Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre VI - Rome, de 389 à 367

 

2. Reprise du conflit dans le Latium - 383 à 370 ([VI, 21] à [VI, 35])

 

Épidémie à Rome. Nouvelles défections dans le Latium

[VI, 21]

(1) À cette peste succéda la disette, et, à la nouvelle de ces deux fléaux, l'année suivante, plusieurs guerres ensemble. Pour la quatrième fois L. Valerius, A. Manlius pour la troisième, Ser. Sulpicius pour la troisième, L. Lucretius, L. Aemilius pour la troisième, M. Trebonius, étaient tribuns militaires avec puissance de consuls. (2) Outre les Volsques, que le sort semblait ramener toujours pour exercer le soldat romain; outre les colonies de Circéi et de Vélitres, qui, depuis longtemps, préparaient leur défection, et le Latium, dont on se défiait; on vit les gens de Lanuvium, ville jusque-là très fidèle, se lever soudain. (3) Le sénat, pensant qu'ils agissaient ainsi par mépris de Rome, parce que les Véliternes, citoyens romains, restaient depuis si longtemps impunis pour leur défection, décida de présenter, au premier jour, au peuple, une déclaration de guerre contre eux. (4) Pour mieux préparer le peuple à cette campagne, on créa des quinquévirs pour le partage du pays Pontin, et des triumvirs pour l'établissement d'une colonie à Népété. (5) Alors on proposa au peuple d'ordonner la guerre, et, en dépit de l'opposition des tribuns de la plèbe, toutes les tribus votèrent la guerre.

(6) On en fit les préparatifs cette année; mais la peste empêcha l'armée de se mettre en marche. Ce délai donnait le temps aux colons de conjurer le sénat: une grande partie des habitants penchait à envoyer une députation suppliante à Rome; (7) mais le risque couru par les particuliers, comme toujours, interféra avec l'intérêt public. Les auteurs de la défection, craignant que, seuls chargés de crime, on ne les livrât, en expiation, aux vengeances de Rome, détournèrent les colonies de leurs desseins pacifiques; (8) et non contents de s'opposer, dans le sénat, au projet de députation, ils excitèrent même une grande partie du peuple à envahir et à dévaster le territoire de Rome: nouvel outrage, qui chassa toute espérance de paix.

(9) Cette année aussi, s'élevèrent les premiers bruits d'une défection des Prénestins: aux dénonciations des Tusculans, des Gabiens et des Labicans, dont ils avaient ravagé les terres, le sénat répondit si mollement, qu'on vit bien qu'il croyait peu aux accusations, parce qu'il ne voulait pas qu'elles fussent vraies.

Guerres contre Vélitres et contre les Volsques

[VI, 22]

(1) L'année suivante, Sp. et L. Papirius, nouveaux tribuns militaires avec puissance de consuls, menèrent les légions à Vélitres; leurs quatre collègues, Ser. Cornelius Maluginensis, tribun pour la quatrième fois, Q. Servilius, Ser. Sulpicius, L. Aemilius pour la quatrième fois, restèrent pour défendre la ville au premier bruit d'un nouveau mouvement de l'Étrurie; car tout était suspect de ce côté. (2) À Vélitres, on rencontra une armée auxiliaire de Prénestins, plus nombreuse en quelque sorte que les troupes de la colonie: on les combattit avec succès; la proximité de la ville fut à la fois, pour l'ennemi, l'occasion d'une fuite prématurée et son unique asile en sa fuite.

(3) Les tribuns renoncèrent à attaquer la place, parce que le succès était douteux, et qu'ils ne voulaient point combattre pour la destruction de la colonie. La lettre qu'ils envoyèrent à Rome au sénat pour annoncer leur victoire, accusait plus les Prénestins que les Véliternes: (4) aussi, par un sénatus-consulte et par un ordre du peuple, on déclara la guerre aux Prénestins, qui s'allièrent aux Volsques, et, l'année suivante, marchèrent sur Satricum, colonie du peuple romain: malgré l'opiniâtre défense des colons, ils l'emportèrent d'assaut, et abusèrent cruellement de la victoire. (5) Indignés, les Romains créèrent M. Furius Camille, pour la septième fois, tribun militaire; on lui donna pour collègues A. et L. Postumius Regillensis, et L. Furius, avec L. Lucretius et M. Fabius Ambustus. (6) La guerre volsque fut, à titre extraordinaire, confiée à M. Furius; pour l'assister, le sort désigna le tribun L. Furius, moins dans l'intérêt de la république, que pour fournir à Camille une matière à toute louange: général, il releva l'affaire presque perdue par la témérité de son collègue; homme, il aima mieux se faire de la faute de Furius un titre à son affection, qu'un profit pour sa propre gloire.

(7) Déjà d'un âge avancé, Camille était prêt à prononcer dans les comices le serment usité pour excuse de santé; la volonté du peuple s'y opposa: une sève de génie vivifiait encore cette forte poitrine, et sa verte vieillesse avait l'entier usage de ses sens. Le service des affaires civiles commençait à lui peser, mais la guerre le ranimait. (8) Il leva quatre légions de quatre mille hommes chacune, convoqua son armée pour le lendemain à la porte Esquiline, et marcha sur Satricum. Les vainqueurs de la colonie peu effrayés, comptant sur leurs troupes supérieures en nombre, l'attendaient là. (9) À la nouvelle de l'arrivée des Romains, ils s'avancent en bataille, voulant, sans délai tenter les hasards d'un combat décisif, afin qu'à l'ennemi peu nombreux, la science de son unique chef, en qui seule il comptait, fût inutile.

