L’histoire de la statue de la
Liberté commence en août 1834, à Colmar, en Alsace. En effet, c’est
à cette date que naquit Frédéric Auguste Bartholdi, fils de
Jean Charles Bartholdi, conseiller de préfecture.
Agé de deux ans à la mort de son père, le jeune
Auguste et son frère aîné furent élevés par leur mère, Augusta Charlotte.
Cette dernière décida alors de quitter Colmar peu de temps après la mort de son
époux afin de se rendre à Paris.
Après avoir étudié au lycée Louis le Grand à
Paris, Auguste décida d’étudier l’architecture en rentrant à l’Ecole nationale
supérieure des beaux arts en 1852.
Le jeune Bartholdi y fréquenta ainsi les cours
d’Ary Scheffer, un célèbre peintre français d’origine hollandaise. Ce
dernier, proche de la famille royale, fut ainsi mis sur la sellette en 1852,
suite à l’instauration de la II° République et l’avènement au pouvoir de
Louis Napoléon Bonaparte, neveu (et petit fils.) de l’Empereur Napoléon
I°.
Bartholdi, âgé de 18 ans, décida de participer à
un concours destiné à la création d’un phare. Cependant, bien que ne remportant
pas l’épreuve, le jeune Auguste se vit commander une statue du général Jean
Rapp, héros napoléonien de Colmar[1].
Montrant ses ébauches à son ami Jean Léon
Gérôme, peintre et sculpteur français, les deux jeunes hommes firent
sensation lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1855 : Bartholdi avec sa
statue du général Rapp, Gérôme avec sa peinture Le siècle d’auguste et la
naissance de Jésus Christ.
Afin de célébrer ce succès, les deux vainqueurs
décidèrent de faire un voyage en Egypte. Le jeune Bartholdi fut très
impressionné par l’art monumental légué par l’ancienne civilisation égyptienne.
De retour à Paris, Auguste assista à
l’inauguration de la statue du général Rapp à Colmar.
Mais le jeune homme ne resta pas longtemps dans
sa ville natale, devant partir précipitamment pour Bordeaux afin de participer à
un concours pour le projet d’une fontaine.
Bartholdi, recevant le premier prix à Bordeaux[2],
reçut alors la visite des édiles de Colmar. Ces derniers lui confièrent alors la
tâche de construire une statue d’Armand Bruat, un amiral français né à
Colmar, commandant en chef de la flotte française pendant la guerre de Crimée[3].
En 1864, Bartholdi fut félicité par Napoléon
III pour avoir érigé cette statue, recevant la Légion d’Honneur.
Inauguration de la statue de l'amiral Bruat, à Colmar, gravure publiée dans Le journal illustré,
1864.
La réputation du jeune sculpteur lui valut de
nombreuses commandes. Ainsi, Bartholdi reçut la visite d’Edouard de Laboulaye,
juriste et homme politique français.
Combattant la politique autoritaire du Second
Empire, Laboulaye était un homme attentif à la vie politique américaine et
admirateur de la constitution de ce pays (il commanda alors un buste le
représentant à Bartholdi.).
Laboulaye, se déclarant en faveur de l’union
lors de la guerre de Sécession, apprit avec soulagement la victoire du
Nord en avril 1865. Cependant, les festivités furent écourtées en raison de
l’assassinat du président Abraham Lincoln au cours du même mois.
En 1866, alors que Bartholdi venait d’achever le
buste de Laboulaye, ce dernier confia au jeune sculpteur la tâche d’élaborer un
monument marquant l’amitié entre la France et les Etats Unis.
Bartholdi décida alors de se mettre au travail,
se préparant pour l’Exposition Universelle de 1867, grande fête du Second
Empire.
Au cours de l’évènement, Bartholdi rencontra
alors Ismaïl Pacha, Khédive d’Egypte. Ce dernier décida alors de confier
au sculpteur l’érection d’un monument sur l’estuaire du canal de Suez, dont
l’inauguration était prévue en fin d’année 1869.
