An de Rome 685
CCCXXX.
1. ... {lacune} Tigrane confia le
commandement de l'armée à Mithridate ; parce qu'il avait éprouvé la bonne et la
mauvaise fortune : souvent vaincu, non moins souvent vainqueur, Mithridate
était, par cela même, regardé comme plus habile dans l'art de la guerre. Ils
firent donc leurs préparatifs, comme si la guerre commençait alors, et ils
envoyèrent des ambassadeurs à plusieurs rois des pays voisins et au Parthe
Arsace ; quoiqu'il fut en mésintelligence avec Tigrane, à cause d'une contrée
dont celui-ci lui disputait la possession. Ils la lui abandonnèrent et
cherchèrent à lui rendre les Romains suspects, en répétant qu'après avoir
triomphé de Tigrane et de Mithridate, livrés à leurs propres forces, ils
tourneraient aussitôt leurs armes contre lui ; car un vainqueur, naturellement
insatiable dans la bonne fortune, ne met aucune borne à son ambition ; et les
Romains, par cela même qu'ils avaient déjà subjugué plusieurs peuples, ne
consentiraient point à respecter son indépendance.
[Lucullus disait qu'il aimerait mieux arracher au danger un seul Romain, que de
s'emparer, même sans combat, de tous les biens des ennemis.]
Prise de Tigranocerta par Lucullus
2. Telles étaient les mesures prises
par ces cieux Rois. Cependant Lucullus, au lieu de poursuivre Tigrane, lui
laissa le temps de s'éloigner tout à son aise. Aussi à Rome, comme ailleurs,
chacun l'accusa-t-il de n'avoir point voulu terminer la guerre, afin de rester
plus longtemps à la tête de l'armée. Le commandement eu Asie fut donc confié de
nouveau aux préteurs. Plus tard , Lucullus parut avoir fait encore la même
faute, et fut remplacé par le consul de l'année. Cependant les étrangers établis
à Tigranocerta, s'étant révoltés contre les Arméniens, Lucullus s'empara de
cette ville : c'étaient, pour la plupart, des Ciliciens qu'on y avait
transférés. Ils introduisirent les Romains pendant la nuit : aussi leurs biens
furent-ils respectés, tandis qu'on livra tout le reste au pillage. Les femmes de
la plupart des citoyens les plus distingués furent prises ; mais Lucullus les
mit à l'abri des outrages et se concilia ainsi l'affection de leurs maris.
A la même époque, Lucius Lucullus, après
avoir vaincu les rois d'Asie, Mithridate et l'Arménien Tigrane, et les avoir
forcés à faire retraite, assiégea Tigranocerta. Les barbares lui firent beaucoup
de mal avec leurs traits et avec la naphthe qu'ils versaient sur ses machines de
guerre. C'est une matière bitumineuse, tellement inflammable qu'elle consume
tout ce qu'elle touche, et qu'on ne peut facilement l'éteindre avec aucune
espèce de liquide. Le dommage essuyé par les Romains rendit la confiance à
Tigrane : il s'avança contre Lucullus avec des forces considérables et s'écria,
dit-on, pour se moquer de l'armée qui assiégeait Tigranocerta : « Ils sont trop
peu nombreux, s'ils veulent faire la guerre, et trop nombreux, s'ils viennent en
ambassade. » Mais sa joie ne fut pas de longue durée : il apprit bientôt combien
la valeur et l'art l'emportent sur le grand nombre. Il prit la fuite; et les
soldats romains ayant trouvé sa tiare et la bandelette qui l'entourait, les
remirent à Lucullus. Tigrane dans la crainte que ces ornements ne le fissent
reconnaître et ne missent sa liberté en danger, s'en était dé pouillé et les
avait jetés loin de lui. Lucullus s'empara ensuite de Tigranocerta, qu'il livra
au pillage; mais il mit les femmes à l'abri de tous les outrages et gagne ainsi
l'amitié de leurs maris qui fuyaient avec Tigrane.
Il fit alliance avec Antiochus, roi de la Commagène contrée de la Syrie qui
touche à l'Euphrate et au Taurus ; avec Alchaudonius, souverain d'un petit
royaume de l'Arabie, et avec d'autres princes qui lui avaient fait demander la
paix.
