Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Vie des douze Césars

Livre IX : Vitellius

 

I. Diversité des opinions sur l'origine des Vitellii

Les historiens sont dans un complet désaccord sur l'origine des Vitellius. Selon les uns, elle est noble et ancienne; selon les autres, elle est récente, obscure, et même abjecte. Peut-être aurais-je attribué à l'adulation ou à l'envie cette diversité d'opinions, si elle n'avait pas existé un peu avant l'élévation de Vitellius au trône. Il existe un ouvrage de Q. Elogius adressé à Q. Vitellius, questeur d'Auguste, où il est dit que les Vitellius remontent à Faunus, roi des Aborigènes, et à Vitellia, révérée en beaucoup de lieux comme une divinité; qu'ils régnaient sur tout le Latium; que leurs descendants passèrent du pays des Sabins à Rome, et furent mis au nombre des patriciens; que des monuments de leur ancienneté ont subsisté longtemps, tels que la voie Vitellia qui va du Janicule à la mer, et une colonie du même nom que leur maison se chargea de défendre seule contre les Èques; qu'enfin, dans le temps de la guerre des Samnites, une garnison ayant été envoyée en Apulie, quelques-uns des Vitellius s'établirent à Nuceria, et que leur postérité, revenue à Rome longtemps après, avait repris sa place au sénat.

II. Les ancêtres de l'empereur. Son père se fait remarquer, par ses lâches flatteries, à la cour de Claude

D'un autre côté, plusieurs historiens prétendent que les Vitellii descendent d'un affranchi. Cassius Severus, et d'autres encore ajoutent que cet affranchi était un savetier, dont le fils, après s'être enrichi aux enchères et par ses délations, épousa une femme de mauvaise vie, fille d'un certain Antiochus, loueur de fours, et que de ce couple naquit un chevalier romain. Nous abandonnons aux lecteurs ces assertions si diverses. Ce qu'il y a de certain, c'est que Vitellius de Nuceria, soit qu'il descendît de cette race antique, soit qu'il eût à rougir de ses parents et de ses aïeux, fut chevalier romain et administrateur des biens d'Auguste. Il laissa quatre fils du même nom, et distingués seulement par leur prénom, Aulus, Quintus, Publius et Lucius, qui tous s'élevèrent à de grandes dignités. Aulus mourut étant consul avec Domitius, père de l'empereur Néron. Magnifique en tout, il était décrié pour la somptuosité de ses repas. Quintus perdit son rang, lorsque, sur la proposition de Tibère, on écarta les sénateurs d'une capacité douteuse. Publius compagnon ,d'armes de Germanicus, accusa et fit condamner Cn. Pison, ennemi et meurtrier de ce jeune prince. Après sa préture, il fut arrêté, comme complice de Séjan, et son frère fut chargé de sa garde. Mais il s'ouvrit les veines avec un couteau de libraire. Toutefois, cédant aux instances de sa famille plutôt qu'à la crainte de la mort, il laissa fermer et guérir ses plaies, et mourut de maladie dans sa prison. Lucius, après son consulat, nommé gouverneur de la Syrie, engagea à force d'adresse Artaban, roi des Parthes, à venir conférer avec lui, et à rendre hommage aux aigles romaines. Il fut ensuite deux fois consul ordinaire et censeur avec Claude; il soutint même le fardeau de l'empire en son absence pendant l'expédition de Bretagne. C'était un homme actif, et auquel on ne pouvait reprocher aucun crime; mais il se déshonora par sa passion pour une affranchie dont il avalait tous les jours en public la salive mêlée avec du miel, comme un remède pour la gorge et les bronches. Il avait d'ailleurs un talent merveilleux pour la flatterie. C'est lui qui le premier imagina d'adorer Caligula comme un dieu. À son retour en Syrie, il n'osa l'aborder que la tête voilée, en se tournant, se retournant et se prosternant. Pour n'omettre aucun moyen de faire sa cour à Claude, qui était entièrement livré à ses femmes et à ses affranchis, il demanda à Messaline, comme une grâce insigne, la permission de la déchausser. Après lui avoir ôté le brodequin droit, il le porta constamment entre sa toge et sa tunique, et le baisait de temps en temps. Il vénérait aussi parmi les dieux Lares les statues d'or de Narcisse et de Pallas. On cite de lui un mot flatteur adressé à l'empereur Claude, pendant qu'il donnait les jeux séculaires: "Puissiez-vous les célébrer souvent!".

