Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Clovis, ou la France chrétienne

Livre vingt-quatrième

 

La nuit qui fit son cours avant ce jour fameux,
Pour commencer la pompe alluma tous ses feux.
Et la lune, aux apprests fournissant sa lumiere,
Parut en leur faveur plus lente en sa carriere.
Chacun dans le travail monstre une mesme ardeur :
Et le monarque pense à preparer son cœur.
Pour luy, sa sainte epouse à son dieu se presente.
L’amour rend sa priere encore plus ardente,
Et luy fait reclamer la vierge à son secours,
Voyant luire dé-ja le plus grand de ses jours,
Qui selon ses desirs couronnant sa souffrance,
Devoit ouvrir le ciel aux monarques de France.
Du grand areopage elle implore les soins,
Tant de fois éprouvez en ses pressans besoins ;
Et des saints bien-heureux le glorieux suffrage,
Pour obtenir la fin de ce divin ouvrage.
Aurele, avant le jour, en terre prosterné,
Apperçoit un vieillard, de rayons couronné,
Le stilite affranchy des miseres humaines,
Qui luy dit que ce jour va consoler leurs peines.
Remy, Vaast, Severin, et cent prestres pieux,
Tous d’une mesme ardeur, sollicitent les cieux.
Esprit, qui presidois à cette auguste feste,
Où ce grand conquerant fut ta noble conqueste,
Mets ta grace en mon ame, et ta force en mes vers,
Afin que ton triomphe éclate en l’univers.
Dé-ja, pour l’éclairer, le soleil se prepare :
De ses plus beaux rayons vers l’aurore il se pare.
Et dé-ja du palais, le grand monarque franc ;
A l’envy lumineux, sort en long manteau blanc,
Semé de lis d’argent, doublé de pure hermine,
Porté par six enfans de royale origine.
Son chef majestueux à l’entour est lié
D’un diadême blanc, de crespe délié,
D’où tombent ses cheveux, à boucles negligées,
Que sans les soins de l’art, la nature a rangées.
Le duc couvert d’argent, d’une grave fierté,
Porte en main la couronne, et marche à son costé.
Lisois vestu de mesme, et d’une grace aimable,
Tient de l’autre costé le sceptre redoutable.
La suite, en longue file, éclate en habits blancs,
Et d’un superbe pas, selon l’ordre des rangs,
S’avance lentement, les princesses, les princes,
Les puissans gouverneurs des plus grandes provinces,
Tous en longs manteaux blancs, et d’argent recouverts.
Comme au lever du jour, dans les rudes hyvers,
Lors que le sombre ciel fait tomber dans les plaines
L’éclatante blancheur de ses volantes laines ;
On void par les chemins tout passant, tout berger,
Couverts également de cet argent leger.
Ainsi va le monarque, et sa troupe de mesme
Porte, en l’accompagnant, la couleur du baptesme.
La reine suit Clovis, d’un air victorieux,
Ayant acquis au ciel cet espoux glorieux,
Et d’un pas triomphant, dans une sainte joye,
Marche en robbe à longs plis, sur qui l’argent ondoye.
Pour son second trophée, elle mesme conduit
Berthe, à qui de la foy le nouvel astre luit,
Que par ses saints discours son grand zele a conquise,
Et par qui les germains vont s’unir à l’eglise.
Leurs manteaux sont pareils, dont le bord est porté
Par de nobles enfans, d’une rare beauté.
Les sœurs du roy suivoient, d’une parure égale :
Puis la noble Lucille, et la belle Vandale.
Les francs radoucissant la fierté de leurs yeux,
S’avancent, à l’envy détestant les faux dieux.
Ils font paroistre une ame et genereuse et franche :
Et monstrent leur candeur, par leur écharpe blanche.
Clovis arrive au temple, en ce pompeux éclat,
Où l’attend sur le seüil le celebre prelat,
En chape, et mitre d’or, d’escarboucles semée,
Dans une grace auguste, et de zele animée.
Le sage evesque Vaast, paroist à son costé ;
De l’autre, Severin, pareil en sainteté,
Richement revestus de chapes et de mitres,
Avec la croce d’or, pour marque de leurs titres.
Le prince s’arrestant, fait voir en cet abbord
Et son ame soumise, et son superbe port.
