Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

adblocktest

 

Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre X - Rome, de 321 à 293

 

3. Progrès de la domination romaine, 295 à 293 ([X, 24] à [X, 47])

 

Rivalités entre les deux consuls pour l'attribution des postes (295)

[X, 24]

(1) Puis Quintus Fabius, pour la cinquième fois, et Publius Decius, pour la quatrième, entrèrent en charge comme consuls, après avoir été collègues dans trois consulats et une censure; (2) et ils n'étaient pas moins célèbres par la gloire de leurs exploits, qui était immense, que par leur accord. S'il ne fut pas constant, son interruption vint, je crois, d'une rivalité entre leurs ordres plutôt qu'entre eux, (3) les patriciens désirant que Fabius eût l'Étrurie comme province à titre extraordinaire, les plébéiens engageant Decius à remettre l'affaire au tirage au sort. (4) Il y eut certainement une discussion sur ce point au sénat; et, quand, dans cette assemblée, Fabius l'eut emporté, l'affaire fut renvoyée au peuple. À cette assemblée, comme il est naturel entre des soldats, qui comptaient plus sur leurs actions que sur leurs paroles, on parla peu. (5) Fabius dit que l'arbre qu'il avait planté, il était scandaleux qu'un autre en ramassât les fruits: c'était lui qui avait ouvert la forêt Ciminia, frayé un chemin, à travers ces gorges sans chemin, à l'attaque romaine. (6) Pourquoi l'avoir sollicité, à son âge, si l'on voulait faire mener la guerre par un autre général? Certes, ajoute-t-il en passant peu à peu aux reproches, c'est un adversaire qu'il a choisi, non un associé à son pouvoir, et Decius en veut à l'entente qu'ils ont maintenue dans trois collèges. (7) Enfin, il ne désire, lui, rien de plus qu'être envoyé dans une province, si on l'en juge digne; il a été à la disposition du sénat, il sera aux ordres du peuple.

(8) Publius Decius se plaignait des injustices du sénat: tant qu'ils l'ont pu, disait-il, les patriciens se sont efforcés d'interdire aux plébéiens l'accès des grands honneurs: (9) depuis que la valeur, toute seule, est parvenue à ne pas rester sans honneur, dans quelque classe d'hommes qu'elle se montre, ils cherchent comment rendre vains non seulement les suffrages du peuple, mais les jugements mêmes de la fortune, et les faire tourner au pouvoir de quelques-uns. (10) Tous les consuls, avant lui, ont tiré au sort leur province; maintenant, c'est sans tirage au sort que le sénat donne une province à Fabius. (11) Si c'est pour l'honorer, il a assez bien mérité de Decius lui-même, et de l'État, pour que Decius favorise sa gloire, pourvu qu'un affront pour lui-même ne soit pas la condition de l'éclat de Fabius. (12) Or qui doute que, quand une seule guerre est pénible et difficile, la confier, sans tirage au sort, à l'un des deux consuls, ce soit juger l'autre superflu et inutile? (13) Fabius se glorifie de ses exploits en Étrurie; Publius Decius veut s'en glorifier aussi; et, peut-être ce feu que Fabius a laissé étouffé, mais de façon que, si souvent, il donne tout à coup un nouvel incendie, il l'éteindra, lui, Decius. (14) Enfin, il est prêt à céder à son collègue honneurs et récompenses, par respect pour son âge et sa majesté; mais quand des dangers, des combats se présentent, il ne les lui cède pas spontanément, il ne les lui cédera pas (15) et, à défaut d'autre résultat, il obtiendra du moins que ce qui appartient au peuple soit donné par l'ordre du peuple, plutôt que par la faveur des sénateurs. (16) Il prie Jupiter très bon, très grand, et les Immortels, de lui donner, pour le tirage au sort, des chances égales à celles de son collègue, s'ils veulent lui donner la même valeur, le même bonheur dans la direction de la guerre. (17) Il est, certes, naturellement équitable, et d'un exemple utile, et il importe à la renommée du peuple romain, que ses consuls soient capables l'un comme l'autre de bien mener la guerre d'Étrurie.

(18) Fabius, sans adresser d'autre prière au peuple romain que celle de lire aux tribus, avant de les faire entrer au "parc" pour le vote, la lettre envoyée d'Étrurie par le préteur Appius Claudius, quitta le comitium. Et l'accord ne fut pas moins grand dans le peuple qu'au sénat pour attribuer, sans tirage au sort, la province d'Étrurie à Fabius.

Fabius part en Étrurie

[X, 25]

(1) Alors accoururent vers le consul presque tous les mobilisables; chacun de son côté donnait son nom: si grand était le désir de servir sous un tel chef! (2) Entouré de cette foule, Fabius dit: "Quatre mille fantassins, six cents cavaliers, voilà seulement ce que j'ai l'intention d'enrôler; ceux d'entre vous qui auront donné leurs noms aujourd'hui et demain, je les emmènerai avec moi. (3) Je m'inquiète davantage de vous ramener tous riches, que de faire campagne avec beaucoup de soldats".

(4) Parti avec cette armée maniable, et qui nourrissait d'autant plus de confiance et d'espoir que son chef n'avait pas réclamé des troupes innombrables, Fabius se dirige vers la place d'Aharna doit les ennemis n'étaient pas loin, et vers le camp du préteur Appius. (5) Quelques milles avant d'y arriver, des soldats qui, protégés par une patrouille, allaient au bois, le rencontrent; en voyant les licteurs qui marchaient en tête, en apprenant que ce consul était Fabius, joyeux, pleins d'allégresse, ils remercient les dieux et le peuple romain de leur avoir envoyé un tel général. (6) Puis comme, entourant le consul, ils le saluaient, Fabius leur demande où ils se dirigent; et quand ils répondent qu'ils vont au bois: "Que me dites-vous", répond-il, "n'auriez-vous pas de camp fortifié?" (7) Eux s'écriant qu'il était bien fortifié d'une double palissade et d'un fossé, et que cependant ils éprouvaient de grandes craintes: "Vous avez donc, leur dit Fabius, assez de bois; retournez-vous et arrachez vos palissades." (8) Ils retournent au camp, et là terrifient, en arrachant la palissade, et les soldats qui étaient restés au camp, et Appius lui-même; (9) alors, chacun de son côté, ils se mettent à dire aux autres qu'ils agissent sur l'ordre du consul Fabius. Le lendemain on décampa et le préteur Appius fut renvoyé à Rome. (10) Nulle part, depuis, les Romains n'eurent de camp fixe. Fabius disait qu'il n'était pas bon qu'une armée séjournât à un endroit: les marches et les déplacements la rendaient plus mobile et mieux portante. Mais on faisait seulement les marches que permettait l'hiver, qui n'était pas encore fini.

(11) Au début du printemps, laissant la seconde légion à Clusium, appelée autrefois Camars, et confiant le commandement du camp au propréteur Lucius Scipion, Fabius retourna lui-même à Rome pour y discuter au sujet de la guerre, (12) soit de son propre mouvement, parce qu'il avait en vue une guerre plus importante que les bruits courants ne le lui avaient fait croire, soit mandé par un sénatus-consulte: car ces deux hypothèses sont émises. (13) Ce fut le préteur Appius Claudius qui, d'après certains, parut le faire rappeler, en grossissant au sénat et devant le peuple, comme il l'avait fait sans cesse par ses lettres, ce qu'on avait à craindre de la guerre d'Étrurie: un seul général, une seule armée, n'y suffiraient pas, disait-il, contre quatre peuples; (14) on courait le danger - qu'ils s'unissent pour accabler un seul homme, ou se séparent pour porter la guerre en des sens opposés - qu'un seul homme ne pût en même temps faire face à tout. (15) Il avait laissé là-bas, disait-il, deux légions romaines, et il n'y était pas arrivé cinq mille hommes, fantassins et cavaliers, avec Fabius. Il était donc d'avis que le consul Publius Decius allât au plus tôt en Étrurie rejoindre son collègue; qu'on donnât à Lucius Volumnius la "province" du Samnium; ou, si le consul préférait aller dans sa province, que Volumnius allât en Étrurie rejoindre l'autre consul avec une armée consulaire normale.

(17) Tandis que ce discours du préteur ébranlait beaucoup de gens, Publius Decius fut d'avis, dit-on, qu'on laissât sur tous ces points une entière liberté à Quintus Fabius, jusqu'à ce que celui-ci, s'il le pouvait sans désavantage pour l'État, fût venu lui-même à Rome, (18) ou y eût envoyé un de ses légats, de qui le sénat apprendrait l'importance de la guerre d'Étrurie, celle des troupes qu'il fallait pour la mener et le nombre de généraux nécessaire.

En l'absence de Fabius, les Gaulois massacrent une légion romaine près de Clusium

[X, 26]

(1) À Rome, Fabius, au sénat comme devant le peuple où il fut amené, tint un discours modéré, de façon à ne paraître ni grossir ni diminuer la guerre par rapport aux bruits qui couraient sur elle, et à sembler plutôt, en prenant avec lui un autre général, accorder quelque chose à la frayeur des gens, que parer à un danger menaçant pour lui-même ou pour l'État. (2) Mais, dit-il, si on lui donnait quelqu'un pour l'aider dans cette guerre et partager son commandement, comment pouvait-il oublier le consul Publius Decius, qu'il avait éprouvé tant de fois comme collègue? (3) Il n'était personne qu'il préférât se voir adjoindre; avec Publius Decius, il aurait assez de troupes, il n'aurait jamais trop d'ennemis; et, si son collègue préférait autre chose, il demandait du moins, lui, qu'on lui adjoignît Lucius Volumnius.

(4) Sur toutes ces questions, le peuple, le sénat et son collègue lui-même laissèrent décider Fabius; et Publius Decius s'étant montré prêt à partir soit pour le Samnium, soit pour l'Étrurie, la joie et les félicitations furent si grandes qu'on se représentait d'avance la victoire, et qu'on semblait avoir décerné aux consuls le triomphe, et non le soin d'une guerre.

(5) Je trouve chez certains historiens que, sitôt entrés en charge, les consuls Fabius et Decius partirent pour l'Étrurie, sans un mot sur le tirage au sort des provinces et les débats entre collègues que j'ai exposés. (6) D'autres, en revanche, ne se sont pas même contentés d'exposer ces débats-là; ils y ont ajouté et des accusations d'Appius, devant le peuple, contre Fabius absent, et des manifestations opiniâtres de ce préteur contre le consul présent, et une nouvelle lutte entre les deux collègues, Decius souhaitant que chacun gardât la charge de sa province. (7) On commence à être d'accord à partir du moment oïl les lieux consuls partirent pour la guerre.