III. Naissance de Vitellius. Sa jeunesse. Ses sales complaisances pour Tibère

Il mourut de paralysie le lendemain du jour où il en fut attaqué. Il laissa deux fils qu'il avait eus de Sextilia, femme d'un grand mérite et d'une naissance distinguée. Il les vit tous deux consuls dans la même année, le cadet ayant, pour six mois, succédé à l'aîné. Le sénat honora de funérailles publiques Lucius Vitellius, et lui érigea une statue devant la tribune aux harangues, avec cette inscription: "Modèle d'une piété invariable envers César." Aulus Vitellius, fils de Lucius, et qui fut empereur, naquit le huitième jour avant les calendes d'octobre, ou, selon d'autres, le septième jour avant les ides de septembre, sous le consulat de Drusus César et de Norbanus Flaccus. Ses parents furent si effrayés de son horoscope, que son père fit tous ses efforts pour que, de son vivant, il n'eût aucun gouvernement, et que sa mère, lorsqu'il fut envoyé vers les légions et appelé empereur, le pleura comme si elle l'eût perdu. Vitellius passa son enfance et sa première jeunesse à Caprée, au milieu des prostituées de Tibère, et subit toujours l'infamie du surnom de "Spintria". On crut même qu'il fallait chercher dans ses lâches complaisances la cause de la fortune de son père.

IV. Il devient le favori de Caligula et de Néron

Les années suivantes, il se souilla aussi de toutes sortes d'opprobres. Mais il sut tenir le premier rang à la cour de Caligula, en s'appliquant à conduire les chars, et à celle de Claude, en s'adonnant au jeu de dés. Néanmoins il fut un peu plus agréable encore à Néron par les mêmes moyens, et par un service particulier qu'il lui rendit. Un jour qu'il présidait aux jeux néroniens, voyant que l'empereur, jaloux d'entrer en lice avec les joueurs de luth, sans oser pourtant céder aux instances du peuple, allait sortir du théâtre, il l'arrêta comme chargé de lui porter le voeu public, et parvint à le retenir.

V. Ses dignités. Sa conduite

La faveur de ces trois princes l'éleva non seulement aux honneurs, mais encore aux premières dignités du sacerdoce. Dans son proconsulat d'Afrique et son intendance des travaux publics, sa réputation fut aussi diverse que sa conduite dans ces deux charges. Il fit preuve d'un désintéressement parfait dans son gouvernement qui dura deux années, en restant légat de son frère quand celui-ci vint le remplacer. Mais, dans son administration urbaine, il passa pour avoir dérobé les offrandes et les ornements des temples, et substitué le cuivre et l'étain à l'or et à l'argent.

VI. Ses femmes et ses enfants

Il épousa Petronia, la fille d'un consulaire, et en eut un fils nommé Petronianus, qui était borgne. Sa mère l'ayant institué héritier à condition qu'il cesserait d'être sous la puissance paternelle, Vitellius l'émancipa. Mais on croit qu'il le fit périr peu de temps après, en l'accusant de parricide, et qu'il prétendit que, pressé par le remords, son fils avait avalé le poison qu'il destinait à son père. Il épousa ensuite Galeria Fundana, fille d'un préteur. Il en eut aussi des enfants de l'un et de l'autre sexe. Mais le garçon bégayait à un tel point qu'il en était presque muet.

VII. Il reçoit de Galba le commandement d'une armée. Ses créanciers veulent le retenir à Rome. Il est accueilli avec joie par les soldats

