I.
Constance et Galérius reçurent le titre d’Augustes, et
partagèrent l’empire entre eux; Constance eut les Gaules, l’Italie et l’Afrique,
et Galérius l’Illyrie, l’Asie et l’Orient. Ils convinrent en même temps de
s’associer deux Césars; Constance néanmoins, content du titre d’Auguste, retint
seulement le gouvernement des Gaules, et remit à son collègue le soin de
l’Italie et de l’Afrique; cet excellent prince était esprit doux et humain
ménager de l’argent des peuples, il négligea d’enrichir le fisc, il était très
persuadé que les trésors du prince valaient mieux dans la bourse de ses sujets
que dans l’épargne. Il s’était réduit à une telle simplicité, qu’étant obligé
dans certains jours de réjouissance de régaler ses amis en plus grand nombre
qu’à l’ordinaire, il lui fallait emprunter la vaisselle d’argent, et les autres
meubles lui manquaient. Il s’acquit non seulement l’amour, mais aussi la
vénération des Gaulois, qui sous son empire n’avaient plus à craindre les
funestes ruses de Dioclétien, ni les fureurs de Maximien. Ce bon prince mourut
enfin dans l’île d’York, dans la Grande Bretagne, après treize ans de règne, et
fut déifié après sa mort.
II.
Galérius, honnête homme et grand capitaine, voyant que
Constance lui laissait gouvernement de l’Italie et de l’Afrique, créa deux
Césars. Après la mort de Constance, son fils Constantin qu’il avait eu d’un
mariage qui ne lui faisait pas d’honneur, fut élu empereur en Angleterre, et
remplit le vœu des peuples en succédant à son père. Cependant les soldats de la
garde prétorienne s’étant soulevés à Rome, donnèrent le titre d’Auguste à
Maxence, fils de Maximien Hercule, qui demeurait assez près de Rome dans un
logis public. A cette nouvelle, Maximien quitta la Lucanie, où il avait choisi
les lieux les plus délicieux pour y mener le reste de ses jours une vie privée,
et vint à Rome dans l’espérance de pouvoir reprendre la pourpre qu’il n’avait
quittée qu’à regret. Son premier soin fut d’écrire à Dioclétien, pour lui
persuader de reprendre le diadème; mais il ne put jamais lui inspirer ces
sentiments. Galérius envoya Sévère César à Rome avec une armée, pour s’opposer
aux efforts de Maxence, et calmer les gardes prétoriennes. A son arrivée, il mit
le siège devant Rome; mais il fut bientôt abandonné de ses soldats, et contraint
de se retirer dans Ravenne où il fut tué.
III.
Cet avantage accrut les forces de Maxence, et affermit son
autorité. Cependant Maximien Hercule entreprit de déposséder son fils, et fit
pour cela une harangue aux troupes, qui n’y répondirent que par des injures et
par des cris d’indignation. Ensuite, sous prétexte d’avoir été chassé par son
fils, il se retira dans les Gaules, pour se rejoindre à Constantin, son gendre,
qu’il méditait de perdre à la première occasion. Ce prince commandait dans les
Gaules, et était également aimé des soldats et du peuple. Il avait défait les
Francs et les Allemands, et avait pris leurs rois qu’il exposa aux bêtes, dans
un magnifique spectacle. Maximien voyant donc que Fausta sa fille avait
découvert son dessein à Constantin son époux, se sauva à Marseille, où il
voulait s’embarquer pour aller trouver son fils; mais il y fut arrêté, et y
souffrit un genre de mort qu’il méritait. C’était un prince porté à toutes
sortes de cruautés, sans foi, dangereux, et qui n’avait aucun sentiment
d’humanité.
IV.
Dans le même temps, Galérius donna le titre d’Auguste à
Licinius, Dace de naissance, avec lequel il était fort uni depuis longtemps, et
qui lui avait rendu de grands services dans la guerre qu’il avait faite contre
Narsès. Galérius mourut bientôt après. Ainsi la république avait alors quatre
maîtres, Constantin et Maxence, tous deux empereurs, Licinius et Maximin que
l’on connaissait peu. Mais Constantin dans la cinquième année de son empire,
excita une guerre civile contre Maxence, mit son armée en déroute en plusieurs
combats, et enfin il défit entièrement près de Pontemole ce tyran qui exerçait à
Rame toutes sortes de cruautés contre la noblesse. Ainsi Constantin demeura
maître de l’Italie. Quelque temps après, Maximin se préparant à aller combattre
Licinius, dans l’Orient, tomba malade à Tarse, où une mort inopinée lui fit
prévenir le malheur qui le menaçait.