Levant les yeux au ciel, il s’offre au dieu suprême ;
Puis au pontife saint demande le baptesme.
Remy tendant les bras, viens, dit-il, ô ! Mon fils.
De ton ardente foy viens recevoir le prix.
Puis de sa main où luit l’émeraude éclatante,
Le conduit, d’un air grave, et d’une ame contente.
Tous entrent dans la nef, où soudain les regards
Sont frapez par les feux brillans de toutes parts.
Mille lampes d’argent de la voute pendantes,
Mille chandeliers d’or, à dix branches ardentes,
Et sur chaque pilier, cent bras d’or à l’entour,
A l’envy du soleil, répandent un beau jour.
En haut, on void paroistre une vaste couronne,
D’un cercle de clartez qui la voute environne.
Sur le cristal du temple, un long tapis descend,
Qui bannit les rayons du grand astre naissant.
La cire tout à coup semble mieux allumée.
Et de tant de flambeaux la meche parfumée,
Par tout où se répand sa brillante splendeur,
Répand en mesme temps une agreable odeur.
La soye où l’or se joint tapisse les murailles,
Pleine d’antiques faits, et de saintes batailles.
Le temple retentit de chants melodieux.
Par tout sont épanchez des baumes precieux.
Tous les sens sont charmez de pieux artifices :
Et les cœurs des françois nagent dans les delices.
Dé-ja devant la croix le grand prince à genoux,
D’un cœur humble et devot, frape son sein de coups.
Puis il conduit sa troupe à l’égal avancée,
Au centre de la nef où la cuve est placée,
Sur un large theatre, élevé par degrez,
Que montent avec luy les pontifes sacrez.
Les princesses, les chefs, tout s’y place, et s’y presse.
Autour en rangs confus s’épand la foule épaisse,
Qui fait oüir par tout un bruit tumultueux :
Comme de l’ocean les flots impetueux,
Se poussent l’un sur l’autre, et cherchent le rivage,
Fuyant des aquilons l’imperieuse rage.
Le bruit cesse : et le roy, d’une humble gravité,
Où le respect se mesle avec la majesté,
Se presente au prelat, qui brillant de lumiere,
Soudain addresse au ciel son ardente priere.
Il contemple Clovis d’un regard radoucy :
Puis éleve sa voix, et l’interroge ainsi.
Crois-tu le createur de la terre et de l’onde,
Le pere tout puissant, le souverain du monde ?
Crois-tu, d’une foy vive, en son fils Jesus-Christ,
Né du sein virginal, conceû du Saint Esprit,
Qui mourut sur la croix, fut mis en sepulture,
Et ranimant son corps, estonna la nature ?
Depuis aux yeux mortels s’offrit en ces bas lieux ;
Et d’un vol triomphant s’emporta dans les cieux ?
Crois-tu le saint esprit, l’eglise universelle,
De tous les saints épars l’alliance fidelle,
Le pardon des péchez, et le réveil des morts,
Et la gloire sans fin des ames et des corps ?
Je le croy, dit le prince, et renonce aux idoles.
Le pontife content, adjouste ces paroles.
Courbe toy, doux Sicambre ; au vray dieu sois soûmis :
Et garde ta fierté contre ses ennemis.
Brise et marbre et metal que tes mains encensérent :
Restablis les autels que les francs renversérent.
Adore le seul dieu qui t’a fait triomphant,
Qui t’arrache aux demons, qui te fait son enfant,
Qui te promet au ciel d’immortelles couronnes.
Puis il luy verse l’onde, au nom des trois personnes.
Le peuple émeû de joye, épand en mesme temps
Et des larmes de joye, et des cris éclatans.
Et de chants et de bruits les voutes sont attaintes.
Cependant le prelat attend les huiles saintes.
Un diacre les porte, et fait un vain effort.
La foule impenetrable empesche son abbord.
Du pontife sacré la douce impatience,
Des mains et de la voix veut en vain qu’il s’avance.
Nul ne peut diviser, par la force des bras,
De tant de corps pressez l’immobile ramas.
Le prince humble, à genoux, languissoit dans l’attente,
Alors qu’une clarté paroist plus éclatante ;
Esteint tous autres feux par sa vive splendeur ;
Et répand dans le temple une divine odeur.
