Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence

Chapitre XVIII : Nouvelles maximes prises par les Romains

 

 

Quelquefois la lâcheté des Empereurs, souvent, la faiblesse de l’Empire, firent que l’on chercha à apaiser par de l’argent les peuples qui menaçaient d’envahir. Mais la paix ne peut point s’acheter, parce que celui qui l’a vendue n’en est que plus en état de la faire, acheter encore.

Il vaut mieux courir le risque de faire une guerre malheureuse que de donner de l’argent pour avoir la paix : car on respecte toujours un prince lorsqu’on sait qu’on ne le vaincra qu’après une longue résistance.

D’ailleurs, ces sortes de gratifications se changeaient en tributs et, libres au commencement, devenaient nécessaires ; elles furent regardées comme des droits acquis, et, lorsqu’un empereur les refusa à quelques peuples ou voulut donner moins, ils devinrent de mortels ennemis. Entre mille exemples, l’armée que Julien mena contre les Perses fut poursuivie dans sa retraite par des Arabes à qui il avait refusé le tribut accoutumé ; et, d’abord après, sous l’empire de Valentinien, les Allemands, à qui on avait offert des présents moins considérables qu’à l’ordinaire, s’en indignèrent, et ces peuples du Nord, déjà gouvernés par le point d’honneur, se vengèrent de cette insulte prétendue par une cruelle guerre.

Toutes ces nations qui entouraient l’Empire en Europe et en Asie absorbèrent peu à peu les richesses des Romains, et, comme ils s’étaient agrandis parce que l’or et l’argent de tous les rois était porté chez eux, ils s’affaiblirent parce que leur or et leur argent fut porté chez les autres.

Les fautes que font les hommes d’État ne sont pas toujours libres : souvent ce sont des suites nécessaires de la situation où l’on est, et les inconvénients ont fait naître les inconvénients.

La milice, comme on a déjà vu, était devenue très à charge à l’État. Les soldats avaient trois sortes d’avantages : la paye ordinaire, la récompense après le service, et les libéralités d’accident, qui devenaient très souvent des droits pour des gens qui avaient le peuple et le prince entre leurs mains.

L’impuissance où l’on se trouva de payer ces charges fit que l’on prit une milice moins chère. On fit des traités avec des nations barbares, qui n’avaient ni le luxe des soldats romains, ni le même esprit, ni les mêmes prétentions.

Il y avait une autre commodité à cela : comme les Barbares tombaient tout à coup sur un pays, n’y ayant point chez eux de préparatifs après la résolution de partir, il était difficile de faire des levées à temps dans les provinces. On prenait donc un autre corps de Barbares, toujours prêt à recevoir de l’argent, à piller et à se battre. On était servi pour le moment ; mais, dans la suite, on avait autant de peine à réduire les auxiliaires que les ennemis.

Les premiers Romains ne mettaient point dans leurs armées un plus grand nombre de troupes auxiliaires que de romaines, et, quoique leurs alliés fussent proprement des sujets, ils ne voulaient point avoir pour sujets des peuples plus belliqueux qu’eux-mêmes.

Mais, dans les derniers temps, non seulement ils n’observèrent pas cette proportion des troupes auxiliaires, mais même ils remplirent de soldats barbares les corps de troupes nationales.

Ainsi ils établissaient des usages tout contraires à ceux qui les avaient rendus maîtres de tout, et, comme autrefois leur politique constante fut de se réserver l’art militaire et d’en priver tous leurs voisins, ils le détruisaient pour lors chez eux et l’établissaient chez les autres.

Voici en un mot l’histoire des Romains : ils vainquirent tous les peuples par leurs maximes ; mais, lorsqu’ils y furent parvenus, leur République ne put subsister, il fallut changer de gouvernement, et des maximes contraires aux premières, employées dans ce gouvernement nouveau, firent tomber leur grandeur.

Ce n’est pas la Fortune qui domine le monde. On peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent, ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes, et, si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers.

Nous voyons que, depuis près de deux siècles, les troupes de terre de Danemark ont presque toujours été battues par celles de Suède. Il faut qu’indépendamment du courage des deux nations et du sort des armes il y ait dans le gouvernement danois, militaire ou civil, un vice intérieur qui ait produit cet effet, et je ne le crois point difficile à découvrir.

Enfin, les Romains perdirent leur discipline militaire ; ils abandonnèrent jusqu’à leurs propres armes. Végèce dit que, les soldats les trouvant trop pesantes, ils obtinrent de l’empereur Gratien de quitter leur cuirasse et ensuite leur casque ; de façon qu’exposés aux coups sans défense ils ne songèrent plus qu’à fuir.

