I. Prodiges qui annoncèrent l'extinction de la race des
Césars
La famille des Césars s'éteignit en Néron. Parmi beaucoup de
présages qui annoncèrent sa mort, il y en eu deux surtout d'une complète
évidence. Immédiatement après le mariage de Livie avec Auguste, elle était allée
visiter sa villa de Véies, lorsqu'un aigle en volant laissa tomber sur ses
genoux une poule blanche qu'il avait prise, et qui tenait dans son bec une
branche de laurier. Livie fit nourrir la poule, et planter le laurier. La poule
fit tant de poussins, que la villa en prit le nom de "Ad Gallinas", et le plant
de lauriers devint tel que les Césars y cueillirent dans la suite ceux de leurs
triomphes. L'usage s'établit de les replanter sur-le-champ à la même place, et
l'on a remarqué qu'à la mort de chacun d'eux, les lauriers qu'ils avaient
plantés dépérissaient. Or, dans la dernière année de Néron, tout le plant se
dessécha jusqu'aux racines, et toutes les poules moururent. Bientôt après, la
foudre frappa le temple des Césars, les têtes de leurs statues tombèrent toutes
à la fois, et le sceptre d'Auguste s'échappa de ses mains.
II. Origine de Galba
Galba, successeur de Néron, ne tenait en aucun degré à la
maison des Césars, mais il était d'une très haute noblesse, et d'une famille
aussi illustre qu'ancienne. Il s'inscrivait toujours sur ses statues
arrière-petit-fils de Quintus Catulus Capitolinus; et, lorsqu'il fut empereur,
il exposa dans le vestibule du palais sa généalogie qui faisait remonter son
origine paternelle à Jupiter et son origine maternelle à Pasiphaé, épouse de
Minos.
III. Étymologies diverses de ce surnom. Les ancêtres de
cet empereur
Il serait trop long de citer ici tous ses titres
d'illustration: je dirai un mot de sa famille. On ne sait quel fut le premier
des Sulpicius qui porta le surnom de Galba, ni pourquoi il le prit. Selon les
uns c'était pour avoir embrasé avec des torches enduites de "galbanum", une
ville d'Espagne qui avait résisté à un long siège. Selon d'autres, c'était parce
que, dans une maladie chronique, il faisait un fréquent usage de "galbeum",
c'est-à-dire de remèdes enveloppés de laine. Quelques-uns prétendent qu'il était
fort gras, et qu'en langue gauloise le mot "galba" signifie "gras". Quelques
autres soutiennent au contraire qu'il était très maigre, et que son surnom lui
venait d'un insecte qui naît dans le chêne et qu'on appelle "galba". Parmi ceux
qui illustrèrent cette famille, on nomme le consulaire Servius Galba, le plus
éloquent de ses contemporains. On rapporte qu'ayant obtenu, après sa préture, le
commandement de l'Espagne, il fit massacrer par trahison trente mille
Lusitaniens et qu'il causa ainsi la guerre de Viriathe. Son petit-fils, irrité
d'avoir été repoussé du consulat, conspira avec Brutus et Cassius contre Jules
César dont il avait été le lieutenant dans la Gaule, et fut condamné d'après la
loi Pedia. Après lui vinrent l'aïeul et le père de Galba. L'aïeul, plus célèbre
par ses études que par ses dignités, n'alla pas au-delà de la préture; mais il
publia une histoire fort étendue et pleine d'intérêt. Le père, petit de taille
et bossu, après avoir été consul, fut un avocat laborieux, mais peu éloquent. Il
eut deux femmes, Mummia Achaïca, petite-fille de Catulus, et
arrière-petite-fille de Lucius Mummius qui détruisit Corinthe; puis Livia
Ocellina, fort riche et fort belle, qui le rechercha, dit-on, à cause de sa
noblesse, et même avec beaucoup plus d'empressement, depuis que, à sa demande
réitérée, ayant quitté son habit en secret, il lui eut fait voir sa difformité
de peur de paraître vouloir la tromper. Il eut d'Achaïca deux fils, Gaius et
Sergius. Gaius, l'aîné, quitta Rome après avoir dissipé sa fortune, et, n'ayant
pu obtenir à son tour un proconsulat de Tibère, il se donna la mort.
