Guerre contre
Priverne (357)
[VII, 16]
(1) Les patriciens virent avec
moins de joie, l'année suivante, sous le consulat de C. Marcius et de Cn.
Manlius, les tribuns du peuple M. Duilius et L. Menenius présenter, sur
l'intérêt à un pour cent, une loi que le peuple, au contraire, accueillit et
adopta avec empressement.
(2) Outre les nouvelles guerres
décidées l'année précédente, une attaque fut résolue contre les Falisques,
doublement coupables, et de la coalition de leur jeunesse avec les Tarquiniens,
et de leur refus de rendre aux féciaux romains les soldats qui s'étaient
réfugiés à Faléries, après la perte de la bataille. (3) Cette campagne échut à
Cn. Manlius: Marcius mena une armée contre les Privernates, et sur ce
territoire, enrichi par une longue paix, il gorgea les soldats de butin. Malgré
l'abondance de ces dépouilles, il eut encore la générosité de n'en rien retenir
pour le trésor, et favorisa ainsi l'accroissement de la fortune privée du
soldat.
(4) Les Privernates avaient
fortifié un camp en avant de leurs murailles, et s'y étaient retranchés. Il
convoque et rassemble l'armée: "À vous dès à présent, dit-il, le camp de
l'ennemi et sa ville; je vous les livre en proie, si vous me promettez de vous
mettre vaillamment à l'oeuvre en cette rencontre, et de n'avoir pas moins de
coeur au combat qu'au butin." (5) Ils demandent le signal à grands cris, et
superbes, animés d'un espoir qui ne les trahira point, ils marchent à l'attaque.
Alors, à la tête des enseignes, Sextus Tullius, dont il a été parlé déjà,
s'écrie: "Vois, général, comme ton armée te tient parole;" et, laissant le
javelot, il tire son épée et fond sur l'ennemi. (6) Toute la ligne des enseignes
suit Tullius, et du premier choc ils enfoncent l'ennemi, le mettent en fuite, le
poursuivent jusqu'à la ville; et comme ils allaient approcher les échelles des
murailles, la place se rendit. Il y eut triomphe sur les Privernates.
(7) L'autre consul ne fit rien de
mémorable, sinon que, par une nouveauté sans exemple, il assembla ses troupes
par tribus dans son camp de Sutrium, et leur présenta une loi qui imposait un
vingtième sur le prix des esclaves qu'on affranchirait. Cette loi produisait un
revenu assez considérable au trésor, qui était pauvre: le sénat l'approuva. (8)
Mais les tribuns du peuple, moins inquiets de la loi que des suites d'un pareil
exemple, prononcèrent la peine capitale contre celui qui convoquerait désormais
le peuple hors de la ville; car, si on laissait faire, il n'y avait chose, si
funeste au peuple, qu'on ne pût obtenir des soldats, dévoués par serment au
consul.
(9) La même année, C. Licinius
Stolon, sur la poursuite de M. Popilius Laenas, fut, aux termes de sa propre
loi, condamné à une amende de dix mille as, comme possesseur de mille arpents de
terre avec son fils, qu'il avait fait émanciper pour éluder la loi.
Guerre contre
Tarquinies. Élection d'un dictateur plébéien (356)
[VII, 17]
(1) Les consuls nouveaux, M. Fabius
Ambustus et M. Popilius Laenas, l'un et l'autre nommés pour la seconde fois,
eurent deux guerres à soutenir. (2) L'une, contre les Tiburtins, fut sans peine
achevée par Laenas, qui repoussa l'ennemi dans sa ville et dévasta les
campagnes. L'autre consul fut battu par les Falisques et les Tarquiniens dans
une première rencontre, (3) où l'effroi vint surtout à la vue de leurs prêtres,
qui s'avancèrent, comme des furies, secouant des torches ardentes et des
serpents. Troublés par cet étrange spectacle, les soldats romains, dans leur
égarement et leur stupeur, se rejettent en désordre contre leurs retranchements;
(4) mais le consul, les lieutenants, les tribuns se prirent à rire et à les
railler de cette frayeur d'enfants devant de vains prestiges: la honte soudain
les ranima et ils se ruèrent aveuglément sur les objets qu'ils avaient fuis
d'abord. (5) Ils dissipent ce frivole appareil, s'élancent sur l'ennemi
véritable, enfoncent toute sa ligne, prennent le camp dans le jour même,
recueillent un butin immense, et s'en retournent vainqueurs, en se moquant, dans
leurs saillies guerrières, et de l'artifice de l'ennemi et de leur propre
frayeur.
