An de Rome 646
Négociations entre Jugurtha et Métellus
CCLXIV. Jugurtha avait envoyé des
députés à Métellus pour négocier la paix : le général romain fixa plusieurs
conditions ; mais successivement, et comme si chacune eût toujours été la seule
qu'il dût imposer. C'est ainsi qui il obtint des otages, des armes, les
éléphants, les prisonniers et les transfuges. Métellus tua tous les transfuges ;
mais il n'accorda point la paix, parce que Jugurtha ne voulut pas se rendre
auprès de lui, dans la crainte d'être arrêté. Marius et Cnaeus mirent aussi des
obstacles à la conclusion du traité.
Caractère de Marius
CCLXV. Marius joignait à des moeurs
grossières un naturel factieux et turbulent : ami des plébéiens, parce qu'il
était né dans leurs rangs, il soupirait après la ruine de la noblesse. Prêt à
tout dire, à tout promettre, à mentir et à se parjurer pour le plus mince
avantage, il se faisait un jeu de calomnier les citoyens les plus recommandables
et de louer les plus pervers. Qu'on ne s'étonne pas qu'un tel homme ait pu très
longtemps cacher ce qu'il y avait de mauvais en lui : pétri d'artifice et
secondé par la fortune, qui, dans le principe, lui fut partout propice, il
parvint même à se faire regarder comme vertueux.
Ses menées contre Métellus
CCLXVI. Il fut d'autant plus facile à
Marius de calomnier Métellus, que celui-ci appartenait à l'ordre des patriciens
et était déjà un grand capitaine : lui, au contraire, jusqu'alors sans éclat et
tout à fait inconnu, commençait à se produire. La multitude était donc portée
par l'envie à abaisser Métellus, en même temps qu'elle travaillait à l'élévation
de Marius à cause de ses promesses, et surtout parce que Métellus avait,
disait-on, adressé ces paroles à Marius, en lui accordant un congé pour aller
briguer le consulat : "Tu devras t'estimer heureux, si tu es consul avec mon
fils." Ce fils était alors fort jeune.
Haine de Gauda contre Métellus
CCLXVII. Gauda haïssait Métellus,
parce que, malgré ses instances, il n'avait voulu ni lui rendre les transfuges,
ni lui donner une garnison romaine, ni même lui permettre de s'asseoir à ses
côtés ; honneur que les consuls accordaient d'ordinaire aux rois et aux princes.
An de Rome 647
Bocchus envoie des députés à Marius
CCLXVIII. Après la capitulation de
Cirta, Bocchus envoya des députés à Marius. D'abord il demanda les états de
Jugurtha, comme récompense du parti qu'il avait pris de se déclarer pour les
Romains : ne les ayant pas obtenus, il demanda simplement la paix. Marius envoya
les ambassadeurs à Rome : pendant cette négociation, Jugurtha se retira dans les
contrées les plus désertes de son royaume.
An de Rome 648
Marius exige que Jugurtha lui soit livré
CCLXIX. Marius, ayant reçu des députés
de Bocchus, déclara qu'il ne traiterait pas avec lui, à moins qu'il ne lui
livrât Jugurtha ; ce qui eut lieu en effet.
Les Romains s'emparent de l'or de Toulouse
CCLXX. Les habitants de Toulouse,
auparavant alliés de Rome, furent entraînés par les promesses des Cimbres, se
revoltèrent et mirent aux fers la garnison romaine. Introduits dans cette ville
par leurs amis, pendant la nuit et à l'improviste, les Romains s'en rendent
maîtres, pillent les temples et s'emparent en outre d'immenses richesses.
Toulouse, d'ailleurs opulente depuis longtemps, renfermait les offrandes que les
Gaulois emportèrent jadis de Delphes, sous la conduite de Brennus. Cependant ses
dépouilles n'enrichirent pas beaucoup le trésor public de Rome ; elles devinrent
presque totalement la propriété de ceux qui les avaient enlevées : plusieurs
furent cités en justice pour rendre compte de leur conduite.
An de Rome 649
Jalousie de Q. Servilius Caepion contre Cn.
