I.
Alexandre Sévère eut pour successeur Maximin, le premier
simple soldat qui parvint à l’empire par la seule volonté de l’armée, sans aucun
sénatus-consulte, et sans être lui-même sénateur. Après d’heureux succès sur les
Germains, après avoir reçu des soldats le titre d’empereur, Maximin fut tué à
Aquilée par Pupien, et abandonné de ses légions; en même temps que lui périt son
fils encore enfant, qui avait régné avec lui trois ans et quelques jours.
II.
Il y eut ensuite trois Augustes à la fois, Pupien, Balbin et
Gordien; les deux premiers de la plus basse extraction, tandis que Gordien était
noble: car le vieux Gordien, son père, avait été proclamé empereur par les
soldats, pendant son proconsulat d’Afrique, sous le règne de Maximin. Mais,
arrivés à Rome, Pupien et Balbin furent tués dans le palais, et Gordien seul se
maintint sur le trône. Après avoir épousé, fort jeune encore, Tranquilline à
Rome, il ouvrit le temple de Janus au double visage et marcha en Orient contre
les Parthes qui déjà méditaient une invasion dans l’empire; il obtint sur eux de
prompts succès et les écrasa dans de grandes batailles. Gordien, à son retour,
périt près des frontières de l’empire romain, victime de la trahison de
Philippe, qui régna après lui. Les soldats romains lui élevèrent un monument, à
trente milles de Circessus, maintenant forteresse romaine, surveillant
l’Euphrate. Ses reliques furent ramenées à Rome et il fut mis au rang des dieux.
III.
Après le meurtre de Gordien, les deux Philippe, père et fils,
s’emparèrent de l’empire, ramenèrent l’armée sans aucun échec et revinrent de
Syrie en Italie. Sous leur règne on célébra, avec le plus riche appareil, des
jeux et des spectacles, la millième année de la fondation de Rome. Ensuite
l’armée massacra les deux empereurs: le vieux Philippe à Vérone, et le Jeune à
Rome. Ils avaient régné cinq ans; on les mit eux aussi au nombre des dieux.
IV.
Après leur mort l’empire fut occupé par Dèce, né à Budalia,
dans la basse Pannonie. Il étouffa une guerre civile soulevée dans la Gaule,
donna à son fils le titre de César, et construisit des thermes à Rome. Après un
règne de deux ans, le père et le fils furent tués tous deux dans le pays barbare
et mis au rang des dieux.
V.
Bientôt on nomma empereurs Hostilien Gallus et Volusien, son
fils. Sous leur règne, Emilien révolutionna la Mésie: ils marchèrent tous deux
pour l’accabler, mais ils furent assassinés à Interamna, sans avoir complété la
deuxième année de leur règne et sans avoir absolument rien fait dé mémorable. La
peste, les maladies et divers fléaux signalèrent seuls le règne de ces deux
princes. Émilien, de la naissance la plus obscure, fut un empereur plus obscur
encore et mourut après trois mois.
VI.
Licinius Valérie, qui commandait alors dans la Rhétie et la
Norique, fut d’abord salué empereur, puis Auguste par l’armée. A Rome, Gallien
reçut aussi du sénat le titre de César. Le règne de ces princes, funeste au nom
romain, faillit ruiner l’empire par leurs infortunes ou par leur lâcheté. Les
Germains vinrent jusqu’à Ravenne. Valérien, dans une expédition en Mésopotamie,
fut vaincu par Sapor, roi des Perses, et même bientôt après fait prisonnier, il
vieillit chez les Parthes dans une abjecte servitude. Gallien, nommé Auguste
dans sa jeunesse, eut un règne heureux d’abord, puis assez satisfaisant, et
enfin désastreux. Jeune encore il se distingua par de nombreux exploits en Gaule
et en Illyrie; il tua, près de Mursa, l’usurpateur Ingenuus et Trébellien.
Longtemps sage et modéré, il se laissa aller à tous les excès de la débauche, il
laissa se relâcher les rênes de l’empire dans sa main lâchement faible et
inactive Les Alamans ravagèrent les Gaules et pénétrèrent en Italie. La Dacie,
conquise par Trajan au-delà du Danube, fut perdue. La Grèce, la Macédoine, le
Pont, l’Asie furent dévastées par les Goths. Les Sarmates et les Quades
pillèrent et dépeuplèrent la Pannonie. Les Germains pénétrèrent jusque dans les
Espagnes et prirent d’assaut la noble ville de Tarragone. Les Parthes, maîtres
de la Mésopotamie, commencèrent à convoiter la Syrie.
