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Je supplie qu’on me permette de détourner les yeux des horreurs des guerres de 
Marius et de Sylla ; on en trouvera dans Appien l’épouvantable histoire. Outre 
la jalousie, l’ambition et la cruauté des deux chefs, chaque Romain était 
furieux ; les nouveaux citoyens et les anciens ne se regardaient plus comme les 
membres d’une même république, et l’on se faisait une guerre qui, par un 
caractère particulier, était en même temps civile et étrangère. 
Sylla fit des lois très propres à ôter la cause des désordres 
que l’on avait vus : elles augmentaient l’autorité du Sénat, tempéraient le 
pouvoir du peuple, réglaient celui des tribuns. La fantaisie qui lui fit quitter 
la dictature sembla rendre la vie à la République ; mais, dans la fureur de ses 
succès, il avait fait des choses qui mirent Rome dans l’impossibilité de 
conserver sa liberté. 
Il ruina, dans son expédition d’Asie, toute la discipline 
militaire : il accoutuma son armée aux rapines [143] et lui donna des besoins 
qu’elle n’avait jamais eus. Il corrompit une fois des soldats, qui devaient dans 
la suite corrompre les capitaines. 
Il entra dans Rome à main armée et enseigna aux généraux 
romains à violer l’asile de la liberté. 
Il donna les terres des citoyens aux soldats, et il les 
rendit avides pour jamais : car, dès ce moment, il n’y eut plus un homme de 
guerre qui n’attendît une occasion qui pût mettre les biens de ses concitoyens 
entre ses mains. 
Il inventa les proscriptions et mit à prix la tête de tous 
ceux qui n’étaient pas de son parti. Dès lors, il fut impossible de s’attacher 
davantage à la République ; car, parmi deux hommes ambitieux, et qui se 
disputaient la victoire, ceux qui étaient neutres et pour le parti de la liberté 
étaient sûrs d’être proscrits par celui des deux qui serait le vainqueur. Il 
était donc de la prudence de s’attacher à l’un des deux. 
Il vint après lui, dit Cicéron, un homme qui, dans une cause 
impie et une victoire encore plus honteuse, ne confisqua pas seulement les biens 
des particuliers, mais enveloppa dans la même calamité des provinces entières. 
Sylla, quittant la dictature, avait semblé ne vouloir vivre 
que sous la protection de ses lois mêmes. Mais cette action, qui marqua tant de 
modération, était elle-même une suite de ses violences. Il avait donné des 
établissements à quarante-sept légions dans divers endroits de l’Italie. Ces 
gens-là, dit Appien, regardant leur fortune comme attachée à sa vie, veillaient 
à sa sûreté et étaient toujours prêts à le secourir ou à le venger. 
La République devant nécessairement périr, il n’était plus 
question que de savoir comment et par qui elle devait être abattue. 
Deux hommes également ambitieux, excepté que l’un ne savait 
pas aller à son but si directement que l’autre, effacèrent par leur crédit, par 
leurs exploits, par leurs vertus, tous les autres citoyens : Pompée parut le 
premier, et César le suivit de près. 
Pompée, pour s’attirer la faveur, fit casser les lois de 
Sylla qui bornaient le pouvoir du peuple, et, quand il eut fait à son ambition 
un sacrifice des lois les plus salutaires de sa patrie, il obtint tout ce qu’il 
voulut, et la témérité du peuple fut sans bornes à son égard. 
Les lois de Rome avaient sagement divisé la puissance 
publique en un grand nombre de magistratures, qui se soutenaient, s’arrêtaient, 
et se tempéraient l’une l’autre ; et, comme elles n’avaient toutes qu’un pouvoir 
borné, chaque citoyen était bon pour y parvenir, et le peuple, voyant passer 
devant lui plusieurs personnages l’un après l’autre, ne s’accoutumait à aucun 
d’eux. Mais, dans ces temps-ci, le système de la République changea : les plus 
puissants se firent donner par le peuple des commissions extraordinaires ; ce 
qui anéantit l’autorité du peuple et des magistrats et mit toutes les grandes 
affaires dans les mains d’un seul ou de peu de gens. 
