Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Clovis, ou la France chrétienne

Livre vingt-deuxième

 

Desja de toutes parts la prompte renommée
Répandoit les exploits de la vaillante armée ;
Et l’estonnant progres du prince des françois,
Remplissoit de terreur les cœurs des plus grands rois.
Alaric son rival, redoute la tempeste
Qui doit dans peu de mois éclater sur sa teste.
Et le sage Thierry, regnant sur les romains,
Sent que son sceptre branle en ses puissantes mains.
Quoy ? Dit-il en secret, la Germanie entiere
N’a peû borner le cours de sa fureur guerriere.
Rien ne peut resister à son premier effort.
Il n’a donné qu’un jour à conquerir le nord.
La Saone est sous ses loix : le vaillant helvetique
A perdu par son bras toute sa gloire antique.
Rome verra bien-tost floter ses estendards.
Les Alpes contre luy sont de foibles ramparts.
Faisons, par nos conseils, que safureur s’arreste :
Que content de sa gloire, il quitte sa conqueste :
Qu’il embrasse l’amour des plus douces vertus :
Ou que par les plaisirs ses feux soient combattus.
Thierry, sur ce penser, cherche les plus doux charmes,
Qui pourroient rallentir le bonheur de ses armes.
Cependant le vainqueur, fecond en grands projets,
De tous ses ennemis veut faire des sujets :
Et desja mesurant son heur à son courage,
Croit mettre sous ses loix la Garonne et le Tage.
Son cœur contre Alaric est sans cesse irrité,
Ne pouvant estre heureux, qu’apres l’avoir dompté.
Il veut de son rival et la vie et la terre.
La guerre émeut l’amour : l’amour émeut la guerre.
Mais son celebre vœu regne en son souvenir.
Dieu possede en son cœur le rang qu’il doit tenir.
Le baptesme pompeux dans Rheims desja s’appreste.
Remy, le grand prelat, doit luire à cette feste.
Tout s’appreste au depart ; et par l’ordre du roy,
L’armée est en sa marche un superbe convoy.
Il rend, par une pompe et pitoyable et belle,
Les honneurs qui sont deûs à la troupe fidelle.
Il dit que les martyrs doivent seuls triompher :
Que la gloire des morts ne doit pas s’estoufer :
Qu’ils ont seuls soustenu des forces indomptables :
Que les cieux, par eux seuls, luy furent favorables.
D’abbord marchent par rangs les chevaliers gaulois,
En baissant leurs guidons, et le fer des longs bois.
La trompette, d’horreur rend les ames surprises,
Par ses lugubres tons, et ses lentes reprises.
Et celle des françois, reprend ces tristes sons.
Le gendarme la suit, en noirs caparassons.
Puis on void des soldats les files ondoyantes,
Les drapeaux renversez, et les piques traisnantes.
Les fifres sont plaintifs ; et les tristes tambours,
Couverts d’un crepe noir, ont des bruits lents et sourds.
Deux cens nobles françois suivent ces longues troupes,
Portant sur cent brancards, cent precieuses coupes,
Pleines du sang fidelle encor plus precieux,
Par Clotilde gardé, d’un soin religieux.
Puis dans cinquante chars, ornez de palmes vertes,
Des martyrs deux à deux, à faces découvertes,
Les saints corps sont traisnez par quatre chevaux blancs,
Conduits des deux costez par quatre nobles francs.
Leurs beautez sont encore et fraisches et vermeilles.
Et des cinquante chars les housses sont pareilles.
Les coursiers les plus chers à ces nobles amans,
Sont conduits deux à deux, sensibles, écumans ;
Et semblent de douleur, parmy les larges routes,
De leurs humides yeux jetter de grosses goutes.
Les guidons des vaincus, et les tristes drapeaux,
A terre sont traisnez, dechirez par lambeaux.
Puis du camp des germains on conduit les richesses :
Et dans cinq chars dorez les captives princesses.
Les grands chefs prisonniers, s’avancent deux à deux,
Et dans ce triste sort sont encore orgueilleux.
Vingt jeunes chevaliers, d’origine royale,
Ornent le beau convoy par leur parure égale.
Puis vient sur Aquilon le monarque indompté :
Et sur un barbe blanc, Clotilde à son costé.
L’un d’un visage fier, d’un port et noble et brave :
L’autre levant au ciel son regard doux et grave.
