Clovis, ou la France chrétienne
Livre
vingt-cinquième |
Le soir de ce grand jour, les francs et les gaulois,
Unis sous mesme foy, comme sous mesmes loix,
Pour mieux bénir le ciel de sa grace recente,
Joignirent les transports de leur joye innocente.
De celestes faveurs le grand prince comblé,
S’en ressent dans son ame heureusement troublé.
Enfin le doux repos, apres ses longues veilles,
Succede à la douceur de ces saintes merveilles.
Dieu le visite encor, mesme dans le sommeil ;
Et le veut enrichir d’un tresor sans pareil,
Malgré le cours des ans, toûjours inépuisable,
Toûjours aux affligez ouvert et secourable.
Que la grace divine à des ressorts puissans,
Et sçait bien dédaigner le commerce des sens !
Qu’elle fait bien sentir ses paroles muettes,
Ses abbords délicats, et ses routes secrettes !
Le prince void en songe, avant l’aube du jour,
Le vaillant Genobalde arrivé dans sa cour,
Qui ne veut, pour le prix de sa grande conqueste,
Sinon que de son fils le roy touche la teste.
Il l’accorde, il le touche ; et d’un effet soudain,
Le mal cede au pouvoir de la royale main.
Son esprit est frapé de la prompte merveille :
Et ce vif sentiment à l’instant le réveille.
Il en gouste long-temps le plaisir en son cœur :
Mais son ame modeste en refuse l’honneur.
Le pontife qui sçait ce que le ciel prepare,
Vient au lever du roy, qui soudain luy declare
La douce illusion de ce songe flateur.
Tu crois, dit le prelat, que ce songe est menteur ?
Sçache qu’il t’a fait voir l’image d’un mystere.
Dieu veut que de nos rois la main soit salutaire :
Et sa grace à ta foy va donner ce grand prix.
Prince heureux, fay venir et Batilde et son fils.
La mere promptement sur cet ordre l’ameine,
Se promettant du ciel un remede à sa peine.
Le prelat, d’un grand zele ayant le cœur brûlant,
Mande Clotilde, Berthe, Agilane, Yoland,
Pour leur faire admirer la merveille future,
Et voir comment la foy surmonte la nature.
Clovis, d’une ame ferme, invoque Jesus-Christ ;
Fait approcher l’enfant, le touche, le guerit.
Chacun bénit le ciel : Batilde pleure d’aise :
De son roy prend les mains, et les presse, et les baise.
Tels furent les transports de celle dont les pleurs
Emeûrent le messie à guerir ses douleurs,
Quand elle vid son fils, se levant de la biere,
En son heureux réveil jouïr de la lumiere.
Clovis, du grand miracle est confus et ravy.
Chacun au tout puissant rend graces à l’envy.
Remy les meine au temple, ou le pur sacrifice
Satisfait l’eternel pour sa bonté propice.
Le prince impatient veut partir de ce lieu,
Pour vanger sur les goths l’honneur du fils de Dieu,
Qui par tant de faveurs sans cesse le convie
D’immoler pour sa gloire et son sang et sa vie.
Il donne à Ricarede ordre pour dégager
Les princes bourguignons de crainte et de danger ;
Et faire à Genobalde un recit veritable
Des graces qu’il reçoit du seul dieu secourable,
Qui l’oblige en son fils de bénir son pouvoir,
Et d’embrasser la foy par un juste devoir.
Puis il veut que ce chef, comblé d’heur et de gloire,
Rameine ses guerriers par les flots de la Loire.
Le camp du roy s’appreste, ou le blanc estendart
Vole par les quartiers, et haste le départ.
Sur les armes de tous l’écharpe blanche éclate.
Ils sont dé-ja vainqueurs, dans l’espoir qui les flate :
Et sentent que deux feux dominent en leur cœur,
Depuis qu’un pieux zele est joint à leur valeur.
Chacun laisse dans Rheims les fardeaux inutiles.
On void les regimens marcher par longues files.
