CHAPITRE TROISIÈME : Les fils de
Clovis (511 – 561), le morcellement des Etats francs
1° Dureté des mœurs mérovingiennes –
La période que nous allons traiter à
présent a laissé sa trace dans l’Histoire comme une période d’une singulière
barbarie. En recevant le baptême, les Francs n’avaient abandonné aucun de
leurs vices. Les descendants de Clovis luttèrent pendant des années les uns
contre les autres afin d’obtenir le pouvoir, usant de meurtres, rapines,
duplicités, parjures, etc.
Une seule autorité se dressait en face de
cette force brutale : l’Église. Bien sûr, le pouvoir épiscopal ne pouvait
empêcher les exactions que commettaient les Francs, mais en prévenaient un
certain nombre. Les rois avaient beau être encore des barbares, ils n’en
étaient pas moins des chrétiens. L’Église pouvait les menacer d’excommunication,
c’est à dire les priver de communion. On en douterait aujourd’hui, mais à
l’époque, cette ‘arme’ était particulièrement redoutable.
2° Partage de 511 – Clovis
laissait derrière lui quatre fils, qui se partagèrent son royaume (la Gaule
n’était pas considérée comme un État mais comme un simple héritage. Et chez
les Francs, ce dernier était divisé entre les enfants de manière égale[1].).
Le partage de 511, enluminure issue des Grandes Chroniques de France, XIV°,
Bibliothèque Nationale.
Thierry, l’aîné, né d’un premier mariage, était
déjà un homme. Les trois autres, Clotaire, Childebert et Clodomir, nés de la
reine Clotilde, étaient encore des enfants.
On donna à Thierry les provinces les plus
exposées aux invasions et aux révoltes, l’Austrasie, un territoire
partant des rives du Rhin jusqu’au centre de la Gaule. Il fit de Metz sa
résidence.
Clotaire reçut le vieux pays salien, entre la
Somme et la Meuse, avec Soissons comme capitale. Il reçut aussi Limoges et
Agen, villes d’Aquitaine.
Portrait de Clotaire I, par
Jean-Louis BEZARD, 1838, conservé au Musée National du château et des Trianons de
Versailles.
Childebert reçut le territoire qui va de Paris
à la mer, entre la Seine et la Somme. Il reçut aussi Poitiers, Saintes,
Périgueux, Bordeaux. Il fit de cette Paris sa capitale.
Portrait de Childebert I, par
Jean-Louis BEZARD, 1838, conservé au Musée National du château et des Trianons de
Versailles.
Enfin, Clodomir eût l’Orléanais, la Touraine,
le Maine, l’Anjou, le Berry, et résida à Orléans.
Resta en dehors du partage la Bretagne qui
étaient plus des alliés que des sujets (pas toujours fidèles, d’ailleurs…) ;
la Gascogne, où les Francs n’étaient pas allés ; la Septimanie, conservée
par les Wisigoths d’Espagne ; la Provence, possédée par les Ostrogoths
d’Italie ; ainsi que la Burgondie (la Bourgogne actuelle.).
Le partage de 511.
On peut remarquer l’hétérogénéité de ce
partage : les enfants de Clovis, contrairement à leur père, n’avaient aucune
vue politique, ils avaient divisé l’héritage comme l’aurait été un
patrimoine privé. L’objectif de chacun étant de faire main basse sur les
terres les plus fertiles et les villes les plus riches.
3° Conquête de la Bourgogne
(523 à 534) – Si les enfants de Clovis n’avaient pas son sens politique,
ils partageaient la même passion pour la guerre. La première province à
tomber sous leurs coups fut la Bourgogne. Thierry et ses frères étaient
excités par Clotilde, qui n’avait pas oublié de quelle manière le roi
Gondebaud, son oncle, avait fait périr ses parents.
Le roi des Burgondes, en 517, était Sigismond,
qui était secondé par son frère Gondemar. Les rois Francs marchèrent sur
leur territoire ; Gondemar réussit à s’enfuir, mais Sigismond tomba entre
les mains de Clodomir. Ce dernier le fit prisonnier, ainsi que sa femme et
ses enfants.