Manlius
CCLXXI. Servilius fit beaucoup de mal
à l'armée par Rome sa jalousie envers son collègue, dont il était l'égal dans
tout le reste, mais que la dignité de consul plaçait au-dessus de lui. A la mort
de Scaurus, Manlius engagea Servilius à se rendre auprès de lui ; mais celui ci
répondit que chacun devait veiller sur son département. Plus tard il craignit
que Manlius ne réussît sans son concours, et il ne voulut point lui laisser
l'occasion de s'illustrer seul.
Il se rapprocha donc de son collègue ; mais il ne campa point dans le même lieu
et ne se concerta jamais avec lui. Bien plus, afin de pouvoir attaquer les
Cimbres avant Manlius, et d'avoir toute la gloire du succès dans cette guerre,
il plaça son camp entre ces barbares et le consul. Malgré ces divisions, l'armée
romaine, tant qu'elles restèrent inconnues , inspira d'abord une si grande
terreur aux ennemis, qu'ils furent amenés à désirer la paix; mais les Cimbres
ayant envoyé leurs députés à Manlius à cause de sa dignité, Servilius, courroucé
de ce qu'ils ne s'étaient pas adressés à lui, ne répondit rien de favorable à un
arrangement : peu s'en fallut même qu'il ne fit mettre à mort les députés.
Les soldats de Q. Servilius Caepion le
forcent de s'aboucher avec lui
CCLXXII. Les soldats forcèrent
Servilius à s'aboucher avec Manlius et à s'entendre avec lui sur les mesures
exigées par les circonstances. Loin de rétablir la bonne intelligence, cette
entrevue rendit leur haine plus violente qu'auparavant : ils se séparèrent,
après s'être honteusement emportés jusqu'à la dispute et jusqu'à l'injure.
An de Rome 650.
Noble conduite de Cn. Domitius envers Scaurus
CCLXXIII. Cnaeus Domitius avait cité
Scaurus en justice : sur ces entrefaites, un esclave de l'accusé vint lui
proposer de faire contre son maître de graves révélations. Domitius, loin
d'attacher de l'importance à cette délation, fit arrêter l'esclave et le livra à
Scaurus.
Pub. Licinius Nerva, préteur en Sicile, et
les esclaves
CCLXXIV. Publius l.icinius Nerva,
préteur en Sicile, instruit que les esclaves étaient maltraités, ou peut-être
cherchant un moyen de s'enrichir (car il n'était pas incorruptible), invita par
un édit tous ceux qui avaient à se plaindre de leurs maîtres à se rendre auprès
de lui, et leur promit son appui. Aussitôt un grand nombre d'esclaves
s'attroupent : les uns prétendent avoir éprouvé des injustices, les autres font
entendre contre leurs maîtres diverses accusations : ils se flattent que le
moment est enfin venu d'obtenir, tout ce qu'ils voudront, sans verser leur sang.
Les hommes libres se concertent aussi pour leur tenir tête, et ne cèdent rien.
Cette double ligue fait craindre à Licinius que les vaincus ne se portent à
quelque extrémité dangereuse, et il n'écoute aucune plainte des esclaves. Il les
congédie même, sous prétexte qu'ils n'auront désormais rien à souffrir, dans
l'espoir qu'une fois dispersés, ils ne pourront plus exciter aucun trouble. Les
esclaves, redoutant leurs maîtres qu'ils ont osé hautement accuser, entrent en
pourparlers, se coalisent et se jettent dans le brigandage.
An de Rome 651.
Les Mamertins et le Cilicien Athénion
CCLXXV. Les Mamertins crurent qu'ils
n'auraient aucun malheur à craindre, s'ils renfermaient dans Messine tout ce
qu'ils possédaient de plus précieux. Instruit de leur résolution, le Cilicien
Athénion, qui avait la plus grande autorité sur les brigands, attaqua les
Mamertins, au moment où ils célébraient une fête publique dans le faubourg de la
ville. Il les dispersa et en fit un grand massacre : peu s'en fallut même qu'il
ne prît la ville de force. Il se retrancha ensuite dans un château appelé
Macella, qui était très bien fortifié, et de là il porta la dévastation dans la
campagne.
An de Rome 652.
