Victoire de Rome sur les Sabins (505). Mort de Valérius Publicola (503)
[II, 16]
(1) Les consuls suivants furent Marcus Valérius et Publius
Postumius. Cette année-là on combattit avec succès contre les Sabins, et les
consuls obtinrent les honneurs du triomphe. Les Sabins ne s'en préparèrent
qu'avec plus d'ardeur à recommencer la guerre. (2) Pour leur tenir tête, et pour
prévenir une attaque soudaine du côté de Tusculum, qui, sans avoir déclaré la
guerre, était soupçonnée de dispositions hostiles, on créa consuls Publius
Valérius pour la quatrième fois, et Titus Lucrétius pour la seconde. (3) Des
dissensions qui éclatèrent chez les Sabins, entre les partisans de la guerre et
ceux de la paix, vinrent donner de nouvelles forces aux Romains. (4) En effet,
Attus Clausus, qui depuis fut appelé à Rome Appius Claudius, se voyant, comme
chef du parti de la paix, opprimé par ceux qui excitaient à la guerre, et
incapable de résister à leur faction, s'enfuit de Régille, suivi d'une foule
nombreuse de clients, et vint se réfugier à Rome. (5) On leur donna le droit de
cité et des terres au-delà de l'Anio. Ils formèrent la tribu appelée l'ancienne
Claudia, dans laquelle on incorpora tous les nouveaux citoyens venus du même
lieu.
Appius fut admis dans le sénat et ne tarda pas à s'y faire
distinguer. (6) Cependant les consuls envahirent, à la tête de leur armée, le
territoire sabin, qu'ils ravagèrent, et après avoir fait essuyer aux ennemis une
si terrible défaite que de longtemps on n'eut pas à craindre de voir ce peuple
reprendre les armes, ils rentrèrent à Rome en triomphe. (7) Publius Valerius,
qui de l'aveu de tous tenait le premier rang, soit comme capitaine, soit comme
homme d'état, mourut l'année suivante, sous le consulat d'Agrippa Ménénius et de
Publius Postumius, riche de gloire, sans doute, mais laissant une fortune si
modique qu'elle ne put suffire aux frais de ses funérailles. Elles furent faites
aux dépens de l'État, et les dames romaines prirent le deuil pour lui comme pour
Brutus.
(8) Cette même année, deux colonies latines, Pométia et Cora,
se réunirent aux Aurunces, ce qui donna lieu à une guerre avec ce peuple. Une
armée nombreuse, qui vint fièrement s'opposer aux consuls, sur la frontière, fut
mise en déroute, et le fort de la guerre se concentra sur Pométia. (9) Le sang
ne coula pas moins après le combat que pendant le combat même; le nombre des
tués surpassa celui des prisonniers, et les prisonniers eux-mêmes furent
massacrés sur différents points. Le vainqueur, dans sa colère, n'épargna même
pas les otages, qui étaient au nombre de trois cents. Et cette année Rome vit
encore un triomphe.
Fin de la guerre contre les Aurunces (502)
[II, 17]
(1) Les consuls nommés l'année suivante furent Opiter
Verginius et Spurius Cassius. Ils tentèrent d'enlever Pométia d'assaut et
recoururent ensuite aux mantelets et à d'autres ouvrages. (2) Les Aurunces,
poussés par une haine implacable plutôt que par l'espoir ou par l'occasion,
s'élancèrent sur les travailleurs, armés de torches bien plus encore que
d'épées, et mirent tout à feu et à sang. (3) Ils incendièrent les mantelets,
blessèrent et tuèrent un grand nombre d'ennemis, et peu s'en fallut qu'ils
n'ôtassent la vie à l'un des deux consuls (les historiens ne le nomment pas),
qui, gravement blessé, était tombé de cheval. (4) Après cet échec, l'armée
rentra dans Rome, laissant dans le camp beaucoup de blessés, et entre autres le
consul, qu'on espérait peu de sauver.