Dans un air lumineux une colombe vole,
En son bec de coral tenant une fiole.
Elle apporte au prelat ce vase precieux,
Plein d’un baume sacré, rare present des cieux.
Du miracle estonnant, la chrestienne assemblée
Tout à coup est émeüe, et saintement troublée.
Tous, dans leur sainte joye et müets et surpris,
Regardent à genoux ce don de si grand prix.
Le saint à peine croit ce qu’il void, ce qu’il touche.
La merveille a fermé son éloquente bouche.
La colombe s’envole, et se dérobe aux yeux.
Remy, dans un transport inspiré par les cieux,
O ! Prince heureux, dit-il, ce saint oyseau de mesme,
De Christ vind au Jourdain honorer le baptesme.
O ! Le plus cher à Dieu des rois de l’univers,
En toy sont accomplis ces prophetiques vers
Du pseaume renommé, qu’un titre memorable
A marqué pour les lis dans le livre adorable :
Et qui semble chanter tes graces, tes vertus,
Et tes fiers ennemis sous ta force abbatus.
Ton cœur, dit ce prophete, a chery la justice ;
A toûjours detesté la fraude et la malice.
Aussi le tout-puissant, de toy fait l’heureux choix,
Te sacre de son huile, et te fait roy des rois.
Dieu te prend pour l’aisné des fils de son eglise ;
Et tu dois des tyrans garantir sa franchise.
Alors il oint le roy, de ce baume divin,
Dont les goutes sans prix, et qui seront sans fin,
Sont de sacrez témoins, et d’éternelles marques,
Que Dieu, pour ses chers fils, a choisi nos monarques.
Clovis adore encor le rare don des cieux,
Sur qui, d’un cœur devot, tous attachent leurs yeux.
La reine s’en approche, et le baise, et l’admire :
De zele transporteé, à regret s’en retire.
Les princesses, de rang, l’honorent à leur tour ;
Luy donnent des baisers de respect et d’amour.
Batilde avec son fils au prelat se presente,
Implorant le secours de cette huile puissante.
Sur luy, dit-il, la grace éclatera demain.
Tu le verras guery par une illustre main.
Puis il ravit aux yeux cette celeste ampoulle,
Pour borner les transports de la pressante foule.
Tous repriment à peine et leurs voix et leurs vœux.
Berthe s’avance alors vers le lavoir heureux.
Le prelat satisfait sur les saintes demandes,
L’arrose, et la reçoit dans les chrestiennes bandes.
Apres elle, paroist le genereux Lisois,
Monstrant un saint exemple aux gendarmes françois.
Si tost qu’il a receû l’eau qui répand la grace,
Son monarque l’appelle, et tendrement l’embrasse.
Dieu t’a fait de grands biens ; je veux t’en faire aussi.
Je te fay, luy dit-il, duc du Mont-Morancy.
Et je t’en veux encore augmenter le domaine,
Y joignant tous les bourgs du val et de la plaine.
Il rend grace à son roy, d’un cœur reconnoissant.
Ce grand don plaist à tous ; et chacun le ressent :
Tant la rare vertu, par cent faits renommée,
Au mépris de l’envie, est cherement aimée.
Alors par tous les francs son exemple est suivy.
Tous vers les saintes eaux s’avancent à l’envy.
Clovis void que Remy perd la force et l’haleine :
Et veut que Vaast s’approche, et succede à sa peine.
Severin le soulage : et tous deux à la fois
Versent l’eau salutaire aux gendarmes françois.
Cependant le grand roy de la presse le tire ;
Et veut que sur un siege à l’écart il respire.
Puisque le ciel, dit-il, nous donne ce loisir,
Tu pourras contenter mon curieux desir.
De ces riches tissus conte moy les histoires ;
Et quels illustres chefs ont gagné ces victoires.
Dieu seul, luy répond-il, triomphe en ces combas :
Et sa force a paru mille fois icy bas,
Où les siens reclamant ses faveurs secourables,
Ont dompté par la foy des troupes indomptables.
Sur le nombre il fait voir ce que sa force peut.
Car celuy qui fait tout, deffait tout quand il veut.
Et qui met son espoir en la bonté supréme,
A soudain dans ses mains la force de Dieu mesme.