Fallut-il faire la guerre à Sertorius ? On en donna la 
commission à Pompée. Fallut-il la faire à Mithridate ? Tout le monde cria : 
« Pompée ». Eut-on besoin de faire venir des blés à Rome ? Le peuple croit être 
perdu si on n’en charge Pompée. Veut-on détruire les pirates ? Il n’y a que 
Pompée. Et, lorsque César menace d’envahir, le Sénat crie à son tour et n’espère 
plus qu’en Pompée. 
« Je crois bien, disait Marcus au peuple, que Pompée, que les 
nobles attendent, aimera mieux assurer votre liberté que leur domination ; mais 
il y a eu un temps où chacun de vous avait la protection de plusieurs, et non 
pas tous la protection d’un seul, et où il était inouï qu’un mortel pût donner 
ou ôter de pareilles choses. » 
À Rome, faite pour s’agrandir, il avait fallu réunir dans les 
mêmes personnes les honneurs et la puissance ; ce qui, dans des temps de 
trouble, pouvait fixer l’administration du peuple sur un seul citoyen. 
Quand on accorde des honneurs, on sait précisément ce que 
l’on donne ; mais, quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire à quel point il 
pourra être porté. 
Des préférences excessives données à un citoyen dans une 
république ont toujours des effets nécessaires :elles font naître l’envie du 
peuple, ou elles augmentent sans mesure son amour. 
Deux fois Pompée, retournant à Rome, maître d’opprimer la 
République, eut la modération de congédier ses armées avant que d’y entrer, et 
d’y paraître en simple citoyen. Ces actions, qui le comblèrent de gloire, firent 
que, dans la suite, quelque chose qu’il eût faite au préjudice des lois, le 
Sénat se déclara toujours pour lui. 
Pompée avait une ambition plus lente et plus douce que celle 
de César : celui-ci voulait aller à la souveraine puissance les armes à la main, 
comme Sylla. Cette façon d’opprimer ne plaisait point à Pompée : il aspirait à 
la dictature, mais par les suffrages du peuple ; il ne pouvait consentir à 
usurper la puissance, mais il aurait voulu qu’on la lui remît entre les mains. 
Comme la faveur du peuple n’est jamais constante, il y eut 
des temps où Pompée vit diminuer son crédit ; et, ce qui le toucha bien 
sensiblement, des gens qu’il méprisait augmentèrent le leur et s’en servirent 
contre lui. 
Cela lui fit faire trois choses également funestes : il 
corrompit le peuple à force d’argent et mit dans les élections un prix aux 
suffrages de chaque citoyen. 
De plus, il se servit de la plus vile populace pour troubler 
les magistrats dans leurs fonctions, espérant que les gens sages, lassés de 
vivre dans l’anarchie, le créeraient dictateur par désespoir. 
Enfin, il s’unit d’intérêts avec César et Crassus. Caton 
disait que ce n’était pas leur inimitié qui avait perdu la République, mais leur 
union. En effet, Rome était en ce malheureux état qu’elle était moins accablée 
par les guerres civiles que par la paix, qui, réunissant les vues et les 
intérêts des principaux, ne faisait plus qu’une tyrannie. 
Pompée ne prêta pas proprement son crédit à César, mais, sans 
le savoir, il le lui sacrifia. Bientôt César employa contre lui les forces qu’il 
lui avait données, et ses artifices même ; il troubla la ville par ses 
émissaires et se rendit maître des élections : consuls, prêteurs, tribuns, 
furent achetés au prix qu’ils mirent eux-mêmes. 
Le Sénat, qui vit clairement les desseins de César, eut 
recours à Pompée : il le pria de prendre la défense de la République, si l’on 
pouvait appeler de ce nom un gouvernement qui demandait la protection d’un de 
ses citoyens. 
Je crois que ce qui perdit surtout Pompée fut la honte qu’il 
eut de penser qu’en élevant César, comme il avait fait, il eût manqué de 
prévoyance. Il s’accoutuma le plus tard qu’il put à cette idée ; il ne se 
mettait point en défense, pour ne point avouer qu’il se fût mis en danger ; il 
soutenait, au Sénat, que César n’oserait faire la guerre, et, parce qu’il 
l’avait dit tant de fois, il le redisait toujours. 