Après un court espace de temps, qui avait suffi pour guérir
les blessures et recruter l'armée, on revint, avec une nouvelle ardeur et de
nouvelles forces, assiéger Pométia. (5) Les mantelets et les autres ouvrages
réparés, le soldat était au moment d'escalader les murs, quand la ville se
rendit. (6) Malgré cette capitulation, elle ne fut pas moins rigoureusement
traitée que si elle eût été prise d'assaut : les principaux Aurunces furent,
sans distinction, frappés de la hache, les autres habitants vendus à l'encan,
ainsi que le territoire, et la place fut rasée. (7) Les consuls durent les
honneurs du triomphe plutôt à la rigueur de la vengeance qu'ils venaient
d'exercer, qu'à l'importance de la guerre à laquelle ils avaient mis fin.
Nomination du premier dictateur (501)
[II, 18]
(1) L'année suivante eut pour consuls Postumus Cominius et
Titus Largius. (2) Cette même année, à Rome, durant la célébration des jeux, de
jeunes Sabins, dans un moment d'effervescence, enlevèrent quelques courtisanes,
et occasionnèrent un attroupement qui fut suivi d'une rixe et faillit amener un
combat. On craignit que cet incident frivole ne fit éclater une nouvelle
insurrection des Sabins. (3) On n'avait pas seulement à craindre une guerre
contre les Latins : trente peuples, excités par Octavius Mamilius, s'étaient
ligués contre Rome : on n'en pouvait douter. (4) Dans l'inquiétude que causait
l'attente d'aussi grands événements, on parla pour la première fois de créer un
dictateur. Mais en quelle année et à quels consuls donna-t-on cette marque de
défiance, parce que, suivant la tradition, ils étaient de la faction des
Tarquins ? quel fut le premier Romain créé dictateur ? ce sont autant de points
sur lesquels on n'est pas d'accord. (5) Je trouve cependant chez les plus
anciens auteurs que Titus Largius fut le premier élevé à la dictature, et que
Spurius Cassius fut nommé général de la cavalerie. L'élection fut faite par les
consulaires, ainsi que le voulait la loi relative à la création d'un dictateur;
(6) ce qui me porterait encore à croire que Largius, consulaire, fut préféré à
Manius Valérius, fils de Marcus et petit-fils de Volésus, qui n'avait pas encore
été consul, puisqu'il s'agissait de donner aux consuls un chef qui pût les
diriger. (7) Si l'on eût tenu à choisir un dictateur dans la famille Valéria, on
eût élu de préférence à son fils, Marcus Valérius, homme d'un mérite reconnu et
personnage consulaire.
(8) Après l'élection du premier dictateur, quand on vit à
Rome les haches portées devant lui, une grande terreur s'empara du peuple et le
disposa à plus d'obéissance. On ne pouvait plus, comme avec les consuls, dont le
pouvoir était égal, chercher un recours auprès de l'un contre l'autre, ou en
appeler au peuple; il ne restait d'autre ressource qu'une prompte obéissance.
(9) Les Sabins aussi tremblèrent à la nouvelle de la création d'un dictateur à
Rome, d'autant qu'ils croyaient cette mesure dirigée contre eux. Ils envoient
donc des ambassadeurs pour demander la paix. (10) Ceux-ci conjurent le dictateur
et le sénat d'excuser chez des jeunes gens un moment d'erreur; on leur répondit
qu'on pouvait pardonner à des jeunes gens, mais non pas à des vieillards qui
faisaient sans cesse naître la guerre de la guerre. (11) Cependant on traita de
la paix, et les Sabins l'eussent obtenue, s'ils avaient, comme on le demandait,
consenti à payer les frais des préparatifs. La guerre fut donc déclarée; mais
une trêve tacite maintint la tranquillité durant cette année.