Une partie de l'Arménie est soumise aux
Romains
3. Instruit par eux que Tigrane et
Mithridate avaient envoyé une ambassade à Arsace, Lucullus lui députa
quelques-uns de ses alliés pour lui faire des menaces, s'il secourait Tigrane et
Mithridate, ou des promesses, s'il embrassait le parti des Romains. Arsace,
encore aigri contre Tigrane et n'ayant alors aucun soupçon contre les Romains,
envoya de son côté une ambassade à Lucullus et fit paix et alliance avec lui ;
mais Sécilius s'étant rendu plus tard auprès d'Arsace, ce roi supposa qu'il
était venu pour observer secrètement l'état de son armée et du pays : à son
avis, c'était dans ce but, et non pour une convention déjà conclue, qu'un homme
aussi distingué par ses talents militaires avait été envoyé auprès de lui. II ne
fournit donc aucun secours à personne; mais il ne prit pas non plus une attitude
hostile, et resta neutre. Apparemment il ne voulut augmenter ni les forces des
Romains ni celles de leurs ennemis; persuadé que, s'ils se faisaient la guerre
avec des chances égales, il serait, par cela même, à l'abri de tous les dangers.
Voilà ce que fit Lucullus, cette année, et il soumit une grande partie de
l'Arménie à la domination des Romains.
An de Rome 680
Q. Marcius Rex Consul.
Exploits de Lucullus et prise de Nisibis
4. Quintus Marcius était seul consul,
quoiqu'il n'en pas été élu seul ; mais Lucius Métellus, son collègue, était mort
au commencement de l'année ; le consul, qui avait été substitué à Métellus,
mourut avant d'être entré dans l'exercice de ses fonctions, et aucun autre ne
fut nomm à sa place. Cette année, Lucullus se mit en campagne au milieu de l'été
; car le froid ne lui avait point permi d'envahir le territoire ennemi pendant
le printemps. Il en ravagea une partie, afin d'amener les barbares à le défendre
et de les attirer ainsi au combat ; mais ils ne bougèrent pas davantage, et
Lucullus fondit sur eux.
5. La cavalerie ennemie fit alors
beaucoup de mal la cavalerie des Romains ; mais les barbares n'en vinrent pas
aux mains avec l'infanterie : ils prirent même la fuite aussitôt que Lucullus
vint au secours de sa cavalerie avec les soldats qui étaient armés de boucliers.
Cependant ils n'éprouvèrent point de grandes pertes : bien au contraire, lançant
leurs flèches en arrière contre ceux qui les poursuivaient, ils en tuèrent
plusieurs sur-le-champ et en blessèrent un très grand nombre. Ces blessures
étaient dangereuses et difficiles à guérir ; parce que les flèches des Parthes
se terminaient par deux pointes en fer, disposées de telle manière qu'elles
donnaient une mort prompte, soit qu'on laissât le trait dans la blessure, soit
qu'on l'en retirât ; car la plus petite de ces pointes, ne pouvant être ramenée
en sens contraire, sans se briser, restait dans le corps qui avait été atteint.
6. Beaucoup de soldats romains étaient
donc blessés ; d'autres mouraient ou perdaient quelque membre : en même temps
les vivres commençaient à manquer. Dans cette situation, Lucullus leva le camp
et se dirigea en toute hâte vers Nisibis, ville située dans la Mésopotamie c'est
ainsi qu'on appelle tout le pays qui s'étend entre le Tigre et l'Euphrate. Elle
nous appartient aujourd'hui et jouit de tous les droits de colonie romaine : à
cette époque Tigrane, après l'avoir enlevée aux Parthes, y avait déposé ses
trésors avec beaucoup d'autres objets, et l'avait mise sous la garde de son
frère. Arrivé près de cette ville, Lucullus ne put s'en emparer pendant le reste
de l'été, quoiqu'il dit poussé l'attaque avec vigueur; car elle était défendue
par une double enceinte de remparts en briques, très larges, séparés par un
fossé profond, et qu'on ne pouvait renverser avec le bélier, ni détruire par la
sape. Aussi Tigrane ne songea-t-il pas à la secourir.