Galba l'envoya commander dans la Basse-Germanie, au grand étonnement de tout le monde. Il fut, dit-on, redevable de cet honneur au suffrage de T. Vinius, alors tout-puissant et auquel il plaisait depuis longtemps à cause de leur prédilection commune pour la faction des bleus. Mais si l'on considère que Galba disait ouvertement que personne n'était moins à craindre que ceux qui ne songeaient qu'à manger, et que les appétits effrénés de Vitellius pouvaient engloutir les richesses de la province, on verra clairement dans ce choix plus de mépris que de faveur. On sait qu'il n'avait pas l'argent nécessaire à ce voyage. Ses affaires étaient tellement délabrées que sa femme et ses enfants qu'il laissait à Rome, se cachèrent dans un galetas afin qu'il pût louer sa maison pour le reste de l'année. Il détacha même de l'oreille de sa mère une grosse perle, et la mit en gage pour subvenir aux frais de route. La foule de ses créanciers l'attendait et voulait l'arrêter, entre autres les habitants de Sinuesse et de Formies, dont il avait détourné les tributs. Il ne parvint à leur échapper qu'en les menaçant d'accusations calomnieuses dont il avait déjà donné l'exemple. Un affranchi lui ayant énergiquement demandé ce qu'il lui devait, Vitellius lui intenta un procès d'injures, sous prétexte qu'il en avait reçu un coup de pied, et ne s'en départit qu'après lui avoir extorqué cinquante mille sesterces. À son arrivée, les légions mal disposées envers le prince et prêtes à une révolution, reçurent avec joie et les mains levées vers le ciel, comme un présent des dieux, le fils d'un homme qui avait été trois fois consul, encore dans la force de l'âge et d'un caractère facile et dissipateur. Il venait de justifier par des preuves récentes cette ancienne opinion qu'on avait de lui, en embrassant sur toute la route les simples soldats qu'il rencontrait, en prodiguant ses caresses dans les écuries et dans les auberges aux muletiers et aux voyageurs, en demandant à chacun s'il avait déjeuné, et en rotant devant eux pour leur prouver qu'il avait déjà pris ce soin.

VIII. Son indulgence excessive pour eux. Ils le proclament empereur

Une fois entré dans le camp, il ne refusa rien à personne. De lui-même il fit grâce de la flétrissure aux gens notés d'infamie, de l'appareil du deuil aux accusés, et du supplice aux condamnés. Aussi un mois s'était à peine écoulé que, sans avoir égard ni au jour ni à l'heure, ses soldats l'enlevèrent subitement un soir de sa chambre à coucher, dans le costume familier où il se trouvait, et le saluèrent empereur. On le promena à travers les quartiers les plus populeux, tenant à la main l'épée de Jules César, qu'on avait tirée du temple de Mars, et qu'un soldat lui avait présentée pendant les premières félicitations. Quand il revint au praetorium, il y avait dans sa salle à manger un feu de cheminée. Tous ses soldats étaient consternés et regardaient l'accident comme un mauvais présage: "Rassurez-vous, leur dit-il, c'est un feu de joie pour nous." Ce fut toute sa harangue. L'armée de la Haute-Germanie, qui avait abandonné Galba pour le sénat, s'étant prêtée à ce mouvement, Vitellius reçut avec empressement le surnom de Germanicus que lui déférait le suffrage universel. Il n'accepta pas sur-le-champ le titre d'Auguste, et refusa toujours celui de César.

IX. Il marche contre Othon

Dès qu'on lui eut annoncé la mort de Galba, il mit ordre aux affaires de Germanie, et partagea ses troupes en deux corps pour envoyer l'un contre Othon, et marcher lui-même à la tête de l'autre. La première division reçut un heureux présage. Un aigle parut tout à coup sur la droite, parcourut les enseignes, et précéda insensiblement les légions. Au contraire lorsque Vitellius partit, les statues équestres qu'on lui avait érigées en divers lieux s'abattirent toutes en même temps et se brisèrent les jambes. Le laurier dont il avait couronné sa tête avec un soin religieux tomba dans un ruisseau. Enfin, à Vienne, tandis qu'il rendait la justice du haut de son tribunal, un coq se percha sur son épaule et ensuite sur sa tête. L'événement confirma ces présages. Ses lieutenants lui donnèrent l'empire, et il manqua de force pour le garder.

X. Mort de Othon. Vitellius traverse les provinces en triomphateur. Ses soldats se livrent impunément à toutes les violences. Un de ses mots les plus atroces