Il semble qu’une chose avait mis César en état de tout 
entreprendre ; c’est que, par une malheureuse conformité de noms, on avait joint 
à son gouvernement de la Gaule Cisalpine celui de la Gaule d’au-delà les Alpes. 
La politique n’avait point permis qu’il y eût des armées 
auprès de Rome ; mais elle n’avait pas souffert non plus que l’Italie fût 
entièrement dégarnie de troupes. Cela fit qu’on tint des forces considérables 
dans la Gaule Cisalpine, c’est-à-dire dans le pays qui est depuis le Rubicon, 
petit fleuve de la Romagne, jusqu’aux Alpes. Mais, pour assurer la ville de Rome 
contre ces troupes, on fit le célèbre sénatus-consulte que l’on voit encore 
gravé sur le chemin de Rimini à Césène, par lequel on dévouait aux dieux 
infernaux, et l’on déclarait sacrilège et parricide quiconque, avec une légion, 
avec une armée ou avec une cohorte, passerait le Rubicon. 
À un gouvernement si important, qui tenait la ville en échec, 
on en joignit un autre plus considérable encore : c’était celui de la Gaule 
Transalpine, qui comprenait les pays du Midi de la France ; qui, ayant donné à 
César l’occasion de faire la guerre, pendant plusieurs années, à tous les 
peuples qu’il voulut, fit que ses soldats vieillirent avec lui, et qu’il ne les 
conquit pas moins que les Barbares. Si César n’avait point eu le gouvernement de 
la Gaule Transalpine, il n’aurait pas corrompu ses soldats, ni fait respecter 
son nom par tant de victoires. S’il n’avait pas eu celui de la Gaule Cisalpine, 
Pompée aurait pu l’arrêter au passage des Alpes ; au lieu que, dès le 
commencement de la guerre, il fut obligé d’abandonner l’Italie ; ce qui fit 
perdre à son parti la réputation, qui, dans les guerres civiles, est la 
puissance même. 
La même frayeur qu’Annibal porta dans Rome après la bataille 
de Cannes, César l’y répandit lorsqu’il passa le Rubicon. Pompée, éperdu, ne 
vit, dans les premiers moments de la guerre, de parti à prendre que celui qui 
reste dans les affaires désespérées : il ne sut que céder et que fuir ; il 
sortit de Rome, y laissa le trésor public ; il ne put nulle part retarder le 
vainqueur ; il abandonna une partie de ses troupes, toute l’Italie, et passa la 
mer. 
On parle beaucoup de la fortune de César. Mais cet homme 
extraordinaire avait tant de grandes qualités, sans pas un défaut, quoiqu’il eût 
bien des vices, qu’il eût été bien difficile que, quelque armée qu’il eût 
commandée, il n’eût été vainqueur, et qu’en quelque république qu’il fût né il 
ne l’eût gouvernée. 
César, après avoir défait les lieutenants de Pompée en 
Espagne, alla en Grèce le chercher lui-même. Pompée, qui avait la côte de la mer 
et des forces supérieures, était sur le point de voir l’armée de César détruite 
par la misère et la faim. Mais, comme il avait souverainement le faible de 
vouloir être approuvé, il ne pouvait s’empêcher de prêter l’oreille aux vains 
discours de ses gens, qui le raillaient ou l’accusaient sans cesse. « Il veut, 
disait l’un, se perpétuer dans le commandement et être, comme Agamemnon, le roi 
des rois. » - « Je vous avertis, disait un autre, que nous ne mangerons pas 
encore cette année des figues de Tusculum. » Quelques succès particuliers qu’il 
eut achevèrent de tourner la tête à cette troupe sénatoriale. Ainsi, pour n’être 
pas blâmé, il fit une chose que la postérité blâmera toujours, de sacrifier tant 
d’avantages pour aller avec des troupes nouvelles combattre une armée qui avait 
vaincu tant de fois. 