Apres un large espace, alloient de mesme front
Le magnanime Aurele, et l’aimable Arismond.
Puis Lisois, et les chefs de valeur plus celebre,
Fermoient et le triomphe et la pompe funebre.
Les peuples estonnez se rangent des deux parts ;
Font au noble convoy deux mobiles ramparts ;
Et de mains, et de voix, et de larmes pieuses,
Implorent des martyrs les ames glorieuses.
Desja paroist de loin, en portrait racourcy,
Entre deux fleuves longs, le superbe Nancy.
Et desja le clergé, sortant de ses murailles,
Vient en corps honorer ces saintes funerailles.
Toul, où marche la pompe, est le lieu bien-heureux,
Destiné pour repos aux martyrs amoureux.
Et le convoy touchoit les bords de la Moselle,
Alors qu’il fut troublé d’une illustre querelle.
Dés long-temps, Arismond, constant et genereux,
Conservoit Agilane en son cœur amoureux.
Quelle est, dit-il au duc, cette Agilane aimable,
Dont l’ame en la prison te fut si secourable ?
Par des propos succincts, libres, et découverts,
Aurele luy redit ses voyages divers ;
La fureur de Ramir, cruelle et pitoyable ;
De sa charmante sœur le deüil inconsolable ;
Leur naufrage, leur crainte aux getuliques bords ;
Et leur captivité, pire que mille morts :
Leur amitié cachée ; et du rivage more,
Leur passage soudain aux rives du Bosphore :
L’amour de l’empereur ; ses ardentes fureurs :
Le mutuel aveu du secret de leurs cœurs :
La fiévre d’Agilane, et le saint secourable :
Enfin leur mariage, et sa mort deplorable.
Du sueve, à ces discours, les changeantes couleurs,
Font voir au sage duc de secretes douleurs.
Prince, dit-il, tu sens quelque mal qui te trouble :
Qui te prend, puis te laisse, et soudain se redouble.
Je voudrois par mes soins le pouvoir alleger.
Oüy, reprit Arismond, tu le peux soulager.
Ecartons-nous, dit-il d’une voix animée.
Mon trouble ne veut pas troubler toute l’armée.
Allons seuls dans ce bois. Lors sans estre suivis,
Ils laissent d’un accord la suite de Clovis.
Mais à peine Arismond void que le bois les cache,
Que son œil furieux sur Aurele s’attache.
Ah ! Dit-il, tu mourras, pour m’avoir fait blesmir,
Faux epoux d’Agilane, et meurtrier de Ramir.
Elle m’estoit promise ; et je donnay la vie
A son genereux frere à qui tu l’as ravie.
Son bras en mesme temps luy fait sentir ses coups.
Aurele est tout surpris de cet ardent courroux.
Il void d’un cœur rassis le sueve dans la rage.
Mais le danger pressant réveille son courage.
Le prince attaint son bras : il l’attaint dans le flanc :
Et leurs armes desja sont taintes de leur sang.
Chacun des deux coursiers et s’écarte et s’emporte.
Mais des deux chevaliers l’ardeur s’en rend plus forte.
Aussi-tost l’un vers l’autre ils retournent fougueux.
Agilane au retour se trouve entre les deux :
Et paroist à leurs yeux celeste et rayonnante.
Tous deux, à cette veuë heureuse et surprenante,
Fremissent de plaisir, de crainte, et de respect :
Demeurent en suspens, tremblans à son aspect.
L’un et l’autre descend d’une égale vistesse :
Puis revere à genoux la divine princesse.
Elle void Arismond d’un œil severe et doux :
Et de bras amoureux va serrer son epoux.
Mais du prince aussi-tost la noble ame est saisie
De l’ardente fureur d’une aspre jalousie.
Ce debat par le fer ne se doit pas vuider,
Leur dit-elle : et c’est moy qui le dois decider.
Lisois, par les grands coups de leurs lames pesantes,
Avoit oüy le bruit des armes resonnantes.
Clovis, de saints discours par la reine occupé,
Soudain du mesme bruit se sent aussi frapé.
Ils courent : et les chefs de la plus haute marque
Volent avec ardeur sur les pas du monarque.
Ils trouvent les guerriers n’agueres combatans ;
Et la belle Agilane aux regards éclatans.
Puis découvrent plus loin, dans une route sombre,
Une troupe, et des chars, qui s’arrestent à l’ombre.