Il ajoute qu’ils avaient perdu la coutume de fortifier leur camp, et que, par cette négligence, leurs armées furent enlevées par la cavalerie des Barbares.

La cavalerie fut peu nombreuse chez les premiers Romains : elle ne faisait que la onzième partie de la légion, et très souvent moins ; et, ce qu’il y a d’extraordinaire, ils en avaient beaucoup moins que nous, qui avons tant de sièges à faire, où la cavalerie est peu utile. Quand les Romains furent dans la décadence, ils n’eurent presque plus que de la cavalerie. Il me semble que, plus une nation se rend savante dans l’art militaire, plus elle agit par son infanterie, et que, moins elle le connaît, plus elle multiplie sa cavalerie. C’est que, sans la discipline, l’infanterie, pesante ou légère, n’est rien ; au lieu que la cavalerie va toujours, dans son désordre même. L’action de celle-ci consiste plus dans son impétuosité et un certain choc ; celle de l’autre, dans sa résistance et une certaine immobilité : c’est plutôt une réaction qu’une action. Enfin, la force de la cavalerie est momentanée ; l’infanterie agit plus longtemps ; mais il faut de la discipline pour qu’elle puisse agir longtemps.

Les Romains parvinrent à commander à tous les peuples, non seulement par l’art de la guerre, mais aussi par leur prudence, leur sagesse, leur constance, leur amour pour la gloire et pour la patrie. Lorsque, sous les Empereurs, toutes ces vertus s’évanouirent, l’art militaire leur resta, avec lequel, malgré la faiblesse de la tyrannie de leurs princes, ils conservèrent ce qu’ils avaient acquis. Mais, lorsque la corruption se mit dans la milice même, ils devinrent la proie de tous les peuples.

Un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes. Mais, comme, lorsqu’un État est dans le trouble, on n’imagine pas comment il peut en sortir, de même, lorsqu’il est en paix et qu’on respecte sa puissance, il ne vient point dans l’esprit comment cela peut changer ; il néglige donc la milice, dont il croit n’avoir rien à espérer et tout à craindre, et souvent même il cherche à l’affaiblir.

C’était une règle inviolable des premiers Romains que quiconque avait abandonné son poste ou laissé ses armes dans le combat était puni de mort. Julien et Valentinien avaient, à cet égard, établi les anciennes peines. Mais les Barbares pris à la solde des Romains, accoutumés à faire la guerre comme la font aujourd’hui les Tartares, à fuir pour combattre encore, à chercher le pillage plus que l’honneur, étaient incapables d’une pareille discipline.

Telle était la discipline des premiers Romains qu’on y avait vu des généraux condamner à mourir leurs enfants pour avoir, sans leur ordre, gagné la victoire. Mais, quand ils furent mêlés parmi les Barbares, ils y contractèrent un esprit d’indépendance qui faisait le caractère de ces nations, et, si l’on lit les guerres de Bélisaire contre les Goths, on verra un général presque toujours désobéi par ses officiers.

Sylla et Sertorius, dans la fureur des guerres civiles, aimaient mieux périr que de faire quelque chose dont Mithridate pût tirer avantage. Mais, dans les temps qui suivirent, dès qu’un ministre ou quelque grand crut qu’il importait à son avarice, à sa vengeance, à son ambition, de faire entrer les Barbares dans l’Empire, il le leur donna d’abord à ravager.

Il n’y a point d’État où l’on ait plus besoin de tributs que dans ceux qui s’affaiblissent ; de sorte que l’on est obligé d’augmenter les charges à mesure que l’on est moins en état de les porter. Bientôt, dans les provinces romaines, les tributs devinrent intolérables.

Il faut lire dans Salvien les horribles exactions que l’on faisait sur les peuples. Les citoyens, poursuivis par les traitants, n’avaient d’autre ressource que de se réfugier chez les Barbares ou de donner leur liberté au premier qui la voulait prendre.

Ceci servira à expliquer dans notre histoire française cette patience avec laquelle les Gaulois souffrirent la révolution qui devait établir cette différence accablante entre une nation noble et une nation roturière. Les Barbares, en rendant tant de citoyens esclaves de la glèbe, c’est-à-dire du champ auquel ils étaient attachés, n’introduisirent guère rien qui n’eût été plus cruellement exercé avant eux .

 
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