V.
Cependant Constantin qui était un grand prince, et qui
n’oubliait rien pour venir à bout de ses vastes projets, ne voulant pas moins ne
se rendre maître de tout l’univers, déclara guerre à Licinius, malgré l’amitié
et l’alliance qui était entre eux; car Licinius avait pausé Constance, sœur de
Constantin. Il le vainquit d’abord dans la Pannonie, ensuite il surprit et le
défit près de Cibale, où il faisait de grands préparatifs de guerre. Par cette
victoire, Constantin se rendit maître de toute la Dardanie, de la Moesie, de la
Macédoine, et de plusieurs autres provinces.
VI.
Ils eurent par la suite différentes guerres l’un avec
l’autre, où la paix fut souvent faite et rompue. Maia enfin Licinius, vaincu par
mer et par terre, se rendit à la discrétion du vainqueur, dans la ville de
Nicomédie, et menant depuis une vie privée à Thessalonique où il avait été
relégué, il y fut tué contre la parole que Constantin lui avait donnée de lui
laisser la vie. L’empire Romain (ce qui jusque là n’était point encore arrivé)
se vit alors sous la puissance d’un seul empereur et de trois Césars, fils de
Constantin, lesquels commandaient dans la Gaule, dans l’Orient et dans l’Italie.
Mais Constantin enflé de ses heureux succès, cessa d’être un prince débonnaire.
Sa famille fut la première à s’en ressentir. Il fit d’abord mourir son neveu,
jeune homme sans défauts, ensuite Fausta sa femme, et enfin un grand nombre de
ses amis.
VII.
Cet empereur qui dans les commencements de son règne méritait
d’être comparé aux plus grands princes, était à peine du rang des médiocres dans
ses dernières années. Au reste, il fut doué de plusieurs belles qualités de
l’esprit et du corps, et la gloire des armes fut toujours a plus forte passion;
la fortune l’accompagna dans les combats, de sorte pourtant que son habileté y
fit autant qu’elle. Car après avoir éteint les guerres civiles, il défit les
Goths en différentes rencontres, et leur ayant enfin donné la paix, il s’acquit
l’amitié de ces barbares qui conservèrent longtemps le souvenir de ses
bienfaits. Il aima les beaux arts et appliqua fort aux belles-lettres. Jaloux de
l’amour de ses sujets, il s’efforça de le mériter par ses libéralités et par sa
douceur; froid et indifférent pour quelques-uns de ses amis, il chérissait les
autres, et ne laissait passer aucune occasion de les combler de biens et
d’honneurs.
VIII.
Il fit plusieurs lois, dont quelques-unes étaient justes,
plusieurs inutiles, et la plus grande partie sévères. Il fut le premier qui eut
ambition d’élever la ville qui portait son nom à ce degré de grandeur qui en
faisait une seconde de Rome. Enfin comme il se préparait à faire la guerre aux
Parthes qui faisaient des courses dans la Mésopotamie, il mourut près de
Nicomédie dans une hôtellerie hors de la ville, âgé de 56 ans, dont il en avait
régné 31. Sa mort fut annoncée par une comète chevelue d’une grandeur
extraordinaire, qui parut pendant quelque temps. Il mérita d’être mis au rang
des dieux.
IX.
Constantin laissa pour successeurs ses trois fils et
Dalmatius son neveu qu’il avait fait César. Celui-ci que son excellent naturel
et ses belles inclinations approchaient du mérite de son oncle, fut tué quelque
temps après par les soldats, dans une révolte où Constance son cousin n’eut
peut-être aucune part, mais qu’il n’arrêta pas. Constantin déclara la guerre à
Constans son plus jeune frère; mais s’étant imprudemment engagé dans un combat
près d’Aquilée, il y fut tué par les officiers de l’armée de Constans. Ainsi la
république n’eut plus que deux empereurs. Constans gouverna l’empire pendant
quelque temps avec assez de valeur et assez d’équité; mais sa santé étant
devenue mauvaise, comme il ne suivait plus que les pernicieux conseils de ses
favoris, il se livra à de tels excès, qu’il devint insupportable à ses peuples
et à ses soldats, et fut tué par la faction de Magnence, dans, la petite ville
d’Elne sur les frontières d’Espagne il était âgé de trente ans, dont il en avait
régné dix-sept. Ce prince s’acquit néanmoins beaucoup de gloire dans les armes
par plusieurs belles actions, et se fit craindre de ses soldats pendant toute sa
vie, sans avoir été trop cruel à leur égard.