Le bagage tardif s’ébranle doucement :
Roule par les chemins d’un égal mouvement ;
Et la terre gemit sous leur charge pesante.
Dé-ja part le gendarme a cuirasse luisante.
Deux à deux en bel ordre on les void se ranger :
Puis ceux qui sont couverts d’un acier plus leger.
Lantilde se separe, apres mille caresses
De Clovis, de la reine, et des belles princesses :
Et part avec Symmaque, à qui d’un noble cœur
Le roy fait des presens dignes de sa grandeur :
Adjoustant pour Thierry cent raretez exquises,
Qu’il choisit dans l’amas des dépoüilles conquises :
Du grand Algerion les pompeux vestemens ;
Et l’épée, et le casque, ornez de diamans.
Clovis comblé de vœux, quitte l’heureuse ville,
Avec Clotilde, et Berthe, et Valbert, et Lucille :
Et le brave Arismond, qui veut, dans le combat,
Des sueves et des goths vuider le vieux débat :
Et le vaillant Lisois, et son epouse fiere,
Qui n’a point dans l’hymen quitté l’humeur guerriere :
Qui pretend se monstrer digne de ses ayeux,
De l’estat des romains conquerans glorieux ;
Et qui sçait dédaigner de se faire cognoistre
D’un frere à qui l’erreur fait dédaigner son maistre.
Clovis avec Clotilde, en un pompeux éclat,
Est conduit hors des murs par l’auguste prelat,
Qui les quitte à regret, leur temoigne son zele,
Et du ciel leur promet l’ayde continuelle.
Perseverez, dit-il, et toûjours dans vos cœurs
Soyez reconnoissans des divines faveurs.
Si toûjours de la foy vos ames sont munies,
Tous vos pas trouveront leurs routes applanies.
Toûjours de vœux fervens j’ayderay vos desseins.
Alors du signe heureux que reverent les saints,
Il bénit et Clovis, et la reine, et l’armée,
Qui d’une ardeur plus forte en paroist animée.
Cependant Alaric apprend de tous costez
Que Clotilde est trouvée, et les germains domptez :
Que le prince vainqueur, pour couronner sa gloire,
En gardant son serment, vient fondre vers la Loire :
Et que plus il ressent d’aigreur et de courroux,
Plus il fera sentir la fureur de ses coups :
Voulant sur son rival, par son bras qui foudroye,
Vanger tous les momens qui different sa joye.
Pour soustenir un roy si grand, si glorieux,
Qui tourne contre luy son camp victorieux,
Il renforce le sien ; et mesme l’accompagne
Des troupes d’Aquitaine, et de celles d’Espagne.
Ataulfe luy conduit, sous quarante drapeaux,
Les peuples que le Tage abbreuve de ses eaux :
Et ceux qui boivent l’Ebre, et les sources voisines ;
Et ceux qui de Numance habitent les ruines.
Le brave Atalaric meine les catalans,
Fier d’avoir combattu les vandales vaillans,
Sur qui des goths vaincus il a vangé la honte,
Et reconquis Valence, et l’antique Sagonte.
Le hardy Valamer, celebre par ses faits,
Dé-ja fait avancer deux regimens épais,
D’astures indomptez, de cantabres sauvages,
Nez dans l’aspre climat des monts et des rivages.
Puis paroist Ascalerne, ayant par les rochers
Dans l’isle Baleare assemblé mille archers,
Que dans tout l’univers nulle main ne seconde
A bien lancer le plomb, de sa meurtriere fronde.
Le valeureux Albret, de qui les navarrois
Ont depuis veû le sang joint au sang de nos rois,
Dé-ja de ses neveux ouvrant les destinées,
Meine les habitans des hautes Pyrenées.
L’intrepide Gaston conduit mille guerriers,
Nez au climat de Foix, de Castres, de Pamiers ;
Et deux forts regimens de pietons que luy donne
Le terroir de Comminge, et celuy de Narbonne.
Ce noble et vaillant chef, dans un ennuy secret,
Sous l’empire des goths ne marche qu’à regret ;
Souffrant avec dépit leur barbare puissance ;
Mais il croit que les cieux en feront la vengeance.