L'armée romaine brûle de combattre malgré les sages conseils de Camille

[VI, 23]

(1) Même ardeur animait l'armée romaine et l'un de ses chefs, et l'issue de cette lutte imminente n'était retardée que par la sagesse et l'autorité d'un seul homme, qui cherchait, en traînant la guerre, une occasion de suppléer aux forces par le génie. (2) L'ennemi n'en était que plus pressant: non content de déployer ses lignes le long de son camp, il s'avance au milieu de la plaine, vient porter ses enseignes presque sous les palissades ennemies, et affecte une orgueilleuse confiance en ses forces.

(3) C'était un spectacle pénible pour le soldat romain, plus pénible encore pour l'autre tribun militaire, L. Furius, qu'entraînaient et la fougue de son âge et de son caractère, et que gonflait les espérances de la multitude, dont les plus fragiles indices exaltent le courage. (4) Cette irritation des soldats, il l'excitait encore en attaquant sur le seul point où il pût l'atteindre, sur son âge, l'autorité de son collègue. "La guerre est faite pour les jeunes hommes, disait-il; avec la force du corps fleurit et se flétrit le courage; (5) le plus actif guerrier n'est plus qu'un temporisateur; celui qui, dès son arrivée, emportait toujours camps et villes du premier choc, maintenant s'endort et use le temps derrière des palissades: (6) qu'espère-t-il? accroître ses forces? affaiblir celles de l'ennemi? en quelle occasion, en quel temps, en quel lieu dresser des embûches? Froides et glaciales combinaisons de vieillard que tout cela. (7) À Camille désormais assez de vie, assez de gloire: convient-il, avec ce corps qui va mourir, de laisser vieillir et s'éteindre les forces de la cité qui doit être immortelle?"

(8) Par ces discours, L. Furius avait mis l'armée entière de son côté; et comme, de toutes parts, on demandait le combat: "Nous ne pouvons, M. Furius, dit-il, contenir l'ardeur du soldat; et l'ennemi, dont nos lenteurs ont augmenté l'audace, nous insulte avec un orgueil qui n'est plus supportable. Cède: seul contre tous, laisse-toi vaincre au conseil, tu vaincras plus tôt au combat.

(9) À cela Camille répond: "Jamais, dans toutes les guerres qu'il a dirigées seul jusqu'à ce jour, ni lui ni le peuple romain n'ont eu à se repentir de ses mesures ou des résultats: aujourd'hui, il sait qu'il a un collègue qui, comme lui, a le pouvoir et l'autorité, et, plus que lui, la vigueur de l'âge. (10) Quant à l'armée, il la gouverne d'ordinaire, et n'en est point gouverné; il ne peut s'opposer à la volonté d'un collègue: puisse-t-on, avec l'aide des dieux, mener à bien ce qu'on croira profitable à la république; (11) lui, comme une grâce de son âge, il demande à n'être point au premier rang: les devoirs qu'on peut attendre d'un vieillard à la guerre, il saura les remplir. Ce qu'il demande aux dieux immortels, c'est qu'aucun malheur ne donnât raison à sa tactique."

(12) Ni les hommes n'écoutèrent de si salutaires avis, ni les dieux de si pieuses prières. Le tribun qui veut le combat se place à la tête des troupes; Camille fortifie la réserve, et dispose en avant du camp un vigoureux détachement. Lui, du haut d'une éminence, spectateur attentif, surveille l'issue d'une mesure qu'il n'a point conseillée.

Camille rétablit la situation compromise par l'imprudence de son collègue

[VI, 24]

(1) À peine, au premier choc, les armes ont retenti, que, par ruse, non par crainte, l'ennemi lâche pied. (2) Derrière lui, et par une pente assez douce, s'élevait une colline entre sa ligne et son camp. Grâce au nombre de ses troupes, il avait pu laisser au camp quelques vaillantes cohortes armées et toutes prêtes, et qui, une fois la lutte engagée, devaient, dès que l'ennemi approcherait du retranchement, fondre sur lui. (3) Le Romain, poursuivant en désordre l'ennemi qui recule, se laisse attirer dans une position désavantageuse, et favorise ainsi la sortie. L'alarme alors saisit le vainqueur: la vue d'un second ennemi, le penchant de la vallée, font plier l'armée romaine, (4) pressée à la fois et par les troupes fraîches des Volsques, qui avaient fait irruption du camp, et par une nouvelle attaque de ceux dont la fuite n'avait été que simulée.

Déjà ce n'était plus une retraite: le soldat romain, oubliant sa fougue récente et sa vieille gloire, avait tourné le dos, courait en pleine déroute et regagnait le camp. (5) Alors Camille, placé sur un cheval par ceux qui l'entourent, s'élance, et, leur opposant à la hâte son corps de réserve: "Voilà donc, soldats, dit-il, le combat que. vous demandiez! À quel homme, à quel dieu pouvez-vous vous en prendre? vous d'abord si hardis, vous êtes lâches à cette heure? (6) Vous suiviez un autre chef; à présent, suivez Camille, et, comme toujours quand je vous guide, sachez vaincre. Que regardez-vous les palissades et le camp? pas un de vous n'y rentrera que vainqueur."