IV. Sa naissance. Des présages lui promettent l'empire
L'empereur Servius Galba naquit sous le consulat de M.
Valerius Messala et de Cn. Lentulus, le neuvième jour avant les calendes de
janvier, dans une villa située au pied d'un coteau, près de Terracine, à gauche
de la route de Fondi. Adopté par sa belle-mère, il prit le nom de Livius et le
surnom d'Ocellus, en changeant de prénom; car il porta celui de Lucius au lieu
de Servius jusqu'à son avènement au trône. On sait que, dans son enfance, étant
venu saluer Auguste avec d'autres garçons de son âge, ce prince lui prit la joue
et lui dit: "Toi aussi, mon fils, tu goûteras de notre pouvoir." Tibère, ayant
appris que Galba devait régner un jour, mais dans sa vieillesse: "Qu'il vive
donc, dit-il; cela ne me regarde pas". Tandis que son aïeul faisait un sacrifice
pour détourner la foudre, un aigle lui enleva des mains les entrailles de la
victime, et les porta sur un chêne couvert de glands. On lui dit que ce présage
annonçait l'empire à sa famille, mais dans un temps éloigné: "Oui, répondit-il
en riant, quand les mules mettront bas." Aussi, lorsqu'il essaya une révolution,
rien ne lui donna plus d'espérance que d'avoir vu une mule mettre bas, et,
quoique tout le monde repoussât ce phénomène comme sinistre, lui seul, se
rappelant le sacrifice et la repartie de son aïeul, le regarda comme très
heureux. Après avoir pris la toge virile, il rêva que la fortune lui disait: "Je
suis lasse d'attendre à ta porte. Si tu ne te hâtes de me recevoir, je serai la
proie du premier venu." À son réveil, ayant ouvert son vestibule, il vit près du
seuil, une statue d'airain de cette déesse, un peu plus haute qu'une coudée. Il
la prit, l'emporta dans son sein à Tusculum, où il avait coutume de passer
l'été, la plaça parmi ses divinités domestiques, et lui voua un sacrifice tous
les mois et une veillée annuelle. Quoiqu'il ne fût pas encore parvenu à l'âge de
maturité, il maintint obstinément l'usage, oublié partout, excepté dans sa
maison, d'obliger ses affranchis et ses esclaves à se présenter deux fois le
jour pour lui souhaiter chacun le bonjour et le bonsoir.
V. Il refuse la main d'Agrippine. Son crédit auprès de
Livie
Parmi ses études il comprit aussi le droit. Il se maria;
mais, quand il eut perdu sa femme Lepida et les deux filles qu'elle lui avait
données, il resta dans le célibat, sans céder à aucune sollicitation, pas même à
celle d'Agrippine qui, devenue veuve de Domitius, recherchait sa main, quoique
alors il fût encore marié. Elle mit si bien tout en jeu pour le séduire, que la
mère de Lepida lui en fit des reproches dans un cercle de femmes, et s'emporta
même jusqu'à la frapper. Il entoura de respects assidus Livie, femme d'Auguste,
dont la faveur, tant qu'elle vécut, lui donna beaucoup de crédit, et dont le
testament faillit l'enrichir après sa mort. Elle lui avait légué cinquante
millions de sesterces. Mais cette somme étant marquée en chiffres, et non écrite
en toutes lettres, Tibère la réduisit à cinq cent mille sesterces; encore Galba
ne les toucha-t-il point.