(6) Bientôt toute la population
étrusque se souleva; et, sous la conduite des Tarquiniens et des Falisques, les
ennemis s'avancèrent jusqu'aux salines. Contre un si terrible ennemi, on créa un
dictateur, C. Marcius Rutilus, le premier qui fut plébéien: il nomma maître de
la cavalerie C. Plautius, plébéien comme lui. (7) Les patriciens s'indignèrent
de voir la dictature elle-même ainsi prostituée: de tous leurs efforts ils
s'opposèrent aux décisions et aux préparatifs que le dictateur attendait pour
cette guerre; mais le peuple n'en fut que plus empressé à tout accorder, sur la
demande du dictateur.
(8) Il partit de la ville, et d'une
rive du Tibre à l'autre, transportant son armée sur des bateaux partout où
l'attirait la marche de l'ennemi, il parvint à exterminer des hordes nombreuses
qui erraient à la débandade pour piller les campagnes. (9) Puis, il surprend le
camp étrusque, l'attaque, l'enlève, y fait huit mille ennemis prisonniers, tue
les autres, ou les chasse du territoire de Rome, et revient triompher, sans
autorisation du sénat, mais par la volonté du peuple.
(10) Comme on ne voulait ni d'un
dictateur, ni d'un consul plébéien pour tenir les comices consulaires, et que
l'autre consul, Fabius, était retenu par la guerre, on en revint à un
interrègne. (11) Les interrois qui se succédèrent furent Q. Servilius Ahala, M.
Fabius, Cn. Manlius, C. Fabius, C. Sulpicius, L. Aemilius, Q. Servilius et M.
Fabius Ambustus. (12) Sous le deuxième interroi, une discussion s'éleva à propos
de l'élection de deux consuls patriciens. Les tribuns s'y opposèrent; l'interroi
Fabius disait "qu'une loi des Douze Tables portait que toute décision prise en
dernier ressort par le peuple était légale et valable: or les élections étaient
aussi une décision du peuple". (13) L'opposition des tribuns ne réussit qu'à
différer les comices: deux patriciens, C. Sulpicius Peticus, pour la troisième
fois, et M. Valerius Publicola, furent créés consuls, et le jour même ils
entrèrent en fonctions.
Troubles à
l'occasion des élections consulaires (355)
[VII, 18]
(1) Ainsi, quatre cents ans après
la fondation de la ville de Rome, trente-cinq ans après sa délivrance des
Gaulois, onze ans après la conquête du consulat par le peuple, deux consuls
patriciens, C. Sulpicius Peticus pour la troisième fois, et M. Valerius
Publicola, entrèrent ensemble en fonctions à la suite d'un interrègne. (2)
Empulum, cette année, fut prise aux Tiburtes dans une expédition peu mémorable.
Cette guerre fut conduite sous les auspices des deux consuls, selon quelques
écrivains; selon d'autres, le consul Sulpicius ravagea le territoire des
Tarquiniens pendant le temps que Valerius mena les légions contre les Tiburtes.
