors les principes faisaient tête et les hastats suivaient. (10) Les triaires demeuraient immobiles sous leurs drapeaux, la jambe gauche tendue en avant, l'écu appuyé sur l'épaule, la lance inclinée et plantée en terre, la pointe droite: dans cette position, ils semblaient une armée retranchée derrière une haie de palissades.

(11) Si les principes eux-mêmes avaient attaqué sans succès, du front de bataille ils reculaient insensiblement jusqu'aux triaires: de là ce proverbe si usité "qu'on en vient aux triaires" quand on est en danger. (12) Les triaires se levant alors, après avoir accueilli dans leurs lignes ouvertes les principes et les hastats, serraient leurs rangs aussitôt comme pour fermer tout passage; (13) puis ce corps compact et pressé, qui ne laissait plus d'espoir après lui, tombait sur l'ennemi: moment terrible pour l'ennemi, qui pensant n'avoir que des vaincus à poursuivre, voyait tout à coup surgir une armée nouvelle et plus nombreuse. (14) On enrôlait presque toujours quatre légions de cinq mille fantassins et de trois cents cavaliers chacune.

On y joignait un nombre égal de troupes fournies par les Latins, qui, dans cette journée, ennemis de Rome, avaient rangé leur armée dans le même ordre, (15) opposant les triaires aux triaires, les hastats aux hastats, les principes aux principes, en sorte que le centurion même, si les rangs n'étaient point confondus, savait le centurion qu'il aurait à combattre. (16) Il y avait, parmi les triaires de l'une et l'autre armée, deux primipilaires: le Romain était peu robuste, du reste vaillant homme et habile soldat; (17) le Latin plein de vigueur et guerrier accompli: bien connus l'un à l'autre, parce que leurs sections avaient toujours marché de pair. (18) Le Romain, qui se défiait de ses forces, avait, dans Rome même, obtenu des consuls la permission de s'adjoindre, à son choix, un sous-centurion, qui pût le défendre contre l'adversaire qui lui était destiné; et ce jeune homme en effet, opposé dans la mêlée au centurion latin, remporta sur lui la victoire. (19) La bataille se livra non loin du Vésuve, sur le chemin qui menait au Veseris.

La bataille de Veseris; le consul se dévoue pour l'armée (340)

[VIII, 9]

(1) Les consuls romains, avant de marcher au combat, sacrifièrent. L'haruspice, dit-on, fit voir à Decius que, dans la partie familière, la tête du foie était mutilée: la victime d'ailleurs était agréable aux dieux. Le sacrifice de Manlius avait réussi. "Je suis content, dit Decius, puisque mon collègue est bien avec les dieux." (2) Les troupes disposées comme on l'a dit plus haut, on s'avança au combat. Manlius commandait l'aile droite, Decius la gauche.

(3) D'abord, à forces égales de part et d'autre, l'action se soutint avec même ardeur. Bientôt, à l'aile gauche, les hastats romains, ne supportant plus le choc des Latins, se replièrent sur les principes. (4) Dans ce trouble, le consul Decius appelle à haute voix M. Valerius: "Il nous faut ici l'aide des dieux, Valerius. Allons, pontife suprême du peuple romain, dicte-moi les paroles dont je dois me servir en me dévouant pour les légions.»

(5) Le pontife lui ordonna de prendre la toge prétexte, et, la tête voilée, une main ramenée sous la toge jusqu'au menton, debout et les pieds sur un javelot, de dire: (6) "Janus, Jupiter, Mars père, Quirinus, Bellone, Lares, dieux Novensiles, dieux Indigètes, dieux qui avez pouvoir sur nous et l'ennemi, dieux Mânes, (7) je vous prie, vous supplie, vous demande en grâce, et j'y compte, d'accorder heureusement au peuple romain des Quirites force et victoire, et de frapper les ennemis du peuple romain des Quirites de terreur, d'épouvante et de mort. (8) Ainsi que je le déclare par ces paroles, oui, pour la république des Quirites, pour l'armée, les légions, les auxiliaires du peuple romain des Quirites, je me dévoue, et avec moi les légions et les auxiliaires de l'ennemi. aux dieux Mânes et à la Terre."