VI. Ses dignités. Son commandement en Germanie
Il parvint aux honneurs avant l'âge fixé par la loi. À la
célébration des jeux floraux, il donna, comme préteur, un spectacle d'un nouveau
genre: il fit paraître des éléphants qui dansaient sur la corde. Ensuite il
gouverna l'Aquitaine pendant près d'un an. Puis il fut, durant six mois, consul
ordinaire, et, chose étrange, il succéda dans le consulat à Cn. Domitius, père
de Néron, et eut pour successeur Salvius Othon, père d'Othon, l'empereur.
C'était comme un présage de l'avenir; car il fut empereur entre les règnes de
leurs fils. Substitué à Gaetulicus par Caius Caligula, dès le lendemain de son
arrivée auprès des légions il défendit aux soldats d'applaudir au spectacle, et
leur donna pour ordre du jour de tenir leurs mains sous leurs casaques. On
répéta aussitôt dans le camp: "Soldat, fais ton devoir et renonce aux abus.
C'est Galba qui commande, et non Gaetulicus." Il défendit avec une égale
sévérité qu'on demandât des congés. Il fortifia par des travaux assidus les
vétérans et les jeunes soldats. Il arrêta promptement les Barbares qui s'étaient
répandus jusque dans la Gaule, et Caligula, alors présent, fut si content de lui
et de son armée, que, des innombrables troupes levées dans toutes les provinces,
les siennes furent celles qui reçurent le plus de témoignages honorables et les
plus belles récompenses. Galba lui-même se distingua beaucoup en dirigeant, un
bouclier à la main, les évolutions militaires, et en courant l'espace de vingt
mille pas à côté de la voiture de l'empereur.
VII. Son crédit auprès de Claude. Son proconsulat en
Afrique
À la nouvelle du meurtre de Caligula, on l'exhortait à
profiter de l'occasion; mais il préféra le repos. Claude lui en sut tant de gré
qu'il le rangea au nombre de ses amis, et l'honora d'une si haute considération
qu'il retarda l'expédition de Bretagne à cause d'une légère indisposition qui
lui était survenue. Il fut deux ans proconsul d'Afrique. On l'avait nommé sans
tirage au sort pour ramener l'ordre dans cette province, troublée par des
divisions intestines et inquiétée par les incursions des Barbares. Il s'acquitta
de cette tâche avec beaucoup de sévérité et de justice, même dans les plus
petites choses. Un soldat, dans une expédition où les vivres manquaient, avait
vendu cent deniers une mesure de froment qui lui restait de sa provision. Galba
défendit qu'on lui fournit aucun aliment lorsqu'il en aurait besoin, et le
soldat mourut de faim. Un jour qu'il rendait la justice, des gens se disputaient
la propriété d'une bête de somme. De part et d'autre les preuves et les
témoignages étaient si faibles, qu'on ne pouvait aisément découvrir la vérité.
Il ordonna que l'on conduirait l'animal à l'abreuvoir, la tête couverte ;
qu'ensuite on lui ôterait son voile, et qu'il appartiendrait à celui vers lequel
il irait de son propre mouvement.
VIII. Ses récompenses. Son commandement en Espagne. Des
prodiges l'appellent au trône
En récompense de ce qu'il fit alors en Afrique et de ce qu'il
avait fait autrefois en Germanie, il reçut les ornements triomphaux et un triple
sacerdoce par lequel il fut agrégé aux quindécemvirs, au collège des prêtres
Titiens et à celui des prêtres d'Auguste. Depuis ce temps jusque vers le milieu
du règne de Néron, il vécut presque toujours dans la retraite, ne sortant jamais
hors de la ville en litière sans être suivi d'un fourgon qui portait un million
de sesterces en or. Il était à Fondi lorsqu'on lui offrit le commandement de
l'Espagne tarragonaise. À son arrivée dans cette province, tandis qu'il
sacrifiait dans un temple, les cheveux blanchirent tout à coup à un jeune
esclave qui tenait l'encens. On ne manqua pas de dire que c'était le présage
d'une révolution, et qu'un vieillard succéderait à un jeune homme, c'est-à-dire
Galba à Néron. Peu de temps après, la foudre tomba dans un lac chez les
Cantabres, et l'on y trouva douze haches qui désignaient clairement la puissance
souveraine.