7. Cependant l'hiver approchait : les
barbares, se regardant comme- vainqueurs et espérant que les Romains ne
tarderaient pas à s'éloigner, se relâchèrent. Lucullus, épiant le moment
favorable, profita d'une nuit qui n'était pas éclairée par la lune, et pendant
laquelle des torrents de pluie tombaient au milieu des éclats du tonnerre. Les
barbares, ne pouvant rien voir ni rien entendre, abandonnèrent, à l'exception
d'un petit nombre, l'enceinte extérieure et le fossé qui la séparaft des
remparts de l'intérieur. Lucullus donna l'assaut sur plusieurs points, s'élança
sans peine du haut des levées sur cette enceinte, et massacra facilement les
gardes qu'on y avait laissés en trop petit nombre ; puis, comme les flèches et
le feu ne pouvaient lui faire du mal, au milieu d'une pluie abondante, il combla
une partie du fossé (car les barbares avaient détruit les ponts avant de
s'éloigner). Lorsqu'il eut franchi ce fossé, les remparts de l'intérieur n'étant
pas très forts, parce que l'on comptait sur l'enceinte extérieure, Lucullus fut
bientôt maître de la ville même. Il força ceux qui s'étaient retirés dans la
citadelle, et dans ce nombre se trouvait le frère de Tigrane, à faire leur
soumission. Des trésors considérables tombèrent au pouvoir du général romain,
qui établit là ses quartiers d'hiver.
Pertes éprouvées par Lucullus
8. C'est ainsi que Lucullus s'empara
de Nisibis ; mais il perdit plusieurs parties, de l'Arménie et des pays voisins
du Pont. Tigrane n'avait point secouru Nisibis, comme si elle avait été
imprenable ; mais il se dirigea en toute hâte vers les contrées dont je viens de
parler, pour tenter de les reprendre, en devançant le général romain, occupé au
siège de Nisibis. Il ordonna à Mithridate de rentrer dans ses États, et se
rendit de son côté dans son royaume d'Arménie. Là, il enveloppa L. Fannius, qui
combattait contre lui, et le tint cerné jusqu'au moment où Lucullus, instruit de
la position de Fannius, vint à son secours.
M. Fabius est battu par Mithridate
9. Sur ces entrefaites, Mithridate se
jette dans la petite Arménie et dans les pays limitrophes. Il tombe à
l'improviste sur les Romains, qui erraient çà et là, et en tue un grand nombre.
II en massacre d'autres en bataille rangée et recouvre ainsi, en peu de temps,
la plus grande partie de ces contrées. Les habitants, pleins de dévouement pour
lui, parce qu'il était né au milieu d'eux, et parce qu'ils avaient eu ses
ancêtres pour rois, détestaient les Romains, à cause de leur qualité d'étrangers
et des mauvais traitements que faisaient subir aux indigènes les gouverneurs qui
leur étaient imposés. Ils se déclarèrent donc pour Mithridate et vainquirent
ensuite Marcus Fabius, chef de l'armée romaine dans ce pays. Les Thraces, qui
avaient été auparavant à la solde de Mithridate et qui servaient alors sous les
ordres de ce général, les secondèrent puissamment, ainsi que les esclaves qui se
trouvaient dans l'armée romaine. Et en effet, les Thraces, envoyés en
reconnaissance par Fabius, ne lui ayant donné aucun renseignement exact, il
s'avança imprudemment ; et Mithridate l'ayant attaqué à l'improviste, ils se
jetèrent avec lui sur les Romains : en même temps, les esclaves, à qui le roi
barbare, avait promis la liberté, prirent part à cette attaqué. La perte de
Fabius eût été certaine, si Mithridate, poussé par son ardeur au milieu des
ennemis (il combattait encore, quoiqu'il fût âgé de plus de soixante et dix ans)
et frappé d'un coup de pierre, n'avait inspiré aux barbares des craintes pour
ses jours. Troublés par cet événement, ils cessèrent de combattre, et Fabius put
se réfugier dans un lieu sûr avec son armée.
Assiégé dans Cabira, il est sauvé par
Triarius
10. Ensuite Fabius, enfermé et assiégé
dans Cabira, fut délivré par Triarius, qui passa par cette ville, en se rendant
de l'Asie auprès de Lucullus. Instruit de ce qui était arrivé, il forma un
corps, aussi nombreux qu'il put , avec les soldats qui étaient là. Il effraya
Mithridate, comme s'il avait eu avec lui toute l'armée romaine, et lui fit ainsi
lever le camp, même avant d'être en sa présence. Enhardi parce succès, Triarius
poursuivit le roi dans sa fuite jusqu'à Comana, où il remporta une victoire.
Mithridate était campé sur le côté du fleuve opposé à la route que suivaient les
Romains : résolu à les attaquer, lorsqu'ils seraient encore fatigués de la
marche, il alla lui-même à leur rencontre, et ordonna au reste de son armée de
s'avancer par un autre pont et de tomber sur l'ennemi dans le moment décisif.