Défaite des Cimbres par Marius
CCLXXVI. Les barbares furent vaincus,
et plusieurs restèrent sur le champ de bataille : à peine un petit nombre
trouva-t-il son salut dans la fuite. Marius, pour consoler ses soldats et pour
les récompenser, leur vendit tout le butin à vil prix : il ne voulut point
paraître le distribuer gratuitement. Jusqu'à ce moment, il n'avait été en faveur
qu'auprès des plébéiens, au milieu desquels il était né et qui avaient fait sa
fortune; mais alors il triompha même de la haine des patriciens, et il eut
également l'estime de tous les citoyens. Tous, spontanément et d'une voix
unanime, lui décernèrent le consulat pour l'année suivante, afin qu'il put
terminer la guerre.
Changement dans les moeurs des Cimbres
CCLXXVII.
Les Cimbres, une fois qu'ils se furent
relâchés, perdirent beaucoup de leur ardeur et devinrent mous, énervés, au moral
et au physique. La cause de ce changement fut celle-ci : ils logeaient dans des
maisons, au lieu de coucher en plein air, comme auparavant: ils avaient remplacé
les bains froids par les bains chauds : ils faisaient immodérément usage des
mêmes mets et des mêmes friandises que les habitants du pays où ils se
trouvaient, eux qui jusqu'alors s'étaient nourris de viandes crues : enfin,
contre leur habitude, ils se plongeaient dans le vin et dans l'ivresse. Par là,
toute la vigueur de leurs âmes fut émoussée, et leurs corps efféminés ne purent
plus supporter ni les travaux, ni les fatigues, ni la chaleur, ni le froid, ni
les veilles.
An de Rome 655.
Le jeune Métellus sollicite le rappel de son
père
CCLXXVIII. Le fils de Métellus
sollicita auprès de tous les citoyens le retour de son père avec tant
d'instances, en public et en particulier, qu'il fut surnommé Pius, c'est-à-dire,
le pieux.
Haine de P. Furius contre Métellus
CCLXXIX. La haine de Furius contre
Métellus venait de ce que celui-ci, pendant sa censure, l'avait privé du cheval
fourni par l'État.
P. Furius mis en accusation : il est massacré
dans l'assemblée du peuple
CCLXXX. P, Furius fut mis en
accusation pour sa conduite pendant le tribunat, et massacré par les Romains
dans le lieu même de l'assemblée du peuple. Il avait bien mérité la mort; car
c'était un factieux qui, après avoir fait cause commune avec Saturninus et
Glaucia, les persécuta quand il eut embrassé le parti contraire; mais il
n'aurait pas dû périr ainsi. Cependant sa mort parut juste jusqu'à un certain
point.
M. Livius Drusus et Q. Servilius Caepion,
chefs de parti
CCLXXXI. Il y avait encore d'autres
chefs de sédition les plus puissants étaient Marcus d'un côté et Quintus de
l'autre ; tous deux avides de pouvoir, d'une ambition insatiable, et par cela
même très-portés à se jeter dans les luttes des partis. A ce point de vue, ils
étaient sur la même ligne ; mais Drusus l'emportait par l'éclat de la naissance,
par les richesses, par une libéralité inépuisable pour ceux qui recouraient
incessamment à lui ; Quintus, par la présomption, par l'audace, par l'habileté à
tendre des piéges longtemps d'avance, par la finesse et la ruse dans l'action
même : semblables sous certains rapports, différents sous certains autres, ils
se faisaient en quelque sorte équilibre; et il n'est pas étonnant qu'ils aient
excité de longs troubles, qui se perpétuèrent même après leur mort.
Ils deviennent ennemis, après avoir vécu dans
une étroite amitié
CCLXXXII. Drusus et Caepion, qui
étaient beaux-frères, avaient d'abord vécu dans une étroite amitié plus tard
elle fit place à une haine qu'ils portèrent dans les affaires publiques.
An de Rome 661.
Condamnation de P. Rutilius
CCLXXXIII. Une condamnation des plus
injustes frappa Rutilius, citoyen d'une intégrité parfaite. II fut traduit en
justice par les menées des chevaliers, qui l'accusèrent d'avoir accepté de
l'argent pour Quintus Mucius, et le condamnèrent à une amende.- Ils agirent
ainsi pour satisfaire leur ressentiment contre Rutilius, qui avait souvent
réprimé leurs exactions.