IX. Inégalité de sa conduite dans son gouvernement
d'Espagne. Il accepte le rôle de libérateur du monde. Des prodiges l'appellent
au trône
Il gouverna pendant huit ans cette province avec une extrême
inégalité. D'abord actif, prompt et outré dans la répression des délits, il alla
jusqu'à couper les mains à un changeur infidèle et à les clouer sur son
comptoir. Il fit mettre en croix un tuteur pour avoir empoisonné son pupille,
dont les biens devaient lui revenir; et, comme il invoquait les lois en
attestant sa qualité de citoyen romain, pour adoucir sa peine par quelques
distinctions, il ordonna qu'on changeât sa croix et qu'on lui en dressât une
beaucoup plus élevée et d'un bois blanchi. Peu à peu, il tomba dans le
relâchement et la paresse, afin de ne point donner d'ombrage à Néron. Il avait
coutume d'alléguer, pour motif de cette conduite, que personne n'était obligé de
rendre compte de son inaction. Il tenait à Carthagène une assemblée provinciale,
lorsqu'il apprit le soulèvement des Gaules. Le lieutenant d'Aquitaine lui
demandait des secours quand il reçut une lettre de Vindex qui l'exhortait à se
déclarer le chef et le libérateur du genre humain. Il ne balança pas longtemps,
et y consentit non moins par crainte que par ambition; car il avait surpris des
ordres que Néron avait envoyés en secret à ses agents pour se défaire de lui.
D'ailleurs il avait pour lui les auspices et les présages les plus heureux,
ainsi que les prédictions d'une vierge respectable qui lui inspiraient d'autant
plus de confiance, qu'elles avaient été prononcées déjà plus de deux cents ans
auparavant par une jeune fille qui lisait dans l'avenir, et que, dans la ville
de Clunie, le grand prêtre de Jupiter, averti par un songe, venait de retirer
les vers qui les renfermaient. Cet oracle annonçait qu'un jour ce serait de
l'Espagne que sortirait le souverain maître de l'univers.
X. Il est salué empereur. Ses dangers
Il monta donc sur son tribunal comme s'il allait procéder à
un affranchissement; ensuite, plaçant devant lui une grande quantité de
portraits des citoyens que Néron avait fait périr, et ayant à ses côtés un noble
jeune homme qu'on avait fait venir exprès de la plus voisine des îles Baléares
où il était exilé, il déplora l'état où étaient les affaires, fut salué
empereur, et déclara qu'il était le lieutenant du sénat et du peuple romain.
Puis il annonça que le cours de la justice était interrompu, et leva dans la
province des légions et des troupes auxiliaires pour renforcer son armée qui
n'était que d'une légion, de deux escadrons et de trois cohortes. Il choisit
parmi les plus illustres du pays ceux que recommandaient leur âge et leur
sagesse, et en fit une espèce de sénat auquel il pourrait rendre compte des
affaires importantes, toutes les fois qu'il en serait besoin. Il désigna, dans
l'ordre des chevaliers, des jeunes gens qui, conservant toujours le droit de
porter l'anneau d'or, devaient lui servir d'huissiers et de gardes du corps. Il
répandit des proclamations dans les provinces, engageant chacun à part et tous
ensemble à réunir leurs efforts, autant que possible, pour concourir à la cause
commune. Vers le même temps, en fortifiant une ville dont il avait fait sa place
d'armes, on trouva un anneau antique dont la pierre représentait une victoire
avec un trophée. Bientôt un vaisseau d'Alexandrie, chargé d'armes, vint aborder
à Dertosa, sans pilote, ni matelots, ni passagers. Personne ne doutait que la
guerre entreprise ne fût juste, sainte et agréable aux dieux, quand tout à coup
on fut sur le point de tout perdre. Au moment où Galba approchait du camp, un
escadron, se repentant d'avoir violé son serment, voulut l'abandonner, et ne fut
retenu qu'avec peine dans le devoir. D'un autre côté, des esclaves dont un
affranchi de Néron lui avait fait présent, et qui en voulaient à sa vie,
allaient l'assassiner dans une rue étroite qu'il traversait pour se rendre au
bain, s'il ne les eût entendus s'exhortant mutuellement à ne pas laisser
échapper l'occasion. Il leur demanda de quelle occasion ils parlaient, et la
torture leur arracha l'aveu de leur crime.