Les Francs partis, Gondemar s’empara à nouveau
de la Bourgogne, et la guerre recommença. Ne voulant pas laisser d’ennemis
derrière lui, Clodomir égorgea Sigismond, sa femme et ses enfants à
Coulmiers, près d’Orléans, et jeta les corps dans un puits (comme l’avait
fait Gondebaud aux parents de Clotilde.). Puis il se dirigea vers la
Bourgogne, de concert avec son frère Thierry. Les deux rois combattirent
Gondemar à Vézeronce, et mirent son armée en déroute. Cependant,
alors qu’il poursuivait les fuyards, Clodomir se laissa attirer dans une
embuscade et se fit tuer. Les Francs se vengèrent en ravageant la Bourgogne,
puis repartirent. C’est alors que Gondemar revint une nouvelle fois
reprendre ses terres.
La mort de Clodomir déconcerta les Francs. Ces
derniers montèrent une nouvelle expédition en 530, cette fois contre la
Thuringe. La province fut conquise sans coup férir.
Il fallut attendre 532 pour que Clotaire et
Childebert montent une nouvelle attaque contre les Burgondes. Cette fois, le
succès fut au rendez vous : Gondemar prit la fuite après la prise d’Autun
par les Francs, et ne reparut plus. La Bourgogne, en 534, était
définitivement conquise (elle fut par la suite partagée entre les fils de
Clovis.).
4° Meurtre des enfants de
Clodomir (date incertaine) – La conquête de la Bourgogne eut cependant
un sanglant épilogue. Après la mort de Clodomir en 524, ses trois fils
encore très jeunes, avaient étés recueillis par leur grand-mère Clotilde.
Une année que cette dernière avait quitté Saint Martin de Tours pour
séjourner quelques temps à Paris, Childebert prit peur que la vieille reine
ne voulût leur réserver l’héritage de leur père. Il décida d’envoyer une
missive à son frère Clotaire, afin que ce dernier vienne rapidement à Paris
(afin de délibérer sur le sort des trois enfants.).
Les deux rois se concertèrent et envoyèrent une
missive à leur mère :
- « Envoie nous les enfants pour qu’ils soient
élevés au trône. »
Clotilde, ne se doutant de rien, envoya les
enfants auprès de leurs oncles. Mais elle reçut peu de temps à près une
nouvelle missive. Le messager avait en main une paire de ciseaux et un
glaive :
- « Tes fils, glorieuse reine, demandent ce que
tu penses que l’on doit faire de ces enfants, et si tu ordonnes qu’ils
vivent les cheveux coupés ou qu’ils soient mis à mort[2]. »
La reine (peut être dans un excès de colère ?)
répondit qu’elle préférait mieux les voir morts que tondus. Le messager
s’empressa de rapporter la réponse de la reine aux deux rois. Sur ce,
Clotaire attrapa le plus âgé des enfants, le jeta à terre, et lui enfonça
son couteau dans l’aisselle. Le plus jeune courut vers son oncle Childebert,
l’implorant de le protéger. Le Mérovingien, les larmes aux yeux, implora
Clotaire d’épargner le petit, mais ce dernier ne voulut rien entendre.
- « Misérable ! » lui reprocha il. « C’est toi
l’instigateur de toute cette affaire et tu manques déjà à ta parole ! »
L'assassinat des deux fils de Clodomir, gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par
François GUIZOT, France, 1875
Clotaire avait raison, Childebert repoussa donc
l’enfant, qui subit le même sort que son aîné. Une fois les deux enfants
morts, Clotaire repartit vers ses terres.
La reine fit enterrer les deux enfants
ensemble. Leur frère, Clodoald, échappa au courroux de ses oncles, et devint
prêtre. Les frères firent alors main basse sur les terres du défunt
Clodomir.
Le partage de 524.
5° Mort de Thierry (534),
exploits de son fils Théodebert – Thierry mourut peu de temps après le
meurtre des enfants de Clodomir, et le trône échut à son fils Théodebert.
Clotaire et Childebert auraient bien aimé éliminer ce rival gênant, mais
l’enfant de Thierry était déjà un homme, bien entouré par ses leudes[3].
En 537, Théodebert sut profiter des révolutions
des Ostrogoths pour faire céder la Provence, qu’ils possédaient encore. Il
partagea cette province avec ses oncles : Childebert eut Arles, Clotaire
reçut Marseille.
La Gaule vers 540, suite au partage des
territoires conquis.