Mais avant qu'ils parvinssent en Étrurie, les Gaulois Sénons, foule immense, vinrent à Clusium attaquer la légion romaine et son camp. (8) Scipion, qui commandait ce camp, pensant qu'il fallait aider, par l'avantage de la position, ses soldats peu nombreux, fit gravir à son armée une colline située entre la ville et le camp. (9) Mais, comme il arrive dans une manoeuvre soudaine, il n'éclaira pas suffisamment sa marche vers cette hauteur, que les ennemis avaient occupée en l'abordant d'un autre côté. Ainsi sa légion fut taillée en pièces par derrière et cernée, l'ennemi la pressant de tous côtés. (10) Cette légion fut détruite là de façon qu'il ne resta pas un homme pour l'annoncer, disent encore certains historiens, (11) et les consuls, qui, déjà, n'étaient pas loin de Clusium, ne reçurent pas la nouvelle de cette défaite, avant d'avoir sous leurs yeux des cavaliers gaulois portant des têtes suspendues au poitrail de leurs chevaux ou fixées au bout de leurs lances, et montrant leur triomphe par un chant de leur façon. (12) Il y a des écrivains pour rapporter que ces adversaires furent des Ombriens, non des Gaulois; qu'on ne subit pas là une si grande défaite; qu'à des fourrageurs cernés avec le légat Lucius Manlius Torquatus, Scipion, propréteur, vint, du camp, porter secours; que les Ombriens vainqueurs, le combat recommençant, furent vaincus, et qu'on leur enleva prisonniers et butin. (13) Il est plus vraisemblable qu'on subit cette défaite des mains des Gaulois que de celles des Ombriens, car souvent d'autres fois, mais cette année-là surtout, la terreur d'une invasion gauloise occupa plus que toute autre la cité. (14) Aussi, outre que les deux consuls étaient partis pour la guerre avec quatre légions, une importante cavalerie romaine, mille cavaliers campaniens d'élite envoyés pour cette guerre, et une armée d'alliés et d'hommes de nom latin plus nombreuse que l'armée romaine, (15) deux autres armées furent, non loin de Rome, opposées à l'Étrurie, l'une sur le territoire Falisque, l'autre sur celui du Vatican. Cneius Fulvius et Lucius Postumius Megellus, tous deux propréteurs, reçurent l'ordre d'établir sur ces deux points des camps fixes.

La bataille de Sentinum en Ombrie (295)

[X, 27]

(1) Les consuls, ayant franchi l'Apennin, rencontrèrent l'ennemi sur le territoire de Sentinum. Là, à quatre milles environ de lui, ils établirent leur camp. (2) Les ennemis délibérèrent ensuite et convinrent de ne pas se mêler tous en un seul camp et de ne pas descendre au combat tous ensemble: aux Samnites on joignit les Gaulois, aux Étrusques les Ombriens. (3) On fixa le jour de la bataille; les Samnites et les Gaulois furent chargés de la livrer; pendant la lutte même, les Étrusques et les Ombriens devaient attaquer le camp romain. (4) Ces plans furent troublés par trois déserteurs de Clusium, qui, de nuit, à la dérobée, passèrent au consul Fabius, et, après avoir révélé le plan de l'ennemi, furent renvoyés, avec des récompenses, pour épier toute nouvelle décision et la rapporter aussitôt. (5) Les consuls écrivent à Fulvius de quitter le territoire Falisque, à Postumius celui du Vatican, d'amener leurs armées à Clusium et de ravager avec la plus grande violence les terres ennemies. (6) Le bruit de ces ravages fit partir les Étrusques de Sentinum pour protéger leur pays. Les consuls alors de presser l'ennemi, pour livrer bataille en leur absence. Pendant deux jours ils le provoquèrent au combat: (7) pendant deux jours on ne fit rien de mémorable: quelques hommes tombèrent de part et d'autre, et les esprits furent excités à livrer une bataille régulière plus qu'on n'en vînt encore à une lutte générale et décisive. Le troisième jour, enfin, toutes les troupes descendirent dans la plaine.

(8) Tandis que, rangées en bataille, les armées restaient immobiles, une biche, chassée des montagnes en fuyant un loup, accourt à travers champs entre les deux armées; puis, les deux bêtes tournant en sens opposés, la biche dirigea sa course vers les Gaulois, le loup vers les Romains. Au loup, les rangs livrèrent passage; la biche, les Gaulois la tuèrent. (9) Dans les premiers rangs, un soldat romain dit alors: "La fuite et le massacre tournent de ce côté, où vous voyez gisant l'animal consacré à Diane; de notre côté, le loup de Mars, vainqueur, sans atteinte et sans blessure, nous a rappelé notre origine Martiale et notre fondateur."

(10) À l'aile droite se tenaient les Gaulois, à l'aile gauche les Samnites. Contre les Samnites, Quintus Fabius rangea la première et la troisième légion, formant l'aile droite; contre les Gaulois, pour former l'aile gauche, Decius rangea la cinquième et la sixième légion; (11) la seconde et la quatrième, avec le proconsul Lucius Volumnius, faisaient la guerre dans le Samnium. Au premier choc, les forces se trouvèrent si égales en cette affaire, que, si les Étrusques et les Ombriens avaient été présents, ou en ligne, ou au camp, de quelque côté qu'ils se fussent portés, les Romains auraient dû accepter la défaite.

Le consul Publius Decius Mus se sacrifie pour sauver l'armée romaine

[X, 28]

(1) Mais, quoique Mars et la fortune de la guerre fussent encore communs aux deux partis, et que le sort n'eût pas encore décidé de quel côté il donnerait la puissance, le combat n'était pas du tout le même à l'aile droite et à l'aile gauche. (2) Les Romains de Fabius se défendaient plus qu'ils n'attaquaient, et l'on cherchait, là, à prolonger la lutte le plus possible, (3) le général étant persuadé que les Samnites comme les Gaulois étaient fougueux dans leur premier élan; qu'il suffisait alors de leur résister; que, la lutte se prolongeant, l'ardeur des Samnites s'affaiblissait peu à peu; (4) quant aux Gaulois, c'étaient leurs corps mêmes, tout à fait incapables de supporter la fatigue et la chaleur, qui fondaient en eau: au début de leurs combats, ils étaient plus que des hommes; à la fin, moins que des femmes. (5) Aussi gardait-il pour le moment où ces ennemis, d'habitude, se laissaient vaincre, les forces de ses soldats aussi intactes que possible. (6) Decius, plus fougueux à cause de son âge et de la violence de ses passions, déploya tout ce qu'il avait de forces dès le début de la lutte. Trouvant trop lent le combat d'infanterie, il pousse à l'attaque sa cavalerie; (7) et lui-même, au milieu de l'escadron le plus courageux, il prie cette jeunesse d'élite de charger l'ennemi avec lui: ils auront, dit-il, une double gloire, si l'aile gauche, et sa cavalerie, donnent le signal de la victoire. (8) Deux fois, ils font tourner le dos à la cavalerie gauloise; à la seconde, emportés trop loin, et engageant la lutte au milieu même des escadrons ennemis, un combat d'un nouveau genre les effraie; (9) debout sur ses chars de guerre et sur des chariots, l'ennemi, armé, arrive à grand bruit de chevaux et de roues, et effraie les chevaux des Romains qui n'étaient pas habitués à ce vacarme. (10) Ainsi, cette cavalerie victorieuse, une peur touchant à la folie la disperse; chevaux et hommes, se ruant, s'abattent dans cette fuite irréfléchie; (11) ils troublent même les enseignes des légions, et nombreux sont les fantassins des premiers rangs écrasés par l'élan des chevaux et des chars entraînés à travers l'armée; enfin, les lignes gauloises, suivant le mouvement dès qu'elles virent leurs ennemis effrayés, ne leur donnèrent pas le temps de respirer et de se reprendre.

(12) Decius demandait à grands cris aux soldats où ils fuyaient, quel espoir ils mettaient dans la fuite; il se dressait devant ceux qui lâchaient pied, rappelait ceux qui se dispersaient; puis, nulle force n'étant capable de retenir ces hommes frappés de terreur, il évoque par son nom son père Publius Decius: (13) "Pourquoi retarderai-je davantage le destin qui est celui de ma famille? Il a été donné à notre race que nous fussions des victimes expiatoires pour écarter les dangers de l'État; je vais livrer, avec moi, les légions ennemies à immoler à la Terre et aux dieux Mânes."

(14) Ayant ainsi parlé, il ordonna au pontife Marcus Livius, auquel, en descendant en ligne, il avait défendu de s'écarter de lui, de lui dicter les mots par lesquels il se dévouerait lui-même et dévouerait les légions ennemies pour l'armée du peuple romain des Quirites. (15) Puis, dévoué par les mêmes prières et dans la même attitude que son père Publius Decius, quand, au bord du Veseris, pendant la guerre latine, il se fit dévouer; (16) après avoir ajouté aux prières solennelles qu'il menait devant lui la terreur et la fuite, le carnage et le sang, les colères des dieux célestes, des dieux infernaux; (17) qu'il allait frapper d'imprécations funestes les drapeaux, les lances, les armures des ennemis, et que le même endroit verrait sa perte et celle des Gaulois et des Samnites; (18) après ces imprécations contre lui-même et contre les ennemis, vers le point où il voit que les rangs des Gaulois sont les plus serrés, il pousse son cheval, et, s'offrant lui-même aux traits ennemis, il est tué.

Victoire des Romains

[X, 29]

(1) Dès lors, on ne put plus guère reconnaître, dans cette bataille, l'action des forces humaines: les Romains, ayant perdu leur chef, ce qui est, d'habitude, un motif de crainte, s'arrêtent dans leur fuite et veulent commencer un combat complètement nouveau; (2) les Gaulois, et surtout le groupe qui entoure le cadavre du consul, comme des fous, ne cessent de lancer en vain des traits inutiles; certains, paralysés, ne pensent ni à se battre, ni à fuir. (3) De l'autre côté, le pontife Livius, à qui Decius a laissé ses licteurs et donné l'ordre de tenir lieu de préteur, hurle que les Romains sont vainqueurs, étant quittes envers les dieux par la mort du consul; (4) que Gaulois et Samnites appartiennent à la Terre mère et aux dieux Mânes; que Decius tire à lui et appelle leur armée qu'il a dévouée avec lui; que les furies et la terreur remplissent tout chez l'ennemi. (5) Puis arrivent à l'aide de ces hommes, qui rétablissaient le combat, Lucius Cornélius Scipion et Caius Marcius, avec des renforts tirés des réserves sur l'ordre de Quintus Fabius, et envoyés par lui au secours de son collègue. Là, on apprend le sort de Publius Decius, puissante exhortation à tout oser pour l'État. (6) Aussi, comme les Gaulois, leurs boucliers imbriqués devant eux, se tenaient serrés, et que le corps à corps ne semblait pas facile, sur l'ordre des légats on ramasse à terre les javelots qui jonchaient le sol entre les deux lignes, et on les lance contre la "tortue" ennemie. (7) Se plantant nombreux dans les boucliers, quelques-uns dans les corps mêmes, ils abattent le "coin" que formaient les ennemis, si bien que beaucoup, sans être blessés, de terreur tombèrent à terre. Telles furent les variations de la fortune à l'aile gauche des Romains.