Son exil volontaire
CCLXXXIV. Rutilius se défendit avec
noblesse : son langage fut celui d'un honnête homme en butte à la calomnie, et
beaucoup plus affligé des maux de la patrie que de son propre malheur. Il fut
néanmoins condamné et fit sur-le-champ l'abandon de ses biens : par là
l'injustice de sa condamnation parut dans tout son jour. On reconnut que sa
fortune était bien au-dessous des richesses que ses accusateurs lui reprochaient
de s'être appropriées en Asie, et il prouva qu'elle avait une origine légitime
et sans tache.
Rutilius fut ainsi victime d'une calomnie : sa condamnation retomba jusqu'à un
certain point sur Marius qu'offusquait la réputation de cet excellent citoyen.
Rutilius, désapprouvant ce qui se passait dans Rome, ne voulut plus vivre avec
un tel homme : il s'exila volontairement, se retira en Asie et demeura quelque
temps à Mitylène. Plus tard, cette ville ayant été saccagée pendant la guerre
contre Mithridate, il se transporta à Smyrne où il passa le reste de ses jours,
sans vouloir rentrer dans sa patrie. Malgré la sentence qui l'avait frappé, il
vécut entouré de gloire et dans l'opulence. Mucius, ainsi que tous les peuples
et tous les rois qui avaient été jadis à même de l'apprécier, le comblèrent de
présents, et il fut beaucoup plus riche qu'auparavant.
An de Rome 664.
Soupçons de P. Rutilius Lupus contre les
patriciens
CCLXXXV. Lupus soupçonna les
patriciens qui étaient dans son armée de révéler ses projets à l'ennemi, et les
dénonça au sénat, avant d'avoir rien approfondi : par là, il irrita encore
davantage des hommes, d'ailleurs mal disposés les uns envers les autres, à cause
des dissensions qui agitaient Rome. De plus grands troubles auraient éclaté, si
l'on n'avait surpris quelques Marses qui, se mêlant aux fourrageurs, pénétraient
dans les retranchements des Romains, comme s'ils eussent été leurs alliés, et
épiaient avec soin ce qui se disait et ce qui se faisait, pour en informer leurs
compatriotes. Cet incident coupa court à tous les ressentiments contre les
patriciens.
Jalousie de Marius envers P. Rutilius Lupus
CCLXXXVl. Marius était parent de Lupus
; mais la jalousie et l'espoir d'arriver à un septième consulat, comme s'il
avait été seul capable de conduire cette guerre à une heureuse fin, le lui
rendaient suspect. Il rengageait donc à temporiser et répétait que les Romains
ne manqueraient point de vivres ; tandis que les ennemis ne pourraient longtemps
tenir ferme dans une guerre dont leur propre territoire était le théâtre.
Cruauté des Picentins
CCLXXXVII. Les Picentins subjuguèrent
tous ceux qui n'avaient pas fait défection avec eux et les insultèrent en
présence de leurs amis : ils allèrent même jusqu'à arracher aux femmes les
cheveux avec la peau de la tête.
Fermeté de Mithridate, en présence des
ambassadeurs romains
CCLXXXVIII. Mithridate ne s'émut point
de la présence des ambassadeurs romains. II répondit à leurs plaintes par divers
griefs, enuméra les sommes considérables qu'il avait dépensées pour la
République et pour quelques généraux en particulier, et se tint tranquille.
Nicomède, au contraire, fier de son alliance avec Rome et pressé par le besoin
d'argent, envahit les états de Mithridate.
Mithridate envoie une ambassade aux Romains
CCLXXXIX. Mithridate envoya une
ambassade aux Romains, pour les prier d'engager ou de contraindre Nicomède,
s'ils le regardaient comme leur ami, à se montrer juste envers lui ; ou du moins
de lui permettre, s'il en était autrement, de se venger lui-même de son ennemi.
Les Romains, loin d'accéder à ses désirs, le menacèrent de leur vengeance, s'il
ne rendait pas la Cappadoce à Ariobarzane et s'il ne vivait pas en paix avec
Nicomède. Ils congédièrent ses ambassadeurs le jour même, et lui défendirent
d'en envoyer d'autres, avant de s'être soumis à leur volonté.
