1° Un sacre à haut risques –
Comme nous l’avons vu précédemment,
Jean II, incapable de rétablir l’ordre en France (l’armée royale avait été
écrasée par une compagnie de mercenaires au cours du désastre de Brignais.),
décida de rentrer en Angleterre en janvier 1364 (il y mourut peu de temps
après, en avril de la même année.).
a) La bataille de Cocherel (mai 1364) :
Charles V, devenant roi à la mort de son père, devait se rendre à Reims pour
la cérémonie rituelle du sacre.
Cependant, Charles le Mauvais décida lui aussi de marcher sur cette cité,
espérant pouvoir être couronné à la place du Valois.
Coupant la route du dauphin, le Navarrais affronta les troupes de Charles V
au cours de la bataille de Cocherel.
L’armée française, commandée par du Guesclin, se retrouva face aux
Anglo-navarrais, solidement retranchés sur une petite butte fortifiée.
Statue de Bertrand du Guesclin, château de Versailles.
Le
commandant Jean de Grailly était alors assisté par Jean Jouël, à la
tête des archers. Dans un premier temps, les deux camps négocièrent, sans
parvenir à trouver un accord.
La bataille de Cocherel, XIX° siècle, château de Versailles,
Versailles.
Du
Guesclin savait qu’un assaut frontal contre l’ennemi, qui comptait de
nombreux archers en ses rangs, aurait été fatal aux Français. Le breton
décida alors de ruser, ne faisant pas donner l’assaut et patientant pendant
deux jours. C’est alors que certains Français commencèrent à reculer.
Jean Jouël, croyant qu’une partie des Français abandonnaient le champ de
bataille, décida alors d’attaquer les troupes qui restaient, se sentant en
position de force.
Cependant, il s’agissait d’une ruse de du Guesclin : en effet, une fois que
l’ennemi fut à découvert, les Français firent brusquement rebrousse chemin,
attaquant les Anglo-navarrais par surprise. Les archers anglais, se trouvant
alors trop près de leurs adversaires, ne purent utiliser efficacement leurs
arcs et furent massacrés en grand nombre (Jouël trouva la mort dans
l’affrontement.).
La bataille de Cocherel et le sacre de Charles V, par Guillaume Fillastre,
enluminure issue de l'ouvrage Toison d'Or, France, Paris, XV° - XVI° siècle.
En
outre, une partie des troupes françaises parvint à prendre l’ennemi à
revers, augmentant encore un peu plus la confusion. Les Anglo-navarrais
cessèrent le combat peu de temps après la capture de Jean de Grailly par les
Français.
Peu de temps après la bataille, Charles V fit décapiter de nombreux français
de l’armée de Charles le Mauvais, les considérant comme des traîtres (le roi
leur refusa le droit de payer rançon.)
b) Le sacre de Charles V (mai 1364), caractère
du nouveau souverain : peu de temps après cette brillante victoire, le
dauphin fut couronné roi à Reims.
Le sacre de Charles V, enluminure issue
de l'ouvrage Grandes Chroniques de France, Paris, France, XIV°siècle.
Le sacre de Charles V et la bataille de
Cocherel, par Jean Froissart, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
Charles V fut surnommé le Sage, du fait de sa grande sagesse. Le
nouveau souverain, frêle et atteint d’une difformité de la main droite,
n’était pas un chevalier comme l’avait été son père Jean II. En outre, si le
défunt souverain avait eu un caractère passionné et emporté, ce n’était pas
le cas de Charles V, qui était froid et réfléchi.
Statues aux effigies de Charles V et de son épouse Jeanne de Bourbon, XIV° siècle,
musée du Louvre, Paris.
C’est d’ailleurs ce grand sens politique qui permit à ce souverain de sortir
miraculeusement le pays de la crise.
2° La conclusion de deux importants conflits – Charles V
n’étant pas un roi guerrier, il fut bien plus souvent enclin à négocier
plutôt qu’à se quereller.
a) La troisième phase de la guerre de Bretagne
(1364 à 1365) : la guerre de succession de Bretagne avait éclaté en
1341, suite à la mort de Jean III, duc de Bretagne, mort sans héritier.
