Clovis, ou la France chrétienne
Livre deuxième |
Le prince d’autre-part, en ce cruel malheur,
Est accablé d’ennuis, et saisi de douleur.
Aurele, par des mots pleins d’innocente audace,
Pensant le consoler, le pique et l’embarrasse ;
Et d’un cuisant soucy chacun d’eux devoré,
De l’autre, en soupirant, croit l’esprit égaré.
Auberon voit l’effet de sa ruse traistresse ;
Et par les belles mains de la jeune princesse,
Leur presente des fruits, dont le goust enchanté
Peut rendre à leur discours l’ordinaire clarté.
Le roy, forçant son mal, feint une ame rassise ;
Accepte les presens ; les gouste avec franchise :
Mais son pressant ennuy, qui ne peut s’alleger,
L’estouffe, le saisit, et s’oppose au manger.
C’est assez toutefois que leur levre les touche.
Le nouveau charme esteint le charme de leur bouche.
Il veut revoir sa reyne ; et troublé de soucy,
Il ne peut la laisser, ny la chercher aussi.
Son esprit balancé ne sçait ce qu’il doit faire.
Il craint, en la suivant, d’accroistre sa colere.
Il tire à part Aurele ; et veut qu’adroit et doux
Il sçache d’elle, au moins, d’où luy naist son courroux
Contre un roy dont le ciel sçait la pure innocence ;
Qui d’elle peut souffrir tout mespris, toute offense.
L’enchanteur void sa peine ; et feignant d’ignorer
L’injurieux tourment qu’il luy fait endurer,
Laissons la s’égarer, dit-il, dans ces prairies,
Où les eaux et les fleurs flatent ses réveries.
Pour jamais l’un de l’autre il veut les écarter :
Et par divers objets il pretend l’arrester ;
Déployer à ses yeux sa superbe opulence ;
Et luy faire admirer l’éclat de sa puissance.
Ils retournent sous l’arc d’une porte à deux pans :
Puis d’un degré de jaspe ils montent les rampans.
L’œil passe en un moment par vingt portes dorées.
De mille vases d’or les chambres sont parées,
De meubles somptueux, éclatans, et divers ;
Et de cent raretez que produit l’univers.
Mais un pompeux amas de precieuses armes,
Pour les yeux de Clovis, a les plus puissans charmes.
Grand roy, dit Auberon, nous sommes mesme sang,
Issus de Clodion, ce vaillant prince franc.
Le sage roy du Mans, Rignimer fut son frere.
L’autre regne à Cambray, l’équitable Ranchaire.
S’il te naist un desir d’apprendre dans ces lieux
La source et les explois de nos braves ayeux,
Vien voir de leurs beaux faits la memoire cherie,
Peinte sur les lambris d’une ample gallerie.
Une porte d’airain s’ouvre alors en deux parts.
Le lieu vaste reçoit les avides regards.
Vers le bout éloigné, que l’œil à peine acheve,
La voûte semble basse, et le pavé s’éleve.
Le lambris qui les suit vers un but limité,
Diminuë à l’égal d’un et d’autre costé.
Là dans un beau champ d’or l’orgueilleuse sculpture
Conteste un noble prix à la docte peinture ;
Et là semblent encor paroistre sur les rangs,
Et combattre à l’envy les ancestres des francs.
Auberon hausse alors une verge d’ebeine,
Pour fixer le regard qui vague se promeine ;
Et sur le premier quadre à leurs yeux presenté,
Rend d’un charme innocent le monarque enchanté.
Icy, commence-t-il, est la prise fameuse
De cette ville antique, et noble, et malheureuse,
Que durant dix estez la valeur deffendit ;
Et qu’en peu de momens une fraude perdit.
Voyez de quel transport Junon ouvre les portes,
Rouge d’un vieux courroux, aux argives cohortes.
Et pallas d’autre-part, sur les troyens surpris,
Vange de sa beauté les sensibles mespris.
Vulcan armé de feux, suit leur colere ardente,
Jettant cent tourbillons de flame petillante.
Là d’un trident vangeur du parjure des rois,
Neptune rompt le mur qu’il bastit autrefois :
Et Jupiter perdant le soin de sa balance,
Laisse de leur fureur regner la violence.
Le grand cheval triomphe ; et la triste cité
Par son propre malheur se remplit de clarté.
Là devant tous les dieux l’insolence domine :
Et passent pour vertus le meurtre et la rapine.