Le spectacle paroist et surprenant et doux.
Tous deux ils sont sanglans, et tous deux à genoux.
Le prince tout surpris d’une telle avanture,
De chacun des guerriers fait chercher la blessure.
Jouïssez, dit le duc, du bonheur de vos yeux.
Honorez Agilane : elle descend des cieux.
Non, dit-elle, je vis. Le ciel m’a r’animée,
Pour servir mon epoux, et son prince, et l’armée.
Levez-vous : c’est Dieu seul que l’on doit adorer.
Mais ils trouvent cet heur trop grand pour l’esperer.
Oüy, dit-elle, je vis : levez-vous l’un et l’autre.
Dieu m’a rendu la vie : ayez soin de la vostre.
Alors on les desarme : et l’on cherche leurs coups.
Agilane prend soin du bras de son epoux.
Elle estanche le sang d’une legere playe.
Il tremble : il doute encor si l’avanture est vraye :
Si ses yeux sont ouverts, ou s’il resve en dormant.
Tousjours il la regarde avec estonnement.
Arismond, que le roy de ses soins favorise,
Est confus et muet de rage et de surprise.
Lors se leve la troupe assise dans le bois.
Leur chef s’avance, et parle au prince des françois.
Roy, dit-il, dont le nom s’épand jusqu’à l’aurore,
Nous venons te chercher, des climats du Bosphore.
Je suis fils d’Auberon, prince du sang françois,
Qui voyant que de Christ j’avois suivy les loix,
Me chassa de ces lieux, d’une injuste colere.
Mais Dieu dans l’orient m’offrit un meilleur pere,
Le saint si renommé, le divin Daniel,
Quand pour sauver l’Asie, et par l’ordre du ciel,
A Zenon penitent il redonna l’empire.
J’arrive en son palais, quand Agilane expire.
Le saint remply de foy, luy fait revoir le jour.
Il me bénit le front dans cet heureux sejour.
Et pres de l’empereur me promet un asyle.
Puis lors qu’il l’eut remis dans sa puissante ville,
Il luy fait un present d’Agilane et de moy :
Luy vante nostre sang, nostre constante foy,
Nos indignes malheurs ; et veut qu’en sa famille
Il nous donne le rang et de fils et de fille.
Zenon qui de luy seul tient son retour heureux,
D’un cœur reconnoissant donne tout à ses vœux :
Nous accepte, nous aime : enfin il me fait prendre
Le haut rang de patrice, et celuy de son gendre :
Veut qu’Agilane épouse un consul éminent,
Armat, qui dans l’empire est son seul lieutenant.
Mais sage elle répond, que sa foy l’a soumise
Au franc qui doit unir son monarque à l’eglise.
Zenon avant sa mort la comble de bienfaits.
Mon païs estoit seul l’objet de mes souhaits :
Et pour voir son epoux, Agilane soupire.
Cependant Anastase est receu dans l’empire.
De ton renom celebre il devient amoureux :
Et pour gagner le cœur d’un roy si valeureux,
Permet nostre depart ; et de dons magnifiques
Veut honorer par nous tes vertus heroïques :
Par sa lettre, qui porte un solemnel accord,
Il te cede ses droits sur l’empire du nord ;
Et je dois sur le front t’en mettre la couronne,
Quand les gots à ton bras cederont la Garonne.
Ainsi de l’orient jusques en ces climas,
Honorez en tous lieux, nous avancions nos pas :
Mais de l’enfer jaloux la malice cruelle
Nous a fait refuser la maison paternelle.
Agilane en secret, par un divin secours,
Sceût ouvrir du palais les portes et les tours ;
Aux puissances d’enfer imposa le silence,
Pour nourrir son epoux dans sa longue souffrance :
Luy rendit sa franchise, et celle de Lisois,
Pour courir au secours du plus vaillant des rois.
Severin que tu vois, est le saint admirable,
Qui luy donna pour toy cette aide favorable :
Qui depuis déployant sa puissante vertu,
A puny l’enchanteur, a son temple abbatu.
Enfin nous te cherchions : mais dans la juste crainte
D’interrompre le cours de cette pompe sainte,
Nous prenions le repos à l’ombre de ces bois,
Lors que ces combatans ont élevé leurs voix.
De tous deux Agilane a connu le visage.
Bien-tost, a-t-elle dit, j’appaiseray leur rage.