Un
violent affrontement avait alors opposé Jean de Montfort (demi-frère de Jean
III et soutenu par les Anglais.) à Charles de Blois (époux de Jeanne de
Penthièvre, fille de Guy de Penthièvre, frère du défunt.). Cependant, après
plus de vingt années de guerre, le conflit n’était toujours pas terminé.
En
1364, peu de temps après son sacre, Charles V décida de mettre un terme à
cette guerre.
Dans un premier temps, comme à son habitude, il décida de négocier, mais les
discussions aboutirent à une impasse.
Le
roi de France décida alors d’attaquer Jean IV, le fils de Jean de
Montfort (ce dernier était décédé en 1344.). Il confia cette tâche à
Bertrand du Guesclin et à Charles de Blois (ce dernier, capturé lors de la
bataille de Laroche Derrien par les Anglais, avait libéré en 1356 contre une
rançon de 700 000 florins d'or.).
Début 1364, Jean IV, accompagné par son lieutenant l’anglais John Chandos,
parvinrent à s’emparer d’Auray, une forteresse appartenant aux partisans de
Charles de Blois depuis 1342.
Rapidement entourés par les Français, les vivres ne tardèrent pas à manquer,
et il fut décidé d’organiser une bataille rangée entre les deux armées
(septembre 1364.).
Tout le monde souhaitait que cette bataille soit décisive et mette fin à une
guerre qui durait depuis plus de vingt ans. Il fut alors donné l’ordre de ne
pas faire de quartiers.
Les troupes de Du Guesclin affrontèrent donc celles de John Chandos, au
cours de la bataille d’Auray. L’affrontement opposa les cavaleries
des deux armées, dans un combat semblable à ceux qui avaient lieu au XIII°
siècle.
La bataille d'Auray, par Jean Froissart, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
Au
cours de la bataille, Charles de Blois tomba à terre et fut achevé par un
cavalier anglais ;
du Guesclin, ayant cassé son épée, décida de se rendre à John Chandos.
Quelques mois plus tard fut donc signé le traité de Guérande (avril
1365.) : Jean IV fut alors reconnu comme héritier légitime, mais ne repoussa
pas totalement les prétentions des Penthièvre. En effet, si les Montfort
venaient à ne pas avoir d’héritiers mâles, la succession échoirait à la
descendance mâle des Penthièvre.
Jean IV, bien que vainqueur et prêtant hommage au roi de France, restait
néanmoins un allié des Anglais (à noter que ces derniers contrôlaient
toujours l’est de la région.). Charles V décida néanmoins d’accepter la
victoire du breton, afin de temporiser.
En
effet, le roi de France ne pouvait s’attaquer à la Bretagne, la menace
anglaise étant encore bien trop importante.
b) Traités de Saint Denis et d’Avignon avec
Charles le Mauvais (1365) : malgré la défaite de ses troupes à la
bataille de Cocherel, Charles le Mauvais ne s’avouait pas vaincu.
Rentrant en Normandie, il parvint à s’emparer de quelques forteresses prises
quelques mois plus tôt par du Guesclin.
Cependant, la situation du Navarrais restait précaire, ce dernier manquant
d’argent pour continuer la lutte. En outre, la guerre de Bretagne était
finie, ce qui privait Charles le Mauvais d’un appui dans cette région.
Le
Navarrais signa donc le traité de Saint Denis avec Charles V,
renonçant officiellement à la couronne de France. Puis, peu de temps après,
il signa avec le Valois le traité d’Avignon (mai 1365.). Le Navarrais
accepta donc de céder ses terres en Normandie, en échange de la seigneurie
de Montpellier.
Cependant, les montpelliérains refusèrent de passer sous la domination de
Charles le Mauvais, et ce dernier décida alors de se tourner vers
l’Angleterre une nouvelle fois. Cependant, Edouard III, las des
retournements d’alliance du Navarrais, ne lui envoya aucune aide. De ce
fait, Charles le Mauvais se retrouva contraint de faire réelle soumission au
roi de France en mars 1371, lui prêtant alors l’hommage.
3° Charles V et la réorganisation de l’Etat – Charles V
avait conscience qu’il ne pourrait pas se battre efficacement contre
l’Angleterre s’il ne parvenait pas à éradiquer le fléau que représentaient
les grandes compagnies.
a) Lutte contre les grandes compagnies (1366)
: le roi de France se lança alors dans une grande lutte contre ces
mercenaires pillards. Il fut assisté dans cette tâche par ses frères, qui
luttèrent dans leurs Etats respectifs.