Icy sont les vieillards des autels destachez :
Et là sont les enfans aux meres arrachez.
Plus loin pleure un amas de troyennes captives.
Là courent en tremblant les bandes fugitives.
Mais de la pieté voyez les grands effets.
Un fils portant son pere, est courbé sous le faix.
Venus, par cent destours, de la presse le tire ;
Et console son cœur de l’espoir d’un empire.
Dans ce tableau suivant, la ville fume encor.
Cette princesse en pleurs, est la veuve d’Hector,
Qui sauve du fer grec, dans une peine amere,
Le jeune Astyanax, sous le tombeau du pere.
Plus loin sa main conduit un enfant supposé,
Qu’elle laisse par force à l’ithaquois rusé.
On void en mesme temps sur son visage peinte
La craintive douleur, et veritable, et feinte.
Salutaire artifice, et trompeur et pieux,
Nous te devons la vie, et nous et nos ayeux.
L’inhumain aveuglé par sa propre malice,
L’entraisne, et le fait voir à la foule complice :
Et desja d’une tour il l’a precipité,
Pensant perdre le sang des grecs si redouté.
Dans le quadre suivant, cet esclave fidele
Emporte Astyanax, se haste plein de zele :
Et l’habile pinceau fait voir que dans son cœur
Regnent en mesme temps et la joye et la peur.
Plus loin, des paphlagons la belle et triste reyne,
Pleurant encor la mort de son cher Pylemene,
Qui tomba sous le fer d’Achille triomphant,
Reçoit le gage heureux, baise le noble enfant,
L’offre à son fils Sicambre ; et d’une aspre vangeance
Desja roule en son cœur la flateuse esperance.
Les princes sont dressez aux combas hazardeux,
Tous deux d’aage pareil, tirans leur sang tous deux
De l’antique Agenor, pere du Roy Phinée,
Dont la fille Olizone à Dardan fut donnée.
Le fils de Pylemene eut pour tige Agenor :
Et du sang de Dardan sortoit le fils d’Hector ;
Qui redoutant les grecs, dont la haine perfide
Du rejetton d’Hector croyoit estre homicide,
Avoit dés son printemps, sans éclat et sans rang,
Du nom de Francion couvert son noble sang.
Voyons l’autre peinture. Icy sont ramassées
Des troyens fugitifs les troupes dispersées,
Qui rejoignent leur roy, desja robuste et grand.
Sicambre son amy par la dextre le prend ;
Luy fait voir trente nefs à la rade flotantes ;
Sur le bord, un monceau d’armes estincellantes :
Le necessaire amas et de vins et de blez ;
Et les restes de Troye en un tas assemblez.
Le prince vers la mer tourne sa fiere teste,
Et d’un nouveau climat medite la conqueste.
Les uns dans les esquifs et legers et nombreux,
Portent d’un soin actif leurs biens sauvez des feux,
Vont et revont cent fois, et commettent aux ondes,
Pleins d’un ardent espoir, leurs ames vagabondes.
Les taureaux, de festons sont ornez à l’écart,
Pour le grand sacrifice, augure du depart.
Le prestre monstre en l’air un bataillon de gruës,
Qui leur tracent la voye, en criant dans les nuës,
Qui volent de l’aurore au repos du soleil.
Francion des grands dieux adore le conseil.
Dans le suivant tableau, son fer tranche le cable.
Sa voile s’abandonne au vulturne agreable.
Sicambre sur le bord redouble ses adieux ;
Luy tend les bras encore ; et loin le suit des yeux.
Dé-ja le port s’éloigne, et les rives desertes.
Les troyens animez fendent les ondes vertes ;
Se dressent d’un accord sur les longs avirons.
L’onde qui se rebelle, écume aux environs.
La prouë au front d’airain, des flots brise l’audace ;
Et la poupe en courant laisse une longue trace.
Icy se void dépeint le dangereux abbord ;
Et le barbare armé pour deffendre le bord,
Où par sept grands canaux d’une embouchure large,
Le Danube orgueilleux dans l’Euxin se décharge.
Dé-ja le vaillant roy de sa nef s’est lancé ;
Et sa pique a dé-ja ce grand chef renversé,
Qui deteste des cieux l’ordonnance fatale ;
Et mord en expirant la poussiere natale.
Les troyens rougissans d’un exemple si beau,
Preferent à la honte un honneste tombeau.
Les uns sautent au bord, pleins d’un ardent courage.