Il était encore dans la Gaule lorsqu'il apprit la victoire de Bédriac et la mort d'Othon. Aussitôt il licencia par un seul édit toutes les cohortes prétoriennes, comme ayant donné un détestable exemple, et leur ordonna de rendre leurs armes aux tribuns. Il fit rechercher et punir de mort cent vingt soldats dont il avait trouvé les pétitions où ils réclamaient d'Othon la récompense du service qu'ils avaient rendu en faisant périr Galba. Cet acte de justice, vraiment grand et magnanime, aurait annoncé un prince accompli, si le reste de sa conduite, démentant son caractère et sa vie passée, eût répondu à la majesté de l'empire. Dès le commencement de sa marche, il traversa les villes à la manière des triomphateurs, et il passa les fleuves sur les barques les plus élégantes, ornées de diverses couronnes, au milieu des apprêts des plus somptueux festins. Nul ordre ni dans sa maison ni dans son escorte. Il plaisantait des rapines et des excès de tout genre. Non contents d'un repas public qui les attendait partout, les gens de sa suite mettaient en liberté qui ils voulaient, frappant, blessant et quelquefois tuant quiconque s'opposait à leurs caprices. En arrivant sur le champ de bataille, il dit ces mots exécrables à quelques personnes qui témoignaient leur répugnance pour l'odeur des cadavres: "Un ennemi mort sent toujours bon, surtout un concitoyen." Cependant, pour diminuer l'effet de cette exhalaison, il avala beaucoup de vin et en fit distribuer à sa suite. Ce fut avec le même orgueil et la même insolence qu'à l'aspect de la pierre qui portait pour épitaphe: "À la mémoire d'Othon", il dit que ce mausolée était digne de ce prince. Il envoya à Cologne le poignard avec lequel ce prince s'était tué, et ordonna qu'il fût consacré à Mars. Il célébra aussi un sacrifice nocturne sur le sommet de l'Apennin.

XI. Son entrée dans Rome. Odieux commencements de son règne. Il prend Néron pour modèle

Enfin Vitellius entra dans Rome au son des trompettes, en habit guerrier, ceint de son épée, au milieu des aigles et des enseignes. Sa suite était vêtue de casaques militaires, et ses soldats avaient les armes à la main. Ensuite, foulant de plus en plus aux pieds les lois divines et humaines, il prit possession du souverain pontificat le jour anniversaire de la bataille d'Allia, fit des élections pour dix ans, se déclara consul perpétuel, et, afin qu'on ne doutât pas du modèle de gouvernement qu'il se proposait de suivre, il convoqua tous les prêtres au milieu du champ de Mars, et offrit un sacrifice aux mânes de Néron. Il invita publiquement un joueur de luth qui le charmait dans un splendide festin, à lui donner quelque chose des poèmes du Dominicum. Dès que le musicien eut entonné un des chants de Néron, Vitellius fut le premier à manifester sa joie par des applaudissements.

XII. Ses favoris

Tels furent les commencements de ce règne, livré en grande partie aux plus viles créatures, à des histrions, à des conducteurs de chars, et surtout à l'affranchi Asiaticus, dont il suivait les conseils et les caprices. Attaché à Vitellius dès sa première jeunesse par un commerce de prostitution mutuelle, Asiaticus s'enfuit de dégoût. Le prince le retrouva à Pouzzoles vendant de la piquette. Il le fit jeter dans les fers, et bientôt le délivra pour l'assujettir de nouveau à ses infâmes plaisirs. Choqué de son humeur indépendante et de son penchant au vol, il le vendit à un maître de gladiateurs ambulants; puis, voyant qu'il était réservé pour la fin du combat, il le reprit tout à coup. Ce ne fut que lorsque Vitellius fut nommé au gouvernement d'une province qu'il lui accorda sa liberté. Le jour de son avènement au trône, il lui donna l'anneau d'or à table, quoique le matin du même jour il eût répondu à ceux qui lui demandaient cette grâce pour Asiaticus, qu'il regardait comme un abus détestable d'imprimer cette tache à l'ordre des chevaliers.

XIII. Sa gourmandise et sa voracité

Ses vices favoris étaient la cruauté et la gourmandise. Il faisait régulièrement trois et quelquefois quatre repas, le petit déjeuner, le déjeuner, le dîner et l'orgie. Il suffisait à tout par l'habitude de se faire vomir. Il s'annonçait le même jour chez diverses personnes, et chaque repas ne coûtait pas moins de quatre cent mille sesterces. Le plus fameux fut celui que lui donna son frère à son arrivée. On y servit, dit-on, deux mille poissons des plus fins, et sept mille oiseaux. Il surpassa encore cette magnificence en faisant l'inauguration d'un plat d'une grandeur énorme, qu'il appelait "l'égide de Minerve, protectrice de la ville". On y avait mêlé des foies de scares, des cervelles de faisans et de paons, des langues de flamants, des laitances de lamproies. Pour composer ce plat on avait fait courir des vaisseaux depuis le pays des Parthes jusqu'au détroit de Gadès. La gloutonnerie de Vitellius était non seulement vorace, mais encore sordide et déréglée. Jamais, dans un sacrifice ou dans un voyage, il ne put s'empêcher de prendre sur l'autel et d'avaler des viandes et des gâteaux à peine retirés du feu. Le long des chemins, dans les cabarets, il s'emparait des mets encore fumants, ou dévorait ceux de la veille qui étaient à demi rongés.