Lorsque les restes de Pharsale se furent retirés en Afrique, 
Scipion, qui les commandait, ne voulut jamais suivre l’avis de Caton, de traîner 
la guerre en longueur : enflé de quelques avantages, il risqua tout et perdit 
tout ; et, lorsque Brutus et Cassius rétablirent ce parti, la même précipitation 
perdit la République une troisième fois. 
Vous remarquerez que, dans ces guerres civiles qui durèrent 
si longtemps, la puissance de Rome s’accrut sans cesse au-dehors : sous Marius, 
Sylla, Pompée, César, Antoine, Auguste, Rome, toujours plus terrible, acheva de 
détruire tous les rois qui restaient encore. 
Il n’y a point d’État qui menace si fort les autres d’une 
conquête que celui qui est dans les horreurs de la guerre civile : tout le 
monde, noble, bourgeois, artisan, laboureur, y devient soldat ; et, lorsque, par 
la paix, les forces sont réunies, cet État a de grands avantages sur les autres, 
qui n’ont guère que des citoyens. D’ailleurs, dans les guerres civiles, il se 
forme souvent de grands hommes, parce que, dans la confusion, ceux qui ont du 
mérite se font jour, chacun se place et se met à son rang ; au lieu que, dans 
les autres temps, on est placé, et on l’est presque toujours tout de travers. 
Et, pour passer de l’exemple des Romains à d’autres plus récents, les Français 
n’ont jamais été si redoutables au-dehors qu’après les querelles des maisons de 
Bourgogne et d’Orléans, après les troubles de la Ligue, après les guerres 
civiles de la minorité de Louis XIII et celle de Louis XIV. L’Angleterre n’a 
jamais été si respectée que sous Cromwell, après les guerres du Long Parlement. 
Les Allemands n’ont pris la supériorité sur les Turcs qu’après les guerres 
civiles d’Allemagne. Les Espagnols, sous Philippe V, d’abord après les guerres 
civiles pour la Succession, ont montré en Sicile une force qui a étonné 
l’Europe. Et nous voyons aujourd’hui la Perse renaître des cendres de la guerre 
civile et humilier les Turcs. 
Enfin, la République fut opprimée, et il n’en faut pas 
accuser l’ambition de quelques particuliers ; il en faut accuser l’homme, 
toujours plus avide du pouvoir à mesure qu’il en a davantage, et qui ne désire 
tout que parce qu’il possède beaucoup. 
Si César et Pompée avaient pensé comme Caton, d’autres 
auraient pensé comme firent César et Pompée, et la République, destinée à périr, 
aurait été entraînée au précipice par une autre main. 
César pardonna à tout le monde. Mais il me semble que la 
modération que l’on montre après qu’on a tout usurpé ne mérite pas de grandes 
louanges. 
Quoi que l’on ait dit de sa diligence après Pharsale, Cicéron 
l’accuse de lenteur avec raison : il dit à Cassius qu’ils n’auraient jamais cru 
que le parti de Pompée se fût ainsi relevé en Espagne et en Afrique, et que, 
s’ils avaient pu prévoir que César se fût amusé à sa guerre d’Alexandrie, ils 
n’auraient pas fait leur paix, et qu’ils se seraient retirés avec Scipion et 
Caton en Afrique. Ainsi un fol amour lui fit essuyer quatre guerres, et, en ne 
prévenant pas les deux dernières, il remit en question ce qui avait été décidé à 
Pharsale. 
César gouverna d’abord sous des titres de magistrature ; car 
les hommes ne sont guère touchés que des noms. Et, comme les peuples d’Asie 
abhorraient ceux de consul et de proconsul, les peuples d’Europe détestaient 
celui de roi ; de sorte que, dans ces temps-là, ces noms faisaient le bonheur ou 
le désespoir de toute la terre. César ne laissa pas de tenter de se faire mettre 
le diadème sur la tête ; mais, voyant que le peuple cessait ses acclamations, il 
le rejeta. Il fit encore d’autres tentatives, et je ne puis comprendre qu’il pût 
croire que les Romains, pour le souffrir tyran, aimassent pour cela la tyrannie 
ou crussent avoir fait ce qu’ils avaient fait. 