X.
Constance éprouva les variations de la fortune; les Perses
lui firent souffrir de grandes pertes; ils lui prirent plusieurs forteresses,
assiégèrent ses villes, et taillèrent en pièces ses armées. Il ne fut jamais
heureux contre Sapor, si ce n’est qu’une fois, près de Singare, la victoire lui
était assurée, et qu’il la manqua par la brutalité de ses soldats, qui s’étant
mutinés, eurent la folie sur la fin du jour de demander à livrer bataille,
contre tontes les règles de la guerre. Après la mort de Constans, le tyran
Magnence ayant envahi l’Italie, l’Afrique et les Gaules, il s’éleva de nouveaux
troubles dans l’Illyrie, où les soldats proclamèrent empereur un certain
Vétéranion. Il était déjà fort âgé, et la longueur de ses services jointe à son
bonheur dans la guerre, lui avaient de telle sorte gagné le cœur des soldats,
qu’ils le choisirent pour leur prince, afin de conserver l’Illyrie. C’était un
homme de bien, doux, affable, et qui faisait revivre en lui les mœurs anciennes,
mais si ignorant, qu’il n’apprit à lire que dans la vieillesse, et lorsqu’il fut
empereur.
XI.
Mais Constance qui, pour venger la mort de son frère avait
excité une guerre civile, ôta l’empire à Vétéranion, qui par un procédé
extraordinaire et sans exemple, fut obligé de quitter la pourpre par le jugement
des troupes. Il y eut aussi des troubles dans Rome. Népotien, fils de la sœur le
Constantin, se mit à la tête de quelques gladiateurs pour envahir l’empire, mais
son entreprise eut une fin qui répondit à des commencements si violents; car il
fut opprimé par les troupes de Magnence le vingt-huitième jour le son élévation,
et sa tête fut portée par toute la ville au bout d’une lance. Il y eut alors
dans Rome beaucoup de proscriptions et de meurtres des personnes le plus
considérables.
XII.
Quelque temps après, Magnence fut vaincu en bataille rangée
près de Mursie, et manqua d’être pris. Cette journée coûta à l’empire la perte
de ses plus grandes forces, avec lesquelles il aurait pu faire la guerre à toute
puissance étrangère, garantir ses frontières, et multiplier ses triomphes.
Constance envoya ensuite dans l’Orient Gallus son cousin germain, après l’avoir
nommé César. Magnence toujours vaincu, se tua lui-même à Lyon après trois ans
sept mois de règne, et son frère qu’il avait envoyé en qualité de César pour
défendre les Gaules, se tua à Sens.
XIII.
Vers le même temps, Gallus César ayant abusé de son autorité
et commis plusieurs méchancetés, fut tué par l’ordre de Constance. Il était
naturellement cruel, et eut été un vrai tyran, s’il eût pu commander sans
maître. Sylvanus excita aussi quelques troubles dans les Gaules, mais ils furent
apaisés par sa mort en moins de trente jours.
XIV.
Constance qui demeura alors seul maître de tout l’empire,
envoya dans les Gaules Julien, cousin, et frère de Gallus, après lui avoir donné
le titre de César, et lui avoir fait épouser sa sœur. Les Barbares avaient déjà
pris plusieurs villes, et en assiégeaient d’autres; ils semaient partout la
désolation et la mort, et menaçaient l’empire d’une prochaine ruine. Julien avec
peu de troupes défit près de Strasbourg, ville des Gaules, les nombreuses
troupes des Allemands, prit Chonodornare, le plus illustre de leurs rois, et
remit le calme et tranquillité dans les Gaules. Il remporta ensuite plusieurs
grands avantages sur ces Barbares; il chassa les Germains au-delà du Rhin, et
rendit à l’empire sa première étendue.
XV.
Peu de temps après, les troupes Germaniques, qui étaient en
garnison dans les Gaules, et que Constance voulait rappeler, saluèrent empereur
Julien, qui partit un an après pour l’Italie, afin de s’en rendre maître, tandis
que Constance était occupé à faire la guerre aux Parthes. Sur cette nouvelle,
Constance revient pour venir combattre Julien, mais il meurt en chemin entre la
Cilicie et la Cappadoce, à quarante-cinq ans, dont il en avait régné trente
huit. On le déifia après sa mort. Il fut prince fort doux et fort paisible, mais
il ait trop ses courtisans, et se livrait trop femmes. Dans les premières années
de son règne, il fit paraître une grande retenue; fit un plaisir d’enrichir ses
amis, et ne laissait jamais sans récompense ceux dont il avait quelques
services. Mais s’il soupçonnait l’un d’eux d’aspirer à l’empire, il n’écoutait
que la vengeance. D’ailleurs ce fut un bon prince, plus malheureux dans les
guerres civiles, que dans celles qu’il eut avec les étrangers.