(3) À Rome, les consuls eurent une
plus rude guerre à faire au peuple et aux tribuns. Ils pensaient que leur foi,
plus que leur honneur encore, était engagée à remettre à deux patriciens ce
consulat que deux patriciens avaient reçu; (4) on devait ou le céder totalement,
si on faisait de ce consulat une magistrature plébéienne, ou le posséder
totalement, suivant l'entière et pleine possession qu'ils en avaient reçue de
leurs pères.
(5) De son côté, le peuple
murmurait: "Pourquoi vivre et se faire compter au rang de citoyens, si un droit
que deux hommes, L. Sextius et C. Licinius, ont acquis par leur courage, tous
ensemble ils ne peuvent le conserver? (6) Plutôt subir des rois, des décemvirs,
toute autre domination plus odieuse encore, que de voir deux patriciens consuls,
(7) sans alternative d'obéissance et de commandement, afin qu'un parti
éternellement établi au pouvoir s'imagine que le peuple n'est jamais né que pour
servir."
(8) Les auteurs de tout désordre,
les tribuns, sont là; mais, dans ce soulèvement universel, les chefs se
distinguent à peine. (9) Plus d'une fois, sans succès, on descendit au Champ de
Mars; plusieurs jours de comices s'usèrent en séditions. Enfin, vaincu par la
persévérance des consuls, le peuple laissa éclater une si vive douleur, que les
tribuns criant: "C'en est fait de la liberté, il faut abandonner et le Champ de
Mars et la ville même, captive et esclave sous la tyrannie des patriciens"; la
multitude affligée les suivit. (10) Les consuls, ainsi délaissés par une partie
des citoyens, continuèrent, sans se déconcerter, les comices dans cette
assemblée incomplète. Ils créèrent consuls deux patriciens, M. Fabius Ambustus
pour la troisième fois, et T. Quinctius. Dans quelques annales, au lieu de T.
Quinctius, je trouve pour consul M. Popilius.
Capitulation
de Tibur, représailles contre Tarquinies (354-353)
[VII, 19]
(1) Les deux guerres, cette année,
eurent un heureux succès. On combattit les Tiburtes, jusqu'à les réduire à se
rendre; on prit sur eux la ville de Sassula; et leurs autres places auraient eu
le même sort, si la nation entière, déposant les armes, ne se fût remise à la
discrétion du consul. (2) On triompha des Tiburtes: du reste, on mit de la
clémence en cette victoire. Mais on sévit durement contre les Tarquiniens. Après
un long massacre de leurs soldats sur le champ de bataille, on choisit, dans le
nombre immense de leurs prisonniers, trois cent cinquante-huit des plus nobles,
qu'on envoya à Rome: le surplus fut exterminé. (3) Le peuple n'eut pas plus
d'indulgence pour ceux qu'on avait envoyés à Rome: au milieu du Forum, tous
furent battus de verges et frappés de la hache: on vengeait ainsi sur l'ennemi
les Romains immolés sur le forum de Tarquinies. (4) Ces succès militaires
décidèrent les Samnites aussi à rechercher l'amitié de Rome. À leurs députés le
sénat fit une réponse favorable, et, par un traité, les admit à son alliance.
(5) Le peuple romain n'était point
si heureux dans la ville que dans les camps; car, bien que la réduction de
l'intérêt à un pour cent eût allégé l'usure, le capital encore écrasait le
pauvre, qui tombait en servitude: aussi, ni l'élection de deux consuls
patriciens, ni le souci des comices et de ses intérêts publics, rien ne put
détourner le peuple du soin de ses douleurs privées. (6) L'un et l'autre
consulat demeura donc aux patriciens. On créa consuls C. Sulpicius Peticus pour
la quatrième fois, M. Valerius Publicola pour la deuxième.