VII.
Dans cette situation désespérée, où l’empire touchait presque
à sa ruine, Postumius, homme de la plus basse extraction, prit la pourpre dans
la Gaule, et régna pendant dix années avec tant de succès, qu’à force de courage
et de prudence, il sauva les provinces presque perdues sans retour: il périt
dans un soulèvement des soldats, pour leur avoir refusé le pillage de Mayence,
qui s’était révoltée contre lui, par les intrigues de Lollianus. Après Postumius,
un ouvrier des plus vils, Marius, prit la pourpre et fut tué deux jours après.
Victorin s’empara ensuite du pouvoir dans les Gaules; c’était un homme d’un
courage à toute épreuve, mais débauché l’excès et déshonorant tous les maris:
aussi fut-il assassiné à Cologne la seconde année de son règne; par la trahison
et la vengeance d’un greffier. Il eut pour successeur le sénateur Tétricus,
préfet d’Aquitaine, et que les soldats proclamèrent empereur en son absence; il
prit la pourpre à Bordeaux, et il eut à subir plusieurs séditions militaires.
Mais tandis que ces événements avaient lieu dans la Gaule, Odénath défit les
Perses en Orient, défendit la Syrie, recouvra la Mésopotamie, et pénétra jusqu’à
Ctésiphon. Ainsi l’empire, dont Gallien abandonnait les rênes, fut sauvé en
Occident par Postumius, en Orient par Odénath.
VIII.
Sur ces entrefaites, Gallien, trahi par son lieutenant
Auréolus, fut assassiné à Milan avec Valérien, son frère, la neuvième année de
son règne. Claude II lui succéda, élu par l’armée, nommé Auguste par le sénat.
Ce prince écrasa dans une grande bataille les Goths qui désolaient l’Illyrie et
la Macédoine. Il était économe et modéré, fidèle observateur de la justice et
bien fait pour gouverner l’empire mais il mourut de maladie la seconde année de
son règne; il fut mis au nombre des dieux. Le sénat paya à sa mémoire un
extraordinaire hommage, en lui décernant un bouclier d’or dans le sénat et
l’élévation d’une statue d’or au Capitole. Après lui, son frère Quintilius, élu
empereur par l’armée tout entière, fut un modèle de modération et de popularité
et sut égaler et même surpasser son frère. Le sénat aussi le proclama Auguste;
mais il fut tué le dix septième jour de son règne.
IX.
Après lui, l’empire fut gouverné par Aurélien, originaire de
la Dacie riveraine du Danube: grand capitaine mais d’un caractère violent, il
était trop enclin à la cruauté; il remporta sur les Goths les plus éclatantes
victoires, et rendit à l’empire ses anciennes limites, par les divers succès de
ses armes. Dans la Gaule, il défit, près de Chalons, Tétricus, qui lui livra
lui-même son armée, dont il ne pouvait plus supporter les continuelles
séditions: il avait même imploré. Aurélien dans des lettres secrètes, où, entre
autres supplications, il lui adressait ce vers de Virgile: Invincible
guerrier, mets un terme à mes maux.
Aurélien, dans une bataille peu importante, livrée près
d’Antioche, fit aussi prisonnière Zénobie, qui était reine d’Orient, depuis la
mort d’Odénath, son mari: de retour à Rome, il triompha comme nouveau conquérant
de l’Orient et de l’Occident; il fit marcher devant son char Tétricus et
Zénobie. Tétricus fut ensuite nommé gouverneur de la Lucanie, et vécut très
longtemps en simple particulier. Zénobie laissa à Rome une postérité qui existe
encore. Sous le règne d’Aurélien, les monnayeurs se soulevèrent à Rome, après
avoir altéré les espèces et massacré le trésorier Félicissimus. Vainqueur des
rebelles, Aurélien les traita avec la dernière rigueur; il condamna à mort
plusieurs nobles. Prince farouche et sanguinaire, plutôt nécessaire en certaines
circonstances que susceptible d’être jamais aimé, il se montra constamment cruel
et fit périr jusqu’au fils de sa sœur; mais il réforma en grande partie la
discipline militaire et la dissolution des mœurs. Il entoura Rome de murailles
plus solides et bâtit au Soleil un temple où il prodigua l’or et les pierreries.