Pendant deux années, Bartholdi travailla à
l’élaboration de cette entreprise.
En novembre 1869, toutes les têtes couronnées
d’Europe se rendirent en Egypte afin d’assister à l’inauguration du canal de
Suez. Bartholdi, invité à participer à la cérémonie, apprit alors avec désarroi
que le trésor du Khédive étant à sec, son projet de statue sur l’estuaire ne
resterait qu’à l’état de projet.
Rentrant en France, Bartholdi se plongea alors
dans l’élaboration d’une statue représentant Vercingétorix, considéré à l’époque
comme défenseur de la gaule face aux légions de César.
Cependant, l’Histoire prit un nouveau tournant,
suite à la catastrophique guerre de 1870, opposant la France à la
Prusse.
Bartholdi, s’enrôlant dans la garde nationale,
se retrouva alors sous les ordres de Giuseppe Garibaldi. En septembre
1870, les Français apprirent avec stupeur les nouvelles du front : le 2
septembre, l’armée française, retranchée à Sedan, décida de rendre les armes.
Napoléon III, quant à lui, se retrouva contraint de se rendre aux Prussiens,
alors qu’il était à la tête d’une armée de 80 000 hommes.
Les Prussiens parvinrent alors à s’emparer sans
coup férir de nombreuses villes, démoralisées par l’échec de l’Empereur. Le 4
septembre, les Parisiens décidèrent d’abolir le Second Empire et proclamèrent la
III° République.
Le 19 septembre, les Prussiens se retrouvèrent
aux portes de paris. La capitale, après un siège de cinq mois, se retrouva
finalement contrainte d’ouvrir ses portes aux vainqueurs. Finalement, Français
et Prussiens signèrent le traité de Francfort en mai 1871.
La France s’engageait ainsi à rendre à la Prusse
les territoires annexés par Louis XIV en 1681 (soit l’Alsace et une partie de la
Lorraine[4].),
ainsi qu’à payer une forte indemnité de guerre de cinq milliards de francs or[5].
La France, sortant isolée diplomatiquement suite
à cet échec, se devait donc de resserrer ses liens avec les Etats Unis.
Laboulaye, plus décidé que jamais à faire don à
la jeune Amérique d’un monument marquant l’amitié entre la France et les Etats
Unis, décida d’envoyer Bartholdi sur le nouveau continent afin qu’il choisisse
l’emplacement du futur édifice.
En juin 1871, Auguste quitta une France ravagée
et débarqua peu de temps après à New York. Rencontrant le président américain
Ulysses Grant, Bartholdi s’engagea dans une traversée des Etats Unis,
visitant les chutes du Niagara, le grand canyon, les forêts des Redwoods, etc.
C’est ainsi qu’Auguste en profita plaider la cause de son grand projet, la
statue de la Liberté.
Rentrant en France, Bartholdi découvrit un Paris
ravagé par la guerre, la commune et la répression qui s’ensuivit.
Mettant de côté son projet de statue pour les
Etats Unis, Bartholdi se concentra sur un nouveau projet, le Lion de Belfort
: l’œuvre symbolise la résistance héroïque menée par le colonel
Denfert-Rochereau au cours du siège de Belfort[6].
La vie reprenant la normale en France,
Adolphe Thiers, président de la République, demanda à Bartholdi de reprendre
ses travaux sur la statue de la Liberté (février 1873.). Par la suite, au cours
de l’été 1874, Bartholdi présenta un plâtre à ses concitoyens.
La III° République étant officiellement
proclamée en janvier 1875, Laboulaye et Bartholdi participèrent à la création de
l’Union franco-américaine, en novembre de la même année.
Recevant un conséquent financement, Bartholdi
décida alors de s’installer au 25, Rue de Chazelles, afin de travailler à
l’élaboration de sa statue. Il reçut alors l’aide d’Eugène Viollet le Duc,
à qui fut confiée la tâche de choisir les cuivres devant être employés à la
construction (il choisit alors la technique du repoussé, consistant à
travailler à froid, à l'envers, une fine plaque de métal, de manière à faire
ressortir une image ou un ornement.).