D’autres plus éloignez s’élancent à la nage.
Mille barbares traits siflent de toutes parts.
On void voler aux nefs les cailloux et les dards.
Plusieurs trouvent dans l’eau la mort precipitée,
Avant que d’avoir joint la terre souhaitée.
Francion secouru frape, poursuit, abbat ;
Et la rive gagnée est le fruit du combat.
Voyez qu’il est modeste au milieu de sa gloire.
Il semble moins que tous émeû de sa victoire.
Voicy la neuve Troye establie en ce bord.
Voyez ces amples murs, ces ponts, ce large port.
Voyez ces grandes tours non encore achevées ;
Et ces autres dé-ja dans les airs élevées.
Là le maistre architecte, en fronçant le sourcy,
D’un temple à cent piliers monstre un plan racourcy.
Dans le mesme rouleau, monte en lignes tracées,
Le pourpris exhaussé, les colonnes dressées,
Et la voûte, et le dome au front audacieux,
Portant superbement sa pointe dans les cieux.
La scie aux dents d’acier, long suplice des arbres,
Icy tranche un grand chesne, et là coupe les marbres.
Là se taille la pierre, icy fume la chaux.
Là sont dressez en l’air les hardis échaffaux.
Icy se perd aux yeux l’orgueilleuse machine,
Haute sur les palais, et des astres voisine.
Là monte un marbre lourd, sur la teste pendant.
Le noble Francion haste l’ouvrage ardent :
Et fondant la cité, qui tient lieu de patrie,
Du nom du prince amy, la nomme Sicambrie.
Leurs braves descendans, par leurs faits renommez,
Et sicambres et francs depuis furent nommez ;
Et bornerent long-temps, par leurs fortes limites,
Et l’estat des romains, et les courses des scythes.
Par cent et cent combas, par dix siecles entiers,
Le franc fut la barriere à deux peuples guerriers.
Mais il devient nombreux malgré ces longues guerres ;
Et la foule moins riche aspire à d’autres terres.
Sunnon, prince des francs, consulte icy les dieux.
L’oracle luy respond : abandonnez ces lieux.
Assez, nobles françois, vostre vaillance rare
A couvert les romains des assauts du barbare.
Les dieux sont irritez ; et de cent empereurs
Sur Rome vont punir l’orgueil et les fureurs.
Evitez ces torrens de scythes et de getes,
Par qui le ciel rendra leurs provinces sujetes.
Assez, superbe Rome, ont regné tes destins.
François, laissez perir l’empire des latins.
Des peuples qui de Rome étouferont la gloire,
Les dieux à vos neveux reservent la victoire.
Sunnon tourne son camp vers les rudes germains,
Que n’avoient peu jamais asservir les romains.
Dans ces quatre tableaux, est le sanglant passage
Des bouches du Danube au baltique rivage.
Et l’on y void les francs, d’un peuple furieux
Tousjours environnez, tousjours victorieux.
Une troupe en passant, de son corps desunie,
S’arreste, et de son nom forme la franconie.
Le reste aimant à vivre en un sejour marin,
Monte où dans l’ocean se dégorge le Rhein.
Voyez dans ce tableau les brulans sacrifices
Que les francs réjoüis rendent aux dieux propices.
Les taureaux égorgez versent le sang fumeux.
Le pontife connoist le succés de leurs vœux ;
Et desja leur promet, consultant les entrailles,
Un empire plus noble, acquis par cent batailles.
Icy l’ouvrier a peint Marcomir le vaillant,
Qui poussant des françois le courage boüillant,
Digne de ses ayeux, pres des murs de Mayence,
De l’empereur Maxime attaque la puissance :
Abbat le fier orgueil des fortes legions :
S’ouvre un large passage à d’autres regions :
Emporte en peu de mois, d’une ardeur valeureuse,
Les païs enfermez du Rhein et de la Meuse ;
Et de l’estat promis par la fatalité,
Ouvre enfin la barriere à sa posterité.
Le sage Pharamond dans cette autre peinture,
Dicte d’heureuses loix à sa race future :
Et fondant leur grandeur sur la force des rois,
Bannit le sexe doux du sceptre des françois.
Sous ses chefs aguerris la jeunesse s’appreste,
Qui va de l’ample Gaule entamer la conqueste ;
Et par sa vive ardeur tout peril surmontant,
Dompter Treves l’antique, et le Liege inconstant.