La cité s'occupait alors de la
guerre d'Étrurie: car le bruit courait que les gens de Caeré, par pitié pour un
peuple frère, s'étaient unis aux Tarquiniens; mais des députés latins appelèrent
son attention sur les Volsques, qui, disaient-ils, avaient levé et armé des
troupes, menaçaient déjà leurs frontières, et de là viendraient dévaster le
territoire de Rome. (7) Le sénat pensa qu'il ne fallait négliger ni l'un ni
l'autre avis; il ordonna aux consuls de lever deux armées et de tirer au sort
leurs provinces. (8)
Mais ses premiers soins se
portèrent vers la guerre d'Étrurie: une lettre du consul Sulpicius, à qui était
échue la campagne contre Tarquinies, lui apprit que le territoire avait été
ravagé près des salines romaines, qu'une partie du butin avait été transportée
sur les terres des Cérites, et qu'il y avait à coup sûr des jeunes gens de ce
peuple parmi les pillards. (9) On rappela le consul Valerius, parti contre les
Volsques, et campé déjà sur les terres de Tusculum: le sénat lui ordonna de
nommer un dictateur. (10) Il nomma T. Manlius, fils de Lucius, qui choisit pour
maître de la cavalerie A. Cornelius Cossus; et, se contentant d'une armée
consulaire, il déclara, sur décision du sénat et ordre du peuple, la guerre aux
Cérites.
Une trêve de
cent ans est conclue avec le peuple de Caeré (353)
[VII, 20]
(1) Alors les Cérites, comme si
cette déclaration de l'ennemi eût plus vivement exprimé la guerre que leurs
propres actes, que ces dévastations qui avaient provoqué Rome, se prirent à
redouter vraiment cette guerre, et virent bien que leurs forces ne suffiraient
point à cette lutte. (2) On eut regret du pillage, on maudit les Tarquiniens,
qui avaient conseillé la défection. Nul ne s'arme, ne s'apprête à la guerre;
tous ordonnent à l'envi qu'on envoie des députés demander grâce pour leur faute.
(3) Les députés présentés au sénat,
renvoyés par le sénat devant le peuple, prièrent les dieux, dont ils avaient
accueilli les trésors et pieusement gardé le culte durant la guerre des Gaulois,
d'inspirer en faveur des Cérites, aux Romains heureux, cette pitié que les
Cérites n'avaient point refusée jadis au peuple romain dans sa misère; (4) puis,
tournés vers les sanctuaires de Vesta, ils rappelaient, en l'invoquant, la
chaste et religieuse hospitalité par eux donnée aux flamines et aux vestales.
(5) "Après tous ces services, peut-on croire qu'ils soient tout à coup et sans
motifs devenus ennemis? ou que, s'ils ont agi en ennemi, ils l'aient fait de
sang-froid plutôt qu'égarés par le délire, pour perdre ainsi par des méfaits
nouveaux le prix de leurs vieux bienfaits placés surtout dans des coeurs si
reconnaissants? qu'ils aient choisi pour ennemie Rome florissante et heureuse à
la guerre, après l'avoir prise en amitié dans sa détresse? On ne doit point
tenir pour libre volonté ce qui ne fut que contrainte et nécessité. (6) En
traversant leur territoire avec une armée menaçante, les Tarquiniens, qui ne
leur avaient demandé rien que le passage, avaient entraîné quelques habitants
des campagnes, ainsi complices de ces désastres dont on accusait toute la
nation. (7) Ceux-là, si on les réclame, ils sont prêts à les livrer, ou à les
punir si on veut leur supplice. Mais Caeré, le sanctuaire du peuple romain,
l'asile de ses prêtres et dépositaire des trésors sacrés de Rome, on la
conservera pure et vierge des outrages de la guerre, pour prix de son accueil
aux vestales et de sa piété pour les dieux."
(8) Le peuple fut plus touché des
anciens services de cette ville que de sa faute récente, et voulut oublier la
faute plutôt que le bienfait. On accorda la paix au peuple Cérite, et on fit une
trêve de cent ans, qu'on eut soin d'insérer au sénatus-consulte.