(9) Après cette prière, il donne ordre à ses licteurs de se retirer près de T. Manlius, et de lui annoncer sans délai que son collègue s'est dévoué pour l'armée. Lui, ceint à la façon de Gabies, il saute tout armé sur son cheval, et se jette au milieu des ennemis. (10) Il apparut un instant aux deux armées revêtu d'une majesté plus qu'humaine, comme un envoyé du ciel pour expier tout le courroux des dieux, pour détourner de sa patrie les revers et les reporter sur l'ennemi. (11) Aussi la crainte et l'épouvante passant avec lui dans l'armée latine, troublèrent d'abord les enseignes, et pénétrèrent bientôt par tous les rangs. (12) On put aisément remarquer que, partout où l'entraînait son cheval, l'ennemi, comme atteint par un astre malfaisant, demeurait saisi d'effroi. Enfin quand, accablé de traits, il tomba mort, les cohortes latines évidemment consternées prirent la fuite et disparurent au loin dans la plaine. (13) En même temps les Romains, affranchis de leurs terreurs religieuses, s'élancent comme au premier signal du combat, et recommencent une lutte nouvelle. (14) Les "rorarii", accourus dans les rangs des "antepilani", ajoutaient aux forces des hastats et des principes; et les triaires, le genou droit en terre, n'attendaient pour se lever qu'un signe du consul.

Victoire romaine

[VIII, 10]

(1) Dans le cours du combat, comme les Latins, plus nombreux, l'emportaient sur d'autres points, le consul Manlius, qui avait appris la fin de son collègue, et, selon tout devoir et toute justice, pieusement honoré de ses larmes et de ses éloges un trépas si mémorable, (2) douta un instant s'il n'était pas à propos de faire lever les triaires; puis, jugeant bientôt qu'il vaudrait mieux réserver ces troupes neuves encore pour une dernière épreuve, il fait avancer les "accensi", de la troisième ligne à la première. (3) À la vue de ce mouvement, les Latins aussitôt, croyant y répondre et imiter l'ennemi, font marcher leurs triaires. Ceux-ci, après s'être quelque temps lassés par un combat acharné, après avoir brisé ou émoussé leurs lances, parvinrent pourtant à faire plier l'ennemi, et se crurent maîtres de l'affaire et vainqueurs des dernières lignes romaines. Alors le consul crie aux triaires: (4) "Debout à cette heure! Marchez dans votre force sur un ennemi harassé. Songez à la patrie, à vos pères, à vos mères, à vos femmes et à vos enfants; songez au consul qui, pour vous faire vaincre, a voulu mourir!"

(5) Les triaires se lèvent, fraîche et nouvelle armée aux armes resplendissantes. Ils accueillent les "antepilani" dans les vides de leurs rangs, (6) poussent le cri et culbutent la ligne avancée des Latins: de la pointe de leurs lances, ils leur percent le visage. Ce premier rempart de guerriers une fois détruit, les autres manipules étaient désarmés: ils les traversèrent sans recevoir presque une blessure; et ils y firent de si sanglantes et si larges trouées, qu'ils laissèrent sur pied à peine le quart de l'ennemi. (7) Les Samnites, qu'on voyait au loin rangés en bataille au pied de la montage, inspirèrent aussi la terreur aux Latins.

Mais entre tous, alliés et citoyens, la première gloire en cette guerre appartient aux consuls: l'un détourna sur lui seul toutes les menaces et les vengeances des dieux du ciel et des enfers; (8) l'autre montra tant de courage et de prudence en cette action, que, Romains ou Latins, les auteurs qui ont transmis à la postérité le souvenir de cette bataille conviennent sans hésiter que, partout où T. Manlius eût commandé, la victoire lui était infailliblement acquise. (9) Les Latins, après leur déroute, se retirèrent à Minturnes. Le camp fut pris à la suite du combat; beaucoup de soldats vivants, des Campaniens surtout, y furent chargés de fers. (10) On ne put retrouver ce jour-là le corps de Decius: la nuit suspendit les recherches. Il fut retrouvé le lendemain criblé de traits au milieu d'un immense monceau d'ennemis massacrés: son collègue lui fit des obsèques solennelles et dignes de sa mort.