Guerre contre les Latins (500-499)
[II, 19]
(1) Le consulat de Servius Sulpicius et de Manius Tullius
n'offre rien de mémorable. (2) Le suivant, celui de Titus Aebutius et de Gaius
Vétusius, fut signalé par le siège de Fidènes, la prise de Crustumérie, et la
défection de Préneste, qui abandonna les Latins pour Rome. La guerre contre le
Latium qui fomentait sourdement depuis quelques années ne fut pas différée plus
longtemps. (3) Aulus Postumius, dictateur, et Titus Aebutius, maître de
cavalerie, partirent à la tête d'une infanterie et d'une cavalerie nombreuse, et
rencontrèrent l'ennemi près du lac Régille sur le territoire de Tusculum. (4)
Quand les Romains apprirent que les Tarquins étaient dans l'armée latine, leur
colère fut si violente, qu'ils en vinrent aux mains sans plus tarder. (5) Aussi,
cette bataille fut-elle la plus importante et la plus acharnée qu'ils eussent
livrée jusque-là. En effet, les généraux eux-mêmes, non contents de diriger les
mouvements, s'attaquèrent et se mesurèrent corps à corps, et, si l'on excepte le
dictateur romain, il n'y eut presque aucun des chefs, dans l'une et l'autre
armée, qui sortît du combat sans blessures.
(6) Postumius était sur le front de la première ligne, occupé
à ranger ses troupes et à les exhorter, quand Tarquin le Superbe, oubliant son
âge et sa faiblesse pour ne songer qu'à sa haine, lance son cheval contre lui;
blessé au flanc, le vieux roi est aussitôt entouré par les siens qui le mettent
en sûreté. (7) À l'autre aile, Aebutius, maître de cavalerie, allait se
précipiter sur Octavius Mamilius; le chef tusculan le voit venir et pousse son
coursier contre lui. (8) Leurs lances se croisent, ils se rencontrent, et leur
choc est si violent, qu'Aebutius a le bras traversé, et que Mamilius est frappé
à la poitrine. (9) Les Latins l'entraînent aussitôt dans leur seconde ligne.
Pour Aebutius, qui de son bras blessé ne pouvait plus tenir son arme, il quitte
le champ de bataille. (10) Le général latin, sans faire attention à sa blessure,
ranime le combat, et, voyant ses soldats atterrés, il fait avancer la cohorte
des exilés romains, commandés par le fils de Lucius Tarquin. Ces derniers,
irrités par la colère d'avoir perdu leurs biens et leur patrie, montrent plus de
courage et rétablissent un peu le combat.
Victoire du lac Régille (499)
[II, 20]
(1) Les Romains commençaient à lâcher pied sur ce point,
quand Marcus Valérius, frère de Publicola, aperçoit le jeune Tarquin qui se
montrait plein de fierté à la tête des transfuges. Exalté par la gloire de sa
maison et (2) voulant que la même famille qui avait eu l'honneur d'expulser les
rois eût aussi celui de les tuer, il enfonce les éperons dans le flanc de son
cheval, et fond sur Tarquin, la lance en arrêt. (3) Tarquin, pour se dérober à
la fureur de son ennemi, se réfugie dans les rangs des siens. Valérius, emporté
par son ardeur inconsidérée, vient heurter le front des exilés, et reçoit dans
le flanc un coup qui le perce de part en part. Sa blessure ne ralentit pas la
fougue de son cheval; mais le cavalier expirant tombe à terre et ses armes
tombent sur lui. (4) Le dictateur Postumius, en voyant un si brave guerrier
frappé à mort, les exilés pleins d'arrogance s'avancer au pas de course, et les
siens, dans leur effroi, commencer à plier, (5) donne à sa cohorte, troupe
d'élite qu'il gardait auprès de lui pour sa défense, l'ordre de traiter en
ennemi tout Romain qu'ils verront fuir. Ainsi placés entre deux craintes, les
Romains ne songent plus à la fuite et reprennent leurs rangs.