Les fonds continuant à entrer, le projet prenait
forme mois après mois.
Travaux de la statue de la Liberté, XIX° siècle, musée des Arts & Métiers,
Paris.
Chaque section définitive était coulée en plâtre.
Autour d’elle, on construisait un moule en bois, sur lequel s’articulerait le
revêtement de cuivre. Bartholdi dut ainsi mesurer chacune des 9 000 mesures
nécessaires à chaque section.
Cependant, Auguste dut bientôt se rendre à
l’évidence : la statue ne serait pas prête pour le centenaire des Etats Unis, en
juillet 1876. Il décida donc de réaliser la partie la plus importante : la
torche de la statue de la Liberté.
Manquant de peu les festivités, le flambeau
arriva aux Etats Unis en septembre 1876.
Peu de temps après, en décembre 1876, Bartholdi
épousa Jeanne Emilie Baheaux de Puysieux, de treize ans son aînée (le
mariage, bien que stérile, n’en fut pas moins heureux.).
Début 1877, Bartholdi rentra en France,
continuant l’élaboration de sa statue.
Lors de l’Exposition Universelle de Paris en
1878, Auguste présenta la tête de son œuvre, mais des problèmes financiers le
contraignirent à mettre fin aux travaux peu de temps après.
Tête de la statue de la Liberté
lors de l'exposition universelle de 1878.
Bartholdi décida alors d’organiser une loterie
afin de réunir les fonds nécessaires à la poursuite des travaux.
Parvenant à empocher une somme conséquente, les
travaux reprirent dès le printemps 1880.
Viollet le Duc étant décédé quelques mois
auparavant, Bartholdi apprit que Gustave Eiffel acceptait de reprendre la
place du défunt. L’architecte décida ainsi de faire reposer la statue sur un
pylône (quatre pieux en acier reliés entre eux pour former une tour.), afin que
ce dernier reste indépendant de la couverture de cuivre.
Plans de la statue de la Liberté, par Eugène
Viollet le Duc et Gustave Eiffel.
Les travaux se poursuivirent, mais Bartholdi
apprit une mauvaise nouvelle en mars 1883, le congrès américain refusant de
financer le piédestal de la statue.
Cependant, le coup du sort continua à poursuivre
Auguste, qui assista peu de temps après aux funérailles de son ami Laboulaye,
père spirituel de la statue.
A New York, alors qu’étaient inaugurés le pont
de Brooklyn et le Metropolitan Opera, l’on ne se souciait plus guère de la
statue de la liberté.
Le pont de Brooklyn, New York, octobre 2010
.
C’est alors que Joseph Pulitzer,
fondateur du journal le New York World, décida de s’attaquer aux classes
aisées qui refusaient de récolter les fonds afin d’élaborer la statue.
Finalement, la campagne de Pulitzer porta ses fruits, car de nombreux donneurs
privés issus des classes moyennes acceptèrent de participer financièrement à
l’élaboration de la statue.
Pendant ce temps là, Bartholdi continuait son
ouvrage, qui fut finalement achevé en juillet 1884.
La statue de la Liberté de Bartholdi dans les ateliers
Gaget-Gauthier, rue de Chazelles, par Victor
DARGAUD, XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris.
Peu de temps après, en août 1884, les fonds
nécessaires à l’élaboration du socle de la statue furent finalement rassemblés.
L’architecte Richard Hunt fut alors chargé d’imaginer le socle, de
concert avec l’entrepreneur Charles Stone.
Sous une pluie battante, la première pierre du
piédestal fut posée en août 1884.
En France, voyant que les travaux du socle
étaient en cours, il fut donc décidé d’entreprendre les travaux de démontage de
la statue dès janvier 1885. Chaque section, chaque pièce, chaque rivet fut
numéroté, empaqueté et prêt à être remonté avec la même méticulosité.