XVI.
Julien devenu maître de l’empire, fit de grands préparatifs
de guerre, et marcha contre les Parthes. J’eus l’honneur de servir dans cette
expédition. Il prit quelques villes et quelques forteresses aux ennemis, les
unes d’emblée, les autres par capitulation. Après avoir fait le dégât dans
l’Assyrie, il tint pendant quelque temps son armée campée devant Ctésiphonte. Il
revenait victorieux, lorsque se livrant aveuglément à son courage, il fut tué
dans une bataille, le sixième des calendes de juillet, la septième année de son
règne, et la trente et unième de son âge; on le mit au rang de dieux. Il fut un
grand prince, et eût parfaitement bien gouverné l’état, si les destins lui
eussent prolongé ses jours. Il était très savant, surtout dans la langue grecque
qu’il possédait incomparablement mieux que la langue latine. Il était très
éloquent, et avait une mémoire des plus heureuses et des plus fidèles; il tenait
un peu trop du philosophe en bien des choses ; il fut très libéral envers ses
amis mais il n’eut pas dans certaines rencontres toute l’attention que devait
avoir un grand prince. Quelques-uns même prirent de là occasion de donner
atteinte à sa gloire. Il fut très équitable l’égard des provinces, et diminua
autant qu’il le put les impôts dont elles étaient chargées; se montra affable à
tous, et eut peu de soin l’enrichir l’épargne. Sa passion pour la gloire
l’emporta souvent à de grands excès; grand persécuteur des Chrétiens, il ne
répandait pas néanmoins leur sang, à l’exemple de Marc-Antonin, qu’il
s’efforçait de copier en tout.
XVII.
Après Julien, Jovien qui servait dans les compagnies des
gardes du corps, fut proclamé empereur par les soldats qui le connaissaient
moins par son propre mérite, que par ne et la considération qu’ils avaient
toujours eue pour son père. Les affaires contre les Perses étant dans une
mauvaise situation, et l’armée manquant de vivres, Jovien perdit une ou deux
batailles et fit avec Sapor une paix nécessaire à la vérité, mais très honteuse;
car il convint de rendre non seulement ce qu’on avait pris sur les Perses, mais
encore de céder quelques provinces de l’empire, ce que Rome n’avait jamais vu
depuis onze cent dix-huit ans, où elle était fondée. Il est bien vrai que Pontus
Télésinus fit passer nos légions sous les Fourches Caudines, et que nous subîmes
le même affront des Numantins en Espagne et des Numides en Afrique, mais cela ne
coûta pas un pouce de terre à l’empire. Jovien eût été moins blâmable, si après
avoir resserré ses forces, il l’eut rompue, cette paix indigne, comme firent les
Romains dans les guerres dont je viens de parler; car ils déclarèrent tôt la
guerre aux Samnites, aux Numantins et aux Numides, et la paix que les consuls
avaient faite ne fut point ratifiée. Mais Jovien qui craignait de se faire un
concurrent en restant plus longtemps dans l’Orient, était concerné très peu sa
gloire. Il reprit donc le chemin de Constantinople, dans le dessein de passer en
Illyrie, mais il mourut subitement sur les chemins de la Galatie. Du reste ce
prince ne manquait ni de courage, ni de prudence.
XVIII.
Quelques-uns croient qu’il mourut d’une indigestion, pour
avoir trop mangé. D’autres attribuent la cause de sa mort à l’odeur qui régnait
dans sa chambre récemment plâtrée de chaux, où il était dangereux de dormir,
d’autres pensent qu’il fut victime des effets d’y avoir fait brûler trop de
charbon, en raison du grand froid. Il mourut le septième mois de son règne, le
18 avril, à trente trois ans. Il fut mis au rang des dieux par les empereurs qui
lui succédèrent, car il était juste et libéral. Tel fut l’état de l’empire
romain sous le consulat de l’empereur Jovien et de Varronien, l’année 1.119 de
la fondation de Rome, mais comme nous arrivons maintenant à des princes
illustres et vénérables, nous arrêterons ici la présente partie de notre
travail, car les événements qui restent à raconter doivent l’être dans un
meilleur style ; et si nous les omettons, ce n’est que pour leur réserver tout
notre effort littéraire.