CHAPITRE TROISIEME : L'Empire byzantin, entre grandeur et
décadence
VIII : Les Anges (1185 à 1204), les plus incompétents
Empereurs de Constantinople ?
1°
Isaac II Ange (1185 à 1195), le premier règne – Suite à la mort
d’Andronic Comnène, ce fut Isaac II (un arrière petit fils d’Alexis I°[1].)
qui s’empara du pouvoir (il était né en 1155.).
Pièce de monnaie à l'effigie d'Isaac II
Ange (il est accompagné par l'archange Saint Michel, à droite.).
A
cette époque, l’Empire byzantin sortait de cinq années de crises, mais le
nouveau souverain ne put rien faire pour y mettre fin.
L’aristocratie se montra de plus en plus hostile (jusqu’à présent, les
Comnènes avaient réussi à concilier leurs bonnes grâces en plaçant les
nobles à des postes à haute responsabilité.), d’autant plus qu’une grave
crise monétaire frappa l’Empire byzantin.
Isaac II tenta de réagir en dévaluant la monnaie, augmentant les impôts, et
payant moins les fonctionnaires. Cependant, ces mesures furent des échecs
qui ne firent qu’attiser la colère des Byzantins.
a)
Guerre contre les Normands : rappelons que la guerre contre les Normands, en
août 1185, avait provoqué la chute du précédent Empereur Andronic Comnène[2].
Isaac II décida alors de s’attaquer aux envahisseurs, envoyant les armées
byzantines (menées par le général Alexis Branas.) contre eux. A la
bataille du fleuve Strymon, en septembre 1185, le roi de Sicile
Guillaume II le Bon et ses hommes furent vaincus.
Peu de temps après, les deux souverains signèrent la paix, et les Normands
quittèrent la Grèce.
A
noter que lors de la guerre contre les Normands, Isaac II tenta de remettre
la main sur Chypre, dont le gouverneur Isaac Doukas Comnène avait proclamé
l’indépendance en 1183 (suite à la prise de pouvoir d’Andronic Comnène.).
L’Empereur envoya alors une flotte en direction de l’île, mais cette
dernière fut stoppée et vaincue par la flotte normande.
En
mai 1191, au cours de la troisième croisade, l’île fut prise par le roi
d’Angleterre Richard Cœur de Lion, car les Chypriotes avaient attaqué
un navire anglais.
b)
Révolte des Serbes (1180 à 1190) : l’Empereur Manuel I°, en 1152,
était parvenu à vaincre les Serbes révoltés, et leur avait donc imposé la
paix. A la mort de ce dernier, les Serbes se considérèrent déliés de leur
serment, et attaquèrent l’Empire byzantin.
Menés par Etienne Némania, prince de Rascie (une région au centre de
la Serbie, ayant la ville de Ras comme capitale[3].),
les Serbes décidèrent de passer à l’offensive.
En
1183, profitant de la révolte des Valaques et des Bulgares, Etienne
Némania s’empara de Nis.
Dépassé par les évènements, Isaac II décida de s’allier au roi de Hongrie
Béla III[4],
et épousa alors sa fille Marguerite (1185.).
Au
même moment, Etienne Némania, qui n’avait pas pour objectif la destruction
de l’Empire byzantin, décida de conquérir les terres serbes aux alentours de
la Rascie. Puis, par la suite, il s’attaqua à la région de Dioclée, la terre
de ses ancêtres. Si en 1184 et 1185, Etienne Némania ne parvint pas à
s’emparer de la cité indépendante de Dubrovnick, il parvint à prendre toute
les cités de la région au cours des années suivantes.
L'Empire byzantin et les Etats des
Balkans (1190.).
En
1190, Etienne Némania accueillit à Nis l’Empereur Frédéric Barberousse, en
partance pour la troisième croisade[5]
(en 1187, le sultan de Syrie et d’Egypte Saladin avait vaincu les Latins à
la bataille de Hattîn, et s’était ensuite emparé de Jérusalem.), lui
proposant son aide en cas d’attaque contre Constantinople.
Frédéric Barberousse quittant ses fils et
traversant la Hongrie, en route pour la troisième croisade, par Pierre d'Eboli,
enluminure issue de l'ouvrage Liber ad honorem augusti, XIIIe
siècle, Burgerbibliothek, Berne.
Barberousse refusa, et, après être passé par Constantinople, se rendit en
Asie mineure (la croisade des Allemands ne rencontra cependant pas le
succès, car l’Empereur germanique se noya en juin 1190.).