(6) La cohorte du dictateur donne alors pour la première
fois, et ce corps, dont les forces et le courage sont intacts, taille en pièces
les exilés épuisés de fatigue. (7) Alors un nouveau combat s'engage entre les
chefs. Le général latin, voyant la cohorte des exilés presque enveloppée par le
dictateur, tire de sa réserve quelques manipules qu'il conduit vivement sur sa
première ligne. (8) Le lieutenant Titus Herminius voit cette troupe qui s'avance
en bon ordre, et, reconnaissant au milieu d'elle Mamilius à ses vêtements et à
ses armes, il l'attaque avec plus de fureur encore que ne venait de le faire le
maître de cavalerie, (9) et, du premier coup, lui perce le flanc d'outre en
outre, et le renverse mort. Mais lui-même, pendant qu'il dépouille le corps de
son ennemi, est frappé d'un dard, et ramené vainqueur dans le camp, il expire
aux premiers soins qu'on lui donne.
(10) Aussitôt le dictateur court à sa cavalerie, la conjure,
maintenant que l'infanterie est fatiguée, de mettre pied à terre et de ranimer
le combat. Ils obéissent, sautent à bas de cheval, volent sur le front de
l'armée, et remplaçant le premier rang, opposent à l'ennemi leurs petits
boucliers, (11) L'infanterie reprend sur-le-champ courage quand elle voit cette
élite de la jeunesse se mettre ainsi de niveau avec elle, et prendre sa part des
dangers. Alors enfin, l'armée latine est ébranlée et commence à plier. (12) Les
cavaliers se font ramener leurs chevaux, afin de pouvoir poursuivre l'ennemi, et
l'infanterie marche sur leurs traces. Dans cette circonstance, le dictateur,
n'oubliant aucune des ressources que pouvaient lui offrir les dieux et les
hommes, voua, dit-on, un temple à Castor, et proclama des prix pour le premier
et le second soldat qui entreraient dans le camp des Latins. (13) L'ardeur fut
telle, que, du même élan qui dispersa l'ennemi, les Romains s'emparèrent de son
camp. Telle fut la bataille du lac Régille. Le dictateur et le maître de
cavalerie rentrèrent triomphants à Rome.
Mort de Tarquin le Superbe (495)
[II, 21]
(1) Durant les trois années suivantes, il n'y eut ni paix ni guerre réelles. Les
consuls furent Quintus Clélius et Titus Larcius; puis Aulus Sempronius et Marcus
Minucius, (2) sous lesquels eut lieu la dédicace du temple de Saturne et
l'institution de la fête des Saturnales. Ils eurent pour successeurs Aulus
Postumius et Titus Verginius. (3) Je trouve dans quelques auteurs, que ce fut
cette année seulement qu'eut lieu la bataille du lac Régille; que Aulus
Postumius, se défiant de son collègue, abdiqua le consulat et fut créé
dictateur. (4) La diversité des traditions sur la succession des magistrats
expose à tant d'erreurs chronologiques qu'on ne peut, à une si grande distance
des événements et des historiens, déterminer avec certitude les consuls et les
faits de chaque année.
(5) À Aulus Postumius et à Titus Verginius succédèrent Appius Claudius
et Publius Servilius. L'événement le plus remarquable de cette année fut
la mort de Tarquin, arrivée à Cumes où, après la défaite des Latins, il
s'était retiré près du tyran Aristodème. (6) Cette nouvelle transporta
de joie et le sénat et le peuple; mais cette joie, chez les patriciens,
ne connut pas de bornes; et le peuple, qu'on avait jusqu'alors ménagé
avec le plus grand soin, se vit, dès ce moment, en butte à l'oppression
des grands. (7) Cette même année on conduisit à Signia une nouvelle
colonie, qui compléta celle que le roi Tarquin y avait établie. On forma
à Rome vingt et une tribus. La dédicace du temple de Mercure eut lieu
aux ides de mai.
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