An de Rome 665.
Soldats mutinés contre Caton
CCXC. Caton, dont l'armée se composait
en grande partie d'habitants de Rome et d'hommes affaiblis par l'âge, avait
d'ailleurs peu d'autorité. Un jour, il osa reprocher à ses soldats de ne point
savoir supporter les fatigues et de se montrer sans ardeur pour l'exécution de
ses ordres : peu s'en fallut qu'ils ne l'ensevelissent sous une grêle de mottes
de terre. Il aurait péri, s'ils avaient eu des pierres à leur disposition ; mais
comme le champ où ils étaient rassemblés venait d'être labouré et se trouvait
par hasard humide, les crottes lancées sur Caton ne lui firent aucun mal. Le
chef de cette émeute, C. Titius, orateur obscur qui gagnait sa vie en défendant
au forum quelques causes et qui poussait jusqu'à l'impudence la liberté du
langage, fut arrêté, envoyé à Rome et livré aux tribuns; mais on ne lui infligea
aucune peine.
An de Rome 666.
Mithridate donne à tous les peuples de l'Asie
l'ordre de massacrer les Romains
CCXCI. D'après un ordre de Mithridate,
tous les peuples de l'Asie massacrèrent les Romains. Deuls, les habitants de
Tralles n'en tuèrent aucun eux-mêmes : ils eurent recours à un mercenaire
Paphlagonien, appelé Théophile ; comme si, en agissant ainsi, ils devaient être
moins exposés à de sanglantes représailles, ou comme s'il importait aux Romains
d'être égorgés par telle main plutôt que par telle autre.
Les Thraces dévastent l'Épire et d'autres
contrées
CCXCII. A l'instigation de Mithridate,
les Thraces dévastèrent l'Épire et les autres contrées, jusqu'à Dodone : ils
pillèrent même le temple de Jupiter.
Prodiges qui annoncent la guerre civile
CCXCIII. La guerre civile, au moment
où elle allait éclater à Rome, fut annoncée par divers prodiges, comme le
rapportent Tite-Live et Diodore. Le ciel était sans nuage, lorsque, au milieu
d'une grande sérénité, retentirent les sons aigus et lamentables d'une trompette
: tous ceux qui les entendirent furent frappés d'épouvante et d'effroi. Les
devins étrusques déclarèrent que c'était le présage d'un changement dans
l'espèce humaine et d'un nouvel âge du monde ; car il y a huit générations
d'hommes, qui diffèrent les uns des autres par leurs moeurs. Dieu a fixé à
chacune une durée renfermée dans la révolution de la grande année : lorsqu'un
âge est fini et qu'un autre commence, un signe merveilleux apparaît sur la terre
ou dans le ciel. A l'instant, les sages , versés dans la science de ces
phénomènes, reconnaissent qu'il est né des hommes ayant d'autres moeurs, un
autre genre de vie, et dont les Dieux s'occupent plus ou moins chie de leurs
devanciers.
An de Rome 667.
Cinna éloigne Sylla de l'Italie
CCXCIV. A peine revêtu du consulat,
Cinna n'eut rien tant à coeur que d'éloigner Sylla de l'Italie : il mettait
Mithridate en avant; mais en réalité il voulait être séparé de Sylla, pour que
celui-ci ne pût épier de près ses projets, ni les traverser. Cependant Cinna
avait été nommé consul par les efforts de Sylla, et il avait promis de ne rien
faire contre sa volonté.
La guerre contre Mithridate était inévitable aux yeux de Sylla ; et comme il
aspirait à la gloire d'être chargé de la conduite de cette guerre, il mit, avant
de partir, les affaires de Rome sur le pied le plus favorable à ses intérêts. II
désigna donc pour ses successeurs Cinna et un certain Cnaeus Octavius, dans
l'espoir de conserver ainsi son autorité, même pendant son absence. Sylla savait
qu'Octavius était fort estimé pour sa modération, et il se flattait qu'il
n'exciterait aucun trouble. Quant à Cinna, il lui était bien connu comme un
mauvais citoyen ; mais il avait déjà du crédit, et Sylla ne voulut point s'en
faire un ennemi : d'ailleurs, Cinna répétait et assurait même avec serment qu'il
serait toujours prêt à agir dans l'intérêt de Sylla. Ainsi, malgré une rare
sagacité pour pénétrer les pensées des hommes et pour apprécier avec justesse la
nature des choses, Sylla se trompa complètement dans cette circonstance et légua
à sa patrie une guerre terrible.