(8) À l'aile droite, Fabius, comme on l'a dit, avait d'abord temporisé et traîné en longueur; puis, quand ni le cri des ennemis, ni leur élan, ni leurs traits ne parurent avoir la même force, (9) ayant dit aux préfets de la cavalerie de conduire, par un mouvement tournant, leurs troupes sur les flancs des Samnites, pour les charger par le travers, au signal donné, avec la plus grande impétuosité, il ordonna aux siens d'avancer lentement, et d'ébranler l'ennemi. (10) Voyant qu'il ne résistait pas, qu'il était certainement fatigué, Fabius, rassemblant toutes les réserves qu'il avait gardées pour ce moment, excita à l'attaque ses légions et donna en même temps aux cavaliers le signal de charger. (11) Les Samnites ne soutinrent pas ce choc, et, dépassant même l'alignement des Gaulois, abandonnant leurs alliés dans la bataille, ils allèrent vers leur camp dans une course, désordonnée; (12) les Gaulois, formant la tortue, serrés, restaient immobiles. Alors Fabius, ayant appris la mort de son collègue, ordonne au corps de cavalerie campanien - cinq cents cavaliers environ - de quitter le front et, par un mouvement tournant, d'attaquer de dos les lignes gauloises; (13) aux "principes" de la troisième légion, de les suivre, et, là où ils verront les troupes ennemies bouleversées par l'élan des cavaliers, de les presser, et, dans leur effroi, de les massacrer. (14) Fabius, lui, après avoir promis à Jupiter vainqueur un temple et les dépouilles des ennemis, se dirigea vers le camp des Samnites, où toute leur foule épouvantée se précipitait. (15) Au pied du retranchement même - les portes ne pouvant livrer passage à une telle multitude -, les Samnites qu'empêchait d'entrer la foule de leurs compatriotes tentèrent le combat; (16) là Gellius Egnatius, général en chef des Samnites, tomba mort. Puis les Samnites furent refoulés dans leurs retranchements; sans grand combat le camp fut pris, et les Gaulois, tournés par derrière, furent cernés.

(17) On massacra ce jour-là vingt-cinq mille ennemis, on en prit huit mille. Mais cette victoire ne fut pas sans coûter du sang: (18) l'armée de Publius Decius perdit sept mille hommes, celle de Fabius dix-sept cents. Fabius, après avoir envoyé rechercher le cadavre de son collègue, entassa les dépouilles des ennemis et les brûla en l'honneur de Jupiter Vainqueur. (19) Le corps du consul, enseveli sous des monceaux de Gaulois, ne put être retrouvé ce jour-là; on le trouva le lendemain et on le rapporta, au milieu des larmes des soldats. (20) Interrompant alors le soin de toute autre affaire, Fabius célèbre les funérailles de son collègue avec tous les honneurs et les éloges qu'il méritait.

Réflexions de l'historien sur la victoire de Sentinum

[X, 30]

(1) En Étrurie aussi, pendant ces jours-là, le propréteur Cnéius Fulvius mena les affaires à souhait: outre le grand malheur infligé à l'ennemi par le ravage de ses terres, on combattit là brillamment, (2) on tua plus de trois mille Perusini et Clusini, on prit une vingtaine de drapeaux. (3) L'armée samnite, en fuyant à travers le territoire des Paeligni, fut cernée par eux: sur cinq mille hommes qu'elle comptait, on en tua un millier.

(4) Grande fut la gloire de cette journée où l'on combattit sur le territoire de Sentinum, même pour qui s'en tient à la vérité. (5) Mais certains historiens, par leurs exagérations, passent les bornes de ce qu'on peut croire, en donnant à l'armée ennemie trois cent trente mille fantassins, quarante-six mille cavaliers, et mille chars, (6) y compris sans doute les Ombriens et les Toscans, qui, d'après eux, prirent part aussi à cette bataille. Pour augmenter aussi les forces romaines, ils ajoutent le proconsul Lucius Volumnius, comme général, aux consuls, et son armée aux légions des consuls. (7) Mais, d'après la majorité des annales, cette victoire appartient aux deux consuls; pendant ce temps, Volumnius mène les opérations dans le Samnium, et, après avoir refoulé l’armée samnite sur le mont Tiferne, sans se laisser effrayer par les difficultés du terrain, la défait et la met en fuite.

(8) Quintus Fabius, laissant l'armée de Decius garder l'Étrurie, emmena ses propres légions à Rome, et y triompha des Gaulois, des Étrusques et des Samnites. (9) Les soldats suivaient le triomphateur. Leurs chants sans art célébrèrent, autant que la victoire de Quintus Fabius, la mort magnifique de Publius Decius, et rappelèrent la mémoire du père, la mettant, pour les résultats publics et privés de sa conduite, aussi haut que la gloire du fils. (10) Sur le butin, on donna à chaque soldat quatre-vingt-deux as, des saies et des tuniques, récompenses qui, à cette époque, n'étaient nullement méprisables pour la troupe.

Bilan provisoire des guerres samnites (295)

[X, 31]

(1) Malgré ces opérations ainsi menées, ni chez les Samnites, ni en Étrurie il n'y avait encore la paix; car d'une part, à l’instigation des Perusini, quand le consul eut emmené son armée, on se révolta, (2) d'autre part les Samnites descendirent piller les territoires de Vescia et de Formies, et, d'un autre côté, celui d'Esernia et les terres riveraines du Vulturne. (3) Contre eux on envoya le préteur Appius Claudius avec l'armée de Decius. Fabius, dans l'Étrurie de nouveau révoltée, massacra quatre mille cinq cents Perusini, (4) et en prit environ mille sept cent quarante, qui furent rachetés au prix de trois cent dix as chacun; tout le reste du butin fut abandonné au soldat. (5) Les légions samnites, poursuivies les unes par le préteur Appius Claudius, les autres par le proconsul Lucius Volumnius, se réunirent sur le territoire de Stella. Là prennent position toutes les légions samnites, et Appius et Volumnius joignent aussi leurs camps. (6) On se battit avec le plus grand acharnement, d'un côté sous l'excitation de la colère contre un adversaire si souvent révolté, de l'autre en luttant pour un dernier espoir. (7) Aussi l'on massacra seize mille trois cents Samnites, on en prit deux mille sept cents; dans l'armée romaine il tomba deux mille sept cents hommes.

(8) L'année fut heureuse pour la guerre, pénible par suite d'une épidémie et troublée par des prodiges; on annonça, en effet, et qu'en maint endroit, il avait plu de la terre, et que, dans l'armée d'Appius Claudius, un très grand nombre d'hommes avaient été foudroyés; et pour cela on consulta les livres. (9) Cette année-là Quintus Fabius Gurges, fils du consul, quelques matrones ayant été citées devant le peuple et condamnées pour leur inconduite, les condamna à une amende, avec l'argent de laquelle il fit faire le temple de Vénus qui est près du cirque.

(10) Il me reste encore à raconter de ces guerres samnites, dont le récit, sans cesse poursuivi, nous a amenés déjà à mon quatrième volume, et à la quarante-sixième année de leur durée, depuis le consulat de Marcus Valérius et d'Aulus Cornélius, qui, les premiers, portèrent les armes dans le Samnium. (11) Et, pour ne pas rappeler maintenant tant d'années de défaites subies par les deux peuples, et de peines qui ne purent, cependant, vaincre ces coeurs endurcis, (12) la dernière année dont nous avons parlé, les Samnites, sur le territoire de Sentinum, chez les Paeligni, à Tifernum, dans les plaines de Stella, avec leurs seules légions ou joints à des troupes étrangères, avaient été taillés en pièces par quatre armées, quatre généraux romains; (13) ils avaient perdu leur chef le plus célèbre; leurs alliés, Étrusques, Ombriens, Gaulois, ils les voyaient dans le même état qu'eux; (14) ni leurs forces, ni des forces étrangères ne leur permettaient plus de rester debout; pourtant ils ne renonçaient pas à la guerre; tant la défense, même malheureuse, de leur liberté était loin de les lasser, tant ils préféraient être vaincus à ne pas tenter la victoire! (15) Quel est donc l'homme que rebuterait, comme écrivain ou comme lecteur, la longueur de ces guerres, qui ne lassèrent pas ceux qui les faisaient?

Les Samnites attaquent le camp romain à la faveur d'un épais brouillard (294)

[X, 32]

(1) À Quintus Fabius et à Publius Decius, Lucius Postumius Megellus et Marcus Atilius Regulus succédèrent comme consuls. (2) Un décret leur donna à tous deux la "province" du Samnium, le bruit courant que l'ennemi avait enrôlé trois armées, que l'une retournait en Étrurie, la seconde au pillage de la Campanie, et qu'on préparait la troisième pour la défense du territoire. (3) Une maladie retint à Rome Postumius; Atilius partit sur-le-champ, pour écraser les ennemis dans le Samnium (ainsi l'avait décidé le sénat) avant qu'ils en fussent sortis. (4) Comme par un fait exprès, les Romains rencontrèrent l'ennemi à un endroit tel, qu'eux-mêmes étaient empêchés de dévaster le territoire samnite, et qu'ils empêchaient le Samnite d'en sortir pour pénétrer dans les régions paisibles et sur les terres des alliés du peuple romain. (5) Les deux camps étant rapprochés, l'entreprise que le Romain, si souvent vainqueur, eût à peine osée, les Samnites l'osèrent, tant l'extrême désespoir donne de témérité: ils attaquèrent le camp romain; et quoiqu'un tel coup d'audace n'aboutît pas, il ne fut pas tout à fait vain. (6) Il y eut un brouillard si épais, et qui persista jusqu'à une heure avancée, qu'il rendit la clarté du jour inutile, empêchant non seulement de voir au loin, hors du retranchement, mais même de se voir quand on se rencontrait. (7) Prenant, en quelque sorte, ce brouillard comme abri pour leur expédition dérobée, les Samnites, le jour à peine levé, et encore voilé par la brume, parviennent au poste romain qui veillait négligemment à une porte. (8) Pris à l'improviste, ses hommes n'eurent ni assez de courage pour résister, ni assez de force. (9) C'est par l'arrière du camp, par la porte décumane, que cette attaque fut faite; aussi le questorium fut-il pris, et le questeur Lucius Opimius Pansa tué là. Alors on cria aux armes.