Le ravage de toute l’Illyrie et de la Mésie lui ôtant l’espérance de pouvoir
conserver la Dacie que Trajan avait réduite en province de l’empire, au-delà du
Danube, il en fit un désert en retirant des villes et des campagnes de cette
contrée la colonie romaine, qu’il établit au centre de la Mésie; en sorte que la
Dacie se trouve maintenant sur la rive droite du Danube après avoir été
précédemment sur la rive gauche. Aurélien périt de la trahison d’un de ses
esclaves, qui contrefit l’écriture de son maître, et porta à quelques officiers
une liste où leurs noms étaient inscrits, comme si l’empereur les eût dévoués à
la mort. Ceux-ci donc, pour le prévenir, le tuèrent sur le vieux chemin d’Héraclée
à Constantinople, dans un endroit appelé Cénophrurium. Toutefois sa mort ne
resta pas sans vengeance. Il mérita aussi d’être mis au rang des dieux, après un
règne de cinq ans et six mois.
X.
Il eut pour successeur Tacite, prince accompli et digne
d’administrer l’État; mais qui n’eut pas le temps d’illustrer son règne, car la
mort le prévint dans le sixième mois de son avènement. Florien, qui vint après
lui, n’occupa le trône que deux mois et vingt jours, et ne fit rien de
mémorable.
XI.
Ensuite Probus, célèbre par ses exploits guerriers, obtint la
direction de l’empire. Après une longue suite d’heureux succès, il reprit les
Gaules occupées par les barbares. Il écrasa dans plus d’une bataille certains
généraux qui voulaient usurper le trône; ainsi Saturninus en Orient, Procule et
Bonose à Cologne. Il permit aux Gaulois et aux Pannoniens d’avoir des vignes; il
en fit planter lui-même par ses soldats, au mont Almus, près de Sirmium, et au
mont d’Or dans la haute Mésie, et il en laissa la culture aux habitants de ces
provinces. Après des guerres innombrables, jouissant enfin de la paix, Probus
dit: « Bientôt on n’aura plus besoin de soldats. » Actif, intrépide, équitable,
égal à Aurélien en gloire militaire, mais supérieur à ce prince pour les vertus
civiles, il fut cependant assassiné à Sirmium, au milieu d’une sédition des
soldats, dans la tour de fer. Il avait régné six ans et quatre mois.
XII.
Après lui, Carus, né à Narbonne dans la Gaule, fut proclamé
Auguste. Il nomma aussitôt Césars ses fils Carin et Numérien avec lesquels il
régna deux ans. Tandis qu’il faisait la guerre aux Sarmates, il apprit une
révolte des Perses; il passa en Orient, remporta sur eux de brillants succès,
les défit dans un combat, prit les villes très célèbres de Cochès et de
Ctésiphon, et vint camper au-delà du Tigre où il périt d’un coup de foudre. Son
fils Numérien, jeune homme d’un excellent naturel, qu’il avait emmené avec lui
en Perse et qu’on portait dans une litière, à cause d’une ophtalmie dont il
souffrait beaucoup, fut tué, par ruse, à l’instigation d’Aper, dont il était le
gendre. On cachait mystérieusement ce meurtre, pour qu’Aper eût le temps
d’usurper l’empire, mais l’odeur du cadavre le trahit. En effet, les soldats qui
le suivaient, frappés de ces exhalaisons fétides, tirèrent les rideaux de la
litière, et purent s’assurer de la mort de Numérien, quelques jours après
l’événement. Cependant Carin, que son père, en marchant contre les Parthes,
avait laissé, avec le titre de César, maître de l’Illyrie, de la Gaule et de
l’Italie, se souilla de tous les crimes, fit périr, sur de fausses accusations,
plus d’un innocent, déshonora les femmes des plus illustres personnages, et se
vengea même de ceux de ses condisciples qui, à l’école, lui avaient adressé la
plus légère plaisanterie. Devenu par cette conduite odieux à tout le monde, il
en subit bientôt le châtiment.
XIII.
