I.
Tandis qu’on faisait en Numidie la guerre contre Jugurtha,
les consuls romains M. Manilius et Q. Cépion furent vaincus près du Rhône par
les Cimbres, les Teutons, les Tigurins et les Ambrons, peuples de la Germanie et
de la Gaule; défaite horriblement sanglante, où Cépion et Manilius, écrasés,
perdirent jusqu’à leur camp et une grande partie de leur armée. A Rome, on
éprouva une panique plus forte, pour ainsi dire, que du temps d’Annibal et de la
guerre punique; on craignit de voir de nouveau les Gaulois maîtres de la ville.
Aussi Marius, après sa victoire sur Jugurtha, fut-il nommé une seconde fois
consul, et on lui confia le soin de la guerre contre les Cimbres et les Teutons.
On lui déféra même un troisième et un quatrième consulats, parce que la guerre
des Cimbres traînait en longueur; mais, dans son quatrième consulat, on lui
donna pour collègue Q. Lutatius Catulus. Il combattit donc les Cimbres et leur
tua, dans deux batailles, deux cent mille hommes, leur fit quatre-vingt mille
prisonniers, et entre autres leur chef Teutobodus. Cet éclatant succès le fit
nommer, quoique absent, consul pour la cinquième fois. Cependant les Cimbres et
les Teutons, dont les troupes étaient encore considérables, passèrent en Italie.
C. Marius et Q. Catulus les combattirent de nouveau, mais avec plus d’avantage
du côté de Catulus; car, dans la bataille que leur livrèrent ensemble les deux
consuls, on leur tua, soit dans l’action, soit dans la fuite, cent quarante
mille hommes, et l’on en prit soixante mille. Des deux armées romaines, il ne
périt que trois cents soldats. Trente-trois drapeaux furent enlevés aux Cimbres,
deux par l’armée de Marius et trente-un par celle de Catulus. Ainsi finit cette
guerre; on décerna le triomphe aux deux généraux.
II.
Sous le consulat de Sex. Julius César et de L. Marcius
Philippus, l’an de Rome six cent cinquante-neuf, au moment où presque toutes les
autres guerres étaient terminées, la lutte la plus terrible fut suscitée en
Italie par les Picentins, les Marses et les Pélignes: ces peuples, après avoir
obéi fort longtemps aux Romains, commencèrent alors à revendiquer pour eux
l’égalité et l’indépendance. Ce fut une guerre des plus funestes. Le consul P.
Rutilius y fut tué, ainsi que le noble et jeune Cépion, et Porcius Caton,
l’autre consul. Les chefs des Picen-tins et des Marses contre les Romains furent
T. Vettius, Hierius Asinius, T. Herennius, A. Cluentius. Les Romains
remportèrent sur eux de grands avantages sous la conduite de Marius, alors
consul pour la sixième fois, de Cn. Pompée, et surtout de L. Cornelius Sylla,
qui, entre autres brillants exploits, battit complètement les troupes nombreuses
du général ennemi Cluentius et, de toute son armée, ne perdit, lui, qu’un seul
homme. Cependant cette guerre se prolongea quatre ans avec de paves
catastrophes, et ne fut terminée que la cinquième année par le consul L
Cornelius Sylla, qui d’abord, mais comme préteur, y avait fait beaucoup
d’actions d’éclat.
III.
L’an de Rome six cent soixante-deux, éclatèrent à la fois la
première guerre Civile et celle de Mithridate. C. Marius, consul pour la sixième
fois, fut l’auteur de la guerre civile. Comme on avait envoyé le consul Sylla
combattre Mithridate, qui s’était emparé de l’Asie et de l’Achaïe, et que Sylla
retenait quelque temps son armée dans la Campanie pour effacer les dernières
traces de la guerre Sociale dont nous avons parlé, et qui avait eu l’Italie pour
théâtre, Marius prétendit à être envoyé lui-même contre le roi de Pont. Sylla,
indigné, revint à Rome avec ses légions, et livra bataille à Marius et à
Sulpicius; c’était le premier Romain qui entrait armé dans Rome; il tua
Sulpicius, mit Marius eu fuite, et après avoir fait nommer consuls pour l’année
suivante Cn. Oc-tavius et L. Cornelius Cinna, il partit pour l’Asie. Or,
Mithridate, roi de Pont, maître de l’Arménie Mineure, de toutes les contrées
environnant la mer pontique et du Bosphore, voulut d’abord chasser de la
Bithynie, Nicomède, ami du peuple romain, et il avertit le sénat qu’il allait
attaquer le prince, pour se venger des outrages qu’il en avait reçus. Le sénat
lui répondit que, s’il le faisait, il aurait aussi la guerre avec Rome. Irrité
de cette réponse, Mithridate envahit aussitôt la Cappadoce, et en chassa le roi
Ariobarzane, allié du peuple romain. Bientôt même, il s’empara de la Bithynie et
de la Paphlagonie, d’où il expulsa les rois Pylémène et Nicomède, amis de Rome.