XIV. Sa cruauté

Toujours prêt à envoyer le premier venu à la mort ou aux supplices, sur les plus légers prétextes, il fit périr, au moyen de mille perfidies, de nobles Romains, ses condisciples et ses camarades qu'il avait attirés auprès de lui par les caresses les plus séduisantes, comme pour leur faire partager l'empire. Il alla jusqu'à empoisonner de sa propre main un de ses amis qui, dans un accès de fièvre, lui avait demandé une potion d'eau fraîche. Il n'épargna presque aucun des usuriers, des créanciers ni des publicains qui à Rome lui avaient réclamé ce qu'il devait, ou qui, dans ses voyages, lui avaient fait payer la taxe. Il condamna l'un d'eux à mort pendant qu'il venait le saluer; puis donna ordre qu'on le ramenât sur-le-champ. Déjà tout le monde louait sa clémence, quand il le fit exécuter devant lui, disant qu'il voulait repaître ses yeux de ce spectacle. Il associa au supplice de leur père deux fils qui s'étaient efforcés d'obtenir sa grâce. Un chevalier romain qu'on traînait à la mort, s'étant écrié: "Tu es mon héritier", il le força de produire le testament; et, quand il vit que l'affranchi de ce chevalier lui était donné pour cohéritier, il ordonna que le chevalier fût étranglé avec l'affranchi. Quelques hommes du peuple furent mis à mort pour avoir médit publiquement de la faction des bleus. Il pensait qu'ils n'avaient eu cette hardiesse que par mépris pour sa personne et dans l'espoir d'une révolution. Il en voulait surtout aux astrologues domestiques. Il suffisait qu'on les accusât pour qu'il les fît périr sans les entendre. Ce qui l'exaspéra contre eux, c'est qu'après son édit qui leur ordonnait de sortir de Rome et de l'Italie avant les calendes d'octobre, il parut une affiche ainsi conçue: "Salut. Les Chaldéens défendent à Vitellius Germanicus de se trouver, passé ce terme, en quelque lieu que ce soit." Il fut soupçonné aussi d'avoir avancé les jours de sa mère en la privant de nourriture, sous prétexte de maladie, sur la prédiction d'une devineresse du pays des Chattes qu'il croyait comme un oracle, et qui lui annonçait un règne long et tranquille, s'il survivait à sa mère. D'autres disent que, dégoûtée du présent et effrayée de l'avenir, elle lui avait demandé du poison qu'il lui avait donné sans nulle peine.