Et d’un second espoir il console son cœur,
Prévoyant de son sang la future grandeur.
Car il sçait l’avenir, que souvent luy repete
Des montagnes de Foix un hermite prophete :
Que l’impie arien, par les francs terrassé,
Des climats de la Gaule enfin seroit chassé.
Que dans le cours des temps, deux Gastons magnanimes,
Princes nez de sa race, et des rois legitimes,
Tous deux par leurs beaux faits dignes d’un grand renom,
Feroient revivre en eux sa valeur et son nom.
Que l’un prés de Ravenne, en poussant sa victoire,
Rencontreroit la mort jalouse de sa gloire.
L’autre d’esprit sublime, et d’un cœur aguerry,
Le second rejetton du valeureux Henry,
Par sa foudre abbattroit la forte Graveline,
En dépit de l’Espagne, et de la mer voisine :
Et par ses soins ardens et ses puissans efforts,
De Courtray, de Mardik, emporteroit les forts.
Le genereux Grammont conduit les fieres bandes
De Bayonne, de Pau, des bourdeloises Landes ;
Et celles que le Gers vid naistre sur ses bords :
Et les troupes d’Agen, de Condom, de Cahors,
Des champs que la Dordogne en ses bras environne ;
Et de ceux où le Lot se joint à la Garonne.
Puis vient le brave Pons, qui d’un bras sans repos
Sur trois ponts de Charente arresta tous les goths,
Renviant pour sa gloire, et celle de sa race,
L’exploit si renommé du valeureux Horace :
Et maintenant soûmis, il conduit sous leurs loix,
Les forces de Xaintonge, et celles d’Angoumois.
Il porte le beau nom de ce fait memorable,
Pour en rendre à jamais le souvenir durable :
Et comme un fier vainqueur, encore que vaincu,
Il ose de trois ponts enrichir son écu.
Ces troupes, d’une ardeur par l’honneur animée,
Du monarque des goths viennent joindre l’armée,
Qui doit de lieux divers, sous des guides certains,
Unir les espagnols, les goths, les aquitains,
Aux champs de Lusignan, et de Mesle voisine,
Dont se forma depuis le nom de Mellusine.
Le splendide Astrimond, dont le sang genereux
Depuis se vid meslé, par un hymen heureux,
Au sang de cette belle, en charmes admirable,
Dont le peuple estonné fit depuis mainte fable ;
Dans son fort Lusignan, sur la roche planté,
Reçoit les plus grands chefs de ce camp redouté :
Et d’un accueil ouvert, leur monstre en sa largesse,
La grandeur de son ame égale à sa noblesse.
Alaric void l’amas de tant de combattans ;
Et veut contre Clovis marcher en mesme temps.
Mais les goths allarmez au bruit de ce tonnerre,
Veulent qu’aux monts d’Auvergne il transporte la guerre :
Et craignant des vainqueurs les superbes efforts,
Qu’il transfere en lieu seûr ses plus riches tresors,
Des grands temples romains les images antiques,
Et tout l’or enlevé par les fureurs gothiques.
Il pretend arrester l’audace des françois,
Par cinq mille guerriers, dont Bouchard fait le choix,
Pour garder le passage, en son isle feconde,
Que la claire Vienne embrasse de son onde.
Clovis poussant l’ardeur de son camp diligent,
Attaint dé-ja le Cher, et l’Indre aux flots d’argent :
Ayant laissé dans Tours sa divine princesse,
Où pour luy, sans relasche, au ciel elle s’addresse.
Le duc, dans la nuit sombre, avoit conduit sur l’eau
Mille vaillans guerriers jusques à Mont-Soreau,
Pour se rendre en secret au delà du rivage,
Où la douce Vienne en la Loire s’engage :
Et pour surprendre à dos, du costé d’occident,
Bouchard qui de l’armée attend le choc ardent ;
Luy portant tout à coup une attaque impreveuë,
Sur la rive opposée, et d’hommes dépourveuë.