Et tous les deux ont creû, surpris par ses beaux yeux,
Que pour les separer, elle venoit des cieux.
Tant d’heur, répond Clovis, tant de rares merveilles
Ont justement charmé nos yeux et nos oreilles.
Pour exprimer l’exces de nos contentemens,
Cher prince, nous n’avons que des embrassemens.
Puis il honore encor d’une faveur égale,
Severin, et Lucille, et la belle Vandale.
Quoy ? Seul, dit Arismond, je seray malheureux ?
Mais j’auray pour mon juge un prince genereux.
Pensez-vous que mon sort soit reduit à l’extreme ?
Je veux estre jugé par Agilane mesme.
Maintenant elle est libre, ayant franchy la mort.
La mort brise tout nœu, toute loy, tout accord.
A cet usurpateur la mort l’avoit ostée :
Et pour moy seulement Dieu l’a ressuscitée.
Entens nos differens : tu sçauras, ô grand roy,
Qui la merite mieux, ou d’Aurele, ou de moy.
Tous demeurent muets, tant la surprise est grande ;
Et jugent qu’Arismond est juste en sa demande.
Le ciel à peine au duc a rendu son tresor,
Qu’il se void sur le point de le reperdre encor.
Agilane paslit, inquiete, estonnée ;
Du celeste secours se croit abandonnée.
Le roy, qui reconnoist leur trouble et leur tourment,
Au soir, dans son palais, remet ce jugement.
La divine Clotilde en mesme temps arrive.
La troupe de Valbert, d’une veüe attentive,
Confesse que leurs yeux n’ont rien veu de si beau,
Aux terres où du jour se leve le flambeau.
Clovis luy fait connoistre Agilane et Lucille ;
Et laissant d’un recit la longueur inutile,
Luy conte en peu de mots la cause du combat,
Et l’estonnant sujet de l’illustre debat.
Apres mille devoirs, apres mille caresses,
Et les honneurs meslez aux plus douces tendresses,
Tous reprennent contens la suite du convoy.
Arismond et Valbert vont aux costez du roy.
Agilane et Lucille accompagnent la reine,
Qui par ses entretiens tasche à flater leur peine.
Severin marche en suite entre Aurele et Lisois :
Puis des chefs renommez le plus illustre choix.
Et de nobles françois une foule guerriere
Suit en rangs plus confus cette bande derniere.
Vaast, le disciple aimé du pontife de Rheims,
Vient en pompe et mitré recevoir les corps saints.
Il se presente au roy, qui descend et l’embrasse.
Mais embrasse la croix le premier de ta race,
Luy dit le saint evesque ; et fay que les françois,
L’embrassant apres toy, soient vainqueurs par la croix.
Le prince obeïssant et la prend, et la baise.
De Clotilde et du duc les cœurs tressaillent d’aise.
Et les gaulois chrestiens, levant les mains aux cieux,
Sentent leur sein moüillé des sources de leurs yeux.
Le prelat satisfait du progrez de l’eglise,
Voyant l’ame du prince à la foy si soumise,
L’accompagne, et l’attache aux douceurs de sa voix,
Luy contant du sauveur et la vie et les loix.
Dans les portes de Toul la sainte pompe arrive :
Et le peuple la suit d’une veüe attentive.
Les corps des saints martyrs, au temple sont conduits :
Et la foule à l’entour y répand mille bruits.
Le roy marche au palais, où le prelat sans cesse
L’instruit plus en repos, affranchy de la presse.
Et Clotilde souvent luy preste son secours,
Meslant sa voix charmante à ses graves discours.
Enfin la nuit humide estend ses sombres voiles ;
Et pare leur noirceur de l’or de ses estoiles.
Dans son impatience Arismond languissant,
Veut que le roy le juge ; et Clovis y consent :
Pres de luy fait asseoir la princesse Vandale ;
Clotilde à l’autre main ; puis d’une suite égale,
Chacun des deux costez est assis en son rang,
Selon la dignité du merite ou du sang.
Une troupe est debout, à l’entour épanduë.
Alors chacun tenant son ame suspenduë,
Le sueve arreste l’œil sur le roy des françois ;
Puis d’un ton agreable éleve ainsi sa voix.
Que la justice est belle, et donne d’asseurance !
Qu’elle est aux malheureux une douce esperance !
Elle est dans Agilane : elle est dans ce grand roy.
Je sçay qu’elle est en vous, et je la sens en moy.