(9) Les Falisques étaient coupables
du même crime: tout l'effort de la guerre se tourna contre eux; mais cet ennemi
ne se montra nulle part. On parcourut, on désola le territoire; on n'essaya
point d'assiéger les places. Les légions revinrent à Rome. Le reste de l'année
fut employé à réparer les remparts et les tours; on fit aussi la dédicace d'un
temple d'Apollon.
Élections
consulaires (352). Règlement du problème des dettes (351)
[VII, 21]
(1) À la fin de l'année, les débats
des patriciens et du peuple interrompirent les comices consulaires: les tribuns
refusaient de consentir à la tenue des comices, si les élections n'étaient
conformes à la loi Licinia, et le dictateur obstiné eût plutôt détruit à jamais
le consulat dans la république, que de le partager entre les patriciens et le
peuple. (2) D'ajournement en ajournement des comices, le terme de la dictature
expira et on en revint a l'interrègne. Les interrois trouvèrent le peuple
indigné contre les patriciens, et la lutte, accompagnée d'émeutes, dura jusqu'au
onzième interroi. (3) Les tribuns mettaient sans cesse en avant la défense de la
loi Licinia: le peuple était plus touché du chagrin de voir s'aggraver ses
dettes, et les douleurs privées éclataient dans les débats publics. (4) Lassé
par ces querelles, le sénat ordonna, pour le bien de la paix, à l'interroi L.
Cornelius Scipion, de suivre la loi Licinia dans les comices consulaires. À P.
Valerius Publicola, on donna pour collègue plébéien C. Marcius Rutilus.
(5) Après ce premier retour des
esprits vers la concorde, les nouveaux consuls essayèrent d'alléger aussi la
charge de l'intérêt des dettes, qui semblait un obstacle à une entière union. De
la liquidation des dettes, ils firent une charge publique, en créant des
quinquévirs, auxquels leur mission de répartition pécuniaire valut le nom de
"banquiers". (6) Ils ont mérité par leur équité et leur dévouement, que leurs
noms fussent signalés dans tous les annales. Ce furent C. Duilius, P. Decius
Mus, M. Papirius, Q. Publilius et Ti. Aemilius. (7) C'était là une opération
difficile, qui mécontente souvent les deux parties, et toujours l'une d'elles;
mais, grâce à la modération qu'ils montrèrent, et par une avance plutôt que par
un abandon des fonds publics, ils réussirent. (8) Plusieurs paiements étaient en
retard et embarrassés, plus par la négligence que par l'impuissance des
débiteurs. On dressa dans le Forum des comptoirs avec de l'argent, et le trésor
paya après avoir pris toutes sûretés pour l'État; ou bien une estimation à juste
prix et une cession libéraient le débiteur. Ainsi, sans injustice, sans une
seule plainte d'aucune des parties, on acquitta un nombre immense de dettes.
(9) Ensuite, sur le bruit d'une
coalition des douze peuples de l'Étrurie, une vaine crainte de guerre fit créer
un dictateur. On le créa dans le camp, où le sénatus-consulte fut envoyé aux
consuls. Ce fut C. Julius, qui s'adjoignit pour maître de cavalerie L. Aemilius.
Mais tout fut tranquille au dehors.
Élection d'un
censeur plébéien (350)
[VII, 22]
(1) À Rome, les tentatives du
dictateur pour faire nommer consuls deux patriciens amenèrent encore un
interrègne. (2) Les deux interrois qui se succédèrent, C. Sulpicius et M.
Fabius, obtinrent ce que le dictateur avait voulu sans succès. Un service
récent, l'allègement des dettes, avait apaisé le peuple; on put créer deux
consuls patriciens. (3) On créa C. Sulpicius Peticus lui-même, qui avait été
interroi le premier, et T. Quinctius Poenus: quelques-uns donnent à Quinctius le
prénom de Caeso, d'autres celui de Caius. (4) Partis tous deux pour combattre,
Quinctius les Falisques, Sulpicius les Tarquiniens, ils ne rencontrèrent nulle
part l'ennemi dans la plaine, et ils firent alors la guerre, non aux hommes,
mais aux campagnes, par le feu et par le pillage. (5) Cette destruction, comme
un mal rongeur qui les épuisait lentement, dompta l'opiniâtreté des deux
peuples; ils demandèrent une trêve aux consuls, qui les renvoyèrent au sénat:
ils obtinrent une trêve de quarante ans.