(7) La honte d'abord arrêta leur fuite; puis, voyant marcher les enseignes, l'armée se retourner contre l'ennemi, et ce chef, illustré par tant de triomphes et d'un âge si vénérable, se jeter aux premiers rangs, au plus fort de la lutte et du danger, ils s'accusent les uns les autres, s'animent, et de mutuels encouragements parcourent toute la ligne avec un cri de joie.

(8) L'autre tribun ne trahit point ses devoirs: envoyé vers les cavaliers par son collègue, qui ralliait l'infanterie, il ne leur fait point de reproches (complice de leur faute, il n'avait point pouvoir pour cela): il renonce au ton du commandement pour celui de la prière; il les conjure séparément, et tous ensemble, de le sauver de l'opprobre de cette journée, dont il a fait tous les malheurs. (9) "Malgré les refus, les défenses de mon collègue, dit-il, j'ai préféré m'associer à la témérité de tous qu'à la sagesse d'un seul. Camille, quelle que soit votre fortune, y trouvera sa gloire: moi, si le combat ne se relève (chose bien misérable!), j'aurai ma part d'infortune avec tous, mais seul j'aurai la honte.

(10) Ils trouvèrent bon, au milieu de ces lignes flottantes, de quitter leurs chevaux, et d'attaquer à pied l'ennemi. Ils vont, brillants d'armures et de courage, partout où ils voient l'infanterie vivement pressée. Ni aux chefs, ni aux soldats, le coeur ne faiblit dans cette lutte décisive; (11) aussi l'événement se ressentit de cet effort de courage: les Volsques, dispersés et vraiment en déroute, reprirent le chemin de leur fuite simulée; un grand nombre périt dans le combat et dans la fuite, le reste dans le camp, qui du même élan fut emporté; néanmoins il y en eut plus de pris que de tués.

Les Tusculans évitent une guerre de représailles

[VI, 25]

(1) Dans le recensement des prisonniers, on reconnut quelques Tusculans: mis à part et conduits aux tribuns, qui les interrogèrent, ils avouèrent que c'était sur décision de leur nation qu'ils avaient combattu. (2) Camille, saisi de crainte à la vue d'un ennemi si voisin, déclara qu'il allait aussitôt mener lui-même ces captifs à Rome, afin que le sénat ne pût ignorer que le Tusculans s'étaient détachés de son alliance. Pendant ce temps, le camp et l'armée resteront sous le commandement de son collègue, s'il y consent.

(3) Un seul jour avait appris à celui-ci à ne point préférer son avis à de meilleurs conseils; cependant ni lui, ni personne dans l'armée ne pouvait supposer beaucoup d'indulgence à Camille pour une faute qui avait jeté la république en de si graves périls. (4) À l'armée, à Rome, c'était une opinion générale et constante que, dans les diverses chances du combat contre les Volsques, le revers et la déroute devaient être imputés à L. Furius, et qu'à M. Furius appartenait tout l'honneur du succès. (5) On introduit les prisonniers dans le sénat, qui décrète qu'on poursuivra par la guerre les Tusculans, et charge Camille de cette guerre. Pour cette entreprise il demanda quelqu'un pour l'aider; on lui permit de choisir parmi les tribuns, et, contre l'attente de tous, ce fut L. Furius qu'il choisit. (6) Par cette modération, il atténua la honte de son collègue, et s'acquit une gloire immense.

On n'eut d'ailleurs point à combattre les Tusculans: par une paix obstinée, ils parvinrent à repousser les vengeances de Rome; ce que leurs armes n'auraient pu faire. (7) Ils laissèrent entrer les Romains sur leurs terres, sans quitter les lieux voisins de la route, sans interrompre la culture des campagnes: des portes ouvertes de la ville, une foule d'habitants en toge s'avancèrent à la rencontre des généraux; de la ville et des campagnes on apporta complaisamment au camp des vivres à l'armée. (8) Camille campe en avant des portes; et curieux de savoir si les mêmes apparences de paix qu'on affectait dans les campagnes se montreraient dans la ville, (9) il entre, voit les maisons et les boutiques ouvertes, toutes les marchandises exposées en vente, chaque ouvrier attentif à son travail; les écoles retentissent du bruit des leçons; les rues sont pleines de peuple, entre autres d'enfants et de femmes qui vont, qui viennent, chacun où l'appellent ses habitudes et ses affaires; (10) nulle part rien qui ressemble à de la peur, à de l'étonnement même: il tournait partout ses regards, cherchant des yeux quelques signes de guerre: pas une trace d'un objet déplacé, ou rapporté à dessein, mais toutes choses en un tel calme et une si constante paix, qu'on eût pu croire que des bruits de guerre n'étaient pas même arrivés jusque-là.

Une délégation de Tusculans est reçue au sénat

[VI, 26]

(1) Vaincu par cette résignation des ennemis, il fait convoquer leur sénat: "Seuls jusqu'ici, Tusculans, dit-il, vous avez trouvé les véritables armes, les véritables forces pour vous défendre de la colère des Romains. (2) Allez à Rome vers le sénat; les sénateurs jugeront si vous méritiez plus, ou d'être punis d'abord, ou d'être épargnés aujourd'hui. Je ne préviendrai point une faveur qui doit être un bienfait public. Je vous laisse la liberté de la solliciter; à vos prières le sénat fera l'accueil qu'il lui plaira".