En 539, il fut appelé par les Goths et par les Grecs de
Constantinople, qui se disputaient l’Italie. Théodebert battit
successivement les deux armées et se gorgea de butin. Cependant, il dut
reculer, ses troupes subissant les foudres d’une terrible épidémie. Il
conserva cependant quelques places dans les Alpes afin de s’assurer un
passage vers l’Italie.
Ces places servirent en 547, lors d’une
nouvelle invasion franque. Buccelin, général de Théodebert, défit le fameux
général byzantin Bélisaire, ainsi que son successeur Narsès. Mais ce dernier
prit sa revanche en 554, son armée écrasa l’armée franque, et Buccelin fut
tué lors de la bataille. Les Francs se retirèrent d’Italie, vaincus mais
auréolés de gloire, considérés dès lors comme le premier peuple militaire
d’Occident[4].
Cependant, Théodebert était mort en 548, au
cours d’un accident de chasse. Le royaume d’Austrasie passa entre les mains
de son fils Théodebald, un enfant qui mourut en 555. Clotaire s’empara de
son héritage.
6° Guerre civile (556 à 558) –
Childebert, furieux d’avoir été laissé pour compte par son frère, voulut
se venger. L’occasion était belle, de surcroît, Clotaire menant à cette
époque une guerre contre les Saxons, qui tournait à son désavantage.
Statue de Childebert, musée du Louvre, Paris.
De plus, Childebert s’était allié avec le
propre fils de Clotaire, Chramne, gouverneur de l’Auvergne. Clotaire envoya
contre son fils rebelle ses deux autres fils, Charibert et Gontran. Les deux
armées se trouvèrent en présence, quand Chramne fit courir la rumeur (très
vraisemblable, d’ailleurs.) que Clotaire avait trouvé la mort au cours d’une
bataille contre les Saxons. Les deux princes rebroussèrent chemin, et
Chramne se rendit à Paris, où il renouvela ses serments d’amitié le liant à
Childebert.
Childebert attaqua la Champagne, remontant
jusqu’à Reims. Il fallut attendre le retour de Clotaire, battu par les
Saxons mais non tué, pour que ce dernier mette fin à ces ravages.
En 558, Childebert tomba malade et mourut.
Gisant de Childebert, réalisé vers 1163, église
Saint Denis.
Clotaire s’empara de son héritage, et devint ainsi unique roi des Francs,
soit près de quarante sept ans après la mort de Clovis. Et Chramne,
découragé par la mort de son allié, se réconcilia avec son père.
Territoires de Clotaire en 560.
7° Nouvelle révolte et mort de
Chramne, mort de Clotaire (560 à 561) – Cette réconciliation de façade
ne dura guère. Chramne se révolta de nouveau et se réfugia en Bretagne, où
il fut poursuivi par son père. Le comte des Bretons donna asile au révolté,
et s’engagea à lutter contre le roi. Il préconisa même d’attaquer Clotaire
de nuit, par surprise, ce que Chramne refusa. Le lendemain, les deux armées
s’affrontèrent. Les deux camps semblaient être de force égale. C’est alors
que le comte des Bretons se fit tuer. Chramne décide alors de fuir. Il avait
des navires prêts à le mettre en sûreté, mais il ne voulut pas se sauver
sans sa femme et ses enfants. Comme il venait les chercher, il fut écrasé
par l’armée de son père, et fait prisonnier. Clotaire ordonna qu’il fut
brûlé. On enferma donc Chramne et sa famille dans une cabane à laquelle on
mit le feu (560.).
La mort de Chramne, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
Clotaire ne survécut pas longtemps à son fils.
En 561, alors qu’il chassait, il fut pris d’une violente fièvre, et mourut
peu de temps après. Rares furent les rois qui, dans l’Histoire de France,
furent aussi cruels que Clotaire Ier…
[1]
Il fallut attendre 987 et l’avènement des
Capétiens pour que le royaume ne soit plus morcelé à la mort du père, mais
soit transmis intact au fils aîné…
[2]
Comme nous l’avons dit précédemment, la chevelure
était symbole de puissance chez les Mérovingiens. Avoir les cheveux coupés
signifiait être exclu du trône.
[3]
Les leudes étaient les grands vassaux des Francs
et des Germains.
[4]
Pour en savoir plus sur les affrontements en Italie, voir le d), 2,
section I, chapitre deuxième, l'Empire byzantin.