(11) Je crois devoir ajouter ici que le consul, le dictateur, ou le préteur, qui dévoue les légions ennemies, n'est pas tenu pour cela de se dévouer lui-même; il peut, à son gré, désigner tout autre citoyen, mais soldat d'une légion romaine. (12) Si cet homme, ainsi dévoué, meurt, le sacrifice est bien et dûment accompli: s'il survit, on enfouit dans la terre son effigie haute de sept pieds ou plus, et on immole une victime expiatoire. Sur la place où cette effigie est enterrée, le magistrat romain ne peut passer sans crime. (13) Mais s'il a voulu se dévouer lui-même, ainsi que Decius, et qu'il ne meure pas, jamais par lui sacrifice privé ou public ne sera purement fait, après s'être ainsi dévoué. S'il veut vouer ses armes à Vulcain ou à tout autre dieu, avec une victime ou toute autre offrande, il le peut. (14) Le javelot que le consul a tenu sous ses pieds en prononçant sa prière, ne doit jamais tomber aux mains de l'ennemi; s'il y tombe, on offre à Mars un suovetaurile expiatoire.

Conséquences de la guerre du Latium

[VIII, 11]

(1) Quoique tout souvenir ait péri de nos usages civils et religieux, par la préférence donnée à toute coutume nouvelle et étrangère sur nos vieilles et patriotiques institutions, je n'ai pas cru hors de propos de rapporter ces détails dans les termes mêmes où ils nous ont été transmis et enseignés.

(2) Je trouve dans quelques auteurs que les Samnites ne vinrent en aide aux Romains qu'au moment où la bataille était déjà gagnée: ils avaient attendu l'événement du combat. (3) D'un autre côté, Lavinium, qui voulait soutenir les Latins, perdit le temps à délibérer, et les Latins étaient vaincus que ses secours commençaient à peine à marcher. (4) Les premières enseignes et une partie des troupes étaient déjà sorties de ses murs, quand la nouvelle arriva de la défaite des Latins; retournant sur leurs pas, les enseignes rentrèrent dans la ville, et leur préteur, nommé Milionius, s'écria, dit-on, "que les Romains leur feraient payer cher ce peu de chemin."

(5) Les Latins qui s'étaient échappés du combat, et dispersés par plusieurs routes, se rallièrent bientôt et se réfugièrent dans la ville de Vescia. (6) Là, dans les conseils, Numisius, leur général, affirmait "que les désastres de la guerre étaient vraiment communs à tous: dans l'une et l'autre armée, même carnage, même ruine: les Romains n'ont de la victoire que le nom, du reste, toute la destinée des vaincus, ils la subissent; (7) le deuil est aux prétoires des deux consuls, ici le meurtre d'un fils par son père, là le trépas du consul dévoué; l'armée entière taillée en pièces; les hastats et les principes exterminés; devant, derrière les enseignes, partout la mort et le massacre: les triaires seuls ont relevé l'affaire. (8) Les forces des Latins n'ont pas moins souffert; mais, pour un renfort, le Latium ou les Volsques sont plus à leur portée que Rome des Romains. (9) Ainsi donc, si on l'approuve, il enrôlera sans délai une jeune armée parmi les peuplades volsques et latines, et reviendra bientôt à Capoue reporter la guerre aux Romains, qui ne s'attendent à rien moins qu'à combattre, et que cette soudaine attaque frappera d'épouvante". (10) Des lettres mensongères parcourent le Latium et la confédération volsque, et comme ceux qui n'avaient pas assisté au combat étaient plus faciles à abuser, de partout une armée improvisée se lève et se rassemble à la hâte.