La
même année, Isaac II lança une vaste offensive contre les Serbes, et parvint
à les vaincre au cours de la bataille de la Morava.
Etienne Némania dut alors renoncer à une partie de ses conquêtes, mais
l’Empereur, en contrepartie, reconnut son autonomie. En outre, un mariage
fut conclu entre Etienne Némania II (le fils d’Etienne Némania.) et Eudoxie,
une nièce d’Isaac II.
c)
Révolte des Valaques et des Bulgares : comme nous l’avons vu
précédemment, Isaac II décida de lever de nouveaux impôts, afin de remplir
les caisses de l’Etat. Cependant, ces nouvelles taxes ne furent pas au goût
de tous. Les Valaques furent les premiers à se révolter, puis vint ensuite
le tour des Bulgares, qui vivaient sous domination byzantine depuis le règne
de Basile II[6].
Ce furent les boyards[7]Pierre et Ivan Asen qui menèrent les troupes au combat.
Les révoltés firent alors alliance avec les Coumans et les Serbes, révoltés
contre Constantinople eux aussi.
Les attaques des Bulgares et des Valaques se portèrent alors sur la Thrace.
Isaac II parvint à les chasser de cette région, sans parvenir à mater la
révolte. En 1187, le général byzantin Alexis Branas (il avait vaincu les
Normands en 1185.) se proclama Empereur et assiégea Constantinople. Ce
dernier fut vaincu, mais pendant ce temps, les Bulgares en profitèrent pour
envahir la Thrace à nouveau.
En
1188, Isaac II décida de faire la paix, donnant aux insurgés la souveraineté
sur les régions longeant le Danube. Ivan Asen fut alors fait tsar de
Bulgarie. Par ce traité, l’Empereur officialisait la renaissance de l’Etat
bulgare, près de deux siècles après sa disparition.
Mais, suite au traité de paix signé avec les Serbes en 1190, Isaac II
décida de s’en prendre à nouveau aux Bulgares.
Cependant, Isaac II accumula alors les revers : il fut attaqué sur ses
arrières par les Coumans ; Constantin Ange, gouverneur de Philippopolis, se
proclama Empereur (il fut énuclée en 1193.) ; les Bulgares envahirent à
nouveau la Thrace (1195.).
Isaac II n’eut pas le temps de contre-attaquer : en avril 1195, son frère
aîné Alexis III Ange le renversa, l’énucléa, le jeta en prison, et
s’empara du pouvoir.
Alexis IV Ange, le fils d’Isaac II, fut enfermé avec son père.
Cependant, il parvint néanmoins à s’échapper peu de temps après.
2° Constantinople et la quatrième
croisade (1202 à 1204)[8]– Alexis III, né en
1153, monta sur le trône après avoir chassé son frère cadet du pouvoir.
Pièce de monnaie à l'effigie
d'Alexis III Ange (il est accompagné par le Christ, à droite.).
Cependant, le nouveau souverain ne fut pas plus capable que son frère, et
l’Empire byzantin continua à dégénérer.
Les Bulgares continuèrent leurs attaques, tout comme les Seldjoukides.
Alexis III décida alors de négocier la paix à prix d’or, dilapidant le
trésor impérial.
A
cette époque, l’Empire byzantin se réduisit comme peau de chagrin, ne
s’étendant plus que sur la Grèce et la moitié nord ouest de l’Asie mineure.
a)
Les causes de la quatrième croisade :
la quatrième croisade fut prêchée par le pape Innocent III très peu
de temps après la troisième, Jérusalem n’ayant pas été délivrée par les
croisés.
En
1202, une nouvelle expédition fut alors mise en place (cependant, comme au
cours de la première croisade, aucun roi n’y participa.). Cette fois ci, l’objectif était
l’Egypte, la plus riche province sous domination musulmane.
b)
La prise de Zara (1202) : Enrico Dandolo, le doge de Venise,
s’engagea alors à fournir des navires, contre la somme de 85 000 marcs
d’argent. Comme les croisés étaient incapables de réunir une telle somme,
les Vénitiens leur demandèrent de s’emparer de la cité de Zara, en Dalmatie
(la ville peuplée de catholiques, appartenait au roi de Hongrie, qui avait
lui-même l’intention de rejoindre la croisade.).
Certains croisés refusèrent et s’en allèrent, les autres acceptèrent et
prirent la ville.