Tu dois bien, ô grand roy, reconnoistre en ton cœur,
Que par ta seule foy luy seul t’a fait vainqueur.
Voicy donc de la foy la premiere victoire.
C’est le fameux combat, qui courronna de gloire
Le fidele Abraham, le pere des croyans.
A l’envy de son fer, voy ses yeux flamboyans.
Avec trois cens guerriers, aux ombreuses vallées,
Il rompt, de quatre rois les forces assemblées :
Fait sentir sa fureur au dos des fugitifs ;
Et delivre cinq rois, et vaincus et captifs.
Icy, dans l’ocean, la divine vangeance
Du cruel roy d’Egypte engloutit la puissance.
Voy les soldats nageans, et leurs tristes drapeaux,
Qui flotoient dans les airs, et flotent dans les eaux.
Voy les superbes chars, armez de faux tranchantes,
Qui fondent sous l’amas des vagues triomphantes.
Le prince, encore assis, à demy renversé,
Voyant dé-ja son siege en l’abysme enfoncé,
Tend les bras à l’hebreu, qui sauvé de sa rage,
Dé-ja bénissant Dieu chante sur le rivage.
Grand exemple aux tyrans, si Dieu punit ainsy
L’invincible fureur d’un orgueil endurcy.
Là, du grand Josüé la parole puissante,
Rend de l’astre du jour la course obeïssante,
Qui suivant de son tour les ordinaires loix,
A sa chaude poursuite eut dérobé cinq rois.
Admire de la foy les forces estonnantes.
Icy, par le seul bruit des trompettes sonnantes.
Ce grand chef des hebreux fait tomber en sept jours,
De Jericho la fiere et les murs et les tours.
Et sçache, ô ! Puissant roy, que tu verras de mesme
S’abbattre sous tes vœux les hauts murs d’Angoulesme.
Icy, du tout-puissant Gedeon suit les loix :
Et de trois cens guerriers fait un habile choix.
Plus loin, de Madian les troupes sont deffaittes,
Avec des pots ardens, et le bruit des trompettes.
Voy ce jeune berger, que le divin secours
Rendit victorieux des lions et des ours,
Qui par le roide coup d’une pierre lancée,
A du grand philistin la force renversée.
Considere, ô ! Grand roy, son front audacieux,
Se fiant au secours du monarque des cieux.
Et que grandeur de corps, armes, cœur intrepide,
Combattent vainement contre un bras que Dieu guide.
Mais quelle horrible nuit ! Que de sang ! Que de morts !
Un ange seul abbat neuf fois vingt mille corps :
Et d’un fer flamboyant, vangeur de l’Idumée,
En peu d’heures destruit une nombreuse armée.
En cet autre tissu, cette belle au grand cœur,
Du chef assyrien fait voir son bras vainqueur.
Sa foy la fortifie, et son Dieu secourable :
Elle dompte en un seul ce camp si formidable.
Voy qu’un roy syrien, d’un dépit outrageux,
Ceint un foible rampart de guerriers courageux :
Et que pour contenter sa colere embrazée,
Il veut laver ses mains dans le sang d’Elisée.
Le prophete fait voir à son peuple peureux,
Des hommes flamboyans qui combattront pour eux :
Puis avec un seul vœu, soustenu par son zele,
Aveugle tous les yeux de l’armée infidele.
Lors que Dieu veut combattre au secours de la foy,
Contre un superbe camp qui remplit tout d’effroy,
Un berger luy suffit, une femme, un prophete.
Toute force aussi-tost par un seul est deffaitte.
Tu le sçais par toy mesme : et le dieu des combats
T’a fait voir qu’un seul vœu vaut cent mille soldats.
Et ta foy te vaudra, pour vaincre toute audace,
Plus que glaive et bouclier, plus que lance et cuirasse.
Je l’avoüe, et l’ay veû, s’écrie en mesme temps
Un guerrier le plus proche entre les assistans.
Chacun de toutes parts estonné le regarde.
Oüy, prince, poursuit-il, je sçay que Dieu te garde.
J’ay tiré ce poignard trois fois pour me vanger ;
Et trois fois dans ton flanc j’ay voulu le plonger.
Trois fois un bras armé d’une flambante lame,
En terreur a changé la rage de mon ame.