XI. Il se met en marche et se défait de ses ennemis
A tant de dangers se joignit la mort de Vindex. Il en fut si
consterné que, ne sachant quel parti prendre, il fut sur le point de renoncer à
la vie. Mais quand les messages de Rome lui apprirent que Néron était mort, et
que partout on lui avait fait serment de fidélité, il quitta le titre de légat
pour celui de César. Il se mit en marche avec le costume de chef militaire, un
poignard suspendu au cou, et ne reprit la toge qu'après s'être défait de ceux
qui suscitaient de nouveaux troubles: c'était à Rome, Nymphidius Sabinus, préfet
du prétoire; en Germanie, Fonteius Capito; en Afrique, Clodius Macer, tous deux
légats.
XII. Son avarice et sa cruauté
Il arrivait précédé d'une réputation d'avarice et de cruauté,
parce qu'en Espagne et dans les Gaules il avait frappé d'impôts considérables
les villes qui avaient hésité à suivre son parti. Il en avait même puni
quelques-unes en détruisant leurs murailles, et condamné au dernier supplice
leurs chefs et les agents du fisc avec leurs femmes et leurs enfants. Il avait
fait fondre une couronne d'or de quinze livres tirée d'un ancien temple de
Jupiter, que la Tarragonaise lui avaient offerte, et exigé le paiement de trois
onces qui manquaient au poids. Cette réputation ne fit que se fortifier et
s'accroître dès qu'il fut entré à Rome. Il voulut rendre à leur premier état les
rameurs que Néron avait transformés en soldats légionnaires; et, comme ils
refusaient et réclamaient obstinément leur aigle et leurs enseignes, non
seulement il les dispersa avec sa cavalerie, mais il les décima. Il licencia la
cohorte germaine que les Césars avaient créée pour la sûreté de leur personne,
et dont la fidélité était à l'épreuve; il la renvoya dans sa patrie sans aucune
récompense, sous prétexte qu'elle était trop dévouée à Cn. Dolabella dont les
jardins touchaient au camp de cette garde étrangère. On racontait de lui, pour
s'en moquer, des traits d'avarice vrais ou supposés. On disait qu'il avait
soupiré en voyant sa table somptueusement servie; qu'un jour son maître d'hôtel
ordinaire lui ayant présenté ses comptes, il lui avait donné un plat de légumes
pour récompenser son exactitude et son zèle; enfin, qu'enchanté d'un joueur de
flûte nommé Canus, il lui avait donné cinq deniers qu'il avait tirés lui-même de
sa cassette particulière.
XIII. Il reçoit à Rome un mauvais accueil
Aussi ne reçut-il pas un accueil bien favorable des Romains.
On s'en aperçut dès le premier spectacle où les Atellanes ayant entonné ce chant
si connu: "Voilà Onésime qui revient du village", tous les spectateurs
l'achevèrent à l'unisson, et répétèrent plusieurs fois ce vers avec beaucoup
d'entrain.