(3) Les Tusculans vinrent à Rome, et quand on vit tristement arriver dans le vestibule de la curie ce sénat d'une ville alliée, un peu auparavant si fidèle encore, les sénateurs romains s'attendrirent, et les firent appeler avec des paroles hospitalières plutôt qu'hostiles. (4) Le dictateur tusculan tint ce langage: "Vous nous avez déclaré et porté la guerre, pères conscrits, et tels vous nous voyez paraître aujourd'hui dans le vestibule de votre curie, tels et avec ces armes et dans cet appareil nous nous sommes avancés à la rencontre de vos généraux et de vos légions. (5) Voilà quelle fut, quelle sera toujours notre manière d'être et celle de notre peuple, à moins qu'un jour, de vous et pour vous, nous ne recevions des armes. Nous rendons grâce et à vos généraux et à vos armées: ils ont cru leurs yeux plutôt que leurs oreilles; et où il n'y avait pas d'ennemi, ils n'ont point voulu l'être."

(6) "La paix que nous avons observée, nous l'implorons de vous; la guerre, reportez-la partout ailleurs, nous vous en prions. Ce que peuvent vos armes contre nous, s'il nous faut l'éprouver douloureusement, nous l'éprouverons désarmés. Telles sont nos intentions: fassent les dieux immortels qu'elles nous soient aussi heureuses qu'elles sont pures. (7) Quant aux griefs qui vous ont entraînés à déclarer la guerre, bien qu'à les réfuter les faits démentiraient nos paroles, toutefois, fussent-ils réels, nous pensons que notre aveu même, après un si éclatant repentir, est sans danger. On peut vous outrager, tant que vous mériterez de pareilles satisfactions".

(8) Tel fut à peu près le discours des Tusculans. Ils obtinrent la paix d'abord, et peu après le droit de cité. On ramena les légions de Tusculum.

Reprise de l'agitation tribunicienne (380)

[VI, 27]

(1) Camille, que sa prudence et sa valeur dans la guerre volsque, son heureuse fortune dans l'expédition contre Tusculum, dans l'une et l'autre sa rare patience et sa modération envers son collègue, avaient chargé de gloire, sortit de magistrature. (2) On créa tribuns militaires pour l'année suivante L. et P. Valerius, Lucius pour la cinquième fois, Publius pour la troisième, puis C. Sergius pour la troisième, L. Menenius pour la seconde, Sp. Papirius et Ser. Cornelius Maluginensis. (3) On eut aussi besoin de censeurs cette année, à cause surtout des bruits vagues sur le nombre des dettes, odieuse charge exagérée par les tribuns du peuple, atténuée au contraire par ceux qui avaient intérêt d'imputer les embarras des débiteurs à leur mauvaise foi plutôt qu'à leur impuissance. (4) On créa censeurs C. Sulpicius Camerinus, Sp. Postumius Regillensis. Leurs travaux étaient commencés quand la mort de Postumius (on se fit scrupule de le remplacer, et d'adjoindre un nouveau censeur à son collègue) vint les interrompre. (5) Sulpicius abdiqua sa magistrature: on créa d'autres censeurs; mais un vice dans leur élection ne leur permit pas d'exercer. On n'osa point risquer une troisième élection: les dieux semblaient repousser, cette année, la censure.

(6) "Insupportable dérision! disaient les tribuns du peuple! Le sénat fuyait l'établissement de registres officiels, qui attesteraient la fortune de chacun; il ne veut point laisser voir l'énorme masse des dettes et la preuve qu'une partie de la cité dévore l'autre: en attendant, le peuple obéré est livré à tels et tels ennemis. (7) Partout désormais, indistinctement, on cherche la guerre; on promène les légions d'Antium à Satricum, de Satricum à Vélitres, de là à Tusculum. Latins, Herniques, Prénestins sont menacés des armes romaines, et cela plus en haine du citoyen que de l'ennemi, afin de tuer le peuple sous les armes, sans lui permettre de reprendre haleine en sa ville, de songer en loisir à la liberté, d'assister aux assemblées, où parfois il entendrait cette voix tribunicienne réclamant un soulagement à tant de charges, un terme à tant d'autres outrages. (8) Si le peuple gardait au coeur un souvenir du libre esprit de ses ancêtres, il ne souffrirait pas qu'on adjuge un citoyen romain pour argent prêté; ni qu'on fasse une levée, avant qu'on ait examiné les dettes, avisé aux moyens de les réduire, avant que chacun ne sache bien ce qu'il a, ce qu'il n'a pas, si son corps reste libre, ou sujet encore aux entraves."

(9) Le prix offert à la sédition souleva la sédition sur l'heure. D'un côté, on allait condamner une foule de débiteurs; de l'autre, le sénat, au bruit des armements des Prénestins, avait décrété l'enrôlement de légions nouvelles: à ces deux mesures s'opposèrent tout ensemble et la puissance tribunicienne et l'unanimité du peuple: (10) les tribuns refusaient de laisser emmener les citoyens condamnés, les jeunes gens de donner leurs noms. Pour le moment, les sénateurs avaient moins de souci de la poursuite du jugement des débiteurs, que de la levée: car on annonçait déjà que l'ennemi, parti de Préneste, avait pris position sur le territoire de Gabies; (11) cependant cette nouvelle même, loin de détourner les tribuns du peuple de leur projet de résistance, les animait encore, et rien ne put éteindre la sédition dans Rome, que la guerre, et la guerre presque à ses portes.