Voicy ce Clodion, de nos peres la souche.
Voyez ces longs cheveux, cet œil noble et farouche.
Il anime un assaut ; et de ses beliers durs
Renverse de Cambray les redoutables murs.
Il conquit par des faits de memoire immortelle,
Et les bords de la Somme, et ceux de la Moselle,
Et la vaste Champagne, où pour loger le franc,
Et pour renouveller la gloire de son sang,
Dans les fertiles champs où la Seine tournoye,
Il bastit les grands murs d’une seconde Troye.
Meroüée et Flambert, ses deux illustres fils,
Partagerent les champs des peuples déconfis.
Flambert nomma la Flandre, où sa race domine.
L’aisné fut ton ayeul, l’autre est mon origine.
Voyez ces deux tableaux, d’un labeur excellent :
L’un de l’horrible nuit, l’autre du jour sanglant,
Où se vid, par l’effort du brave Meroüée,
D’Attila l’orgueilleux la puissance échoüée.
Voyez de quelle ardeur francs, visigots, romains,
Heurtent huns, ostrogots, gepides, et germains.
Mais du choc de la nuit d’effroyable memoire,
Les françois eurent seuls la fortune et la gloire.
Voyez l’amas confus d’hommes et de chevaux,
Que moissonne la mort, de sa tranchante faux.
La presse esteint Thierry le valeureux monarque.
La vertu dans ce trouble à peine se remarque.
Voila sous Childeric les françois aguerris,
Qui surmontent d’assaut les ramparts de Paris,
Paris, jadis connu sous le nom de Lutece.
Mais ce prince, joignant l’amour à sa proüesse,
Luy fit porter le nom de l’un de ses ayeux,
Qui brula comme luy de feux audacieux.
Voy cette ample cité, de qui l’assiete aspire
A l’honneur de servir de trône à ton empire.
Icy le peintre exact, de la Seine au long cours
A peint dans ces beaux champs les tortueux destours.
Le fleuve, en les baignant, lentement se promeine,
Les baise, les rebaise, et les quitte avec peine.
Childeric, en ce quadre, aux peuples estrangers
Ravit les murs conquis d’Orleans et d’Angers.
Voyez dans le lointain, sur les sanglantes rives,
Des orgueilleux saxons les troupes fugitives :
Et que les coups legers d’un labeur delicat,
Ont peint en peu d’espace un horrible combat.
Dans ces quadres restans, encor vuides d’histoires,
Magnanime Clovis, se peindront tes victoires ;
Si d’un solide esprit, tousjours sage et pieux,
Tu gardes saintement le culte des grands dieux,
Qui par un si long cours d’une faveur constante,
Ont comblé de grandeurs nostre race vaillante.
Les noms de tant d’ayeux, leur sort, et leur valeur,
Avoient du grand Clovis endormy la douleur.
Une force muëtte, emprainte dans l’ouvrage,
De piquans aiguillons animoit son courage :
Et desja son esprit, jaloux de leurs grands faits,
Pense à les surpasser dans ses vastes souhaits.
Mais Clotilde en son cœur tousjours regne puissante.
Rien ne charme son mal : il réve, il se tourmente
D’estre long-temps loing d’elle en ces lieux écartez.
Il n’ose aussi paroistre à ses yeux irritez.
Auberon void son ame en ces pensers flotante ;
Veut que dans ce moment sa richesse le tente ;
Et conduisant ses pas par d’obliques destours,
Luy montre ses tresors cachez dans quatre tours :
Fait briller à ses yeux, d’une prudente adresse,
Parmy l’éclat de l’or, l’éclat de la princesse ;
Et se jugeant puissant par ce double secours,
Tasche à vaincre Clovis, et luy tient ce discours.
Grand espoir des françois, et leur gloire future,
Tu vois que pour moy seul semble agir la nature :
Qu’elle suit mes desirs ; et fait tous ses efforts
Pour enrichir ces lieux de ses plus beaux tresors.
Apprens que si tu joins ma fortune à la tienne,
Il faut qu’en peu de temps l’univers t’appartienne.
Mais à nostre seul sang cét honneur est promis.
Ne mesle point ta race au sang des ennemis.
Prens ma fille et mes biens : ta vertu te les donne.
Le ciel, du monde entier t’accorde la couronne.
Le prince de cette offre et surpris et confus,
N’ose faire éclater un sensible refus.
Albione rougit, tient la paupiere basse.