XIV. Il se laisse entièrement gouverner par trois
courtisans
La faveur et la considération qui l'avaient porté à l'empire
ne l'y suivirent pas. Ce n'est pas qu'en mainte circonstance, il ne se conduisit
en bon prince; mais on était disposé à sentir le mal plus que le bien. Il était
gouverné par trois hommes qui logeaient dans l'intérieur de son palais et ne le
quittaient point. On les appelait ses pédagogues. C'étaient T. Vinius, son légat
en Espagne, homme d'une cupidité effrénée; Cornelius Laco, qui de simple
assesseur était devenu préfet du prétoire, et dont l'arrogance et la sottise
étaient insupportables; enfin l'affranchi Icelus, déjà décoré de l'anneau d'or
et du surnom de Marcianus, et qui prétendait au suprême degré de l'ordre des
chevaliers. Ces trois hommes, dominés par des vices différents, gouvernaient si
despotiquement le vieil empereur, qu'il ne s'appartenait plus, tantôt trop dur
et trop avare pour un souverain élu, tantôt trop faible et trop insouciant pour
un souverain de son âge. Sur le plus léger soupçon, et sans les entendre, il
condamna quelques citoyens marquants des deux ordres. Il conféra rarement le
droit de cité, et n'accorda qu'à une ou deux personnes le privilège des trois
enfants, encore ne fut-ce que pour un temps limité. Les juges le priaient de
leur adjoindre une sixième décurie. Non seulement il s'y refusa, mais il leur
enleva même la faveur que leur avait concédée Claude, de ne pouvoir être
convoqués en hiver ni au commencement de l'année.
XV. Il révoque toutes les libéralités de Néron. Ses
affranchis disposent de tout
On croyait qu'il fixerait à deux ans la durée des emplois des
sénateurs et des chevaliers, et qu'il ne les donnerait qu'à ceux qui ne les
désireraient pas ou qui les refuseraient. Il institua une commission de
cinquante chevaliers pour révoquer et reprendre toutes les libéralités de Néron.
On n'accordait pas plus du dixième aux donataires. Si des histrions ou des
lutteurs avaient vendu tout ce qu'on leur avait donné autrefois, sans en pouvoir
rendre la valeur, on reprenait l'objet aux acheteurs. Au contraire les
compagnons et les affranchis de Galba avaient le droit de tout vendre à prix
d'argent ou de prodiguer par faveur, revenus publics, privilèges, punitions des
innocents, impunité des coupables. Il refusa au peuple romain de livrer au
supplice Tigellin et Halotus, les plus pernicieux de tous les agents de Néron.
Il donna même à Halotus un emploi considérable, et, dans un ordre du jour, il
reprocha au peuple sa cruauté envers Tigellin.
XVI. Il s'aliène tous les esprits. L'armée de la
Haute-Germanie donne le signal de la révolte
Cette conduite blessa presque tous les ordres de l'empire, et
le rendit odieux surtout aux soldats. Avant son arrivée, les chefs, en jurant de
lui obéir, avaient promis une gratification plus forte qu'à l'ordinaire. Galba
ne ratifia point cette promesse, et dit tout haut plusieurs fois qu'il avait
coutume de lever les soldats et non de les acheter. Ce propos aigrit toutes les
troupes, en quelque lieu qu'elles fussent cantonnées. L'indignation et la
crainte aliénèrent également les prétoriens, qui furent pour la plupart éloignés
comme suspects et comme amis de Nymphidius. Les légions de la Haute-Germanie
étaient celles qui murmuraient le plus: elles se voyaient privées des
récompenses qu'elles attendaient de leurs services contre les Gaulois et contre
Vindex. Elles osèrent donc les premières rompre tout lien d'obéissance, et, aux
calendes de janvier, elles ne voulurent prêter serment qu'au sénat. En même
temps, elles arrêtèrent qu'on dépêcherait aux prétoriens pour leur dire qu'elles
étaient mécontentes de l'empereur élu en Espagne, et les charger d'en choisir un
qui eût le suffrage de toutes les armées.