Les Prénestins prennent position au bord de l'Allia

[VI, 28]

(1) En effet, quand les Prénestins apprirent qu'il n'y avait point à Rome de troupes sous les armes, de général désigné, que les patriciens et le peuple étaient en lutte, (2) leurs chefs, profitant de l'occasion, précipitent la marche de leur armée, ravagent en passant la campagne, et portent leurs enseignes jusqu'auprès de la porte Colline. (3) L'alarme fut grande dans Rome: on crie aux armes; on court sur les remparts et aux portes; on quitte enfin la sédition pour la guerre, et on nomme dictateur T. Quinctius Cincinnatus. (4) Il créa maître de la cavalerie A. Sempronius Atratinus. À cette nouvelle (tant cette magistrature était redoutée), les ennemis s'éloignèrent des murailles, et la jeunesse romaine se soumit à l'édit sans résistance.

(5) Pendant qu'à Rome on lève une armée, l'ennemi va placer son camp non loin du fleuve Allia: de là il se répand au loin, dévastant la campagne, et s'applaudissant d'avoir choisi un lieu fatal à la cité romaine: (6) "ce serait, disaient-ils, même terreur, même déroute que dans la guerre des Gaulois. En effet, si ce jour qu'ils ont frappé d'un religieux interdit, et marqué du nom de ce lieu; si le jour d'Allia effraie les Romains, combien plus l'Allia lui-même, témoin d'un si grand désastre, doit les épouvanter encore. Là certes, leurs yeux et leurs oreilles retrouveraient encore la farouche image des Gaulois et leurs voix retentissantes." (7) De ces vains raisonnements tirant de plus vaines espérances, ils avaient remis leur fortune aux hasards de ce lieu.

Les Romains, au contraire: "Partout où se présente un ennemi latin, ils savent assez que c'est le même qu'ils ont vaincu au lac Régille et qu'une paix de cent ans a tenu dans leur dépendance. (8) Ce lieu, qui leur rappelle un insigne désastre, leur donnera du coeur pour détruire le souvenir de cette honte, plutôt que la crainte qu'il n'y ait une terre où la victoire leur soit interdite. (9) Reviennent les Gaulois eux-mêmes à cette place, et les Romains combattront comme à Rome ils ont combattu pour reconquérir leur patrie; comme, le jour suivant, près de Gabies, alors que, grâce à leurs efforts, de tant d'ennemis entrés dans les remparts de Rome, pas un ne put porter chez lui la nouvelle de ses succès et de ses revers".

Victoire des Romains sur les Prénestins et leurs alliés (380)

[VI, 29]

(1) Ainsi animés de part et d'autre, ils arrivèrent sur les bords de l'Allia. Le dictateur romain, en présence de l'ennemi rangé et sous les armes: "Ne vois-tu pas, dit-il, A. Sempronius, qu'ils comptaient sur la fortune de ce lieu en prenant position sur l'Allia? Puissent les dieux immortels ne leur avoir point donné de plus sûr gage de confiance, ou de meilleur appui! (2) Mais toi, qui comptes sur tes armes et ton courage, charge et lance la cavalerie au milieu de ces bataillons; moi, avec les légions, parmi leurs lignes troublées et tremblantes, je pousserai nos enseignes. Assistez-nous, dieux témoins des serments! venez punir ceux qui vous ont outragés, qui ont abusé de votre nom pour nous trahir!"

(3) Les Prénestins ne résistèrent ni aux cavaliers, ni aux fantassins: au premier choc, au premier cri, leurs lignes furent rompues. Puis, ne pouvant sur aucun point tenir la ligne, ils tournent le dos: culbutés et en pleine déroute, emportés par la frayeur au-delà de leur camp, ils ne s'arrêtèrent qu'en vue de Préneste.

(4) Là, ces fuyards se rallient, et s'emparent d'une position qu'ils fortifient à la hâte: s'ils se réfugiaient dans leurs murs, on brûlerait aussitôt leurs campagnes, et, après une entière dévastation, on mettrait le siège devant la ville. (5) Mais lorsque, après avoir pillé leur camp sur l'Allia, le Romain vainqueur apparut, ils abandonnèrent même ce nouveau retranchement; et, rassurés à peine par la protection de leurs remparts, ils se renferment dans leur ville de Préneste. (6) Outre cette ville, huit autres se trouvaient sous la domination des Prénestins. On leur porta la guerre tour à tour; on les prit sans beaucoup de peine, et on mena l'armée à Vélitres, qu'on emporta de même. (7) Alors on revint à Préneste, le but de cette guerre. Sans attendre l'emploi de la force, elle capitula.

(8) T. Quinctius, après avoir gagné une bataille rangée, pris deux camps ennemis, forcé neuf villes, reçu Préneste à composition, rentra dans Rome. Il triompha, et porta au Capitole une statue de Jupiter Imperator, enlevée de Préneste. (9) Il lui dédia une place entre la chapelle de Jupiter et celle de Minerve: au-dessous fut scellée une tablette, monument de ses exploits, avec une inscription conçue à peu prés ainsi: "Jupiter et tous les dieux ont donné à T. Quinctius, dictateur, de prendre neuf villes." Vingt jours après son élection, il abdiqua la dictature.

L'armée romaine tombe dans une embuscade (379)

[VI,30]

(1) Les comices s'ouvrirent ensuite pour l'élection des tribuns militaires avec puissance de consuls: il en sortit un nombre égal de patriciens et de plébéiens. (2) Les patriciens nommés furent P. et C. Manlius, avec L. Julius: le peuple élut C. Sextilius, M. Albinius, L. Antistius. (3) Les Manlius, supérieurs en naissance aux plébéiens, en crédit à Julius, furent, avant toute épreuve du sort, avant tout examen, à titre extraordinaire, chargés de la campagne contre les Volsques: ce dont bientôt eux-mêmes et le sénat, qui leur confiait cette charge, se repentirent.