Les Romains se libèrent

[X, 33]

(1) Le consul, éveillé par le tumulte, ordonne à deux cohortes d'alliés, une de Lucaniens, l'autre de Suessans, qui se trouvaient le plus près, de protéger le prétoire; il amène les manipules des légions dans la Voie principale. (2) À peine armés, les soldats prennent leurs rangs; ils reconnaissent les adversaires à leurs cris plus qu'à la vue; on ne peut en estimer le nombre. (3) Ils reculent d'abord, doutant de leur situation, et laissent entrer l'ennemi jusqu'au milieu du camp; puis, comme le consul hurlait, leur demandant s'ils voulaient se laisser expulser de leurs retranchements pour attaquer ensuite leur propre camp, (4) ils poussent leur cri de guerre et d'abord, d'un commun effort, résistent, puis avancent, pressent les ennemis, et, une fois qu'ils les ont ébranlés, les repoussent, frappés d'une frayeur semblable à celle qu'ils avaient, d'abord éprouvée eux-mêmes, et les jettent hors de la porte et du retranchement. (5) N'osant pas ensuite continuer à les poursuivre, parce que la lumière trouble de ce jour leur fait craindre une embuscade aux environs, satisfaits d'avoir délivré leur camp, ils se retirent dans leurs retranchements, ayant tué environ trois cents ennemis. (6) Chez les Romains, en comprenant l'avant-poste, les sentinelles et les soldats surpris autour du questorium, on perdit environ sept cent trente hommes.

(7) Les Samnites furent enhardis par ce coup d'audace, qui n'avait pas mal tourné; ils ne laissaient pas les Romains non seulement avancer leur camp, mais même fourrager sur leurs terres; c'était à l'arrière, sur le territoire paisible de Sora, qu'allaient les fourrageurs. (8) Le bruit de ces faits, plus alarmant encore que la réalité, apporté à Rome força le consul Lucius Postumius, à peine rétabli, à quitter la ville. (9) Avant d'en sortir cependant, après avoir ordonné par un édit à ses soldats de se réunir à Sora, il dédia lui-même le temple de la Victoire, que, comme édile curule, il avait fait faire avec l'argent des amendes. (10) Parti alors pour l'armée, il alla, de Sora, dans le Samnium, vers le camp de son collègue. De là, quand les Samnites, doutant de pouvoir résister à deux armées, se furent retirés, les consuls, se séparant, vont en sens opposé dévaster les campagnes et attaquer les villes.

Prise de Feritrum, désertée par ses habitants

[X, 34]

(1) Postumius, après avoir entrepris d'attaquer Milionia de force, par un assaut, voyant le peu de succès de ce moyen, employa les travaux de siège, et enfin les "tonnelles" touchant les murs, et la prit. (2) Alors, la ville étant déjà prise, de la quatrième heure jusqu'à la huitième, ou presque, dans tous les quartiers, on combattit longtemps avec des résultats incertains; enfin le Romain se rend maître de la place. (3) Les Samnites perdirent trois mille deux cents tués et quatre mille sept cents prisonniers, outre le reste du butin.

(4) De là on mena les légions à Feritrum, d'où les habitants, avec tous les biens qu'ils pouvaient emporter ou pousser devant eux, sortirent de nuit, en silence, par une porte opposée. (5) Le consul, dès son arrivée, avait disposé et rangé ses troupes, pour s'avancer vers les murs, comme s'il allait y avoir là la même lutte qu'à Milionia; (6) puis, remarquant dans la ville un silence de désert, ne voyant ni armes, ni hommes sur les tours et sur les murs, malgré l'envie des soldats de s'élancer sur ces remparts abandonnés, il les retient, de peur de se jeter sans précaution dans quelque piège; (7) il ordonne à deux escadrons d'alliés de nom latin de faire, à cheval, le tour des remparts et de tout reconnaître. Les cavaliers remarquent, du même côté, une porte, puis une autre, voisine, grandes ouvertes, et, sur les chemins qui en partent, les traces de la fuite nocturne des ennemis. (8) Ils chevauchent ensuite lentement vers ces portes, voient, d'un endroit sûr, qu'on peut, par des rues droites, traverser librement la ville, et rapportent au consul qu'on l'a abandonnée; la solitude qui y règne évidemment le montre, comme les traces récentes de fuite, les objets qui jonchent le sol, abandonnés la nuit, çà et là, par les partants, dans leur agitation. (9) Ce qu'ayant appris, le consul mène, par un détour, sa colonne vers le côté de la ville qu'avaient abordé les cavaliers. S'arrêtant non loin de la porte, il ordonne à cinq cavaliers d'entrer: après s'être un peu avancés, trois resteront au point atteint, si tout semble sûr, les deux autres lui rapporteront le résultat de leur reconnaissance. (10) Quand ceux-ci, revenus, rapportèrent que, s'étant avancés jusqu'à un point d'où ils voyaient autour d'eux tous les quartiers, ils n'avaient vu, en long et en large, que silence et solitude, (11) aussitôt le consul conduisit dans la ville des cohortes sans bagages, en ordonnant aux autres soldats de fortifier cependant le camp. (12) Les soldats entrés en ville, ayant brisé quelques portes, trouvent un petit nombre de gens alourdis par l'âge et des malades, et, abandonnés, les objets difficiles à emporter. (13) On les pilla, et l'on apprit des prisonniers que, d'un commun accord, quelques villes voisines avaient décidé la fuite de leurs habitants; leurs concitoyens étaient partis à la première veille; ils croyaient que, dans d'autres villes, les Romains trouveraient la même solitude. (14) La confiance dans leurs dires se montra justifiée: le consul s'empare de places désertes.

Conséquences inattendues de la bataille de Lucérie (294)

[X, 35]

(1) Pour l'autre consul, Marcus Atilius, la guerre fut loin d'être aussi facile. Comme il menait ses légions à Luceria, qu'attaquaient les Samnites (il l'avait appris), à la frontière des Lucerini il rencontra l'ennemi. Là, la colère égalisa les forces; (2) le combat fut varié et incertain, plus déplorable cependant, par son issue, pour les Romains que pour l'ennemi, et parce qu'ils n'avaient pas l'habitude d'être vaincus; et parce qu'ils sentirent en rompant le combat, plus que dans la lutte même, combien, de leur côté, il y avait plus de blessures et de morts. (3) Aussi se montra-t-il dans le camp une telle terreur que, si elle avait saisi les soldats dans le combat, on aurait subi une défaite insigne. Alors même la nuit fut inquiète, les soldats croyant que le Samnite allait, tout de suite, envahir le camp, ou qu'à la pointe du jour il faudrait en venir aux mains avec les vainqueurs.

(4) Avec des pertes moins graves, il n'y avait pas plus de courage chez les ennemis. Dès qu'il fait jour, ils désirent se retirer sans combat. Mais il n'y avait pour cela qu'une route, et encore elle passait devant les Romains: en la prenant, les Samnites eurent l'air de marcher droit à l'attaque du camp romain. (5) Le consul ordonne à ses soldats de prendre les armes, et de le suivre hors du retranchement; aux légats, aux tribuns, aux chefs des alliés, à chacun il donne les ordres nécessaires. (6) Tous affirment que, personnellement, ils feront tout, mais que le courage des soldats est abattu: toute la nuit, on a veillé parmi les blessés et les plaintes des mourants; (7) si l'ennemi avait marché contre le camp avant le jour, la peur aurait été si grande que les soldats auraient abandonné leurs drapeaux; maintenant, la honte les empêche de fuir, mais, par ailleurs, ils se considèrent comme vaincus.

(8) En apprenant cela, le consul pensa qu'il devait lui-même faire le tour de ses soldats et leur parler; et, à mesure qu'il arrive à chaque groupe, il leur reproche d'hésiter à prendre les armes: (9) pourquoi, leur dit-il, tarder et tergiverser? L'ennemi viendra dans le camp, s'ils n'en sortent pas eux-mêmes, et ils combattront pour leurs tentes, s'ils ne veulent pas combattre pour leur retranchement. Pour qui s'arme et lutte, la victoire est douteuse; (10) mais qui attend l'ennemi sans équipement et sans armes, doit subir ou la mort, ou l'esclavage. (11) À ces apostrophes, à ces reproches, les soldats répondaient qu'ils étaient épuisés par la bataille de la veille; qu'il ne leur restait plus de force ni de sang, que les ennemis se montraient plus nombreux que le jour précédent.

(12) Cependant la colonne samnite approchait; et comme, la distance étant moindre, on voyait mieux, les soldats affirment que les Samnites portent des pieux, et que, sans aucun doute, ils veulent investir le camp. (13) Alors le consul de hurler que c'est, certes, une ignominie d'accepter un tel outrage, une telle honte, du plus lâche des ennemis. (14) "Irons-nous, s'écrie-t-il, jusqu'à nous laisser assiéger dans notre camp, pour y mourir de faim honteusement, plutôt que de mourir par le fer, si c'est nécessaire, et courageusement?" Que les dieux, ajoute-t-il, fassent bien tourner cette affaire; que chaque soldat fasse ce qu'il juge digne de lui; (15) pour le consul Marcus Atilius, il va, même seul, si personne ne le suit, marcher contre les ennemis, et il tombera au milieu des étendards samnites plutôt que de voir le camp romain assiégé.

(16) Ces paroles du consul, les légats, les tribuns, et aussi tous les escadrons de cavaliers et les centurions les plus élevés en grade les approuvèrent. (17) Alors, vaincu par la honte, le soldat, sans ardeur, sort du camp; en une colonne longue et discontinue, tristes, presque vaincus, ils s'avancent contre l'ennemi, dont ni l'espoir, ni le courage ne sont plus assurés. (18) C'est pourquoi, sitôt aperçus les drapeaux romains, du premier rang des Samnites à leur arrière-garde se transmet la nouvelle que, comme ils le craignaient, les Romains sont sortis de leur camp pour leur barrer la route; (19) que, de l'endroit où ils sont, ils n'ont aucun chemin, même pour fuir; qu'en ce lieu, il leur faut ou tomber, ou, après avoir abattu les ennemis, passer sur leurs corps pour s'échapper.