XVII. Il adopte Pison. Conspiration d'Othon
Instruit de ces démarches, Galba crut qu'on le méprisait
moins à cause de son âge que parce qu'il n'avait pas d'enfants. Il prit aussitôt
dans la foule de ceux qui venaient lui rendre leurs devoirs, Pison Frugi
Licinianus, jeune homme distingué par son mérite et par sa naissance, que depuis
longtemps il estimait beaucoup, et que, dans son testament, il avait toujours
porté comme héritier de ses biens et de son nom; il l'appela son fils, le
conduisit au camp, et l'adopta devant l'armée sans faire aucune mention de
gratification pour elle. Cette avarice aida Marcus Salvius Othon à exécuter ses
desseins le sixième jour qui suivit cette adoption.
XVIII. Des présages lui annoncent sa fin
Des prodiges frappants et réitérés avaient annoncé à Galba,
dès le commencement de son règne, la fin tragique qui l'attendait. Tandis que
sur sa route on immolait de ville en ville des victimes de tous côtés, un
taureau frappé d'un coup de hache rompit ses liens, se précipita sur son char,
et, se dressant sur ses pieds, le couvrit de sang. Au moment où Galba en
descendait, un garde, pressé par la foule, faillit le blesser de sa lance. À son
entrée dans Rome et dans le palais, la terre trembla, et fit entendre une espèce
de mugissement. Ensuite vinrent des présages encore plus manifestes. Il avait
choisi dans son trésor un collier garni de perles et de pierres précieuses pour
en décorer sa statuette de la Fortune à Tusculum. Mais, pensant que ce collier
était digne d'un lieu plus auguste, il le dédia à la Vénus du Capitole. La nuit
suivante, il rêva que la Fortune se plaignait d'avoir été frustrée de l'offrande
qu'il lui destinait, et le menaçait de lui retirer aussi ses dons. Effrayé de ce
songe, il envoya, dès le point du jour, préparer un sacrifice, et courut
lui-même à Tusculum. Mais il n'y trouva qu'un feu éteint sur l'autel, et à côté,
un vieillard en habit de deuil, portant de l'encens dans un bassin de cristal,
et du vin dans une coupe de terre. On remarqua aussi, aux calendes de janvier,
que la couronne tomba de sa tête pendant qu'il faisait un sacrifice, et que les
poulets s'envolèrent quand il prit les auspices. Le jour de l'adoption de Pison,
lorsqu'il allait haranguer les soldats, on avait oublié de mettre, selon
l'usage, le siège militaire devant son tribunal, et, dans le sénat, sa chaise
curule se trouva placée de travers.
XIX. Sa mort
Le jour où il fut assassiné, un haruspice l'avertit plusieurs
fois le matin, pendant qu'il sacrifiait, de prendre garde à lui, et lui dit que
les meurtriers n'étaient pas loin. Un moment après, il apprit qu'Othon était
maître du camp. On lui conseilla de s'y rendre au plus tôt pour raffermir tout
par son pouvoir et par sa présence. Mais il se borna à rester dans son palais et
à se fortifier en faisant venir les légions qui étaient campées à différentes
distances. Il revêtit pourtant sa cuirasse de lin, quoique il ne se dissimulât
pas qu'elle serait d'un faible secours contre tant de poignards. Les conjurés,
pour le tirer de son palais et le faire paraître en public, avaient à dessein
répandu de faux bruits. Quelques-uns assuraient çà et là que l'affaire était
terminée et la révolte vaincue; que la foule accourait pour le féliciter et
l'assurer de son obéissance. il sortit au-devant d'elle avec tant de confiance,
qu'il demanda à un soldat qui se vantait d'avoir tué Othon: "Par quel ordre?"