(et le rouge et la honte augmenterent sa grace)
Forme des vœux secrets dans son douteux soucy ;
Puis entend que Clovis sage respond ainsi.
Un rigoureux ennuy, qui me presse et m’accable,
Me rend d’amour, d’espoir, de conseil incapable.
La princesse merite un cœur franc de malheurs ;
Et ne veut pas regner où regnent les douleurs.
Ceux qui sont refusez, et celuy qui refuse,
Sentent tous sur leur front une rougeur confuse.
Auberon, d’un œil feint couvre un aspre courroux.
Albione en son cœur sent un dépit jaloux :
Et le roy, dont l’amour tant d’embusches surmonte,
Les remplit à regret de colere et de honte.
Dans l’honneste refus, l’enchanteur connoissant
Que son feu pour Clotilde est encore puissant :
Que pour elle sans cesse en secret il soûpire :
Qu’il resiste pour elle à l’espoir d’un empire :
Luy fascine la veuë ; et sur le prochain mont,
En armes luy fait voir le prince Sigismond,
Fils du fier Gondebaut, enlevant la princesse,
Qui contente le suit, l’embrasse et le caresse.
Clovis de cette veuë émeû, rouge, et surpris,
De colere, d’amour, de jalousie espris,
Laisse Auberon, descend, et court remply de rage,
Meditant la vangeance en son ardent courage :
Trouve Aurele en la court, dont les tristes regards,
Et les pas empressez errent de toutes parts.
Par les bois, par les prez, dit-il, je l’ai cherchée.
Mais sans doute à ma veuë un demon l’a cachée.
Ah ! Ne la cherche plus : on l’enleve à mes yeux,
Respond le prince émeû : mais sortons de ces lieux.
Suivons ce ravisseur, dont l’ame fiere et vaine
Pretend impunément triompher de ma peine.
Comme dans les vallons du solitaire atlas,
La lionne, au retour de son sanglant repas,
Void son fan que dérobe une brigade more ;
Desja par le desir dans son cœur les devore :
Vole au mépris du nombre, et des traits, et des dards :
Les attaque de loin du feu de ses regards :
D’un fier rugissement en fureur les menace ;
Et s’irrite en courant pour punir leur audace.
Tel sur son grand coursier le prince s’est lancé.
Il laisse le palais ; il court à chef baissé.
Ses talons du cheval animent la vistesse.
Son favory le suit, accablé de tristesse.
Tous deux cherchent les pas de ces fantosmes vains ;
Battent un lieu cent fois, et vaguent incertains.
Clovis perdant l’espoir arreste enfin sa course,
Alors qu’à ses regards, pres d’une pure source,
Sur le bord d’un ruisseau de fresnes ombragé,
Une nymphe paroist, dont le bras engagé
Soustient le noble faix de sa teste superbe,
Et dont l’aimable corps mollement presse l’herbe.
Un doux vent fait voler ses plus libres cheveux.
Ses beaux pieds sont serrez d’un coturne à cent nœuds.
Son espieu sur les fleurs prés d’elle se repose.
Sa fierté se dément par sa bouche de rose.
Trois nymphes à l’écart, le carquois sur le dos,
Sur la rive plus basse imitent son repos.
De chiens, chacune tient une lesse vaillante.
L’un dort, l’autre s’estend, l’autre boit l’eau coulante.
Un sanglier aux longs poils, aux écumeuses dents,
Semble dormir en paix prés des limiers ardents :
Mais la rougeur du sang qui soüille la verdure,
Fait reconnoistre assez sa funeste avanture.
Telle est peinte Diane, alors qu’en son repos,
Sous les chesnes fueillus des forests de Delos,
Apres ses doux travaux, sur l’herbe elle respire ;
Et levant son beau chef, l’abandonne au zephire.
Là sont chevreüils, chiens, cerfs, et des nymphes les chœurs,
Pesle-mesle couchez, et vaincus, et vainqueurs.
Clovis, en surmontant sa profonde tristesse,
Qui que tu sois, dit-il, soit nymphe, soit deesse,
Favorable aux mortels de douleur consumez,
N’as-tu point veû courir dix bourguignons armez ?
Elle dresse son chef, d’une façon hautaine.
Sur le noble guerrier son regard se promeine.
Puis elle abbaisse l’œil, se leve avec froideur ;
Se tient muëtte un temps, d’orgueil ou de pudeur.
A peine pour ces mots ses levres sont ouvertes :
Nul passant n’a paru dans ces forests desertes.