Ainsi dans le bon droit mon esprit se repose :
Car tout est juste icy, mes juges et ma cause.
Aurele mesme est juste, et de Dieu craint la loy.
Il ne veut pas un bien qui n’appartient qu’à moy.
Et je ne vous crains point, belle morte et vivante :
Puisque dans l’equité vous estes trop sçavante.
Quelle ame pourroit estre injuste en ce bas lieu,
Qui pour estre jugée a paru devant Dieu ?
Mais que me sert icy de perdre un vain langage ?
Il faut peu de discours, lors que le juge est sage.
La simple verité plaist à tous les esprits.
Moins elle a d’ornemens, plus on connoist son prix.
Voicy donc le recit succinct et veritable
De mon premier duël, heureux et lamentable.
Le sueve et le vandale, animez dés long-temps,
Heureux, puis malheureux, sans cesse combatans,
Disputoient la Galice et la Lusitanie.
Ils veulent par la paix voir la guerre finie :
Souhaittent desormais vivre sous mesmes loix ;
Et s’unir pour tousjours, alliant les deux rois.
Pour donner à l’accord une asseurance égale,
Je devois épouser la princesse Vandale.
Vous jugez, pour l’aimer, qu’il suffit de la voir.
Je la vis ; et l’amour me mit sous son pouvoir.
Bien que mon jeune cœur n’aspirast qu’à la guerre,
J’aimay mieux Agilane, et la paix de sa terre.
Mais les sueves mutins rompirent les accords.
Les foibles, disent-ils, cederont aux plus forts.
Pour deux peuples si grands, c’est trop peu de provinces.
Espargnons tant de sang, par le combat des princes.
On fait deux innocens les victimes de tous.
Je deviens ennemy, quand j’espere estre époux.
Je voy devant mon fer le frere de ma reine.
Je la voy qui me jette un regard plein de haine.
Helas ! Dis-je, ô ! Mon bras, que peux-tu m’acquerir ?
Et pour plaire à son cœur, dois-je vaincre, ou mourir ?
Soit vainqueur, soit vaincu, tout desastre m’opprime.
Car que pourra pretendre ou ma honte, ou mon crime ?
Pûst-elle au moins sçavoir le trouble où je me voy :
Et ce premier combat qui se fait dedans moy.
Contre un époux promis elle anime son frere.
Je ne la puis haïr, quoy qu’injuste et contraire.
Ramir vient au combat, en ce malheureux jour,
Troublé par son courage, et moy par mon amour.
Il me porte deux coups, dans sa fureur extreme.
Je ne puis m’irriter contre le sang que j’aime.
Par mon fer seulement ses coups sont repoussez.
Et n’estant pas vaincu, je pense vaincre assez.
Mais enfin la fortune, et propice et contraire,
L’abbat, et fait le coup que mon bras n’ose faire.
Il tombe ; et je sens naistre un espoir en mon cœur,
De voir que je puis estre et sans crime et vainqueur.
Le courageux Ramir, dans sa douleur extreme,
Veut mourir, plus que moy sans pitié pour luy-mesme.
Son peuple veut qu’il cede ; et pour le garentir
Jure que de l’Espagne ils sont prests de partir.
Ramir rend son épée, accablé de tristesse.
Je la porte, et la mienne, aux pieds de la princesse.
Depuis tousjours le sort l’éloigna de mes yeux.
Dans mon heur je languis, triste victorieux.
Pour renouër l’accord, je noüay mille trames.
Mais tout sueve fut sourd au desir de mes flames.
Le vandale partit : et pour dernier malheur,
Je ne pûs d’un adieu soulager ma douleur.
Puis j’appris qu’en la mer cette merveille rare
Avoit trouvé le sort encore plus barbare ;
Qui si loin de mes yeux l’ayant voulu bannir,
Le ciel, pour me vanger du sueve inexorable,
Qui s’estimant heureux, me rendoit miserable,
Contr’eux émeût les gots, qui guerriers et cruels,
Ont affligé leurs champs de maux continuels ;
Et pour comble de maux, alluma dans leurs villes
L’insolente fureur des discordes civiles.
Mon cœur se soulageoit dans l’ardeur des combas :
Mais il ne put souffrir les factieux debats.