Ses gendarmes dé-ja, par troupes separez,
Marchoient à rangs égaux sur les bords desirez ;
Alors qu’au sage duc un vieillard se presente,
Pour luy dire un secret qui passe son attente.
Je suis Maxent, dit-il, qui guidé par les cieux,
Et detestant les goths, fiers tyrans de ces lieux,
Viens conduire les pas de ton illustre prince,
Pour sauver de leur joug ma natale province.
Choisi de tes guerriers une bande avec toy.
Que l’autre aille vers l’isle, au signal de ton roy,
Seconder son assaut par le bruit des trompettes.
Cependant nous irons par des routes secretes.
Tu pourras avec moy tout passage franchir.
Je veux servir ton prince, et mesme l’enrichir.
Aurele à ce discours soudain donne creance :
Met sa troupe en deux corps : l’un vers l’isle s’avance :
Vers Poitiers à l’instant l’autre marche sans bruit ;
Et suit avec le duc Maxent qui les conduit.
Elle passe dé-ja les loudunoises plaines,
Et fait un prompt repas sur le bord des fontaines :
Vient aux rives du Clain, et traverse ses eaux,
En passages divers, sur de legers bateaux.
Puis, la lune à leurs vœux fournissant sa lumiere,
Ils passent dans les forts de l’épaisse Moliere.
Sçachez, leur dit le saint, qu’en ces bois écartez,
Avec peu de soldats cent chars sont arrestez,
Pleins des tresors du goth, qu’en Auvergne il emporte ;
Et qu’icy de l’armée ils attendent l’escorte.
Quand la lune aura fait la moitié de son cours,
Fondez sur l’ennemy dépourveû de secours.
Marchez à la faveur de cette forest sombre.
La surprise contr’eux vaudra plus que le nombre.
Aurele dans les forts laisse les plus ardens :
Va voir l’estat des goths avec les plus prudens.
Il apperçoit les chars, et leurs files rangées :
Et des soldats couchez les gardes negligées.
Puis il retourne aux siens, les anime au combat.
A tous, dé-ja le cœur d’impatience bat.
Par leur écharpe blanche ils se doivent connoistre.
Tout s’avance ; et les goths commencent à paroistre.
Alors, comme un veneur diligent et rusé,
Enferme en son enceinte un sanglier reposé ;
Puis les chiens, les piqueurs, et les clameurs soudaines,
Et les grands bruits de cors, le lancent dans les plaines.
De mesme tout à coup les clairons et les cris
Par tout se font entendre à l’ennemy surpris.
Les bruits dans la forest semblent épouvantables,
Et sont suivis de coups encor plus redoutables.
Les gardes renversez soudain perdent le cœur.
Les autres abbatus de sommeil et de peur,
Et de l’excez brutal que le repas ameine,
De leurs tapis herbu se levent avec peine :
Encor tout assoupis, sont percez par le franc ;
Et versent par la playe et le vin et le sang.
Aurele fait main basse ; et par son ordre sage,
Les conducteurs des chars sont sauvez du carnage.
Par tout, de la forest il fait garder l’abbord,
Afin que nul des goths n’échape de la mort,
Qui portast dans Poitiers la sanglante nouvelle.
Dans sa troupe il choisit sa brigade fidelle,
Pour s’emparer du pont, où paroist sur le haut
Un chasteau qui depuis eut le nom d’un heraud.
Il fait rouler de rang la pesante charrette.
Deux cens des plus hardis asseurent la retraitte.
Tout s’avance en bel ordre. Avant le jour levé,
Le tresor est au pont seurement arrivé.
Les gardes du chasteau, d’une paisible veuë,
Contemplent du convoy la démarche impreveuë :
Et n’osant la troubler, pensent que le charroy
Passe dans ce destroit par l’ordre de leur roy.
Dé-ja sur l’orison l’astre de la lumiere
Avoit fait la moitié de sa longue carriere,
Quand ils joignent la Veude, en ce lieu si charmant
Que devoit signaler la naissance d’Armand.