Puis il s'avança sur le Forum. Les cavaliers qui avaient ordre de le tuer,
poussèrent leurs chevaux en écartant la foule des campagnards. Dès qu'ils
l'eurent aperçu de loin, ils s'arrêtèrent un moment; ensuite ils reprirent leur
course, et, le voyant abandonné des siens, ils le massacrèrent.
XX. Son cadavre est laissé dans le Forum. On lui coupe la
tête. Sa sépulture
Quelques historiens rapportent que, dans le premier moment,
il s'écria: "Que faites-vous, camarades? Je suis à vous comme vous êtes à moi,"
et qu'il leur promit une gratification. Plusieurs prétendent qu'il leur tendit
lui-même la gorge, en leur disant de frapper puisqu'ils le trouvaient bon. Ce
qu'il y a d'étonnant, c'est qu'aucun des assistants n'essaya de le secourir, et
que de toutes les troupes qui furent mandées, nulle ne tint compte de son ordre,
excepté un corps de cavalerie d'une légion de Germanie qui vola à son aide en
reconnaissance d'un bienfait récent. Galba avait fait prendre soin de ces
cavaliers dans un moment où ils étaient souffrants et épuisés. Mais, ne
connaissant pas les chemins, ils s'égarèrent et arrivèrent trop tard. Galba fut
égorgé près du lac Curtius. On le laissa sur place tel qu'il se trouvait. Enfin
un soldat qui avait été chercher sa ration de grains, l'aperçut, jeta sa charge
et lui coupa la tête. Ne pouvant la prendre par les cheveux, parce qu'elle était
chauve, il la mit dans sa robe; puis, lui passant le pouce dans la bouche, il la
porta à Othon. Celui-ci l'abandonna aux vivandiers et aux valets de l'armée, qui
la plantèrent au bout d'une pique, et la promenèrent autour du camp avec de
grandes risées, criant de temps en temps: "Eh bien, Galba, jouis donc de ta
jeunesse." Ce qui les poussait à cette brutale plaisanterie; c'est qu'on avait
répandu peu de jours auparavant, que, quelqu'un lui faisant compliment sur sa
force et sa verdeur, il avait répondu: "Mon intrépidité n'a pas encor faibli."
Un affranchi de Patrobius le Néronien acheta sa tête cent deniers d'or, et la
jeta dans le même lieu où, par ordre de Galba, son maître avait été livré au
supplice. Ce fut beaucoup plus tard que son intendant Argivus put la réunir à
son corps pour l'ensevelir dans ses jardins de la voie Aurélienne.
XXI. Son portrait
Galba était de taille moyenne. Il avait la tête chauve, les
yeux bleus, le nez aquilin, les pieds et les mains tellement contrefaits par la
goutte, qu'il ne pouvait ni supporter une chaussure, ni déplier un billet, ni
même le tenir. Il portait au flanc droit une excroissance de chair si
proéminente, qu'on pouvait à peine la contenir par un bandage.
XXII. Ses vices
On dit qu'il était fort gourmand, et qu'en hiver il mangeait
même avant le jour. Sa table était si abondante, que la desserte était portée de
main en main autour de la salle et distribuée aux officiers de service. Sa
passion pour les hommes s'adressait exclusivement à l'âge mûr et à la
vieillesse. On prétend que lorsqu'en Espagne Icelus, l'un de ses anciens
mignons, vint lui annoncer la mort de Néron, non seulement il le serra dans ses
bras devant tout le monde, mais il le pria de se faire épiler sur-le-champ et le
conduisit à l'écart.
XXIII. Le sénat lui décrète une statue; décret révoqué par
Vespasien
Il périt dans la soixante-treizième année de son âge, le
septième mois de son règne. Le sénat lui avait décerné, dès qu'il l'avait pu,
une statue qui devait être élevée sur une colonne rostrale dans l'endroit du
Forum où il fut égorgé. Mais Vespasien cassa le décret, croyant que Galba avait
envoyé d'Espagne en Judée des assassins pour se défaire de lui. |