Opérations en Apulie et dans le Latium (294)

[X, 36]

(1) Ils entassent les bagages sur le sol, et, une fois armés, vont, chacun à son rang, former la ligne de bataille. (2) Il n'y avait plus qu'un étroit intervalle entre les deux lignes, et elles restaient immobiles, attendant toutes deux que l'ennemi, le premier, attaquât, que, le premier, il poussât son cri. (3) Ni les uns ni les autres n'ont le coeur à combattre, et ils seraient partis en sens opposés, sans atteinte et sans blessures, s'ils n'avaient craint que celui qui céderait fût poursuivi par l'autre. De lui-même, le combat - entre ces hommes qui n'en veulent pas et tergiversent - commence mollement, par un cri mal assuré et dont la force n'est pas partout égale; et personne ne bouge d'un pas. (4) Alors le consul romain, pour animer l'action, envoya quelques escadrons hors des rangs; la plupart des cavaliers tombant de cheval, et les autres étant en désordre, on courut en avant et des lignes samnites, pour tuer ceux qui étaient tombés, et du front des Romains, pour protéger des concitoyens. (5) Cela anima quelque peu le combat; mais on avait été un peu plus ardent et nombreux à accourir du coté des Samnites, et les cavaliers romains, en désordre, foulaient leurs propres renforts aux pieds de leurs chevaux effrayés. (6) La fuite qui commença là fit tourner le dos à toute la ligne romaine; et déjà les Samnites tombaient dans le dos des fuyards, quand le consul, les devançant à cheval à la porte du camp, y place un poste de cavaliers, (7) ordonne que quiconque se dirigera vers le retranchement, Romain ou Samnite, soit traité en ennemi, et, en adressant lui-même ces menaces aux siens, les arrête alors qu'ils se dirigeaient en désordre vers le camp. (8) "Où vas-tu, dit-il, soldat? Ici aussi, tu trouveras des armes et des soldats, et, tant que le consul vivra, tu n'entreras au camp que vainqueur: choisis donc de combattre tes concitoyens ou les ennemis, comme tu préfères."

(9) Tandis que le consul parle ainsi, des cavaliers, la pointe menaçante, l'entourent, et ordonnent aux fantassins de retourner au combat. Le courage ne fut pas seul à aider le consul, il y eut aussi le hasard: car les Samnites ne se montrèrent pas pressants, et l'on eut le temps de faire faire volte-face aux enseignes, et de retourner l'armée du camp, contre l'ennemi. (10) Alors les soldats romains s'exhortent les uns les autres à revenir au combat; les centurions, arrachant aux porte-drapeaux leurs drapeaux, les portent en avant, et montrent aux leurs que les ennemis viennent en petit nombre, mal rangés et en désordre. (11) Cependant le consul, levant les mains au ciel, d'une voix forte, de façon à être entendu, promet un temple à Jupiter Stator, si les lignes romaines s'arrêtent dans leur fuite, et, recommençant la lutte, taillent en pièces et battent les légions samnites. (12) Tous, de tous côtés, s'efforcent de rétablir le combat, chefs, soldats, forces d'infanterie et de cavalerie. La puissance divine même parut avoir égard au nom romain, tant il fut facile de faire pencher l'action en sa faveur, et de repousser les ennemis du camp, bientôt même de les ramener à l'endroit où le combat s'était engagé. (13) Là, trouvant devant eux le monceau de bagages qu'ils avaient jetés sur le sol, ils s'arrêtèrent, embarrassés; puis, pour qu'on ne pille pas leurs affaires, il les entourent d'un cercle de soldats. (14) Mais alors les fantassins romains les pressent de front, les cavaliers les tournent par derrière; ainsi cernés, ils sont massacrés ou pris. Le nombre des prisonniers fut de sept mille huit cents, que l'on fit tous passer, nus, sous le joug; pour les tuer, il y en eut, à ce qu'on rapporte, environ quatre mille huit cents. (15) La victoire des Romains ne fut pas non plus joyeuse: quand le consul recensa les pertes subies en ces deux jours, on lui rapporta qu'on avait perdu sept mille huit cents hommes.

(16) Pendant que cela se passait en Apulie, les Samnites, qui, avec leur seconde armée, s'étaient efforcés de prendre Interamna, colonie romaine de la voie Latine, n'occupèrent pas la ville; (17) mais, ayant ravagé la campagne, comme ils en ramenaient, outre du butin - mélange d'hommes et de troupeaux - des colons qu'ils avaient pris, ils tombent sur le consul vainqueur qui revenait de Luceria; non seulement ils perdent leur butin, mais eux-mêmes, longue colonne encombrée et en désordre, ils sont massacrés. (18) Le consul ayant, par un édit, convoqué à Interamna les propriétaires, pour leur faire reconnaître et reprendre leur bien, laissant là son armée, partit pour Rome en vue des élections. (19) Il demanda le triomphe, mais on lui refusa cet honneur; et pour avoir perdu tant de milliers de soldats, et pour avoir fait passer des prisonniers sous le joug sans qu'ils l'eussent accepté par un pacte.

Combats autour de Volsinies. Conclusion d'une trêve avec les trois villes principales d'Étrurie (294)

[X, 37]

(1) L'autre consul, Postumius, comme les éléments de guerre lui manquaient chez les Samnites, faisant passer son armée en Étrurie, d'abord y avait dévasté le territoire de Volsinii; (2) puis, aux habitants de cette ville sortis pour protéger leur pays, il livre bataille non loin de leurs murailles: deux mille huit cents Étrusques furent tués; la proximité de leur ville sauva les autres. (3) L'armée fut menée ensuite sur le territoire de Ruselle; là on ne dévasta pas seulement la campagne, on prit la place d'assaut; on fit prisonniers plus de deux mille hommes, moins de deux mille furent tués autour des murs. (4) La paix acquise ainsi fut cependant plus brillante et plus importante que ne l'avait été la guerre, en Étrurie, cette année-là: trois villes très fortes, capitales de l'Étrurie, Volsinii, Pérouse, Arretium, demandèrent la paix; (5) et, ayant convenu avec le consul de fournir des vêtements à la troupe et du blé, pour qu'il leur fût permis d'envoyer des parlementaires à Rome, elles obtinrent une trêve de quarante ans. Une contribution de guerre de cinq cent mille as à payer comptant fut imposée à chacune de ces villes.

(6) Comme, pour ces exploits, le consul avait demandé le triomphe au sénat, pour se conformer à l'usage plus que dans l'espoir de l'obtenir, (7) et comme il voyait les sénateurs, les uns parce qu'il avait quitté Rome trop tard, les autres parce qu'il était passé, sans ordre du sénat, du Samnium en Étrurie, certains en tant qu'ennemis personnels, certains en tant qu'amis de son collègue, et pour consoler celui-ci d'un échec que l'autre consul partagerait, lui refuser à lui aussi le triomphe, il déclara: (8) "Pères conscrits, je ne me rappellerai pas votre majesté au point d'oublier que je suis consul. Par ces mêmes droits que me donnent les pouvoirs grâce auxquels j'ai mené mes guerres, ayant guerroyé avec bonheur, soumis le Samnium et l'Étrurie, conquis la victoire et la paix, je triompherai." Là-dessus il quitta le sénat. D'où une discussion entre les tribuns de la plèbe: (9) les uns affirmaient qu'ils feraient opposition, pour que Postumius ne donnât pas l'exemple sans précédent de ce triomphe, les autres, qu'ils soutiendraient contre leurs collègues le triomphateur. (10) L'affaire fut débattue devant le peuple; et le consul, cité, après avoir dit que les consuls Marcus Horatius, Lucius Valérius, et, récemment, Caius Marcius Rutilus, père du censeur actuel, avaient triomphé non par décision du sénat, mais sur un vote du peuple, (11) ajouta que, lui aussi, il aurait soumis la chose au peuple, s'il ne savait qu'esclaves des nobles, des tribuns de la plèbe empêcheraient le vote de la loi: la volonté et la faveur du peuple unanime tenaient et tiendraient lieu pour lui de toute espèce de décision. (12) Le lendemain, avec l'appui de trois tribuns de la plèbe, et contre l'opposition de sept tribuns et du sénat entier, le peuple fêtant cette journée, il triompha.

(13) Pour cette année encore, les faits rapportés ne concordent pas. D'après Claudius, Postumius, après avoir pris quelques villes dans le Samnium, fut battu et mis en fuite en Apulie, et, blessé lui-même, rejeté avec quelques hommes dans Luceria; ce fut Atilius qui mena les opérations en Étrurie, et qui triompha. (14) Fabius écrit que les deux consuls firent la guerre dans le Samnium et à Luceria, que l'armée fut conduite en Étrurie - mais par quel consul? il ne l'ajoute pas -, (15) qu'à Luceria il y eut de part et d'autre beaucoup de tués, et que dans cette bataille on fit le voeu d'élever un temple à Jupiter Stator, comme Romulus l'avait fait auparavant: mais il y avait eu seulement depuis un lieu consacré, c'est-à-dire un emplacement déterminé religieusement pour construire le temple. (16) Cette année-là seulement on en vint à considérer comme un devoir religieux que le sénat fit construire le sanctuaire lui-même, l'état étant tenu doublement par deux voeux identiques.

Rites de consécration dans l'armée samnite

[X, 38]

(1) Après cette année, il y eut un consul, Lucius Papirius Cursor, remarquable et par la gloire de son père et par la sienne, une guerre très importante, et une victoire telle que personne, jusqu'à ce jour, n'en avait remporté d'aussi grande sur les Samnites, sauf Lucius Papirius, le père du consul. (2) Et par hasard, faisant le même effort et les mêmes préparatifs qu'alors, les Samnites avaient paré la guerre de toute la richesse d'armures remarquables, et recouru à la puissance des dieux, en faisant, en quelque sorte, par un certain rite antique du serment, de leurs soldats des initiés. On leva des troupes dans tout le Samnium, suivant une loi nouvelle (3) disant que tout mobilisable qui n'aurait pas rejoint l'armée suivant l'édit des généraux, ou qui l'aurait quittée sans leur ordre, aurait sa tête consacrée à Jupiter. (4) Puis l'armée entière fut convoquée à Aquilonia. Environ quarante mille soldats, ce qu'il y avait de plus robuste dans le Samnium, s'y réunirent. (5) Là, vers le milieu du camp, on établit, avec des claies et des panneaux, un enclos qu'on couvrit de toiles de lin; il avait tout au plus deux cents pieds en tous sens. (6) En ce lieu, suivant ce qu'on avait lu dans un vieux livre de lin, on sacrifia, le prêtre étant un certain Ovius Paccius, homme âgé, qui affirmait emprunter cette cérémonie aux vieilles pratiques samnites qu'avaient observées leurs aïeux, quand ils avaient projeté secrètement d'enlever Capoue aux Étrusques.