Mithridate soutint longtemps la lutte avec avantage ; mais le pont s'étant rompu
sous le poids des soldats qui s'y pressaient en toute hâte pour le traverser
ensemble, cet accident priva le roi du secours qu'il attendait et fit s échouer
ses plans : ensuite, comme l'hiver régnait déjà, Triarius et Mithridate se
retirèrent dans leurs forts, et s'y tinrent tranquilles.
An de Rome 686.
Q. Marcius Rex Consul.
Détails sur les deux Comana
11. Comana est située dans la contrée
appelée aujourd'hui la Cappadoce : elle passait pour avoir eu jusqu'à ce jour en
sa possession la statue de Diane de Tauride et la famille d'Agamemnon. Comment y
vinrent-elles, comment y sont-elles restées ; c'est ce qu'il m'a impossible de
découvrir clairement, au milieu de mille traditions diverses : je rapporterai
donc ce que je sais avec certitude. Il y a en Cappadoce deux villes de ce nom,
peu éloignées l'un de l'autre et qui se vantent de posséder les mêmes
antiquités. On y raconte les mêmes fables, on y montre les mêmes objets, et
chacune prétend avoir le glaive qui a réellement appartenu à Iphigénie ; mais
c'est assez sur ce sujet.
An de Rome 687.
M'. Acilius et C. Pison Consuls.
Triarius à Gaziura ; les Romains essuient de
grandes pertes
12. L'année suivante, sous le consulat
de M. Acilius et de C. Pison, Mithridate campa en face de Triarius, auprès de
Gaziura. Il l'irrita, et le provoqua au combat, par tous les moyens; mais
surtout eu s'exerçant lui-même et en exerçant ses soldats sous les yeux des
Romains. Il voulait en venir aux mains avec Triarius avant l'arrivée de
Lucullus, dans l'espoir de le vaincre et de recouvrer le reste de ses États ;
mais Triarius n'ayant pas bougé, Mithridate envoya un détachement de son armée
assiéger le fort Dadasa, où les Romains avaient déposé leurs bagages. Il
espérait amener Triarius à un engagement par la nécessité de le défendre : c'est
ce qui arriva. Triarius, redoutant les forces de Mithridate et attendant
Lucullus qu'il avait appelé à son secours, s'était tenu tranquille jusqu'alors;
mais quand il apprit le siège de Dadasa, comme ses soldats, qui craignaient pour
cette place, s'agitaient et menaçaient, s'ils n'avaient point de chef pour les
conduire, de voler à la défense de Dadasa, sans attendre les ordres de personne,
il se mit en marche malgré lui. Déjà il en approchait, lorsque les barbares
fondent sur lui, enveloppent les Romains qui se trouvent sur leur passage et les
taillent en pièces : quant à ceux qui avaient fui dans la plaine, parce qu'ils
ignoraient qu'on y avait amené les eaux du fleuve, en détournant son cours, les
barbares les pressent aussi de toutes parts et en font un grand carnage.
13. Ils les auraient massacrés
jusqu'au dernier, si un soldat romain, prétendant qu'il faisait partie des corps
auxiliaires (car Mithridate, ainsi que je l'ai déjà dit, en avait plusieurs dans
son armée, à l'instar des Romains), ne se fût approché du roi, comme s'il avait
eu quelque chose à lui confier et ne l'eût bléssé. Il fut bien arrêté et mis à
mort ; mais, à la faveur du trouble que cet événement causa parmi les barbares,
beaucoup de Romains prirent la fuite. Aussitôt que sa blessure fut guérie,
Mithridate soupçonnant qu'il pouvait y avoir encore d'autres ennemis dans son
armée, la passa en revue, sous un tout autre motif, et ordonna à ses soldats de
rentrer sur-le-champ, chacun dans leur tente. Il surprit ainsi dans leurs rangs
plusieurs Romains, qui se trouvèrent isolés, et les fit mettre à mort.
Révoltes de l'armée de Lucullus
14. Sur ces entrefaites arriva
Lucullus : on pensait qu'il lui serait facile de vaincre Mithridate lui-même et
de recouvrer en peu de temps tout ce que les Romains avaient perdu ; mais il ne
fit rien de ce qu'on espérait. Mithridate, qui s'était posté sur une hauteur
voisine de Talaura, ne marcha pas contre lui ; mais un autre Mithridate, venu de
la Médie et gendre de Tigrane, fondit inopinément sur les Romains, dispersés çà
et là, et en fit un grand carnage. En même temps, le bruit de l'arrivée de
Tigrane se répandit, et une sédition éclata dans l'armée romaine. Les soldats
Valériens, qui avaient repris du service après avoir reçu leur congé, s'étaient
déjà révoltés à Nisibis , à la suite de la victoire, du repos, de l'abondance,
et parce qu'ils étaient souvent séparés de Lucullus, qui voyageait sans cesse de
divers côtés : un certain Publius Clodius (quelques-uns l'ont appelé Claudius),
entraîné par l'amour des changements, les poussait surtout au désordre, quoique
sa soeur eût épousé Lucullus. La principale cause des troubles qui éclatèrent
alors fut la nouvelle de la prochaine arrivée du consul Acilius, nommé à la
place de Lucullus, pour les raisons que j'ai fait connaître. A leurs yeux,
Lucullus n'était plus qu'un simple particulier, et ils n'avaient aucune
déférence pour lui.