XV. Les armées proclament Vespasien empereur. Vitellius se prépare à la guerre. Sa perfidie

Le huitième mois de son règne, les légions de Mésie, de Pannonie, et, au-delà des mers, celles de Syrie et de Judée se révoltèrent; toutes prêtèrent serment à Vespasien absent ou présent. Pour conserver l'attachement et la faveur de ce qui lui restait, il ne mit aucunes bornes à ses largesses, soit au nom de l'État, soit pour son compte particulier. Il ordonna des levées dans Rome, promettant aux volontaires non seulement des congés après la victoire, mais encore les récompenses accordées aux vétérans pour un service complet. Pressé par ses ennemis sur terre et sur mer, il leur opposa, d'un côté, son frère avec une flotte, des milices nouvelles et des gladiateurs; de l'autre, les troupes et les généraux qui avaient vaincu à Bédriac. Ensuite, trahi ou battu de toutes parts, il fit un traité avec Flavius Sabinus, frère de Vespasien, en stipulant sa sûreté personnelle et cent millions de sesterces. Immédiatement après, il parut sur les degrés du Palatin et déclara devant ses soldats rassemblés, qu'il renonçait à l'empire qu'il avait accepté malgré lui. Mais, sur leur réclamation générale, il différa, laissa passer une nuit, descendit, au point du jour, en habit de deuil, vers la tribune aux harangues, et, les yeux inondés de larmes, répéta, mais en la lisant, la même déclaration. Le peuple et les soldats s'y opposèrent encore, l'exhortant à ne pas se laisser abattre, et lui promettant à l'envi leurs services. Encouragé par ce dévouement, il surprit par une attaque soudaine Sabinus et les autres partisans de Flavius, les poussa jusque dans le Capitole, et les étouffa en mettant le feu au temple de Jupiter. Il regardait le combat et l'incendie du haut de la maison de Tibère où il était à table. Bientôt après il se repentit de cette violence, la rejeta sur d'autres, convoqua le peuple, jura et fit jurer à tous de n'avoir rien de plus cher que le repos public. Alors, détachant son épée, il l'offrit au consul, et, sur son refus, à chacun des magistrats et des sénateurs. Personne n'en voulant, il partit comme pour aller la déposer dans le temple de la Concorde. Mais quelques-uns s'étant écrié qu'il était lui-même la Concorde, il revint sur ses pas, et protesta que non seulement il gardait son épée, mais encore qu'il acceptait le surnom de Concorde.

XVI. Il fait des propositions de paix qui sont rejetées. Il cherche alors à fuir, et, revenant ensuite au palais, il se barricade dans la loge du portier

Il engagea les sénateurs à envoyer des députés accompagnés des Vestales pour demander la paix, ou du moins un peu de temps pour délibérer. Le lendemain, tandis qu'il attendait la réponse, un de ses éclaireurs lui annonça que l'ennemi approchait. Aussitôt il se cacha dans une chaise à porteurs, et, suivi seulement de son boulanger et de son cuisinier, il se dirigea secrètement vers le mont Aventin et la maison de son père, pour s'enfuir de là en Campanie. Le bruit s'étant répandu confusément que l'ennemi avait accordé la paix, il se laissa reporter dans son palais. Mais, l'ayant trouvé désert, et se voyant lui-même abandonné par les gens de sa suite, il s'entoura d'une ceinture remplie de pièces d'or, se réfugia dans la loge du portier, attacha le chien devant la porte, et la barricada de son lit et de son matelas.

XVII. Il est découvert, traîné dans les rues, chargé d'outrages et mis à mort

Les coureurs de l'armée ennemie avaient déjà fait irruption dans la ville. Ne rencontrant personne, ils cherchèrent partout, comme d'ordinaire. Ils retirèrent Vitellius de sa cachette, et, ne le connaissant pas, lui demandèrent qui il était et s'il savait où était l'empereur. D'abord il s'en tira par un mensonge; mais, se voyant reconnu, il ne cessa de supplier, comme s'il avait à révéler des secrets qui intéressaient la vie de Vespasien, qu'on voulût bien le garder en prison. On lui lia les mains derrière le dos, on lui jeta une corde au cou, on déchira ses vêtements, et on le traîna demi-nu sur le Forum, en lui prodiguant, le long de la voie sacrée, toutes sortes d'outrages. On lui ramena la tête en arrière par les cheveux, comme cela se pratique pour les criminels; on lui mit aussi la pointe d'une épée sous le menton pour le forcer à montrer son visage, et l'empêcher de baisser le front. Quelques-uns lui jetaient des ordures et de la boue, d'autres l'appelaient goinfre et incendiaire. Des gens du peuple lui reprochaient jusqu'aux défauts de son corps; car il avait une taille gigantesque, la face empourprée par l'ivrognerie, le ventre gros et une jambe éclopée par le choc d'un quadrige lorsqu'il servait Caligula dans ses courses de char. Enfin, parvenu aux Gémonies, il fut déchiré et achevé à petits coups, puis de là traîné avec un croc dans le Tibre.

XVIII. Sa mort justifie une prédiction qui lui avait été faite

Il périt avec son frère et son fils dans la cinquante-septième année de son âge, justifiant la prédiction qu'on lui avait faite à Vienne à propos du prodige que nous avons rapporté, qu'il tomberait entre les mains d'un Gaulois. En effet, il fut vaincu par Antonius Primus, chef du parti adverse, qui était né à Toulouse, et qui, dans son enfance, était surnommé Beccus, ce qui signifie "bec de coq".

 
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