Un jour que le Sénat lui déférait de certains honneurs, il 
négligea de se lever, et, pour lors, les plus graves de ce corps achevèrent de 
perdre patience. 
On n’offense jamais plus les hommes que lorsqu’on choque 
leurs cérémonies et leurs usages. Cherchez à les opprimer, c’est quelquefois une 
preuve de l’estime que vous en faites. Choquez leurs coutumes, c’est toujours 
une marque de mépris. 
César, de tout temps ennemi du Sénat, ne put cacher le mépris 
qu’il conçut pour ce corps, qui était devenu presque ridicule depuis qu’il 
n’avait plus de puissance. Par là, sa clémence même fut insultante. On regarda 
qu’il ne pardonnait pas, mais qu’il dédaignait de punir. 
Il porta le mépris jusqu’à faire lui-même les 
sénatus-consultes : il les souscrivait du nom des premiers sénateurs qui lui 
venaient dans l’esprit. « J’apprends quelquefois, dit Cicéron, qu’un 
sénatus-consulte passé à mon avis a été porté en Syrie et en Arménie avant que 
j’aie su qu’il ait été fait, et plusieurs princes m’ont écrit des lettres de 
remerciements sur ce que j’avais été d’avis qu’on leur donnât le titre de rois, 
que non seulement je ne savais pas être rois, mais même qu’ils fussent au 
monde. » 
On peut voir dans les lettres de quelques grands hommes de ce 
temps-là, qu’on a mises sous le nom de Cicéron parce que la plupart sont de lui, 
l’abattement et le désespoir des premiers hommes de la République à cette 
révolution subite, qui les priva de leurs honneurs et de leurs occupations 
mêmes, lorsque, le Sénat étant sans fonctions, ce crédit qu’ils avaient eu par 
toute la terre, ils ne purent plus l’espérer que dans le cabinet d’un seul. Et 
cela se voit bien mieux dans ces lettres que dans les discours des historiens : 
elles sont le chef-d’oeuvre de la naïveté de gens unis par une douleur commune 
et d’un siècle où la fausse politesse n’avait pas mis le mensonge partout ; 
enfin, on n’y voit point, comme dans la plupart de nos lettres modernes, des 
gens qui veulent se tromper, mais des amis malheureux qui cherchent à se tout 
dire. 
Il était bien difficile que César pût défendre sa vie la 
plupart des conjurés étaient de son parti ou avaient été par lui comblés de 
bienfaits. Et la raison en est bien naturelle : ils avaient trouvé de grands 
avantages dans sa victoire ; mais plus leur fortune devenait meilleure, plus ils 
commençaient à avoir part au malheur commun, car, à un homme qui n’a rien, il 
importe assez peu, à certains égards, en quel gouvernement il vive. 
De plus, il y avait un certain droit des gens, une opinion 
établie dans toutes les républiques de Grèce et d’Italie, qui faisait regarder 
comme un homme vertueux l’assassin de celui qui avait usurpé la souveraine 
puissance. À Rome, surtout depuis l’expulsion des Rois, la loi était précise, 
les exemples reçus : la République armait le bras de chaque citoyen, le faisait 
magistrat pour le moment, et l’avouait pour sa défense. 
Brutus ose bien dire à ses amis que, quand son père 
reviendrait sur la terre, il le tuerait tout de même ; et, quoique, par la 
continuation de la tyrannie, cet esprit de liberté se perdît peu à peu, les 
conjurations, au commencement du règne d’Auguste, renaissaient toujours. 
C’était un amour dominant pour la patrie qui, sortant des 
règles ordinaires des crimes et des vertus, n’écoutait que lui seul et ne voyait 
ni citoyen, ni ami, ni bienfaiteur, ni père : la vertu semblait s’oublier pour 
se surpasser elle-même, et, l’action qu’on ne pouvait d’abord approuver parce 
qu’elle était atroce, elle la faisait admirer comme divine. 
En effet, le crime de César, qui vivait dans un gouvernement 
libre, n’était-il pas hors d’état d’être puni autrement que par un assassinat ? 
Et demander pourquoi on ne l’avait pas poursuivi par la force ouverte ou par les 
lois, n’était-ce pas demander raison de ses crimes ?  |