En
outre, les villes et les villages envoyèrent des hommes en renfort afin de
mettre un terme aux agissements des mercenaires le plus rapidement possible.
Au
fil des mois, les mercenaires comprirent que le temps de l’impunité était
terminé, et décidèrent donc de suivre du Guesclin. Ce dernier, sur les
ordres de Charles V, les emmena alors en Espagne, afin de combattre sous les
ordres du roi de Castille Henri II de Trastamare.
A
noter que pendant un temps, le pape et le roi de France avaient prévu
d’envoyer les compagnies restantes en Hongrie, afin de porter secours à ce
pays contre les assauts des Turcs (les mercenaires avaient refusé,
considérant l’expédition comme trop risquée et trop eloignée.).
b) La guerre en Espagne (1366 à 1369) :
Henri II de Trastamare revendiquait la couronne de Castille, appartenant à
son demi-frère Pierre I°.
Ce
dernier, né en août 1334, monta sur le trône en 1350. A cette époque, le
souverain étant encore jeune, ses ministres lui firent épouser en 1352 une
française, Blanche de Bourbon, afin de resserrer les liens entre la
Castille et la France.
Cependant, Pierre I°, infidèle, répudia la jeune femme au bout de quelques
mois.
Ce
comportement ne plut pas au pape Innocent VI, qui excommunia le roi. En
outre, les barons ne tardèrent guère à se révolter, soutenus dans leur lutte
par les demi-frères de Pierre I°, qui avait été évincés du pouvoir.
Pendant près de dix ans, le roi de Castille lutta contre ses demi-frères,
parvenant à les éliminer les uns après les autres. C’est alors que l’un
d’entre eux, Henri II de Trastamare, fit appel au roi de France.
Charles V répondit favorablement, envoya du Guesclin en Espagne, à la tête
d’une armée de mercenaires. Pierre le Cruel, voyant arriver les troupes
françaises, décida d’abandonner ses Etats et se réfugia auprès de son oncle
Pierre I° de Portugal.
Henri II et du Guesclin surent profiter de l’antisémitisme qui régnait
alors, accusant Pierre le Cruel d’être un ami des juifs (ce dernier, plutôt
tolérant, faisait souvent appel à des financiers d’origine juive.).
Au
cours de l’été 1366, Pierre le Cruel appela à l’aide Edouard III, roi
d’Angleterre, qui envoya alors son fils le Prince Noir en Espagne.
En
avril 1367, les deux belligérants s’affrontèrent au cours de la bataille
de Najera.
Du Guesclin, qui avait suffisamment affronté les troupes anglaises pour
connaître leur stratégie, préféra ne pas les attaquer de front.
Cependant, Henri II n’écouta pas les conseils de son allié, et décida de
lancer la charge.
La bataille de Najera, par Jean Froissart, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
Très rapidement, les troupes du castillan furent mises en
pièces par les redoutables archers anglais. En outre, du Guesclin fut
capturé par l’ennemi.
Les Anglais venaient d’offrir la victoire à Pierre le Cruel, mais ce dernier
refusa de rembourser ses alliés qui avaient dépensé de grosses sommes
d’argent pour mettre sur pied toute une armée. Le Prince Noir et son armée,
frappés par la dysenterie, quittèrent alors l’Espagne, abandonnant Pierre le
Cruel à son sort.
C’est alors que Henri II et du Guesclin (Charles V avait payé une forte
rançon pour sa libération.) attaquèrent Pierre I° une nouvelle fois. Début
1369, ce dernier se réfugia dans la forteresse de Montiel, assisté de
contingents maures.
Les Français mirent alors le siège devant le château, et en mars de la même
année, Pierre le Cruel décida de négocier.
La bataille de Montiel, par Jean Froissart, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
Se rendant dans la tente de du
Guesclin, son demi-frère Henri II l'affronta en duel singulier et le tua.
La mort de Pierre le Cruel, par Jean
Froissart, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques, Paris,
France, XV°siècle.