(7) Le sacrifice achevé, le général fit appeler, par un huissier, tous les hommes les plus connus par leur famille et leurs exploits; on les introduisit un à un. (8) Il y avait là, outre l'appareil d'une cérémonie propre à pénétrer l'âme d'émotion religieuse, dans cette enceinte entièrement couverte, au milieu, des autels, tout autour, des victimes égorgées, et, à l'entour, des centurions, l'épée nue. (9) On faisait approcher l'arrivant des autels plutôt comme une victime que comme participant au sacrifice, et on le liait par le serment de taire ce qu'il aurait vu et entendu en ce lieu; (10) puis on le forçait à prononcer une formule, vraiment effrayante, d'imprécations contre sa tête, sa famille et sa race, pour le cas où il n'aurait pas marché au combat, là où ses généraux l'auraient conduit, où il se serait enfui lui-même de la bataille, ou bien, voyant fuir quelqu'un, ne l'aurait pas tué sur-le-champ. (11) Au début, certains, refusant de prêter ce serment, furent égorgés autour des autels; et ensuite leurs cadavres, gisant au milieu des corps des victimes, apprirent aux autres appelés à ne pas refuser. (12) Les principaux des Samnites enchaînés par cette imprécation, le général en désigna dix; on leur dit de choisir chacun un homme, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on atteignît le nombre de seize mille. Leur légion fut appelée légion de lin, du nom de la couverture de l'enclos dans lequel la noblesse avait été consacrée, on donne à ses membres des armures remarquables, et des casques à aigrettes, pour qu'ils dépassent les autres combattants. (13) Le reste de l'armée compta un peu plus de vingt mille hommes, qui, ni pour leur aspect, ni pour leur réputation militaire, ni pour leur équipement, n'étaient inférieurs à la légion de lin. Tel fut le nombre des hommes - ce qu'il y avait de plus fort chez les Samnites - qui se réunirent à Aquilonia.

Le consul Papirius cherche à engager le combat devant Aquilonia (293)

[X, 39]

(1) Les consuls partirent de Rome, et, le premier, Spurius Carvilius, à qui un décret avait donné les vieilles légions que Marcus Atilius, consul l'année précédente, avait laissées sur le territoire d'Interamna. (2) Parti avec elles pour le Samnium, tandis que les ennemis, occupés de leurs superstitions, tenaient leurs réunions secrètes, il leur prit de force la place d'Amiternum. (3) On tua là environ deux mille huit cents hommes, on en prit quatre mille deux cent soixante-dix. (4) Papirius, après avoir enrôlé, conformément à un décret, une armée nouvelle, enleva la ville de Duronia. Il prit moins d'hommes que son collègue, il en tua un peu plus. Quant au butin, il fut riche dans les deux cas.

(5) De là, ayant parcouru tout le Samnium, les consuls, après avoir ravagé surtout le territoire d'Atina, parviennent, Carvilius à Cominium, Papirius à Aquilonia, où était l'essentiel des forces samnites. (6) Là, pendant quelque temps, sans abandonner les armes, on ne se battit pas activement. En harcelant l'ennemi qui restait tranquille; s'il résistait, en se retirant; en le menaçant de la bataille plus qu'en la lui livrant, on passait les journées. Quelque engagement qu'on commençât ou qu'on remît, de tous, même petits, on annonçait l'issue, chaque jour, à l'autre camp romain, (7) éloigné de vingt milles; les idées du collègue absent intervenaient dans la direction de toutes les affaires; et Carvilius était plus attentif à Aquilonia, où les choses prenaient une tournure plus décisive, qu'à Cominium qu'il assiégeait.

(8) Lucius Papirius, maintenant bien prêt, de toutes façons, à combattre, annonce à son collègue qu'il a l'intention de livrer bataille le lendemain, si les auspices le permettent; (9) il faut, dit-il, que, lui, il attaque de toutes ses forces Cominium, afin qu'aucun répit ne permette aux Samnites d'envoyer des renforts à Aquilonia. (10) Le courrier eut un jour pour aller; il revint la nuit, rapportant l'approbation de l'autre consul à ces décisions. (11) Papirius, son courrier envoyé, avait tenu aussitôt une assemblée des soldats; il s'y étendit beaucoup sur la nature de la guerre en général, beaucoup sur l'apparat actuel des ennemis, apparences plus vaines qu'efficaces: (12) ce n'étaient pas, dit-il, les aigrettes qui blessaient; les boucliers peints et dorés, le pilum romain les traversait; et la blancheur de ces tuniques dont brillaient les lignes ennemies, quand on lutterait avec le fer, serait ensanglantée. (13) Quoique couvertes d'or et d'argent, autrefois, les lignes samnites avaient été massacrées par son père, et ce luxe avait donné des dépouilles honorables aux ennemis vainqueurs plus que des armes aux Samnites eux-mêmes. (14) Peut-être était-il réservé aux hommes de son nom et de sa famille d'être opposés comme généraux aux plus grands efforts des Samnites, et d'en rapporter des dépouilles assez brillantes pour décorer même les places publiques. (15) Les Immortels protégeaient les Romains à cause des traités tant de fois sollicités, tant de fois rompus par leurs ennemis; en ce moment (si l'on peut former quelque conjecture sur les intentions divines) jamais à aucune armée les dieux n'avaient été plus hostiles (16) qu'à celle qui, éclaboussée dans un sacrifice impie du sang des hommes mêlé à celui des animaux, et doublement vouée à la colère divine (car elle redoutait d'une part les dieux témoins des traités conclus avec Rome, (17) de l'autre les imprécations du serment prêté contre ces traités), avait juré malgré elle, détestait son serment, et craignait en même temps les dieux, ses concitoyens et les ennemis.

Une prise d'auspices controversée

[X, 40]

(1) Quand le consul eut exposé ces derniers détails, connus par les révélations de déserteurs, à ses soldats déjà irrités par eux-mêmes, ceux-ci, pleins d'espoir clans les dieux aussi bien que dans les hommes, demandent la bataille d'un cri unanime; ils regrettent qu'elle soit différée au lendemain, ils en veulent à ce retard d'un jour et d'une nuit. (2) À la troisième veille, la réponse de son collègue lui ayant déjà été rapportée, Papirius se lève en silence et envoie le pullaire prendre les auspices. (3) Il n'y avait, au camp, aucune classe d'hommes que n'eût atteinte l'envie de combattre; les plus haut placés et les plus bas y tenaient également; le général observait l'ardeur des soldats, le soldat celle du général. (4) Cette ardeur de tous gagna même ceux qui s'occupaient des auspices: quoique les poulets ne mangeassent pas, le pullaire osa mentir sur les auspices, et il annonça au consul que les poulets montraient un appétit très favorable. (5) Le consul, joyeux, annonce publiquement que les auspices sont excellents, que les dieux approuvent cet engagement, et fait arborer le signal du combat. (6) Comme il sortait déjà pour se mettre en ligne, un déserteur lui révèle que vingt cohortes samnites - elles comptaient environ quatre cents hommes - étaient parties pour Cominium. Afin que son collègue ne l'ignorât pas, il lui envoie sur-le-champ un courrier; lui-même ordonne d'avancer plus vite; il avait désigné des corps de réserve, avec l'emplacement de chacun, et les chefs de ces réserves; (7) il met à la tête de l'aile droite Lucius Volumnius, de l'aile gauche Lucius Scipion, des cavaliers d'autres légats, Caius Caedicius et Titus Trebonius; (8) à Spurius Nautius, il ordonne de faire enlever leur bât aux mulets et, avec des cohortes d'ailes, de les conduire en hâte, par un détour, à une hauteur en vue, et de les faire apparaître là pendant l'action même, en soulevant le plus de poussière possible.

(9) Tandis qu'il s'occupait de ces dispositions, une querelle au sujet des auspices de ce jour s'éleva entre les pullaires; des cavaliers romains l'entendirent, qui, pensant que ce n'était pas chose à mépriser, rapportèrent à Spurius Papirius, fils d'un frère du consul, qu'on discutait sur les auspices. (10) Ce jeune homme, né avant les doctrines qui méprisent les dieux, se renseigna, pour ne rien dénoncer au consul de mal éclairci, et lui rapporta le fait. (11) Le consul lui répond: "Pour toi, sois loué de ta vertu et de ta diligence! Mais celui qui prend les auspices, s'il annonce quelque chose de faux, prend sur lui-même cette impiété; et pour moi, l'appétit des poulets annoncé au peuple romain et à l'armée est un excellent auspice." (12) Il ordonna ensuite aux centurions de placer les pullaires au premier rang. Les Samnites font aussi avancer leurs enseignes; derrière viennent leurs lignes parées et armées de telle sorte que, pour leurs ennemis mêmes, c'était un spectacle magnifique. (13) Avant que le cri de guerre s'élevât et qu'on se courût sus, un javelot lancé au hasard frappa un des pullaires, qui tomba au premier rang. (14) Quand on l'annonça au consul, il dit: "Les dieux prennent part au combat, le coupable est puni." Comme il disait ces mots, un corbeau, devant lui, cria fortement; joyeux de cet augure, le consul, affirmant que jamais les dieux n'étaient intervenus plus manifestement dans les affaires humaines, fit donner le signal par la trompette et pousser le cri d'attaque.

Victoire de l'armée consulaire devant Aquilonia (293)

[X, 41]

(1) Il s'engage alors un combat affreux, mais avec des sentiments bien différents de part et d'autre: les Romains, la colère, l'espoir, l'ardeur à la lutte les entraînent à la bataille, avides du sang ennemi; les Samnites, pour la plupart, sont contraints par la nécessité et les scrupules religieux à résister - malgré eux plutôt qu'à attaquer. (2) Ils n'auraient pas soutenu le premier cri, le premier choc des Romains, ayant, depuis quelques années déjà, l'habitude d'être vaincus, si une autre crainte plus puissante, installée dans leur coeur, ne les avait empêchés de fuir. (3) Ils avaient encore devant les yeux tout l'appareil du sacrifice occulte, les prêtres armés, les hommes et les bêtes abattus pêle-mêle, les autels arrosés de sang licite et de sang défendu, les sinistres imprécations qu'ils avaient prononcées et la formule forcenée composée pour la malédiction de leur famille et de leur race: c'étaient ces liens qui enchaînaient leur fuite et les maintenaient à leur poste, dans la crainte de leur concitoyen plus que de l'ennemi. (4) Le Romain les presse aux deux ailes, au centre, massacre ces soldats, frappés de stupeur par la crainte des dieux et des hommes: on résiste mollement, en hommes dont la peur retarde seule la fuite.