15. Dans cette situation, Lucullus,
n'ayant pu obtenir le secours qu'il avait demandé à Marcius, qui fut consul
avant Acilius et qui se rendait dans la Cilicie pour en prendre le gouvernement,
fut en proie à une grande perplexité. Craignant de faire en vain un mouvement,
et n'osant rester en repos, il s'avança contre Tigrane dans l'espoir de le
surprendre par une attaque inattendue, lorsqu'il serait encore fatigué de la
marche, et d'apaiser ainsi la sédition de l'armée ; mais il n'atteignit ni l'un
ni l'autre but. Ses soldats le suivirent jusqu'au chemin qui conduit en
Cappadoce : arrivés là, par un accord unanime et sans proférer une parole, ils
se dirigèrent tous vers ce pays. Quant aux Valériens, informés que les
magistrats de Rome leur avaient accordé leur congé, ils abandonnèrent tout à
fait les drapeaux.
Caractère de Lucullus
16. Qu'on ne s'étonne point que
Lucullus, qui fut un général très habile ; qui, le premier des Romains, franchit
le Taurus avec une armée, pour porter la guerre dans ces contrées ; qui vainquit
deux rois puissants et les aurait faits prisonniers, s'il eût voulu terminer
promptement la guerre ; qui enfin pénétra bien avant en Asie, ne put jamais être
maître de son armée. Si, après avoir été agitée par de continuelles révoltes,
elle finit par l'abandonner, c'est qu'il lui donnait ordres sur ordres : d'un
accès difficile, exigeant rigoureusement que chacun remplît son devoir,
punissant avec une sévérité inflexible, il ne savait ni subjuguer les coeurs par
ses paroles, ni les gagner par la douceur, ni se les attacher par les honneurs
ou par des largesses ; moyens qu'il faut toujours employer auprès de la
multitude, et surtout auprès d'une armée. Aussi, ses soldats se montrèrent-ils
dociles, tant qu'ils eurent des succès, tant que le butin compensa les dangers ;
mais lorsque arrivèrent les revers, lorsque la crainte eut remplacé l'espérance,
ils n'eurent plus aucun égard pour lui. Ce qui le prouve, c'est que ces mêmes
soldats, sous les ordres de Pompée (car il enrôla de nouveau les Valériens), ne
songèrent pas même à se révolter ; tant un homme l'emporte sur un autre homme !
Mithridate profite des révoltes de l'armée
romaine pour recouvrer son royaume
17. Tel était l'état de l'armée
romaine : Mithridate en profita pour recouvrer à peu près tout son royaume et
pour commettre de grands ravages dans la Cappadoce que ne défendaient ni
Lucullus, sous le prétexte de la prochaine arrivée d'Acilius, ni Acilius
lui-même. Celui-ci avait d'abord fait diligence, dans l'espoir d'enlever la
victoire à Lucullus ; mais il s'arrêta en Bithynie, au lieu de rejoindre
l'armée, lorsqu'il eut appris les événements. Quant à Marcius, il ne secourut
point Lucullus; prétendant que ses soldats avaient refusé de le suivre ; mais,
arrivé en Cilicie, il accepta les services d'un certain Ménémaque, qui avait
abandonné Tigrane. En même temps, il confia le commandement de la flotte à
Clodius, dont il avait aussi épousé une soeur, et qui, par crainte de ce qui
s'était passé à Nisibis, avait abandonné Lucullus. Ce Clodius fut pris par les
pirates ; mais ils le remirent en liberté, par la crainte de Pompée. Clodius se
rendit alors à Antioche de Syrie, comme pour soutenir les habitants contre les
Arabes, avec lesquels ils étaient en état d'hostilité. Là aussi, il essaya
d'attiser le feu de la révolte, et peu s'en fallut qu'il ne fût mis à mort. . . |