Car l’armée, qui revenait victorieuse de la Perse, après
avoir perdu l’empereur Carus par un coup de foudre, et le César Numérien par une
trahison, donna l’empire à Dioclétien, né en Dalmatie, et d’une extraction si
obscure, que la plupart des historiens le croient fils d’un greffier, et
quelques-uns, affranchi du sénateur Anulinus. Dans sa première harangue aux
soldats, il jura qu’il était complètement étranger au meurtre de Numérien; et
voyant près de lui Aper, l’assassin du jeune prince; il le perça de son épée
devant toute l’armée. Ensuite, dans une grande bataille, livrée près de Margus,
il défit Carin, l’objet vivant de la haine et de l’exécration universelles, et
que ses troupes, plus fortes que celles de Dioclétien, trahirent ou au moins
abandonnèrent entre Viminatium et le mont d’Or: ainsi Dioclétien devint maître
de l’empire Bientôt des paysans sous le nom de Bagaudes, qu’ils donnaient à leur
parti, soulevèrent la Gaule, avec leurs chefs, Amandus et Elianus; Dioclétien
envoya pour les soumettre le César Maximilien Hercule qui défit ces campagnards
dans de légers combats et rétablit la paix dans la Gaule. A cette époque,
Carausius, qui, malgré l’extrême obscurité de sa naissance, s’était élevé aux
premiers grades et à la plus haute renommée militaire, reçut, à Boulogne, la
mission de pacifier, sur le littoral de la Belgique et de l’Armorique, la mer
qu’infestaient les Francs et les Saxons: il fit souvent prisonnier beaucoup de
barbares; mais comme il rendait pas aux habitants de ces contrées la totalité du
butin, et qu’il ne l’envoyait pas non plus aux empereurs, on le soupçonna de
laisser descendre à dessein sur ces côtes tous les pirates, pour les surprendre
à leur passage, et s’enrichir lui-même de leurs captures; sur la nouvelle que
Maximien avait ordonné sa mort, il prit la pourpre et envahit les Bretagnes.
Ainsi tout l’univers se trouvant alors troublé par la révolte de Carausius chez
les Bretons, par celle d’Achillée en Égypte, par les ravages des Quinquégentiens
en Afrique, et par la guerre de Narséus en Orient, Dioclétien éleva Maximien
Hercule, de la dignité de César à celle d’Auguste, et il nomma Césars Constance
[Chlore] et Maximien: le premier était, dit-on, petit-fils de Claude [II], par
la fille de cet empereur; Maximien Galérius était né dans la Dacie, non loin de
Sardique. Pour se les attacher encore par des liens de parenté, il fit épouser.
Théodora, belle-fille de Maximien Hercule, à Constance, qui eut d’elle dans la
suite six enfants, frères de Constantin; puis il donna en mariage à Galérius
Valéria, sa propre fille, en les forçant tous deux de répudier leur première
femme. Cependant, après d’inutiles efforts pour réduire Carausius, grand homme
de guerre, on finit par faire la paix avec lui. Sept ans après, son collègue
Allectus le tua et occupa lui-même les Bretagnes pendant trois années, après
lesquelles il fut complètement battu par Asclépiodote, préfet du prétoire.
Ainsi, après dix ans, les Bretagnes furent reconquises.
XIV.
Ainsi tout l’univers se trouvant alors troublé par la révolte
de Carausius chez les Bretons, par celle d’Achillée en Égypte, par les ravages
des Quinquégentiens en Afrique, et par la guerre de Narséus en Orient,
Dioclétien éleva Maximien Hercule, de la dignité de César à celle d’Auguste, et
il nomma Césars Constance [Chlore] et Maximien: le premier était, dit-on,
petit-fils de Claude [II], par la fille de cet empereur; Maximien Galérius était
né dans la Dacie, non loin de Sardique. Pour se les attacher encore par des
liens de parenté, il fit épouser. Théodora, belle-fille de Maximien Hercule, à
Constance, qui eut d’elle dans la suite six enfants, frères de Constantin; puis
il donna en mariage à Galérius Valéria, sa propre fille, en les forçant tous
deux de répudier leur première femme. Cependant, après d’inutiles efforts pour
réduire Carausius, grand homme de guerre, on finit par faire la paix avec lui.
Sept ans après, son collègue Allectus le tua et occupa lui-même les Bretagnes
pendant trois années, après lesquelles il fut complètement battu par
Asclépiodote, préfet du prétoire. Ainsi, après dix ans, les Bretagnes furent
reconquises.
XV.