Caractère d'Octavius
CCXCV. La nature avait refusé à
Octavius l'activité nécessaire dans la vie politique.
Métellus est mandé à Rome
CCXCVI. Les Romains, au moment où la
guerre civile était imminente, mandèrent Métellus à Rome, et lui ordonnèrent de
venir à leur secours.
Livrés à des dissensions intestines, les Romains mandèrent Métellus à Rome et le
chargèrent de traiter, n'importe à quelles conditions, avec les Samnites, qui,
seuls alors, ravageaient encore, la Campanie et le pays limitrophe. Métellus ne
consentit point à faire la paix, parce qu'ls exigeaient le droit de cité pour
eux-mêmes et pour ceux qui s'étaient réfugiés auprès d'eux : ils ne voulaient
restituer aucune partie du butin dont ils s'étaient emparés, et demandaient que
les Romains leur rendissent les prisonniers et les transfuges. Aussi le sénat
lui-même ne voulut-il plus leur accorder la paix à ces conditions.
Marius et les autres bannis remplissent Rome
de carnage
CCXCVII. A peine Cinna eut-il
renouvelé la proposition relative ait retour des exilés, que Marius et les
autres bannis, avec les restes de l'armée, s'élancèrent dans Rome par toutes les
portes à la fois. Ils les fermèrent aussitôt, afin que personne ne pût
s'échapper, et massacrèrent indistinctement tous ceux qui tombèrent dans leurs
mains, comme s'ils avaient eu affaire à un peuple ennemi. Ils égorgèrent surtout
les riches pour s'emparer de leur or, et prodiguèrent les outrages à leurs
femmes et à leurs enfants : on eût dit qu'ils avaient réduit en servitude une
ville étrangère. Enfin ils suspendirent à la tribune aux harangues les têtes des
hommes les plus illustres, spectacle non moins douloureux que le massacre même ;
car elles faisaient naître dans l'esprit de ceux qui les voyaient diverses
réflexions ; mais surtout la pensée que cette tribune, ornée par leurs ancêtres
des proues ennemies, était alors souillée par les têtes des citoyens !
En un mot, Marius était dévoré d'une soif du sang tellement insatiable, qu'après
avoir fait mourir la plupart de ses ennemis, sa pensée, au milieu de tant de
confusion, ne se portant plus sur personne dont il pût souhaiter la mort, il
donna pour mot d'ordre à ses soldats d'égorger sans interruption tous ceux
auxquels il ne tendrait point la main, au moment où ils s'approcheraient de lui.
Rome était réduite à voir ses enfants périr sans jugement, non pas sous le coup
de la haine, mais parce que Marius ne leur avait point tendu la main ! Et comme,
dans un pareil tumulte et dans un si grand désordre, il ne songea probablement
pas toujours à la tendre ; comme il ne l'aurait pas toujours pu, suivant sa
pensée, alors même qu'il l'aurait voulu, plusieurs furent tués au hasard, sans
que leur mort importât le moins du monde à Marius. On ne peut fixer le nombre
des citoyens qui furent alors massacrés ; car cette boucherie dura cinq jours et
tout autant de nuits.
An de Rome 668.
Le fils de Marius tue un tribun du peuple ;
il en précipite un autre de la roche Tarpéienne
CCXCVIII. Pendant que les Romains
offraient des sacrifices pour l'année qui commençait et pour l'inauguration des
magistrats, suivant l'usage établi par leurs ancêtres, le fils de Marius tua
lui-même un tribun du peuple et envoya sa tête aux consuls. Il en précipita un
autre de la roche Tarpéienne, supplice qu'aucun tribun n'avait encore subi, et
il priva deux préteurs du feu et de l'eau. |