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Mythologie
 
 

 

 

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La piraterie dans l'Antiquité

Chapitre XVIII : Puissance des pirates.—Captivité de César.

 

Le moment était réellement bien favorable pour l'extension de la puissance des pirates dans la Méditerranée. Aucune nation maritime n'exerçait plus l'empire de la mer. Rome avait détruit toutes les flottes de ses voisins, mais après la victoire, soit par une singulière négligence politique, soit plutôt que la marine ne convînt pas à son génie, elle ne songeait plus à conserver sa domination sur les eaux et encore moins à y faire la police. Il est vrai, du reste, que l'état de la république était alors lamentable. Déjà épuisée par la guerre contre Mithridate, Rome n'était-elle pas horriblement déchirée par la guerre civile entre Marius et Sylla et par les luttes sanglantes contre Sertorius et Spartacus?

Tandis que le peuple romain était ainsi occupé dans les différentes parties de la terre, dit Florus[1], les pirates avaient envahi les mers. Ils y régnaient en maîtres depuis les côtes de l'Asie-Mineure jusqu'aux colonnes d'Hercule. Leur nombre s'était accru infiniment à la suite de la ruine de Carthage et de Corinthe et du licenciement des matelots de Mithridate exigé par Sylla. Les vaincus aimaient mieux être bandits qu'esclaves. La mer immense, la mer libre, comme le dit si bien Duruy[2], fut l'asile de tous ceux qui refusèrent de vivre sous la loi romaine[3]. Ils se firent pirates, et comme le Sénat avait détruit toutes les marines militaires, sans les remplacer, les profits étaient certains, le danger nul. Aussi ce brigandage prit-il en peu d'années un développement inattendu.

Les pirates n'avaient d'abord que des brigantins légers, «appelés myoparons et hémioles, barques-souris[4]», mais, devenus plus hardis par l'impunité et enrichis par le pillage de l'Asie et des îles autorisé par Mithridate, ils furent bientôt en état d'armer de gros bâtiments et des trirèmes. Ils formèrent des corps de troupes et prétendant anoblir leur profession, ils répudièrent le nom de pirates pour prendre celui de soldats aventuriers, et appelèrent avec impudence le produit de leurs vols «la solde militaire[5]».

[1] Bellum piraticum, III, 7.

[2] Histoire des Romains, II, 23.

[3] Appien, Guerre mithridatique, XCII.

[4] Idem.

[5] Idem.

Bien plus, des hommes considérables, distingués par leur naissance et leurs capacités, montaient sur les vaisseaux des pirates et se joignaient à eux. Il semblait, dit Plutarque, que la piraterie fût devenue un métier honorable et propre à flatter l'ambition[1]. L'aristocratie romaine ruinée n'avait pas de meilleure ressource pour refaire sa fortune.

La Cilicie Trachée[2] (rude) était le siège de l'empire des pirates que l'on appelait communément pour cela Ciliciens. Là ils avaient leurs nids d'aigles, et, comme les forêts leur donnaient des bois excellents pour la construction des navires, ils y avaient aussi leurs principaux chantiers et des arsenaux bien fournis de tout ce qui était nécessaire à l'armement de leurs flottes. Au sein de l'impraticable et montueux massif de la Lycie, de la Pamphylie et de la Cilicie, ils avaient bâti des châteaux forts au sommet des rocs, y enfermant, pendant qu'ils écumaient les mers, leurs femmes, leurs enfants et leurs trésors, et venant s'y mettre en sûreté au premier danger qui les menaçait. Ils s'étaient ménagé en outre, sur les rivages, dans les îles désertes, des stations, des tours de signal, des abris, pour déposer leur butin, cacher leurs vaisseaux et guetter leur proie. Ces pirates constituaient un État, une république, «république de corsaires» dit Mommsen[3]. C'est là le caractère vraiment étonnant de cette singulière société de bandits. Le savant historien allemand voit avec raison parmi eux les aventuriers, les désespérés de tous les pays, mercenaires licenciés, achetés jadis sur les marchés crétois de recrutement, citoyens bannis des villes détruites d'Italie, d'Espagne et d'Asie, soldats et officiers des armées de Fimbria et de Sertorius, enfants perdus de tous les peuples, transfuges proscrits de tous les partis vaincus, tous ceux enfin que poussaient en avant la misère et l'audace. A défaut de nationalité, ces hommes se tiennent, dit-il, liés par la franc-maçonnerie de la proscription et du crime. Mais je ne saurais admettre avec Mommsen que ce banditisme ait jamais pu marcher «vers une association meilleure de l'esprit public», l'histoire ne nous a laissé aucun indice pour avancer une pareille conclusion. Une association qui méconnaît la loi morale, qui ne vit et n'existe que pour le pillage et le crime et dont les membres ne sont point unis par le lien du sang national, est par cela même hors de la voie du progrès. Qu'importent sa force matérielle et ses actions parfois brillantes, héroïques même, si l'on peut employer ce mot en parlant de brigands, c'est une association criminelle, condamnée à périr, à tomber frappée sous le coup de la justice infaillible et vengeresse.