Puis elle se destourne, avare de sa voix.
Dédaigneuse elle laisse et Clovis, et le bois :
S’en va d’un ferme pas, et sa suite apres elle.
Le roy triste et confus demeure avec Aurele,
Abandonné d’espoir, de conseil, de secours,
Du fruit de ses travaux, du prix de ses amours.
Il retourne aux vallons : il court toute la plaine :
Et des chevaux ardens il prodigue la peine :
Interroge passans, bergers, et laboureurs.
Puis tout espoir le quitte, et fait place aux fureurs.
La vangeance luy reste ; et son ame enflammée
Luy fait tourner enfin les pas vers son armée,
Qu’à Langres il laissa, quand de deux rois vainqueur,
Et vaincu par l’amour qui bruloit dans son cœur,
Pour contenter ses yeux, il vola jusqu’au Rhône.
Il cherche un bois espais, aux rives de la Saône,
Où d’un pont et du fleuve un grand bourg est nommé.
Là dans un creux vallon, de buissons enfermé,
L’attend un de ses chefs, et sa troupe secrete,
Qui devoit au retour asseurer sa retraite.
Cependant Albione, amante sans amant,
Malgré son fier dépit, cherissant son tourment,
Void que ce roy qu’elle ayme, en un peril s’engage,
Où le nombre inégal doit dompter son courage.
Elle court en sa chambre ; et pour le secourir,
S’arme, et dans ce danger fait gloire de mourir.
Ses armes estoient d’or à bandes argentées.
Sur son casque flotoient cent plumes agitées.
Desja sur un coursier elle monte d’un saut :
Desja dans les forests medite un fier assaut ;
Des deux ardens guerriers bat et rebat les traces,
Et les sentiers connus par ses frequentes chasses.
Puis à ses yeux paroist la princesse Yoland,
Qui descendoit des monts, d’un pas superbe et lent,
De levriers heletans, et de nymphes suivie ;
Et du plaisir des bois pour ce jour assouvie.
Ma sœur, dit Yoland, quel danger, quel soucy,
T’oblige d’estre armée, et de courir ainsi ?
Albione rougit ; et sa rougeur confesse
Qu’une honte est meslée à l’ennuy qui la presse.
Elle n’ose parler d’un prince qui la fuit.
Elle n’ose parler d’un prince qu’elle suit.
Toutefois elle avouë à sa sœur bien aimée,
Que Clovis par ces monts suit une troupe armée,
Sur eux voulant vanger un rapt injurieux :
Qu’elle alloit au secours d’un roy si glorieux.
N’agueres, dit sa sœur, j’ay veû ce prince illustre :
Au moins un qui n’attaint que son cinquiesme lustre,
D’un port superbe et doux, d’un auguste regard,
Et qui presse un coursier à poil de leopard.
Il court, et des brigands il a perdu la piste.
C’est luy, dit Albione et rougissante et triste.
Lors un nuage espais s’approche de leurs yeux,
(du magique sçavoir effect prodigieux)
Volant à fleur de terre, ainsi que sur les ondes
S’éleve une vapeur qui s’enfle à bosses rondes,
Lors que l’astre du jour, par l’ardeur de ses rais,
Tire l’humeur d’un fleuve, et la boit à longs traits.
Le nuage rouloit d’une course legere.
Il s’ouvre ; et l’enchanteur, d’un visage severe,
Paroist prés d’Albione, et par un feint courroux,
Luy dit ; je suy vos pas, ma fille, où courez-vous ?
J’approuve vostre amour, et blâme vostre fuite,
Sans moy, sans mes conseils, sans compagne et sans suite.
La princesse rougit ; baisse l’œil et le front ;
Et sa guerriere audace à ces mots se confond.
Sa sœur, pour son secours, prend ainsi la parole.
Est-ce là ce grand roy dont par tout le bruit vole ?
Je brule du desir d’apprendre ses explois ;
Et quels peuples sa force a rangez sous ses loix ;
Et de sçavoir encor le sort de ses ancestres ;
Quel succés de la Seine enfin les rendit maistres ;
Les plus rares combats de ces grands conquerans ;
De vostre sang la source, et de vos differends.
Le prince qui ne tend qu’à les remplir de flames,
S’accorde à contenter leurs curieuses ames ;
Et promet de leur dire, avant la fin du jour,
De merveilleux effets et de guerre et d’amour.
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