Puis il marcha sur Éphèse, et envoya dans toute l’Asie des lettres qui
ordonnaient de massacrer le même jour et partout les citoyens romains qui s’y
trouveraient. Sur ces entrefaites, Athènes elle-même, ville d’Achaïe, fut livrée
au roi par l’Athénien Ariston. Déjà Mithridate avait envoyé en Achaïe Archélaüs,
un de ses généraux, avec cent vingt mille hommes de cavalerie et d’infanterie:
Archélaüs s’empara aussi du reste de la Grèce.
IV.
Sylla l’investit près du Pirée, non loin d’Athènes, et prit
cette ville elle-même. Puis, il livra bataille à Archélaüs, et le défit si
complètement, que, de cent vingt mille hommes, il en resta à peine dix mille à
l’ennemi, tandis que les Romains perdirent seulement quatorze soldats. Instruit
de cet échec, Mithridate envoya de l’Asie à son général, soixante-dix mille
hommes d’élite. Sylla livra deux nouvelles batailles à Archélaüs. Dans la
première, il tua vingt mille ennemis et Diogène, fils d’Archélaüs; dans la
seconde, il anéantit toutes les troupes de Mithridate Archélaüs lui-même resta
trois jours caché tout nu dans des marais. A cette nouvelle, Mithridate fit
faire des propositions de paix à Sylla. Celui-ci, dans l’intervalle, défit ou
reçut à composition les Dardaniens, les Scordisques, les Dalmates et les Mésiens.
Les ambassadeurs du roi Mithridate étant venus lui demander la paix, il répondit
qu’il ne l’accorderait que si le prince abandonnait les provinces qu’il avait
envahies et s’il re-tournait dans son royaume. Cependant ils eurent tous deux
ensuite une conférence et réglèrent les questions du traité; Sylla, pressé de
regagner Rome pour soutenir la guerre civile, ne voulait point laisser de péril
derrière lui.
V.
En effet, tandis qu’il battait Mithridate en Achaïe et en
Asie, Marius, d’abord contraint de fuir, et Cornélius Cinna, l’un des consuls
recommencèrent le guerre en Italie: entrés à Rome, ils massacrèrent les plus
nobles des sénateurs, plusieurs consulaires, proscrivirent urne foule de
citoyens, renversèrent la maison de Sylla lui-même, et réduisirent à la fuite
ses enfants et sa femme. Tout le reste du sénat s’enfuit de Rome et vint en
Grèce prier Sylla de porter recours à la patrie, Sylla passa en Italie pour
faire une guerre civile aux consuls Scipion et Norbanus. Il combattit d’abord ce
dernier près de Capoue, lui tua six mille hommes, en prit autant, et ne perdit
que cent vingt-quatre des siens. Puis, il marcha contre Scipion, dont toute
l’armée se rendit à lui sans coup férir et sans effusion de sang. Mais comme il
y avait eu à Rome un changement de consuls, et que le fils de Marius et Papirius
Carbon avaient ob-tenu le consulat, Sylla combattit le jeune Marius, lui tua
quinze mille hommes, et ne perdit que quatre cents des siens; bientôt après il
entra dans Rome. Poursuivant le fils de Marius jusqu’à Préneste, il l’y assiégea
et le contraignit de se donner la mort. Il eut encore à soutenir, près la porte
Colline, une action des plus meurtrières contre Lamponius et Carmas, chefs du
parti de Marius, qui opposèrent, dit-on, à Sylla soixante-dix mille combattants
douze mille se rendirent à. lui; les autres succombèrent sur le champ de
bataille, dans leur camp, ou dans la fuite, victimes de l’insatiable colère du
vainqueur.
VI.
Cn. Carbon, l’autre consul, s’enfuit d’Ariminum en Sicile, où
il fut tué par Cn. Pompée [père du grand Pompée], jeune homme de vingt et un
ans, que Sylla, frappé de son mérite, avait mis à la tête de ses armées, en
sorte qu’il passait pour son second. Pompée, après avoir tué Carbon, reprit
d’abord la Sicile puis il passa en Afrique, où il fit périr Domitius, un des
chefs du parti de Marius, et Hierda, roi de Mauritanie qui avait soutenu
Domitius. Après ces exploits, Sylla triompha très glorieusement de Mithridate.
Cn. Pompée triompha lui-même de l’Afrique, à l’âge de vingt quatre ans, honneur
que nul Romain aussi jeune n’avait encore obtenu. Ainsi finirent deux guerres
des plus désastreuses l’Italique appelée aussi guerre Sociale, et la guerre
Civile: elles durèrent dix ans l’une et l’autre, moissonnèrent plus de cent
cinquante mille hommes, dont vingt-quatre consuls dont sept anciens préteurs,
soixante anciens édiles, et près de deux cents sénateurs.