(4) Sans reconnaître le pays, ils envoient des cohortes au fourrage: un faux bruit leur apprend qu'elles sont enveloppées; pour les secourir, ils marchent à la hâte, sans même retenir l'auteur de la nouvelle, un ennemi latin, qu'ils croient soldat romain et qui les abuse: ils se jetèrent dans une embuscade. (5) Là, tandis qu'ils se maintiennent dans une position désavantageuse par la seule vaillance des soldats, qui tuent et se font tuer; ailleurs le camp romain, assis dans la plaine, est assailli par l'ennemi. (6) Des deux côtés, la témérité, l'ignorance des généraux trahirent les armes romaines: ce qui put survivre de la fortune de l'empire ne dut son salut qu'à cette vaillance du soldat qui tint ferme, même sans chef.

(7) Quand cela fut connu dans Rome, on voulut d'abord nommer un dictateur: bientôt on sut que les Volsques demeuraient tranquilles; on comprit qu'ils ne savaient user ni de la victoire ni de l'occasion, on rappela l'armée et les généraux: on eut alors, du côté des Volsques au moins, quelque repos, (8) qui ne fut troublé qu'à la fin de l'année par une insurrection des Prénestins et des peuplades latines soulevées avec eux.

(9) La même année, on inscrivit de nouveaux colons pour Sétia, qui se plaignait elle-même de manquer d'habitants. Enfin, comme une consolation à de si malheureuses chances de guerre, succéda la paix domestique, qui fut une conquête des tribuns militaires plébéiens, de leur crédit et de leur ascendant parmi leur ordre.

Représailles de l'armée romaine en territoire volsque (378)

[VI, 31]

(1) Au commencement de l'année suivante, une violente sédition s'alluma soudain sous le tribunat militaire avec puissance de consuls de Sp. Furius, Q. Servilius, élu pour la seconde fois, C. Licinius, P. Cloelius, M. Horatius, L. Geganius. La matière et la cause de cette sédition étaient les dettes: (2) pour en connaître, on créa censeurs Sp. Servilius Priscus et Q. Cloelius Siculus; la guerre vint arrêter leur travail. (3) Des messages alarmants d'abord, puis des fuyards de la campagne annoncèrent que les légions des Volsques avaient envahi les frontières, et dévastaient partout le territoire de Rome. (4) En ce moment d'alarmes, loin que la terreur du dehors comprimât les luttes intestines, la puissance tribunicienne, plus acharnée encore, s'opposa aux enrôlements, et le sénat dut subir la condition qu'on suspendrait, pendant toute la durée de la guerre, et la perception du tribut, et les poursuites contre les débiteurs. (5) Ce répit gagné au peuple, rien ne retarda plus les levées.

Des nouvelles légions enrôlées, on résolut de former deux armées, et de les diriger séparément sur le territoire volsque. Sp. Furius, D. Horatius marchèrent à droite, vers la côte maritime, sur Antium; Q. Servilius et L. Geganius à gauche, vers les montagnes, sur Écétra. (6) D'aucun côté ne parut l'ennemi. Alors commença le pillage; mais non pas au hasard et à la course, comme ce furtif brigandage des Volsques, encouragés par les discordes de l'ennemi autant qu'effrayés de sa valeur, mais comme la juste vengeance d'une armée justement irritée: vengeance que sa durée fit plus terrible encore. (7) Les Volsques en effet, craignant à chaque instant de voir sortir de Rome une armée, n'avaient fait incursion que dans les régions frontières: le Romain, au contraire, qui voulait attirer l'ennemi au combat, avait intérêt de séjourner sur ses terres. (8) Il brûla donc toutes les habitations éparses des campagnes, et quelques villages même, sans épargner un arbre fruitier, un champ semé, l'espoir d'une moisson; puis, entraînant ce qui se trouva hors des villes, tout un butin d'hommes et de bestiaux, l'une et l'autre armée revint à Rome.

Victoire romaine devant Satricum (378). Élection des tribuns militaires (377)

[VI, 32]

(1) On avait accordé aux débiteurs un court délai pour respirer: une fois sans crainte de l'ennemi, on recommença vivement à les poursuivre, et, loin d'espérer du soulagement à leurs dettes anciennes, ils durent en contracter de nouvelles, afin de payer un tribut imposé pour la construction en pierres de taille d'un mur adjugé par les censeurs. (2) Le peuple fut contraint de subir encore ce fardeau, ses tribuns n'ayant point d'enrôlement à empêcher.

(3) Bien plus, subjugué par l'influence des grands, il nomma pour tribuns militaires tous patriciens L. Aemilius, P. Valerius pour la quatrième fois, C. Veturius, Ser. Sulpicius, L. et C. Quinctius Cincinnatus. (4) La même influence parvint, pour repousser les Latins et les Volsques, dont les légions réunies campaient près de Satricum, à faire prêter serment sans obstacle à toute la jeunesse et à lever trois armées. (5) L'une devait garder la ville; un autre faire face aux premiers mouvements qui surviendraient encore, aux alertes imprévues; la troisième, de beaucoup la plus forte, commandée par P. Valerius et L. Aemilius, partit pour Satricum.