Le
pape Innocent III excommunia alors les Vénitiens et les croisés pour cet
acte.
c)
La chute d’Alexis III (juillet 1203) : peu de temps après, les
croisés reçurent la visite d’Alexis IV Ange, fils d’Isaac II, l’Empereur
byzantin déchu. Le jeune homme implora le secours
des Francs, leur faisant mille promesses : il nourrirait l’armée,
réconcilierait l’Eglise de Constantinople et l’Eglise de Rome, leur payerai
une indemnité de 200 000 marcs, et fournirait 10 000 hommes pour la conquête
de la Terre Sainte.
Une fois de plus, certains croisés refusèrent,
mais les autres furent d’accord. En juillet 1203, les Latins mirent le siège
devant la ville.
Arrivée des navires croisés devant
Constantinople en 1203, enluminure du XV° siècle, bibliothèque nationale de
France.
Alexis III décida alors de s’enfuir avec son trésor, abandonnant sa famille
à Constantinople.
Les croisés sortirent donc Isaac II de sa geôle et le rétablirent sur le
trône en août 1203 (Alexis IV fut alors fait co Empereur.).
Isaac II Ange est replacé sur le trône
impérial par son fils Alexis IV, bibliothèque de l'Arsenal, Paris.
d)
La prise de Constantinople par les croisés (avril 1204) : une fois au
pouvoir, Alexis IV se rendit compte des difficultés qui l’attendaient. Les
Byzantins n’aimaient pas Alexis III, mais ils le préféraient à Alexis IV,
qui collaborait avec des Latins. En outre, les caisses de l’Etat étant
vides, les nouveaux souverains durent mettre en place de nouveaux impôts, ce
qui les rendit profondément impopulaires.
Les affrontements entre Grecs et Latins se multiplièrent, sans qu’Alexis IV
et son père ne puissent trouver une solution.
Finalement, une révolte éclata en janvier 1204, et Alexis V Doukas
Murzuphle(ce qui veut dire ‘homme aux
sourcils épais’.) se proclama Empereur.
Par la suite, il fit exécuter Alexis IV, et Isaac II décéda dans des
conditions suspectes (soit il mourut de tristesse
suite à l’exécution de son fils, soit il fut assassiné.).
Alexis V, une fois au pouvoir, refusa alors de payer les sommes promises aux
croisés.
Ces derniers, comprenant qu’ils n’avaient rien à
attendre du nouvel Empereur, décidèrent alors de prendre la ville, donnant
l’assaut en avril 1204, du côté de la Corne d’Or.
Les attaques furent terribles, et dut être
renouvelé plusieurs jours de suite. Finalement, Alexis V décida de prendre
la fuite, et les croisés parvinrent à prendre la ville.
La prise de Constantinople en 1204,
par Eugène DELACROIX, 1840, Versailles.
Constantinople fut alors mise à feu et à sang.
Beaucoup d’habitants furent tués, les richesses de la cité furent pillées,
des œuvres d’art furent volées ou détruites, les temples et monuments furent
saccagés.
e) Fondation de l’Empire latin de
Constantinople : suite à la prise de la cité, les Latins se divisèrent
les territoires de l’Empire byzantin (la partitio romanie.).
L'Empire byzantin suite à la IV° croisade
(1204.).
Baudouin IX de Flandres fut fait Empereur de l’Empire latin de
Constantinople sous le nom de Baudouin I° ; Boniface de Montferrat
reçut le royaume de Thessalonique ; Othon de la Roche eut le duché
d’Athènes ; Marco Sanudo (neveu du doge Enrico Dandolo.) reçut le
duché de Naxos (les Vénitiens s’emparèrent en outre d’une série de comptoirs
situés le long de la route maritime entre Venise et Constantinople.) ;
Geoffroy de Villehardouin reçut la principauté d’Achaïe (ou principauté
de Morée.).
D’autres duchés furent créés en Asie mineure, mais leurs nouveaux
propriétaires jugèrent préférable de ne jamais s’y installer.
Les Latins, morcelant l’Empire byzantin et introduisant en Grèce les règles
de la féodalité, précipitèrent le royaume vers l’abîme. En effet, plus
jamais les Byzantins ne parvinrent à renouer avec leur glorieux passé.
Les Grecs, quant à eux, érigèrent leurs propres Etats afin de lutter contre
les Francs : l’Empire de Nicée, l’Empire de Trébizonde, et le despotat
d’Epire.
[6]
Pour en savoir plus sur l’annexion de la Bulgarie par l’Empereur
Basile II, référez vous au 4, section IV, chapitre troisième,
histoire de l’Empire byzantin.
[7]
Les boyards étaient les nobles des provinces balkaniques médiévales.