Là parmy les ruisseaux s’estend une prairie,
Ceinte d’arbres épais, sous qui l’herbe fleurie,
Qui n’aime à se nourrir que d’humides froideurs,
Evite du soleil les trop vives ardeurs.
Aurele impatient réveille son courage,
Ignorant si son prince a forcé le passage.
Il laisse son butin sous l’ordre de Maxent.
De sa troupe guerriere il n’en choisit que cent,
Dont les chevaux ardens, et d’une longue haleine,
De cette course encor peuvent souffrir la peine.
Et sur les bords de l’isle enfin arrive à temps,
Pour voir et ranimer ses gueriers combattans,
Tandis que d’autre-part le grand prince foudroye,
Et par la force enfin s’ouvre une large voye.
Sur les ponts, sur les bords de gazon revestus,
Sont estendus les goths, par le fer abbatus.
Par la main du monarque, aux ariens fatale,
Bouchard, en expirant, mord sa terre natale.
Yoland, à son bras void alors tout ceder.
Et Lisois qui l’admire, aime à la seconder.
Ainsi dans les combas le prince de Palmyre,
Redoutable ennemy de l’orgueilleux empire,
Admiroit son epouse, alors que de sa main
Elle rompoit les rangs d’un bataillon romain.
Aurele, sur le pont, void son glorieux maistre,
Où contre sa valeur nul n’ose plus paroistre.
Il luy donne l’advis, qu’il marche sans repos,
S’il pretend prevenir la retraitte des goths.
Et s’il veut s’arrester sous un paisible ombrage,
Attendant que l’armée ait franchy le passage,
Que dans peu de momens il conduira ses pas,
Vers un fleuve où l’attend le prix de ses combas.
Il luy conte à l’instant son heureuse entreprise,
Et du fier Alaric la richesse conquise.
Le prince curieux de ses chefs fait un choix :
Puis appelle Arismond, Yoland, et Lisois.
Tous à leurs chevaux frais soudain laschent la bride :
Et suivent en courant Aurele qui les guide.
Maxent, qui sçait du roy les succez glorieux,
Prepare cependant un triomphe à ses yeux.
Sur l’herbe et sur les fleurs il range avec addresse
De l’ayeul d’Alaric l’éclatante richesse :
Les dieux d’or et d’argent des grands temples romains,
Avarement pillez par les barbares mains :
Les meubles precieux emportez de Solyme ;
Quand Dieu voulut des juifs chastier le grand crime :
Les tresors infinis de tant de rois domptez,
Qu’amassoit des long-temps la reine des citez.
Le pré ne suffit pas pour estendre sur l’herbe
L’innombrable ramas de la prise superbe.
Et les grands vases d’or, sur le bord des ruisseaux,
Sont sans ordre et sans choix entassez par monceaux.
Clovis avec sa troupe en peu de temps arrive
Où la Veude humectoit sa verdoyante rive.
Il embrasse Maxent : puis estend ses regards.
Il void l’éclat de l’or brillant de toutes parts ;
De lumineux saphirs les couronnes couvertes,
De rubis flamboyans, et d’émeraudes vertes.
L’œil, de tant de tresors est confus et ravy.
Des herbes et des fleurs l’émail brille à l’envy :
Et les ondes d’argent sur le sable coulantes,
A l’envy de tant d’or, paroissent plus brillantes.
Clovis de tant de biens rendant graces à Dieu,
Ce lieu se peut, dit-il, nommer un riche-lieu.
Tous les francs auront part à ces fruits de la guerre.
Aurele, à ta valeur je donne cette terre.
Que dans ce riche-lieu tes braves descendans,
Comme toy valeureux, et chrestiens, et prudens,
Toûjours servent leurs rois de leur sagesse heureuse.
Maxent adjouste encor. Sa race genereuse
Un jour dans ce beau lieu doit produire aux françois
Un tresor bien plus grand que celuy que tu vois.