Et j’allois inconnu jusqu’en la Germanie,
De sueves courageux prendre une colonie,
Pour retourner soudain, et punir les mutins,
Quand icy j’ay trouvé de plus heureux destins ;
Agilane qui vit : mais de mon bien jalouse ;
Et qui voudroit d’un autre estre l’injuste épouse.
Mais quel est cet amant ? L’horreur m’en fait fremir.
Mais quel est cet amant ? Le meurtrier de Ramir.
Elle a peû donc toucher, de la mort occupée,
La main qui de son sang encore estoit trempée.
Oüy, la mort, Agilane, occupoit tous vos sens.
La mort qui fit le mal, l’excuse en mesme temps.
Vostre ame estoit troublée en son soupir extreme.
Le ciel vous rend la vie, et vous rend à vous mesme.
Vostre ame, par un saint, a cessé de dormir.
Voyez qui de nous deux est meurtrier de Ramir.
Non, vostre ame n’est plus par le trouble asservie.
Voyez qui de nous deux luy redonna la vie.
Et si, pour mieux juger, vostre sens s’affermit,
Songez à qui des deux un père vous promit :
Et jugez qui des deux il choisiroit pour gendre,
Ou qui sauva son sang, ou qui l’osa répandre.
Mais l’ame de Ramir, par le vouloir de Dieu,
Pour ouïr vostre arrest, est presente en ce lieu :
Pour ouïr si sa sœur, à l’amour asservie,
Choisira pour époux l’assassin de sa vie :
Et pour voir, quand sa voix reglera nostre sort,
Ce qu’elle aimoit le mieux, ou sa vie, ou sa mort.
A ces mots il finit : et tousjours il addresse
Ses regards et ses vœux à sa belle princesse.
Agilane et le duc font voir une rougeur,
Que répand sur leur front le trouble de leur cœur.
Puis un murmure sourd soudain touche l’oreille :
Ainsi que dans les bois un doux bruit se réveille,
Alors que tout à coup se levent les zephirs,
Et font mouvoir la feuille au gré de leurs soupirs.
Aurele, par son cœur, et par son innocence,
Monstrant un front serein, rompt ainsi le silence.
Qu’un langage est trompeur, quand il sçait bien flater !
Quand l’art est bien conduit, qu’il est à redouter !
L’art donne à l’innocence un faux masque de crime :
Et trompant la justice, il en fait sa victime.
L’art se mesle tousjours avec la fausseté :
Et la franchise est jointe avec la verité.
Souvent le mauvais droit a le plus d’eloquence.
Souvent la verité triomphe avec silence.
Noble et prompte elle hait la longueur du discours :
Et des termes charmans dédaigne le secours.
Sans recourir à l’art qui s’apprend aux écoles,
Je vays en peu de mots vaincre tant de paroles.
Voicy le differend. Arismond, ô ! Grand roy,
Pretend meriter mieux Agilane que moy.
Mais n’est-ce pas en vain qu’il nous trouble et s’irrite.
Le differend est nul, si nul ne la merite.
Icy d’un grand orgueil il veut de grands témoins.
Qui croit la meriter, la merite le moins.
Qu’à son juste mépris nul de nous ne s’expose.
Car tous deux en ce point nous perdrions nostre cause.
A l’amant le plus humble est deû le plus grand bien.
Il merite, en disant qu’il ne merite rien.
Venons à ce forfait, dont mon ame est si noire.
J’en passe le recit : vous en sçavez l’histoire.
J’abandonne ma vie, épargnant un enfant.
J’admire la beauté qui l’aime et le deffend.
Pouvois-je imaginer cette fureur extreme ?
Qui doit-on de sa mort accuser que luy-mesme ?
Arismond luy causa ce malheureux transport.
En luy donnant la vie, il luy donna la mort.
Si mes yeux furent pris ; et si je fus coupable
Contemplant de sa sœur le visage adorable,
Tu devrois, Arismond, de ce cruel malheur
Accuser plus que moy la beauté de sa sœur.
Dire mes faits suivans, je ne puis, je ne l’ose.
Celle qui fit mon heur, en diroit mieux la cause.
Pour de legers devoirs, ce fut un trop grand bien.
Je dis encore un coup, je ne meritois rien.
Par le trouble du moins je n’eûs pas cette palme.
Nul trouble ne parut dans une mort si calme.
Nous eusmes pour contract, quand ce nœu fut estraint,
La presence, l’aveu, le conseil d’un grand saint.