En vain contre toy s’arme et la terre et l’enfer :
En vain j’ay mis en œuvre et le charme et le fer.
Je confesse, en voyant qu’un tel bras te seconde,
Que le dieu des chrestiens est le seul dieu du monde.
Lisois, qui reconnoist sa cruelle Yoland,
De surprise et d’amour a l’œil estincellant.
Est-ce Yoland ? Dit-il. Oüy, c’est moy, reprit-elle.
Mon orgueil à ce point me rendit criminelle.
Grand roy, punis en moy cet horrible attentat,
D’avoir voulu ravir Clovis à son estat.
J’ay merité la mort : et je mourray contente,
Si je suis en mourant chrestienne et pénitente.
A ces mots, chacun tremble et d’horreur et d’effroy.
Lisois en mesme temps se jette aux pieds du roy,
Qui seul la contemploit d’un paisible visage.
Juste prince, dit-il, puny moy de sa rage.
Moy seul je l’ay causée, irritant sa douleur.
Non, dit-elle, admirez la force de son cœur.
Car le ciel ne veut pas que ma honte supprime
L’éclat de sa vertu, ny l’horreur de mon crime.
Seule je suis coupable : et luy seul de nous deux
Sceût garder l’innocence en un cœur plein de feux.
Il m’aimoit : et tu vois que toute criminelle
Il me cherit encor d’un cœur pur et fidelle.
Je voulus le tenter, pour l’armer contre toy :
Et je fus le grand prix, pour corrompre sa foy.
Son ame en ce combat, brulante et glorieuse,
Me fit voir de son feu sa foy victorieuse.
Voyant que de mon cœur il dédaignoit le prix,
J’eus dessein, par sa mort, de punir ce mépris.
Je ne sçay quel pouvoir le tira de ma chaisne :
Et j’ay moins merité son amour que sa haine.
Mon transport à moy mesme encore fait horreur.
Je vous eûsse immolez tous deux à ma fureur.
Mais la grace du ciel, qui luit en ce baptesme,
M’ayant changé le cœur, je t’honore, et je l’aime.
J’ay merité la mort : et je n’espere pas,
En flattant vos esprits, me sauver du trépas.
Mais puis que du seul dieu la verité m’éclaire,
Je veux estre en mourant, et sans haine, et sincere.
Mon dieu, répond Clovis, me sauvant de tes mains,
Ne m’a pas inspiré des pensers inhumains.
Et son soin paternel qui protege ma vie,
A te pardonner tout tendrement me convie.
Je sçay que d’Alaric le ciel te fit la sœur :
Que je vay réveiller la haine dans ton cœur,
Puisque mon bras luy porte une guerre cruelle ;
Et qu’entre nous la mort doit finir la querelle ;
Par une double ardeur, vangeant sur mon rival
Le fils qui par son estre à son pere est égal,
Que les goths ariens, pleins d’une aveugle rage,
Refusent d’honorer d’un souverain hommage.
Mais en te pardonnant, je te donne le choix.
Ou va trouver ton frere, ennemy des françois :
Et libre, en un combat ouvert et legitime,
Sois là nostre ennemie, et sans honte, et sans crime.
Ou si tu veux combler la gloire de ce jour,
De ton brave Lisois recompense l’amour.
Tu verras que son rang, sa valeur, sa noblesse,
Peuvent bien meriter une illustre princesse.
Voicy mon choix, dit-elle, ô ! Prince genereux.
Tu m’offres deux grands biens : et je prens l’un des deux.
J’abandonne Alaric ; et dédaigne pour frere
Celuy qui ne croit pas le fils égal au pere.
J’aspirois à mourir dans cette pure foy :
Mais si je dois ma vie aux bontez d’un grand roy,
Je dois à ses desirs en faire un sacrifice.
Lisois, reçoy ma main, plus digne d’un suplice,
Que de toucher la tienne, en recevant ton cœur.
Mais le roy, d’un grand crime, a fait un grand bon-heur.
Et je sçay que telle est la royale clemence,
Qu’elle lave un coupable, et luy rend l’innocence.
Lisois, pour un moment, s’arreste à balancer
Auquel, pour rendre grace, il se doit addresser.
Aux pieds de son monarque humblement il s’abbaisse :
Puis il baise la main de sa belle princesse.