(11) Le consul Torquatus marcha contre elle et la rencontra vers Trifanum, entre Sinuessa et Minturnes: et, sans même asseoir un camp, de part et d'autre on jeta les bagages en monceau, et on courut se battre pour en finir: (12) le désastre des Latins fut tel, que, voyant le consul mener son armée victorieuse au pillage de leurs campagnes, tous se soumirent: la soumission des Campaniens s'ensuivit. (13) Pour punir le Latium et Capoue, on leur prit du territoire. Les terres latines, auxquelles on joignit les terres des Privernates, et celles de Falerne qui appartenaient aux Campaniens, jusqu'au fleuve Volturne, furent distribuées au peuple de Rome. (14) On donnait par lot, ou deux arpents de terre du Latium, avec un complément de trois quarts d'arpent de terrain privernate, ou trois arpents de terrain de Falerne, c'est-à-dire un quart en sus, à cause de la distance.

(15) On exempta de la peine imposée aux Latins les Laurentins et les cavaliers de Capoue qui n'avaient point pris part à la défection. On ordonna le renouvellement du traité des Laurentins, et depuis ce temps on le renouvelle encore chaque année dix jours après les féries latines. (16) Les cavaliers campaniens eurent droit de cité: le souvenir en fut conservé sur une table d'airain qu'ils attachèrent dans le temple de Castor, à Rome; et le peuple campanien eut ordre de payer par an à chacun d'eux (il étaient seize cents) un tribut de quatre cent cinquante deniers.

Mesures démagogiques des consuls à l'encontre du sénat (339)

[VIII, 12]

(1) La guerre ainsi achevée, la part ainsi faite à chacun de peine ou de récompense selon son mérite, T. Manlius revint à Rome. Au-devant de lui les vieillards seuls s'avancèrent; il est constant que la jeunesse l'eut toujours, et dès lors, et toute la vie, en horreur et en exécration.

(2) Les Antiates firent des incursions sur les terres d'Ostie, d'Ardée et de Solonium. Le consul Manlius, malade et hors d'état de conduire cette guerre, nomma un dictateur, L. Papirius Crassus, qui d'aventure était préteur alors: celui-ci nomma L. Papirius Cursor maître de la cavalerie. (3) Le dictateur ne fit rien de mémorable contre les Antiates: seulement il occupa le territoire d'Antium et y demeura campé quelques mois.

(4) À cette année marquée par des victoires sur tant et de si puissants peuples, et par le glorieux trépas de l'un des consuls, et par l'arrêt cruel dont l'autre illustra sa mémoire, succédèrent les consuls Ti. Aemilius Mamercinus et Q. Publilius Philo: (5) ceux-là n'ont point eu pareille matière de gloire; ils ont plus songé à leur intérêt et à leur parti dans la république, qu'à la patrie elle-même. Les Latins, par dépit de la perte de leur territoire, avaient repris les armes: ils les battirent dans les plaines de Fénectum et les dépouillèrent de leur camp. (6) Là, pendant que Publilius (c'était sous ses ordres et ses auspices que le combat avait eu lieu) recevait la soumission des peuples latins, dont la jeunesse avait été massacrée dans cette journée, Aemilius mena l'armée à Pédum. (7) Pédum était soutenu par les gens de Tibur, de Préneste et de Vélitres: il était venu aussi des secours de Lanuvium et d'Antium. (8) Dans les combats le Romain fut vainqueur; mais la ville, mais Pédum, mais le camp des peuples alliés qui tenait à la ville, étaient debout encore, et l'oeuvre sur ce point-là restait entière.

(9) Lorsque le consul apprend le triomphe décerné à son collègue, il laisse brusquement tomber la guerre inachevée, et, sollicitant le triomphe, même avant la victoire, il revient aussi à Rome. (10) Indignés de cet avide empressement, les sénateurs lui refusent le triomphe jusqu'à la prise ou la reddition de Pédum. Dès lors, Aemilius rompit avec le sénat, et fit une espèce de tribunat séditieux du reste de son consulat. (11) En effet, tant qu'il fut consul, il ne cessa de décrier les patriciens auprès du peuple, sans la moindre opposition de son collègue, plébéien lui-même. (12) Ce qui donnait matière à ses accusations c'était la parcimonie avec laquelle on avait partagé au peuple les terres du Latium et de Falerne.