De la gare Saint Lazare, la statue fut envoyée
en train jusqu’à Rouen, puis elle descendit la Seine afin de s’embarquer au
Havre (mai 1885.).
Débarquant à New York en juin, les travaux de
reconstruction de la statue ne commencèrent toutefois qu’au printemps 1886,
lorsque la dernière pierre du piédestal fut mise en place.
L'Amérique du Nord en 1886.
En octobre 1886, alors que la statue venait
d’être réassemblée, Bartholdi débarqua à new York, accompagnée d’officiels
français.
Le 28 octobre 1886, la statue de la Liberté, qui
avait couté en tout la bagatelle de 2 250 000 francs, fut inaugurée en présence
du président Grover Cleveland, devant plusieurs milliers de spectateurs.
La taille du monument était colossale pour l'époque : la statue mesurait
46 mètre de haut pour un poids de 204 120 kg, alors que son socle est d’une
hauteur de 47 mètre, soit 93 mètres au total (à noter que lors de son
inauguration, la statue arborait une teinte brun rouge, en raison du cuivre qui
la recouvrait. Cependant, le vert de gris ne tarda guère à recouvrir la statue
d’une patine bleu vert.).
Pendant les discours, Bartholdi grimpa au sommet
de la torche, et découvrit ainsi le visage de la statue du voile qui la masquait
au public.
La statue de la Liberté, New York, octobre
2010
.
Aujourd’hui, nous ne devons pas oublier que La
statue de la Liberté, ou plus exactement la Liberté éclairant le monde,
est un monument offert par la France aux Etats Unis en gage d’amitié entre les
deux pays.
Hélas, ne nombreux américains ignore l'histoire
mouvementée de la statue de la Liberté : en effet, un sondage organisé lors du
centenaire de la statue, en 1986, révéla que seul 2% des américains savaient que
la statue avait été offerte aux Etats Unis par la France.
Bartholdi, rentrant en France peu de temps
après, commença à travailler sur de nouveaux projets, fort de sa renommée.
Il mourut de la
tuberculose à Paris , en octobre 1904.
Ce n’est qu’en 1903 qu’une plaque de bronze fut
accrochée à la base du monument, sur laquelle est inscrite un poème d’Emma
Lazarus, intitulé The New Colossus.
Give me your
tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost, to me,
I lift my lamp beside the golden door !
Donnez-moi vos pauvres, vos exténués
Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or !
En 1983, alors que le centenaire de la
statue approchait, il fut décidé de la restaurer. La torche fut démontée et
remplacée par un nouveau flambeau ; le fer corrodé en raison de son contact avec
le cuivre fut remplacé, le bras qui s’était affaissé fut consolidé par une
charpente diagonale.
Gageons que Miss Liberty ait de beaux jours devant elle !
[1] Le général
Rapp, né à Colmar en avril 1771, participa à de nombreuses
campagnes sous le I° Empire. Il combattit au sein de l’armée du
Rhin pendant la révolution, prit part à la campagne d’Egypte, et
fut aide de camp de Napoléon jusqu’en 1814. Rejoignant le camp
de l’Empereur lors des Cent Jours, le général Rapp fut nommé
commandant de l’armée du Rhin. Suite à Waterloo, Rapp fut mis à
l’écart par les royalistes, et mourut en novembre 1821.
[2]
A noter que la fontaine ne fut au final pas construite à Bordeaux mais à
Lyon.
[3]
La statue de l’amiral Bruat, détruite en 1940, fut remise en place en
1958.
[4]
Belfort ayant héroïquement résisté au cours de la guerre, la France
parvint à conserver le territoire de Belfort.
[5]
A noter que les Prussiens occupèrent une partie de la France jusqu’au
paiement intégral de la dette, en septembre 1873.
[6]
Le projet, initié en 1872, ne fut achevé qu’en septembre 1879.
Cependant, en raison d’un différend entre Bartholdi et la ville de
Belfort, le monument ne fut pas inauguré (en effet, le Lion de Belfort
ne fut officiellement inauguré qu’en 1989.).