Severin pleure d’aise. On le void s’avancer :
Et plein d’un tendre zele il la vient embrasser.
Ma fille, luy dit-il, combien dois-tu d’offrandes
A Dieu qui fait en toy des merveilles si grandes ?
Combien fut different l’estat ou je te vis,
Lors que tu dédaignas mes utiles advis ?
Du ciel mesme j’appris que tu fus baptisée.
L’Espagne aussi le sçait : la preuve en est aisée.
Deteste la magie, et l’honneur des faux dieux.
Trouve, pour t’en laver, deux sources en tes yeux.
Sçache que rien n’est doux comme le dieu suprême :
Et que la penitence est un second baptesme.
Dieu, dit-elle, est bien doux, qui calme ma fureur,
Qui par sa verité, de moy chasse l’erreur,
Qui me fait detester l’enfer et ses idoles,
Et les secrets trompeurs de ses noires écoles ;
Qui me fait renoncer mon frere, et tous les cœurs
Qui refusent à Christ les souverains honneurs.
Je me sens dans sa foy constamment affermie ;
Et de ses ennemis la plus fiere ennemie.
Remy rend gloire à Dieu de ses faits merveilleux :
Puis bénit Yoland : et recevant ses vœux,
Luy dit les mots sacrez qui toute erreur effacent.
Clovis, Clotilde, et Berthe, en mesme-temps l’embrassent.
O ! Dieu, dit l’archevesque, apres tant de faveurs,
Quels honneurs te rendront tant de sensibles cœurs ?
Grand prince, et vous, françois, faites tous dans ce temple
Un vœu dont Yoland vous a donné l’exemple.
Vangez vostre sauveur ; et brisez en tous lieux
Marbre, et bois, et metal, images des faux dieux.
Allez punir des goths l’infidele insolence,
Qui veut oster au fils l’égalité d’essence.
Des ennemis de Christ, purgez les champs gaulois.
Plantez la foy par tout, en y plantant vos loix.
Le prince transporté par l’ardeur de son zele ;
Depuis que je suis oint de cette huile immortelle,
Dit-il, je sens des feux allumez dans mon cœur,
Pour servir Jesus-Christ, et vanger son honneur.
Allons punir les goths : il tarde à mon épée,
Que dans leur sang impie elle ne soit trempée.
L’Aquitaine m’appelle, et gemit sous leur faix.
O ! François, faites tous le serment que je fais :
Tant que des ariens ma main l’ait d’élivrée,
Je fay vœu de porter cette blanche livrée.
Tous ses chefs aussi-tost font le mesme serment.
Tout guerrier le repete : et depuis le moment
Que ce vœu si fameux fut fait d’une ame franche,
Les françois aux combas portent l’écharpe blanche.
Arismond qui du roy tient l’estat des germains,
De le suivre aux combas, fait serment en ses mains ;
De poursuivre les goths d’une haine immortelle,
En vangeant Jesus-Christ, et sa propre querelle.
Enfin le grand monarque, et sa royale cour,
Comblez des biens du ciel en ce celebre jour,
Quand de deux chœurs divers les voix harmonieuses
Eurent chanté de Dieu les faveurs glorieuses,
Sortent du riche temple, et devots, et contens,
Parmy les vœux du peuple, et les cris éclatans.
Le roy passe à pas lents parmy la foule épaisse,
Qui se fend avec bruit, qui s’écarte et se presse,
Admirant son éclat saint et majestueux ;
Puis remesle soudain ses flots tumultueux.
Comme aux festes du saint qu’un grand senat honore,
S’avance dans la mer le vaste bucentaure,
De sa proüe au front d’or, et de son corps pompeux,
Fierement en deux parts fend les flots écumeux :
Puis à peine a passé sa masse magnifique,
Qu’aussi-tost se rejoint la vague Adriatique.
Soudain que les françois ont quitté le saint lieu,
Ils font de leurs faux dieux sacrifice au vray dieu.
Par tout on void tomber toute image profane,
Et Jupiter, et Mars, et Junon, et Diane.
Leurs membres sont épars. Les chrestiens satisfaits
Détruisent à l’envy ces chef-d’œuvres parfaits,
Gloire de l’art sçavant, qui les fit admirables,
Honte du cœur humain, qui les crut adorables.

 
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