Puis, quand le sénat enfin, impatient d'abréger le temps de leur magistrature, eut ordonné aux consuls d'élire un dictateur pour combattre les Latins révoltés, (13) Aemilius, qui avait alors les faisceaux, nomma dictateur son collègue, qui lui-même nomma Junius Brutus maître de la cavalerie. (14) Cette dictature servit la cause populaire, et par ses harangues accusatrices contre les patriciens, et par l'établissement de trois lois bien favorables au peuple et contraires à la noblesse: (15) d'abord les plébiscites obligeraient tous les citoyens romains; ensuite, les lois portées aux comices par centuries seraient, avant l'appel aux suffrages, ratifiées par le sénat; (16) enfin, un des censeurs serait choisi parmi le peuple, déjà maître du droit de nommer deux consuls plébéiens. (17) Ainsi, consuls et dictateur furent cette année plus funestes à Rome, que leur victoire et leurs actions guerrières n'avaient au dehors été profitables à son empire: c'était l'opinion du sénat.

Exposé de Lucius Furius au sénat (338)

[VIII, 13]

(1). L'année suivante, sous le consulat de L. Furius Camillus et de C. Maenius, pour mieux punir Aemilius, consul de l'année précédente, d'avoir abandonné la guerre, et pour l'humilier avec plus d'éclat, le sénat déclara qu'il fallait à force d'armes, de soldats, par tous les moyens, emporter Pédum et le détruire. Contraints de s'occuper avant tout de cette affaire, les nouveaux consuls se mettent en marche.

(2) Le Latium en était au point de ne pouvoir supporter ni la guerre ni la paix: les moyens manquaient pour la guerre; la paix enlevait une partie du territoire; on n'en voulait point à ce prix. (3) On crut devoir prendre un moyen terme et s'enfermer dans les places: les Romains, n'étant point attaqués, n'auraient plus de prétexte pour la guerre, et, au premier avis d'une place assiégée, de partout à la fois les alliés lui viendraient en aide. (4) Néanmoins les habitants de Pédum furent secourus à peine et de quelques peuples seulement. Les Tiburtes et les Prénestins, voisins de Pédum, arrivèrent jusque là; (5) mais les gens d'Aricie, de Lanuvium et de Vélitres, qui se ralliaient déjà aux Volsques d'Antium, furent surpris, près du fleuve Astura, par Maenius, qui les attaqua et les défit. (6) Camillus, à Pédum, combattit l'armée des Tiburtes, beaucoup plus forte: la lutte fut plus vive, mais l'issue également heureuse. (7) Une brusque sortie des habitants jeta surtout le trouble parmi les combattants: Camillus détacha contre eux une partie de son armée, les refoula au sein de leurs murailles, et le même jour, après les avoir battus eux et leurs auxiliaires, il escalada et prit la ville.

(8) Les deux consuls alors, agrandissant leur tâche et leur courage, résolurent de passer, de la prise d'une seule ville, à l'entière conquête du Latium; promenant partout leur armée victorieuse, ils ne s'arrêtèrent enfin qu'après avoir emporté d'assaut ou réduit chaque ville à se rendre, et subjugué ainsi tout le Latium. (9) Ils laissèrent des garnisons dans les places conquises et revinrent à Rome où le triomphe leur avait été déféré d'un consentement unanime. À l'honneur du triomphe on ajouta une distinction bien rare en ce temps-là: on leur érigea des statues équestres dans le Forum.

(10) Avant d'ouvrir les comices pour l'élection des consuls de l'année suivante, Camillus fit dans le sénat une proposition sur les peuples du Latium, et s'expliqua ainsi: (11) "Pères conscrits, tout ce que la guerre et la force des armes pouvaient faire dans le Latium, est aujourd'hui terminé, grâce à la bonté des dieux et à la vaillance des soldats. (12) À Pédum et sur l'Astura les armées ennemies ont succombé; toutes les places latines, ainsi qu'Antium chez les Volsques, enlevées de force ou réduites à se rendre, sont occupées par vos garnisons. (13) Reste à prévenir leurs rébellions qui renaissent et nous inquiètent sans cesse, à trouver les moyens de les maintenir dans une paix solide et durable. (14) Les dieux immortels vous en ont mis aux mains le pouvoir: car ils vous ont faits maîtres d'ordonner que le Latium soit ou ne soit plus."