[1] Vie de Pompée.

[2] Appien, XCII.

[3] Histoire romaine, V, 2.

Il est aisé de voir quel usage les pirates faisaient de leur puissance. Ils s'étaient d'abord contentés, sous leur chef Isidorus, d'infester les mers voisines, mais ils répandirent rapidement leurs brigandages sur celles de Crète, de Cyrène, d'Achaïe, sur le golfe de Malée (Laconie), auquel les richesses qu'ils y capturaient leur avaient fait donner le nom de Golfe d'Or[1]. Ils se jetaient sur les villes peu défendues, et assiégeaient régulièrement les places fortes. Ils emmenaient en captivité dans leurs repaires, les citoyens les plus riches, et les y détenaient jusqu'au paiement d'une forte rançon. Enfin, ils étaient par excellence les pourvoyeurs des marchés d'esclaves. Ils étaient tellement redoutés que les négociants, les voyageurs, les corps de troupes même, à destination de l'Orient, choisissaient pour passer la mer la saison mauvaise, craignant moins les tempêtes que les corsaires.

Le jeune César, proscrit par Sylla, qui voyait déjà en lui «plusieurs Marius», tomba, auprès de l'île de Pharmacuse, une des Sporades, entre les mains des pirates. Ceux-ci lui demandèrent vingt talents pour rançon; il se moqua d'eux de ne pas mieux savoir quelle était la valeur de leur prisonnier, et il leur en promit cinquante (environ 110,000 fr.). Il envoya ensuite ceux qui l'accompagnaient, dans différentes villes, pour ramasser cette somme et demeura avec un seul de ses amis et deux domestiques au milieu de ces Ciliciens, les plus sanguinaires des hommes, dit Plutarque[2]. Il les traitait avec tant de mépris que, lorsqu'il voulait dormir, il leur envoyait commander de faire silence. Il passa trente-huit jours avec eux, moins comme un prisonnier que comme un prince entouré de ses gardes. Plein d'une sécurité profonde, il jouait et faisait avec eux ses exercices, et composait des poèmes et des harangues qu'il leur lisait. Les pirates, mauvais juges sans doute, avaient encore le défaut d'être trop francs. Ils critiquèrent sans mesure le jeune orateur qui, avec toute la morgue d'un grand seigneur romain, les traitait d'ignorants et de barbares qu'il ferait mettre en croix pour leur apprendre à s'y mieux connaître. Les pirates aimaient cette franchise et en riaient. Dès que César eut reçu de Milet sa rançon, et qu'il la leur eut payée, le premier usage qu'il fit de sa liberté, ce fut d'équiper secrètement quelques galères pour combattre les brigands. Il prit si bien ses mesures que tous les pirates encore à l'ancre tombèrent entre ses mains. Il les remit en dépôt dans la prison de Pergame et alla trouver Junius, à qui il appartenait, comme préteur d'Asie, de les punir. Junius jeta un œil de cupidité sur l'argent qui était considérable et dit qu'il examinerait à loisir ce qu'il ferait des prisonniers. Il voulait probablement les vendre à son profit. Mais César, laissant là le préteur, fit mettre en croix les pirates, comme il leur avait souvent annoncé dans l'île avec un air de plaisanterie. Ainsi, ce fut à Pharmacuse et sur des pirates que César, tout jeune encore, commença à montrer la supériorité de son génie, et à pratiquer le grand art de maîtriser la fortune et de dominer les hommes.

[1] «Sinum aureum», Florus, III, 7.

[2] Vie de César; Suétone, id., IV.

Pendant ce temps, les Romains étaient engagés dans leurs terribles guerres civiles et se livraient entre eux des combats aux portes de la ville, laissant ainsi la mer sans protection. La piraterie s'étendait de jour en jour et causait d'immenses dommages à l'État et aux particuliers. Elle avait accaparé tout le mouvement maritime de la Méditerranée. L'Italie ne pouvait plus exporter ses produits ni importer ceux des provinces. Les laboureurs abandonnaient leurs champs, la navigation était interrompue, le commerce entravé; la ville manquait d'approvisionnements, et la cherté des vivres excitait les plaintes des habitants. Les Romains affamés regardaient avec stupeur la Méditerranée et n'osaient plus l'appeler «nostrum mare».

 
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