(5) Déjà le carnage était presque arrivé jusqu'aux drapeaux, quand, par le travers, apparut une poussière semblable à celle que soulève la marche d'une grande colonne; c'était Spurius Nautius (certains disent Octavius Maecius) avec les cohortes auxiliaires. (6) Elles soulevaient plus de poussière que n'auraient dû en faire des troupes de ce nombre: montés sur les mulets, les palefreniers traînaient par terre des branches feuillues! Des armes, des enseignes, apparaissaient, au premier rang, dans une lumière trouble; derrière, une poussière plus haute et plus épaisse semblait indiquer une arrière-garde de cavalerie. (7) Cela trompa non seulement les Samnites, mais les Romains; et le consul confirma l'erreur, en criant au premier rang, de façon que sa voix parvînt même aux ennemis, que Cominium était pris, que son collègue vainqueur arrivait: ses soldats, à lui, devaient s'efforcer de vaincre, avant que la gloire de ce jour appartînt à l'autre armée. (8) Voilà ce qu'il criait du haut de son cheval. Puis il ordonne aux tribuns et aux centurions d'ouvrir la route à la cavalerie: lui-même, il avait dit d'avance à Trébonius et à Caedicius que, quand ils le verraient lever et agiter sa lance, ils devaient lancer les cavaliers de toutes leurs forces contre l'ennemi. (9) Sur un signe, comme pour les choses préparées d'avance, tout s'exécute: on ouvre des passages entre les rangs, le cavalier vole, se rue, la pointe en avant, contre le centre de l'armée ennemie, et en rompt les rangs partout où il charge. Volumnius et Scipion pressent et abattent ces ennemis ébranlés.

(10) Dès lors, chez les Samnites, les dieux et les hommes perdent leur pouvoir: elles se débandent, les cohortes de lin; les conjurés fuient comme ceux qui n'ont pas juré: tous ne craignent que l'ennemi. (11) L'infanterie qui survécut au combat fut refoulée dans son camp ou à Aquilonia; la noblesse et les cavaliers se réfugièrent à Bovianum. Le cavalier poursuit les cavaliers, le fantassin le fantassin. Les ailes romaines divergent: la droite marche sur le camp des Samnites, la gauche vers la ville. (12) Volumnius prit le camp un peu plus tôt; devant la ville, Scipion trouve une résistance plus forte, non que les vaincus y aient plus de courage, mais parce que des murs arrêtent mieux un assaillant qu'une palissade; de ces murs, on repousse l'ennemi à coups de pierres. (13) Scipion pensant que, si l'affaire n'était pas réglée dans le premier mouvement de peur des Samnites, avant qu'ils se soient ressaisis, l'attaque de cette ville fortifiée serait trop longue, demande à ses soldats s'ils acceptent tranquillement que l'autre aile ait pris le camp, et qu'eux, vainqueurs, soient repoussés des portes de la ville. (14) Tous se récriant, le premier le général lui-même, élevant un bouclier au-dessus de sa tête, marche vers la porte; d'autres le suivent, en formant la tortue, font irruption dans la ville, et, ayant délogé les Samnites qui étaient près de la porte, occupent les murs. Quant à pénétrer à l'intérieur de la ville, comme ils étaient très peu nombreux, ils n'osent le faire.

Suites de la victoire

[X, 42]

(1) Ces faits, le consul les ignora d'abord, et il s'occupait de ramener ses troupes; car le soleil baissait déjà vers le couchant, et l'approche de la nuit rendait tout dangereux et suspect, même aux vainqueurs. (2) Mais, en s'avançant un peu plus, il voit à droite le camp pris, et s'aperçoit qu'à gauche il règne dans la ville une clameur, mélange confus de cris d'attaque et d'effroi: c'était juste le moment où l'on combattait près de la porte. (3) S'étant approché alors à cheval, quand il voit que ses hommes sont sur les murs, et qu'il n'y a plus d'endroit où sa liberté de décision reste entière, il ordonne, puisque la témérité de quelques hommes lui fournit l'occasion d'accomplir une grande action, d'appeler les troupes qu'il avait ramenées à lui et de les faire avancer vers la ville. (4) Elles y entrèrent du côté le plus proche, et, la nuit arrivant, restèrent tranquilles. Pendant cette nuit, l'ennemi abandonna la ville. (5) On tua ce jour-là à Aquilonia vingt mille trois cent quarante Samnites, on en prit trois mille huit cent soixante-dix, avec quatre-vingt-dix-sept drapeaux. (6) D'ailleurs la tradition est restée qu'il n'y eut guère de général qui parût plus gai que Papirius pendant la bataille, soit par son propre naturel, soit par confiance dans la victoire. (7) C'est grâce à cette même force d'âme que la discussion sur les auspices ne put lui faire contremander le combat, et que même au moment décisif, où l'usage était de vouer aux Immortels des temples, il fit voeu à Jupiter Vainqueur, s'il mettait en déroute les légions ennemies, de lui offrir une petite coupe de vin au miel, avant de boire lui-même du vin pur. Ce voeu fut agréable aux dieux, et les auspices tournèrent bien.

Prise de Cominium (293)

[X, 43]

(1) Le même bonheur échut à l'autre consul pour ses opérations à Cominium. À l'aube, ayant amené toute son armée près des murs, il cerna la ville d'un cordon de troupes, en plaçant des réserves solides, de crainte de quelque sortie, en face des portes. (2) Il donnait déjà le signal de l'attaque, quand le courrier de son collègue, venant en hâte lui annoncer l'arrivée de vingt cohortes ennemies, non seulement lui fit remettre l'assaut, mais l'obligea de rappeler une partie de ses forces, déjà rangées et prêtes pour attaquer. (3) Il ordonna au légat Decius Brutus Scaeva d'aller, avec la première légion, dix cohortes auxiliaires des ailes et la cavalerie, au-devant de ce renfort ennemi: (4) où qu'il le rencontre, il doit lui faire face, le retarder, en venir aux mains, si d'aventure la situation le demande; il s'agit seulement que ces troupes ne puissent s'approcher de Cominium. (5) Pour lui, il fait porter des échelles, de tous les côtés, contre les murs de la ville, et marcher vers les portes en formant la tortue. En même temps, on enfonçait les portes et l'on assaillait les murailles de toutes parts. Si les Samnites, tant qu'ils ne virent pas d'ennemis sur leurs murs, eurent assez de courage pour défendre aux Romains l'accès de leur ville, (6) en revanche, quand on ne se battit plus de loin, à coups de projectiles, mais de près, quand les assaillants, qui étaient montés avec peine du sol sur les remparts, après avoir triomphé de cette position désavantageuse - difficulté qu'ils craignaient le plus - combattirent facilement de plain-pied un ennemi inégal, (7) alors ces mêmes Samnites, abandonnant leurs tours et leurs murs, d'abord, refoulés tous sur le forum, tentèrent un moment, sur ce point, la chance d'un dernier combat, (8) puis, jetant leurs armes, au nombre de onze mille quatre cents environ, se rendirent au consul. On en avait tué à peu près quatre mille huit cent quatre-vingts.

(9) C'est ainsi qu'à Cominium, ainsi qu'à Aquilonia les choses se passèrent; entre ces deux villes, où l'on s'attendait à une troisième bataille, on ne trouva pas le corps d'armée ennemi: comme il était à sept mille pas de Cominium, il fut rappelé par les siens, et ainsi ne se trouva à aucune des deux affaires. (10) Aux premières ombres de la nuit, alors que déjà le camp, que déjà Aquilonia étaient en vue de ces Samnites, des clameurs semblables, leur arrivant des deux côtés, les arrêtèrent; (11) puis, dans la direction du camp, auquel les Romains avaient mis le feu, les flammes qui s'étendaient au loin, indication plus sûre encore de la défaite subie, les empêchèrent d'avancer. (12) Se couchant çà et là en cet endroit même, tout armés, au hasard, ils passèrent la nuit entière dans l'inquiétude, à attendre et à craindre le jour. À l'aube, ne sachant de quel côté aller, ils prennent soudain la fuite, affolés d'avoir été aperçus par les cavaliers romains: (13) ceux-ci, en poursuivant les Samnites sortis la nuit de la place, avaient vu cette troupe nombreuse, que ne protégeaient ni retranchement, ni postes. (14) On l'avait aperçue aussi des murs d'Aquilonia, et déjà des cohortes de légionnaires arrivaient également. Mais l'infanterie ne put atteindre ces fuyards, et la cavalerie tua seulement à leur arrière-garde deux cent quatre-vingts hommes environ; (15) dans leur peur, ils abandonnèrent beaucoup d'armes et dix-huit drapeaux; le reste de la colonne parvint intact, autant qu'on peut le dire d'une troupe qui venait de connaître un si grand désordre, à Bovianum.

Les consuls décident de poursuivre la guerre dans le Samnium

[X, 44]

(1) La joie de chacune des armées romaines fut accrue par le succès de l'autre. Chaque consul, sur avis conforme de l'autre, abandonna à ses soldats le pillage de la ville qu'ils avaient prise, (2) et, une fois les maisons vidées, y fit mettre le feu; le même jour, Aquilonia et Cominium brûlèrent, et les consuls, tandis que leurs légions et eux-mêmes se félicitaient mutuellement, joignirent leurs camps. (3) Sous les yeux des deux armées, Carvilius félicita et récompensa les siens, chacun selon son mérite, et Papirius, dont les troupes avaient livré de multiples combats, en ligne, autour du camp, autour de la ville ennemie, remit à Spurius Nautius, à Spurius Papirius, fils de son frère, à quatre centurions et à un manipule de hastats des bracelets et des couronnes d'or: (4) à Nautius, à cause de la manoeuvre par laquelle il avait effrayé les ennemis comme s'il avait amené une forte colonne; au jeune Papirius, à cause de son activité à la tête de la cavalerie, dans la bataille comme la nuit où il avait menacé la fuite des Samnites sortis à la dérobée d'Aquilonia; (5) aux centurions et aux soldats, parce que les premiers ils avaient pris la porte et le mur d'Aquilonia. À tous les cavaliers, pour leur action remarquable en bien des endroits, il remet des aigrettes et des bracelets d'argent.