Là se rendent au soir les bandes courageuses,
Qui voyant tout à coup ces richesses pompeuses,
De la guerre en espoir dé-ja goustent le fruit.
Le tresor se recharge, et dans Tours est conduit.
Tout s’arreste, et se campe ; et les troupes contentes
Prennent un doux repos sous les paisibles tentes.
Cependant, à leur roy, les goths épouvantez
Apprennent que le sort le bat de tous costez :
Ses tresors enlevez, des gardes le carnage,
Et son isle forcée, et le sanglant passage.
Il veut que sans delay, sur un pont de bateaux,
Son camp de la Vienne aille passer les eaux.
Les goths, encore vains de leur antique gloire,
Des françois rallentis esperent la victoire :
Disent qu’avec le temps ils sçauront les dompter,
Fuyant leur premier feu, que l’on doit éviter.
Cette nombreuse armée, et fugitive et fiere,
Attaint prés de Lussac la paisible riviere.
Ils passent file à file ; et sans estre troublez,
Le mobile plancher de bateaux assemblez.
Le françois qui les suit, ne paroist pas encore :
Mais le verbe divin, qu’il vange et qu’il adore,
Commence à les combattre, et sur leurs bataillons
Fait fondre un rude orage, et de forts tourbillons.
Toute l’armée à peine a franchy le passage,
Qu’Alaric fait du pont destruire l’assemblage :
Et malgré l’eau qui tombe, et qui trempe le bois,
Fait bruler les bateaux, enduits de noire poix.
Voyant grossir le fleuve, à ses vœux favorable,
Il aime la tempeste, et la croit secourable.
Il dédaigne les francs ; et ne redoute pas
Que de long-temps encore ils attaignent ses pas.
Clovis et jour et nuit fait marcher son armée,
Par la fuite des goths encor plus animée.
Et dé-ja de Poitiers il découvre les tours,
Quand il void que le ciel s’arme pour son secours.
Du temple renommé du docte et Saint Hilaire,
De l’arienne erreur invincible adversaire,
Part un foudre avec bruit, qui fend l’air tenebreux,
Et vers le camp des goths fait serpenter ses feux :
Comme si le grand saint que cette ville honore,
Se levant du tombeau, les combattoit encore.
Le roy void le presage, et s’addresse aux françois.
Dieu nous parle, dit-il, par sa tonnante voix :
Et veut que par le fer la secte soit esteinte,
Qu’Hilaire surmonta par sa doctrine sainte.
Il nous monstre la voye. Allons, chrestiens, allons.
Passons plaines, forests, montagnes, et vallons.
Pour vanger Jesus-Christ, faisons voir nostre zele ;
Et que nostre cœur vole où sa voix nous appelle.
Allons, répondent-ils. Pour te suivre, ô ! Grand roy,
Nous nous sentons portez des ailes de la foy.
Alors toute l’armée, apres ce grand presage,
Pour redoubler ses pas, redouble son courage.
Le soleil éclaira l’un et l’autre univers ;
Et d’ombres une fois les champs furent couverts ;
Pendant que vers Lussac marchent les troupes fieres.
Le goth connoist de loin leurs volantes bannieres.
Dé-ja sur la Vienne arrivent les françois,
Qui tous dans leur ardeur, d’une commune voix,
A leurs guides experts demandent le passage.
Dans les flots le gendarme impatient s’engage :
Et fait pour s’avancer un temeraire effort ;
Puis sortant du peril, retourne vers le bord.
Nul gué n’est reconnu dans ces vagues profondes :
Et le fleuve est enflé des pluvieuses ondes.
Tout le jour se consume en essays superflus.
Tous abandonnent l’eau : nul ne la sonde plus.
Clovis avec le duc se renferme en sa tente,
Dans un trouble confus ayant l’ame flotante.
Tous deux perdant l’espoir, ils consultent Maxent,
Qui promet à leurs vœux l’ayde du tout-puissant.
Et tandis que la nuit fait sa noire carriere,
Ils s’addressent à Dieu par une humble priere.
Le roy, de son sommeil réveillé par trois fois,
Par trois fois se presente à ce maistre des rois.