"Vous pouvez donc, quant aux Latins, vous assurer une paix éternelle ou par la sévérité ou par la clémence. (15) Voulez-vous traiter durement ces peuples soumis et vaincus? libre à vous de ruiner tout le Latium, de faire un lieu de dévastation et de solitude d'un pays qui vous donna cette superbe armée sociale si souvent profitable en de grandes et nombreuses guerres. (16) Voulez-vous, à l'exemple de vos aïeux, ajouter à la puissance de Rome, en admettant les vaincus au droit de cité? l'occasion est belle de vous agrandir en vous couvrant de gloire: assurément l'empire le mieux affermi est celui où on obéit de bon coeur."

(17) "Mais il est besoin d'une prompte décision, quoi qu'il vous plaise d'aviser: tant vous avez là de peuples qui attendent, suspendus entre l'espoir et la crainte! Il faut donc, et vous affranchir au plus tôt du souci qu'ils vous donnent, et, dans la stupeur où l'attente les tient encore, préoccuper vivement leur esprit par la peine ou par le bienfait. (18) Notre devoir était de vous mettre à même de décider librement sur toutes choses: c'est à vous de juger ce qui sera le plus avantageux pour vous et pour la république."

Règlement de la situation dans le Latium

[VIII, 14]

(1) Les chefs du sénat approuvèrent l'opinion du consul sur l'ensemble de la question; mais la cause des différents peuples n'était pas la même, et ils proposèrent une mesure qui pouvait mieux convenir, c'était de statuer selon le mérite de chacun, successivement et d'après un rapport séparé sur chaque peuple. (2) Il y eut donc rapport et décision distincts sur chacun d'eux.

Aux Lanuvins, on donna droit de cité; on leur rendit l'usage de leurs fêtes religieuses, à condition que le temple et le bois sacré de Juno Sospita seraient communs entre les Lanuvins municipes et le peuple romain. (3) Aricie, Nomentum et Pédum reçurent, au même titre que Lanuvium, le droit de cité. (4) Tusculum conserva ce droit qu'elle avait: et sa révolte passa pour le crime de quelques factieux, où la cité n'avait point de part. (5) Les Véliternes, anciens citoyens romains et tant de fois rebelles, furent sévèrement punis: on renversa leurs murailles; on emmena leur sénat; on leur commanda de demeurer au-delà du Tibre: (6) le premier qui serait saisi en deçà du Tibre, encourrait, par droit de clarigation, une amende de mille as, et ne sortirait des fers et des mains de celui qui l'aurait pris, qu'après lui avoir payé cette somme. (7) On envoya des colons dans les terres des sénateurs; ils s'y établirent, et Vélitres sembla rendue à son antique population.

(8) Antium aussi reçut une colonie nouvelle, avec permission aux Antiates de s'inscrire, s'ils voulaient, au nombre des colons: on lui retira ses vaisseaux longs, on interdit la mer au peuple d'Antium, et on lui donna le droit de cité. (9) Les Tiburtes et les Prénestins perdirent du territoire: on les punissait ainsi, non seulement de leur dernière révolte, crime commun à tous les Latins, mais de cette haine pour la domination romaine qui jadis avait associé leurs armes à celle des Gaulois, la nation sauvage. (10) On défendit aux autres peuplades latines tout mariage, tout commerce, toute réunion entre elles. Aux Campaniens, et comme un hommage à leurs cavaliers, qui n'avaient point voulu partager la révolte des Latins, aux gens de Fundi et de Formies, pour avoir toujours permis un libre et facile passage sur leurs terres, on donna le droit de cité sans le suffrage. (11) Cumes et Suessula obtinrent même droit, même condition que Capoue. (12) Des navires d'Antium, une partie rentra dans les arsenaux de Rome, une autre fut brûlée, et de leurs éperons ("rostra") on se plut à parer la tribune élevée dans le Forum, et ce lieu consacré prit dès lors le nom de Rostres.

 

 


 

 
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