(6) Là, trouvant l'armée ennemie rangée dans la plaine, on combattit sur l'heure. La victoire n'était pas encore évidente, mais on avait bon espoir, quand un orage et des flots de pluie mirent fin au combat. (7) Le lendemain, nouvelle attaque. Quelque temps, avec une vaillance et une fortune égales, les légions latines surtout, instruites, par une longue alliance, aux leçons de la milice romaine, se maintinrent. (8) Mais la cavalerie s'élance, et jette le désordre dans les rangs: l'infanterie pousse ses enseignes au milieu de ce désordre, et autant l'armée romaine gagnait de terrain, autant en perdait l'ennemi: aussi la ligne de bataille eut à peine plié, que rien ne put faire tête à la valeur romaine.

(9) Battus, les ennemis voulurent gagner, non leur camp, mais Satricum, à deux milles de là; ils furent mis en pièces, par la cavalerie surtout: le camp fut pris et pillé. (10) Ils quittèrent Satricum la nuit qui suivit le combat, et, d'une marche qui ressemblait à une fuite, se dirigèrent sur Antium. L'armée romaine s'attacha de près à leurs traces: mais la peur fut plus rapide que la colère, (11) et les ennemis entrèrent dans la ville, avant que le Romain pût harceler leur arrière-garde, ou retarder leur marche. Alors on passa quelques jours à ravager la campagne, les Romains n'ayant point l'appareil nécessaire pour l'assaut des murailles, ni l'ennemi pour tenter les chances d'un combat.

Les Latins s'en prennent à Satricum et à Tusculum. Riposte de l'armée romaine

[VI, 33]

(1) Une querelle s'éleva alors entre les Antiates et les Latins: les Antiates, vaincus par le malheur et subjugués par la guerre, au sein de laquelle ils étaient nés et avaient vieilli, aspiraient à se rendre; (2) les Latins, reposés par une longue paix, trouvaient, dans la première ardeur d'une défection récente, plus d'âpreté et de persévérance pour la guerre. Cette lutte cessa quand chacun reconnut qu'il ne tenait à aucun des deux peuples d'empêcher l'autre de poursuivre ses desseins. (3) Les Latins partirent pour s'affranchir de la solidarité d'une paix qui leur semblait déshonorante; les Antiates, délivrés de ces incommodes censeurs de leurs projets de salut, remirent ville et terres aux Romains.

(4) La fureur, la rage des Latins éclatèrent; et dans cette impuissance de nuire aux Romains par la guerre, et de retenir les Volsques sous les armes, ils anéantirent dans les flammes la ville de Satricum, ce premier asile de leur déroute, et nul autre toit ne resta de cette ville (où leurs torches atteignaient à la fois les lieux saints et profanes) que le temple de Mater Matuta. (5) Encore ce ne furent, dit-on, ni leurs scrupules religieux, ni leur respect des dieux qui les arrêtèrent, ce fut une voix terrible sortie du temple, avec de fatales menaces s'ils n'éloignaient leurs feux impies des sanctuaires.

(6) Toujours enflammés de rage, le même élan les entraîne à Tusculum, par colère contre ses habitants, qui, détachés de la ligue commune du Latium, s'étaient faits non seulement des alliés, mais des citoyens de Rome. (7) Les portes étaient ouvertes, leur attaque imprévue: du premier cri, la ville fut prise, moins la citadelle, où les Tusculans se réfugièrent avec leurs femmes et leurs enfants, après avoir envoyé des messages à Rome pour instruire le sénat de leur détresse. (8) Avec cette diligence dont la loyauté du peuple romain se faisait un devoir, une armée partit pour Tusculum sous la conduite de L. Quinctius et de Ser. Sulpicius, tribuns militaires. (9) Ils voient les portes de Tusculum fermées, et les Latins, dans la double position d'assiégeants et d'assiégés, défendre d'un côté les remparts de la ville, de l'autre assaillir la citadelle; effrayer et trembler tout ensemble.

(10) L'arrivée des Romains eut bientôt changé les dispositions de l'un et de l'autre parti. Les Tusculans passèrent d'une grande terreur à une vive allégresse; les Latins, qui, maîtres de la ville, avaient presque la ferme confiance de prendre bientôt la citadelle, conservèrent à peine l'espoir de se sauver. (11) Au cri poussé de la citadelle par les Tusculans répond un plus terrible cri de l'armée romaine. Les Latins, pressés des deux côtés, ne peuvent soutenir l'élan des Tusculans, qui se précipitent des hauteurs de la citadelle, ni repousser les Romains, qui se glissent au pied des remparts et détruisent les défenses avancées des portes. (12) À l'aide des échelles, on s'empare des murailles, puis on brise les portes et leurs verrous; serrés entre deux lignes, en face et derrière, les ennemis, sans un reste de force pour combattre, sans une issue pour fuir, tombent au centre, massacrés jusqu'au dernier. Tusculum reconquise, l'armée fut reconduite à Rome.

La jalousie de la fille cadette de M. Fabius Ambustus

[VI, 34]

(1) À mesure que les succès militaires de cette année rétablissaient partout la paix au-dehors, dans la ville croissaient de jour en jour et la violence des patriciens et les misères du peuple, auquel on ôtait tout pouvoir de payer ses dettes, en s'obstinant à l'y contraindre. (2) Une fois donc leur patrimoine épuisé, ce fut leur honneur et leur corps que les débiteurs, condamnés et adjugés, livrèrent en paiement à leurs créanciers; à l'obligation de dette s'était substitué.