Puis il void tout à coup, en ouvrant la paupiere,
Un celeste guerrier, éclatant de lumiere,
D’un brillant casque d’or orné superbement,
Armé d’un corcelet, fait d’un pur diamant,
Et qui rompt par ces mots le nocturne silence.
Clovis, je suis, dit-il, l’archange de la France.
Je viens chasser l’ennuy qui trouble ton penser.
Dieu t’apprendra demain où ton camp doit passer.
Comme en un soir obscur, quand mille épaisses nuës
Traisnent parmy les airs leurs flotes continuës,
Par fois paroist la lune, et fait voir sa beauté :
Puis se cache, et par tout laisse l’obscurité.
L’ange ainsi disparoist : et dans la tente sombre
Le prince void soudain regner encore l’ombre :
Se leve, se prosterne ; en son heur sans pareil
Ne sent plus dans ses yeux le desir du sommeil :
Et son ame ravie, humble et reconnoissante,
Attend, en loüant Dieu, la clarté renaissante.
Par la voix du monarque, et le duc et Maxent
Au matin sont instruits de son bon-heur recent.
La nouvelle s’épand : chacun court et s’amasse.
Du favorable ciel tous esperent la grace.
Aux bords de la Vienne une plaine s’estend,
Ceinte de forts buissons, où le prince content
Ayant mis en son dieu son esperance ferme,
Des promesses d’enhaut vient attendre le terme.
Il veut que tout guerrier quitte les pavillons.
Il place dans le champ ses épais bataillons :
Puis d’un bel ordre égal, de deux parts sur les ailes
Va disposer les rangs de ses troupes fideles.
Il veut que vers le ciel tous addressent leurs vœux.
Luy mesme de son casque allege ses cheveux.
A peine il a finy son ardente priere,
Qu’une biche paroist, sortant d’une bruyere,
Qui legere s’élance, et court à petits bonds,
Passe les regimens, perce les escadrons.
Du sauvage animal la surprenante veuë,
Anime tous les cœurs d’une joye impreveuë.
Les francs de toutes parts réveillent leurs esprits :
N’osant quitter leurs rangs, l’attaquent de leurs cris :
Pensent qu’à son mal-heur elle s’est enfermée
Dans l’effroyable enclos de la nombreuse armée ;
Et d’un commun desir, et par des coups divers,
Pretendent à l’envy l’abbattre de leurs fers.
Nulle pique, nul dard, n’attaint la beste fauve.
Par tout les coups sont vains : Dieu la guide, et la sauve.
Sans cesse elle bondit, sans peur, et sans effort :
Passe malgré les voix qui presagent sa mort :
Enfin leve en lieu seûr sa teste glorieuse,
D’un camp victorieux fiere victorieuse.
Loin sur le bord du fleuve, elle va pour Clovis
Donner toute müette un important advis.
Elle descend dans l’onde, et s’avance, et s’engage :
Marche d’un ferme pied, sans se mettre à la nage.
Puis en tournant la teste, elle arreste ses pas ;
Et semble dire aux francs ; ne desesperez pas.
Suivez moy dans ces eaux : entrez, que nul ne craigne.
Venez, voicy le gué : par moy Dieu vous l’enseigne.
Elle poursuit sa route ; et d’un superbe port,
Franchit le fil de l’onde, et passe à l’autre bord.
Toute l’armée émeûë éclate en cris de joye.
Tous rendent grace à Dieu : tous marchent sur la voye.
Le gendarme dans l’eau commence à s’avancer.
Quatre de mesme front osent dé-ja passer.
La biche, en oubliant son naturel sauvage,
Attendant sur le bord, marque encor le passage,
Dont la terre eût depuis un celebre renom ;
Et du pas de la biche a conservé le nom.
Toute l’armée approche, et descend sur la rive.
Tout passe, et sans peril à l’autre bord arrive.
Le roy suit, et les chefs : puis le bagage lent
Dans le fleuve s’engage, et rompt le flot coulant. |
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