Henri II fut alors couronné roi de Castille, et resta un fidèle allié de la
France. En récompense, le nouveau souverain nomma du Guesclin duc de Molina.
c) Réorganisation de l’armée, le ralliement
d’Olivier V de Clisson : lors de la lutte contre les grandes compagnies,
Charles V put mettre en place une complète réorganisation de l’armée.
En
effet, le roi décida de ne plus rassembler une armée composée de dizaines de
milliers d’hommes, contrairement à ce qu’avaient fait ses prédécesseurs
(Philippe VI et Jean II avaient privilégié la stratégie de la masse,
considérant que le surnombre permettrait de vaincre l’adversaire.).
Le
fait de rassembler une armée aussi importante comportait effectivement de
nombreux risques. Tout d’abord, il était plus difficile de commander une
troupe très nombreuse ; en outre, une fois en inactivité, les soldats
pouvaient former des compagnies.
En
mettant en place une armée de taille réduite, Charles V éliminait ces
principaux deux dangers. En outre, cette nouvelle troupe composée de
quelques milliers d’hommes était plus apte à se lancer dans des stratégies
de harcèlement à l’encontre de l’armée anglaise.
Cette nouvelle armée se divisait ainsi en plusieurs petits groupes de cent
individus, (les routes.), placés sous le commandement de capitaines
compétents, tels du Guesclin ou Olivier V de Clisson.
Ce
dernier était né Bretagne en avril 1336. Encore jeune lorsque son père fut
exécuté pour haute trahison par Philippe VI (1343.), de Clisson et sa mère
s’enfuirent en Angleterre auprès d’Edouard III, où il rencontra le futur duc
de Bretagne Jean IV.
L'exécution d'Olivier IV de Clisson, par Jean Froissart, enluminure issue de
l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
Participant à de nombreuses batailles contre les
Français (bataille d’Auray, bataille de Najera, etc.), de Clisson ne tarda
guère à se brouiller avec Jean IV, accusant le duc de Bretagne d’ingratitude
à son égard (en effet, Jean IV avait préféré récompenser ses alliés
anglais.). Finalement, de Clisson, exaspéré par le comportement du duc,
décida de rejoindre le parti de Charles V en 1370.
Olivier de Clisson fut surnommé le Boucher pour son caractère
violent, mais aussi l’Eborgné d’Auray, car il perdit un œil lors de
la bataille d’Auray.
d) Réorganisation diplomatique : Charles V
savait bien, que même s’il parvenait à débarrasser la France des compagnies,
il ne pourrait rien faire s’il ne trouvait pas des soutiens en Europe.
Dans un premier temps, en 1365, Charles V s’était débarrassé de Charles le
Mauvais (remportant la bataille de Cocherel en 1364 et l’envoyant dans le
Languedoc.) et de sa sœur Jeanne de Navarre (qui avait promis de rester
neutre.).
En
1369, le comte Louis II de Flandre,
conscient que les Flamands étaient dépendants des importations de laines
anglaises, décida de fiancer sa fille Marguerite avec Edmond,
un fils d’Edouard III.
Cependant, les fiancés étant consanguins, le pape refusa d’accorder une
dispense. Charles V décida alors d’en profiter judicieusement, parvenant à
faire épouser Marguerite à son frère Philippe de Bourgogne (les noces furent
célébrées en juin de la même année.).
En
1366, le roi de France se débarrassa des compagnies en les envoyant
combattre contre le roi de Castille Pierre le Cruel, l’adversaire d’Henri II
de Trastamare. Suite à la victoire de Montiel, en 1369, le nouveau souverain
resta un indéfectible allié de Charles V.
Charles V réactiva en 1371 l’Auld Alliance avec les Ecossais, leur assurant
que la France ne passerait plus de traités de paix séparés avec
l’Angleterre, comme cela avait été le cas lors du traité de Brétigny.
En
outre, en 1372, le roi de France n’hésita pas à soutenir Yvain de Galles,
réfugié à la cour du roi et prétendant au trône gallois.
Par la suite, le roi de France se rapprocha de son oncle l’Empereur
germanique Charles IV, qui avait pendant un temps eu l’intention
d’abandonner l’alliance française, lors du règne de Jean II le Bon.
Cependant, en 1372, les deux hommes renouvelèrent leur amitié, et Charles V
parvint à obtenir de son oncle qu’il interdise aux allemands de s’engager
comme mercenaires dans l’armée anglaise.
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