A la même époque, le César Constance [Chlore] combattit dans
la Gaule, près de Langres, et le même jour, il eut des revers et des succès
Contraint, en effet, par une soudaine irruption des barbares, de fuir
précipitamment vers la ville, dans le désordre de sa retraite, il trouva les
portes fermées et se fit hisser avec des cordes sur les remparts ; mais ses
troupes étant arrivées moins de cinq minutes après, il extermina près de
soixante mille Allemands. De son côté, l’Auguste Maximien termina la guerre
d’Afrique par la défaite et la soumission des Quinquégentiens, Dioclétien, après
avoir assiégé Achillée dans Alexandrie, le vainquit vers le huitième mois et le
tua. Il usa cruellement de la victoire et souilla toute l’Égypte de massacres et
de sanglantes proscriptions. Toutefois, dans cette circonstance même, il prit de
sages mesures et fit beaucoup de règlements utiles qui sont encore en vigueur
aujourd’hui. Galérius Maximien livra bataille à Narséus, entre Callinique et
Carres, consultant alors son courage plutôt que la prudence, car il n’avait
qu’une poignée d’hommes à opposer à l’armée la plus nombreuse. Aussi, repoussé
par l’ennemi et se rendant près de Dioclétien, qu’il rencontra sur sa route, il
fut accueilli, dit-on, par ce prince avec tant de hauteur que, malgré la pourpre
des Césars dont il était revêtu, il fut obligé de courir l’espace de plusieurs
milles après le char de l’empereur. Bientôt cependant il rassembla des troupes
en Illyrie et en Mésie; puis dans la haute Arménie, il en vint aux mains une
seconde fois avec Narséus, aïeul d’Hormisdas et de Sapor, et le battit
entièrement. Il sut si bien joindre, dans l’occasion, la prudence au courage,
qu’il fit souvent le métier d’espion, accompagné de deux cavaliers seulement.
Après avoir mis en fuite Narsès, il pilla son camp, prit ses femmes, ses sœurs,
ses enfants, et toute la richesse qui s’y trouva; il s’empara du trésor de
l’armée, et fit reculer Narsès jusqu’aux limites qui terminent la Perse. Il
revint ensuite en triomphe trouver Dioclétien qui était pour le moment campé en
Mésopotamie avec quelques troupes. Celui-ci le reçut avec toutes les marques
d’honneur qu’il en pouvait attendre. Ils firent ensuite différentes guerres, ou
ensemble, ou séparément et ils défirent les Carpiens, les Basternes, les
Sarmates, et logèrent sur les frontières de l’empire un grand nombre de
prisonniers qu’ils firent sur ces peuples.
XVI.
Dioclétien était un prince naturellement fin; il avait
l’esprit, subtil et pénétrant; voulant satisfaire sa cruauté, et en faire
supporter l’aspect odieux par d’autres. D’ailleurs ce fut un prince habile et
laborieux. Il fut le premier qui substitua les usages des rois à ceux de la
république. Ses prédécesseurs s’étaient contentés du salut, lui voulut qu’on se
prosternât devant lui, et fit couvrir de pierreries ses habits et sa chaussure,
ne se contentant pas du manteau de pourpre qui était la seule marque de
distinction dans les empereurs, étant du reste habillés comme leurs sujets.
XVII.
Maximien était ouvertement cruel, orgueilleux, et d’un abord
difficile; son caractère était peint sur son visage; il secondait Dioclétien
dans ses violences, et ne suivait en cela que les mouvements de son cœur. Enfin
Dioclétien se sentant peu propre à gouverner l’empire plus longtemps, à cause de
son grand âge, proposa à Maximien de se retirer, et de mener une vie privée, en
laissant le soin du gouvernement à d’autres qui eussent plus de force et plus de
jeunesse. Cette proposition n’était pas tout à fait du goût de Maximien; il y
consentit néanmoins, et ils quittèrent tous deux la pourpre le même jour, et
parurent en habits de particuliers, Dioclétien à Nicomédie, et Maximien à Milan.
Ce ne fut pas sans avoir reçu dans Rome les honneurs d’un superbe triomphe, pour
les victoires qu’ils avaient remportées sur une infinité de nations; la pompe en
fut extraordinaire par les riches dépouilles qui y parurent; on y vit les
femmes, les sœurs et les enfants de Narsès marcher devant le char des
vainqueurs. L’abdication faite, ils se retirèrent, Dioclétien à Salone, et
Maximien dans la Lucanie. Le premier passa le reste de sa vie dans un honorable
repos, dans sa maison de plaisance près de Salone. La grandeur d’âme de ce
prince doit paraître d’autant plus extraordinaire, que depuis l’établissement de
l’empire, il est le seul qui de lui-même ait bien voulu descendre du faîte des
grandeurs à la simplicité d’une vie privée ; aussi fut-il déifié après sa mort.