Celuy dont je la tiens, me l’a ressuscitée :
Mais non pas à dessein qu’elle me fut ostée.
Quand elle seroit libre, elle est ferme en son choix.
Les sages font tousjours ce qu’ils font une fois.
Alors d’un œil remis, et d’un grave silence,
De son aimable epouse il attend la sentence.
Clovis tourne vers elle un regard adoucy :
Et tous en mesme temps la regardent aussy.
Nul que vous, dit le roy, ne peut juger la cause.
Sur vous seule, de tous l’attente se repose.
Vous seule estes des deux la crainte et le desir.
Je ne puis vous donner : c’est à vous à choisir.
Toutefois Arismond m’a, dit-elle, advertie
Que je suis en ce lieu moins juge que partie :
Puis qu’afin de me vaincre, et de me meriter,
Il me rend criminelle, au lieu de me flater.
C’est un nouveau chemin, et que peu sçavent prendre.
Avant que de juger, il faut donc me deffendre.
Oüy, je luy fus promise ; et de fiers ennemis,
Par un soudain accord, nous devinsmes amis.
J’épousois un enfant ; et mon ame attendrie
Sacrifioit mes jours à l’heur de ma patrie.
Mais l’accord fut rompu : donc aussi-tost, d’amis,
Nous fusmes pour jamais de mortels ennemis.
Il me reste à juger, pour vuider la querelle,
Qui m’est plus ennemy d’Arismond ou d’Aurele.
Par le fer de l’un d’eux, mon frere fut dompté :
Et sur le fer de l’autre il s’est precipité.
L’un est sueve, ennemy pour jamais du vandale :
L’autre un franc, que nul homme en sagesse n’égale,
Qui cent fois me sauva de terribles dangers,
Des goufres de la mer, d’horribles estrangers,
D’un lion effroyable, et d’un tyran infame,
Dont sa vertu long-temps borna l’impure flame.
Sans qui, j’aurois suivy Ramir parmy les morts.
Sans qui, le creux abysme eut englouty nos corps.
Ramir fut par son aide inhumé sous la terre.
Tu veux que son esprit luy fasse icy la guerre.
Ah ! S’il pouvoit parler, ma sœur, diroit sa voix,
Choisy qui m’a donné ce que je demandois.
Mon esprit, par luy seul, ne sent plus nulle injure :
Et mon corps eut par luy l’heur de la sepulture.
J’ay peû donc épouser (je le dis sans fremir)
J’ay peû donc épouser ce meurtrier de Ramir ;
Celuy qui me sauva sur le rivage More ;
Et celuy que Ramir sous la terre aime encore.
Et quand je serois libre à faire un second choix,
Je choisirois Aurele une seconde fois.
Je pouvois d’un seul mot finir cette querelle :
Mais pour purger l’honneur d’Agilane et d’Aurele,
Devant le grand Clovis, j’ay voulu faire voir,
Que tout ce que j’ay fait, je l’ay fait par devoir.
Apprenez que mon cœur n’a plus de choix à faire.
Apres la foy donnée, en vain l’on delibere.
Sçache donc, ô ! Grand roy, que je ne mourus pas :
Et que jamais mon mal n’alla jusqu’au trépas.
Mais le sage stilite, émeû d’un puissant zele,
Sçachant à quoy le ciel destinoit mon Aurele,
Pour te donner Clotilde, et la chrestienne loy,
Le trompa saintement, pour l’arracher de moy.
Connoissant que mon mal devoit durer encore,
Il voulut que dés l’heure il quittast le Bosphore :
Et me voyant plongée en l’assoupissement,
A peine luy permit de tarder un moment.
Va, la France t’attend : cours, dit-il, sage Aurele.
J’auray soin de ce corps ; vole où le ciel t’appelle.
Il ne pût resister à cet ordre pressant.
Je sçay ce que son cœur souffrit en me laissant :
Et quand j’eûs de mes sens la libre joüissance,
Je sçay ce que le mien souffrit de son absence.
Genereux Arismond, ainsi console toy,
Si je prens pour époux, qui possede ma foy.
Apres cette sentence obligeante et cruelle,
Elle va se ranger pres de son cher Aurele.
Chacun se réjoüit de l’heur de ces epoux.
Arismond seul rougit, et monstre un œil jaloux.
Le roy va l’embrasser ; et dit qu’à sa vaillance
Il prepare en son cœur une autre recompense.

 
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