(3) Une telle dépendance avait abattu les esprits et des plus humbles et des plus distingués plébéiens; et si bien, qu'ils ne cherchaient plus non seulement à disputer aux patriciens le tribunat militaire, ce prix de tant de luttes et de travaux jadis, (4) mais même à solliciter ou à prendre en main les magistratures plébéiennes: pas un homme hardi et entreprenant ne se sentait ce courage; et la possession d'une dignité dont le peuple avait à peine usé quelques années, semblait à jamais reconquise aux patriciens. (5) Mais pour troubler l'extrême joie de ce parti, survint un léger incident, qui amena (comme souvent il arrive) de graves événements.

M. Fabius Ambustus, homme puissant parmi les membres de son ordre et même auprès du peuple, qui savait n'être point méprisé de lui, avait marié ses deux filles, l'aînée à Ser. Sulpicius, la plus jeune à C. Licinius Stolon, homme distingué, plébéien toutefois; et cette alliance même, que Fabius n'avait pas dédaignée, lui avait mérité la faveur de la multitude. (6) Un jour, il arriva que, pendant que les deux soeurs, réunies au logis de Ser. Sulpicius, tribun militaire, passaient le temps, comme d'ordinaire, à converser ensemble, Sulpicius revenait du Forum et rentrait chez lui: le licteur heurta la porte, suivant l'usage, avec sa baguette; à ce bruit, la jeune Fabia, étrangère à cet usage, s'effraya: sa soeur se prit à rire, étonnée de son ignorance. (7) Ce rire piqua au vif ce coeur de femme, ouvert aux plus faibles émotions. Puis la vue de cette foule qui suivait le tribun et lui demandait ses ordres, lui fit, j'imagine, estimer bien heureux le mariage de sa soeur; et cette mauvaise honte, qui ne permet à personne d'être moins que ses proches, dut lui donner regret du sien.

(8) Elle avait l'esprit encore troublé de cette récente blessure, quand son père la vit, et lui demanda si elle était malade. Elle déguisait le motif d'un chagrin qui n'était ni assez bienveillant pour sa soeur, ni fort honorable pour son mari, (9) mais il insista avec douceur, et lui arracha enfin l'aveu que le motif de son chagrin n'était autre que l'inégalité de cette union qui l'avait alliée à une maison où les honneurs et le crédit ne pouvaient entrer. (10) Ambustus consola sa fille, lui commanda d'avoir bon courage: bientôt elle verrait chez elle ces mêmes honneurs qu'elle avait vus chez sa soeur. (11) Il commença dès lors à se concerter avec son gendre, après s'être associé L. Sextius, jeune homme de coeur, auquel il ne manquait, pour aspirer à tout, qu'une origine patricienne.

Les tribuns de la plèbe C. Licinius et L. Sextius. Vacance du gouvernement (375-370)

[VI, 35]

(1) Un prétexte se présentait de tenter des nouveautés, c'était la masse énorme des dettes; le peuple ne devait espérer de soulagement à ce mal qu'en plaçant les siens au sommet du pouvoir: (2) c'est à ce but qu'il fallait tendre. À force d'essayer et d'agir, les plébéiens avaient déjà fait un grand pas; quelques efforts de plus, et ils arriveraient au faîte, et ils pourraient égaler en dignités ces patriciens qu'ils égalaient en mérite. (3) D'abord ils avisèrent de se faire nommer tribuns du peuple: cette magistrature. leur ouvrirait la voie aux autres dignités.

(4) Créés tribuns, C. Licinius et L. Sextius proposèrent plusieurs lois, toutes contraires à la puissance patricienne et favorables au peuple - la première sur les dettes - on déduirait du capital les intérêts déjà reçus, et le reste se paierait en trois ans par portions égales; (5) une autre limitait la propriété, et défendait à chacun de posséder plus de cinq cents arpents de terre; une troisième enfin supprimait les élections de tribuns militaires, et rétablissait les consuls, dont l'un serait toujours choisi parmi le peuple: projets immenses, et qui ne pouvaient réussir sans les plus violentes luttes. (6) C'était attaquer à la fois tout ce qui fait l'objet de l'insatiable ambition des hommes, la propriété, l'argent, les honneurs.

Épouvantés, tremblants, les patriciens, après plusieurs réunions publiques et privées, ne trouvant point d'autre remède que cette opposition tribunicienne éprouvée tant de fois déjà dans des luttes antérieures, engagèrent des tribuns à combattre les projets de leurs collègues. (7) Ces tribuns, le jour où ils virent les tribus citées par Licinius et Sextius pour donner leurs suffrages, parurent, soutenus d'un renfort de patriciens, et ne permirent ni la lecture des projets de lois, ni aucune des autres formalités en usage pour un plébiscite. (8) Plusieurs assemblées furent convoquées encore, mais sans succès: les projets de lois semblaient repoussés. "C'est bien, dit alors Sextius, puisque l'opposition de nos collègues a ici tant de force, ce sera notre arme aussi pour la défense du peuple. (9) Allons, patriciens, annoncez des comices pour des élections de tribuns militaires: je ferai en sorte que vous trouviez moins de charme à ce mot "Je m'oppose", qui dans la bouche de nos collègues résonne aujourd'hui si agréablement à votre oreille.

(10) Ces menaces ne furent pas vaines: aucune élection, hors celles des édiles et des tribuns du peuple, ne put réussir. Licinius et Sextius, réélus tribuns du peuple, ne laissèrent créer aucun magistrat curule, et comme le peuple renommait toujours les deux tribuns, qui toujours repoussaient les élections de tribuns militaires, la ville demeura cinq ans dépossédée de ses magistrats.

 


 

 
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