(6) Puis on tint conseil. Comme c'était déjà le moment de retirer du Samnium les deux armées, ou du moins l'une d'elles, (7) le meilleur parti parut celui-ci: plus la puissance samnite était brisée, plus il fallait montrer de ténacité et d'acharnement à accomplir et à poursuivre jusqu'au bout le reste des opérations, pour pouvoir remettre aux consuls suivants le Samnium complètement soumis. (8) Comme il n'y avait plus d'armée ennemie qui parût propre à livrer une bataille rangée, il ne restait qu'une sorte de guerre, les attaques de villes, dont la destruction pouvait enrichir de butin le soldat et achever l'ennemi, luttant pour ses autels et ses foyers. (9) Aussi, après avoir envoyé au sénat et au peuple romain une lettre sur les opérations accomplies par eux, les consuls, se séparant, emmènent leurs légions, Papirius à l'attaque de Saepinum, Carvilius à celle de Velia.

Nouvelles menaces en Étrurie. Prise de Saepinum (293)

[X, 45]

(1) La lecture de la lettre des consuls fut écoutée avec beaucoup de joie à la curie, puis dans l'assemblée du peuple; en des actions de grâces qui durèrent quatre jours, les particuliers s'empressèrent à célébrer la joie publique. (2) Et, pour le peuple romain, cette victoire ne fut pas seulement importante: elle arriva fort à propos, car, juste au même moment, on apporta la nouvelle d'une révolte des Étrusques. (3) On en venait à se demander comment, s'il était arrivé quelque échec dans le Samnium, on aurait pu résister à l'Étrurie, qui, redressant la tête par suite de la conjuration samnite, comme les deux consuls et toutes les forces de Rome étaient tournées vers le Samnium, avait trouvé que le peuple romain occupé de ce côté, c'était une occasion de se révolter. (4) Des ambassades de peuples alliés, introduites au sénat par le préteur Marcus Atilius, se plaignaient de voir brûler et dévaster leurs champs par leur voisin étrusque, parce qu'ils ne voulaient pas abandonner le peuple romain, (5) et conjuraient les pères conscrits de les protéger des violences et des outrages de leurs ennemis communs. On répondit aux ambassadeurs que le sénat aurait soin que des alliés n'eussent pas à se repentir de leur fidélité; que les Étrusques, avant peu, auraient le même sort que les Samnites. (6) On aurait mis cependant plus de mollesse à agir en ce qui concernait l'Étrurie, sans la nouvelle que les Falisques, eux aussi, qui pendant bien des années étaient restés dans l'amitié romaine, avaient joint leurs armes à celles des Étrusques. (7) La proximité de ce peuple aiguisa les soucis du sénat, si bien qu'il décida d'envoyer les féciaux réclamer les biens pillés. Comme on refusa de les rendre, sur l'avis du sénat et l'ordre du peuple la guerre fut déclarée aux Falisques, (8) et les consuls reçurent l'ordre de tirer au sort lequel d'entre eux passerait du Samnium en Étrurie avec son armée.

Déjà Carvilius avait pris aux Samnites Velia, Palumbinum et Herculaneum, (9) Velia en quelques jours, Palumbinum le jour même où il était arrivé devant ses murs; (10) devant Herculaneum, il avait livré une bataille rangée avec un résultat douteux, et en perdant plus de monde que l'ennemi; puis, ayant établi un camp, il avait enfermé les ennemis dans leurs murailles; la place avait été attaquée et prise. (11) Dans ces trois villes, on avait pris ou tué environ dix mille hommes, le nombre des prisonniers dépassant de bien peu celui des morts. Les consuls tirant au sort leur province, l'Étrurie échut à Carvilius, suivant le voeu de ses soldats, qui ne supportaient plus les rigueurs du froid dans le Samnium. (12) Papirius, à Saepinum, se vit opposer des forces ennemies plus considérables. Souvent en ligne, souvent en marche, souvent, autour de la ville elle-même, contre des sorties de l'ennemi, on eut à se battre. Ce n'était pas un siège, mais une guerre en rase campagne, car les Samnites se servaient moins de leurs murailles pour se défendre qu'ils ne les défendaient avec leurs armes et leurs soldats. (13) Enfin, par ces combats, Papirius força les ennemis à subir un siège en règle, et par ce siège, pour lequel il usa de la force et des travaux, il prit la ville. (14) La colère provoquée par cette résistance rendit plus grand le carnage, quand la ville fut prise: sept mille quatre cents hommes furent tués, on en prit moins de trois mille. Le butin, qui fut très abondant, les biens des Samnites ayant été entassés, dans quelques villes, fut abandonné aux soldats.

Triomphe des consuls sur les Samnites et les Étrusques (293)

[X, 46]

(1) Les neiges avaient déjà tout recouvert, et l'on ne pouvait demeurer hors des maisons; aussi le consul emmena son armée du Samnium. (2) À son arrivée à Rome, tous furent d'accord pour lui accorder le triomphe. Il triompha étant encore en charge; et l'on remarqua, étant donnés les usages de l'époque, ce triomphe. (3) Cavaliers et fantassins, portant les insignes de leurs récompenses, défilèrent à pied et à cheval; bien des couronnes civiques, vallaires et murales attirèrent les yeux; (4) on regardait les dépouilles des Samnites, et on les comparait, pour l'éclat et la beauté, aux dépouilles rapportées par le père du consul, et connues pour avoir orné fréquemment des endroits publics. Quelques prisonniers notables, célèbres par leurs exploits ou ceux de leurs pères, marchaient entre leurs gardes; (5) des chariots portaient les lingots de cuivre, - deux millions cinq cent trente-trois mille - produit, disait-on, de la vente des prisonniers, et l'argent pris aux villes, mille huit cent trente livres. Tout ce cuivre et cet argent furent enfermés au trésor; aux soldats on ne donna rien du butin. (6) Le dépit causé par ce fait s'accrut, dans la plèbe, de ce qu'on paya encore le tribut pour la solde des troupes, alors qu'en dédaignant la gloire de verser au trésor les sommes prises à l'ennemi, on aurait pu, sur le butin, et donner une gratification aux soldats, et payer la solde.

(7) Le consul dédia le temple de Quirinus. Que ce temple eût été voué par lui pendant la bataille même qu'il gagna, je ne le trouve chez aucun auteur ancien; et, certes, en si peu de temps, on n'aurait pu l'achever; (8) ce fut un voeu du dictateur, de Papirius le père, et son fils, le consul, le dédia et l'orna des dépouilles des ennemis; il y en eut tant, que non seulement on en décora ce temple et le forum, mais qu'on en distribua aux alliés et aux colonies voisines pour orner les temples et les lieux publics. (9) Après ce triomphe, le consul mena son armée hiverner sur le territoire de Vescia, cette région étant infestée par les Samnites.

(10) Cependant le consul Carvilius, ayant entrepris d'abord, en Étrurie, d'attaquer la ville de Troilum, s'entendit avec quatre cent soixante-dix habitants, les plus riches, pour leur permettre, contre une grosse somme, de partir de là, et les laissa aller; (11) la foule qui restait et la place elle-même, il les prit de force. Puis il enleva cinq forts placés en des endroits difficiles. On tua là deux mille quatre cents ennemis, on en prit moins de deux mille. (12) Les Falisques, eux aussi, demandant la paix, Carvilius leur accorda une trêve d'un an, moyennant cent mille lingots de cuivre et le paiement de leur solde aux troupes pour l'année en cours. (13) Cela fait, il quitta sa "province" pour triompher, et si son triomphe sur les Samnites fut moins brillant que celui de son collègue, grâce au complément fourni par la guerre d'Étrurie, il l'égala. (14) Il porta au trésor public trois cent quatre-vingt mille lingots de cuivre; avec le reste, il mit en adjudication, sur la part dont il disposait, la construction d'un temple à Fors Fortuna, prés du temple de cette déesse dédié par le roi Servius Tullius, (15) et, sur le butin, il donna à chaque soldat cent deux as, et le double aux centurions et aux cavaliers, récompense que l'avarice malveillante de son collègue rendit plus agréable à ceux qui la reçurent. (16) La faveur dont jouit ce consul protégea devant le peuple son légat Lucius Postumius, qui, assigné par Marcus Scantius, tribun de la plèbe avait, à ce qu'on racontait, esquivé par cette lieutenance le jugement du peuple; et l'on put répéter, plutôt que faire aboutir, l'accusation contre lui.

Dix-neuvième recensement de la population de Rome (293)

[X, 47]

(1) L'année étant déjà passée, de nouveaux tribuns de la plèbe entrèrent en charge; et à ceux-là mêmes, par suite d'un vice dans leur élection, cinq jours après on en subrogea d'autres. (2) Le "lustre" fut accompli cette année-là par les censeurs Publius Cornelius Arvina et Caius Marcius Rutilus; on recensa deux cent soixante-deux mille trois cent vingt et une têtes. C'étaient les vingt sixièmes censeurs depuis la création de la censure, et le vingtième "lustre". (3) La même année, pour la première fois, les citoyens qui avaient reçu une couronne pour leurs exploits militaires assistèrent couronnés aux jeux Romains; et alors pour la première fois, suivant un usage importé de Grèce, on donna des palmes aux vainqueurs. (4) La même année, les édiles curules qui donnèrent ces jeux firent, avec les amendes infligées à quelques fermiers des pâturages publics, paver la route du temple de Mars à Bovillae.

(5) Lucius Papirius présida les élections consulaires; il proclama consuls Quintus Fabius (fils de Maximus) Gurges, et Decius Junius Brutus Scaeva; Papirius lui-même devint préteur.

(6) Tous les bonheurs de cette année eurent de la peine à consoler d'un seul fléau, d'une peste, qui ravagea à la fois la ville et la campagne. Déjà ce désastre tenait du prodige, et l'on consulta les livres Sibyllins pour savoir quelle fin ou quel remède les dieux indiquaient à ce fléau. (7) On trouva dans ces livres qu'il fallait faire venir Esculape d'Épidaure à Rome; mais, cette année-là, les consuls étant occupés par la guerre, on ne fit rien à ce sujet, sauf un jour de prières publiques à Esculape.

 

 

 
Publicités
 
Partenaires

  Rois & PrésidentsEgypte-Ancienne

Rois et Reines Historia Nostra

Egypte

 

 Histoire Généalogie