(6) On fut ainsi délivré du soin de
deux guerres menaçantes, et les armes reposèrent enfin. Depuis le paiement des
dettes, bien des fortunes avaient changé de maîtres; on jugea le recensement
nécessaire. (7) On indiqua la date des comices pour l'élection des censeurs.
Mais C. Marcius Rutilus, qui avait été le premier dictateur plébéien, aspirait à
la censure; il déclara ses prétentions, et troubla ainsi l'union des ordres. (8)
Il semblait avoir assez mal choisi son temps, car les deux consuls étaient
patriciens et refusaient de tenir compte de sa demande. (9) Toutefois il parvint
à son but, à force de persévérance et par l'appui des tribuns, dont tous les
efforts tendaient à reconquérir le droit qu'ils avaient perdu aux comices
consulaires: d'ailleurs, cet homme était assez grand par lui-même pour n'être
point au-dessous des plus hautes dignités: enfin c'était lui qui avait ouvert le
chemin de la dictature au peuple, et c'était par lui que le peuple voulait
arriver au partage de la censure. (10) Il n'y eut pas dans les comices de
division de voix qui empêchât Marcius d'être désigné censeur avec Manlius.
Cette année eut aussi un dictateur,
M. Fabius: on redoutait, non point une guerre, mais l'exécution de la loi
Licinia aux comices consulaires. Le maître de cavalerie adjoint au dictateur fut
Q. Servilius. Malgré cette dictature, la ligue patricienne fut aussi impuissante
aux comices consulaires qu'aux élections de censeurs.
Préparatifs de guerre contre
les Gaulois (350)
[VII, 23]
(1) Le peuple donna pour consul M. Popilius Laenas,
les patriciens L. Cornelius Scipion. La fortune voulut faire plus de gloire au
consul plébéien. (2) En effet, au moment où l'on apprit qu'une immense armée de
Gaulois avait placé son camp sur les terres des Latins, Scipion était atteint
d'une grave maladie, et le soin de la guerre fut à titre extraordinaire commis à
Popilius. (3) Il se hâte d'enrôler une armée, ordonne à toute la jeunesse de se
réunir en armes en dehors de la porte Capène, près du temple de Mars, aux
questeurs de tirer les enseignes du trésor, complète quatre légions et confie le
surplus des soldats au préteur P. Valerius Publicola, (4) conseillant au sénat
de lever une autre armée, et de ménager ainsi contre les chances incertaines de
la guerre, une ressource à la république. (5) Pour lui, après avoir suffisamment
préparé et disposé toutes choses, il marcha à l'ennemi.
Toutefois, afin d'en connaître les forces avant de
tenter la dernière épreuve, il s'empara le plus près qu'il put du camp des
Gaulois, d'une éminence, où il commença une enceinte de palissades. (6) Cette
nation fougueuse et naturellement avide de bataille, apercevant au loin les
enseignes romaines, déploie sa ligne comme pour engager le combat sur l'heure;
puis, quand elle voit les Romains, au lieu de descendre en rase compagne,
s'établir sur la hauteur, et même se couvrir de retranchements, les croyant
frappés d'épouvante, et d'autant plus faciles à vaincre d'ailleurs, qu'ils sont
en ce moment tout occupés de leurs travaux, elle fond sur eux avec un cri
féroce.
(7) Les Romains, sans interrompre
leurs travaux (les "triaires" seuls étaient à l'oeuvre, et les "hastats" et les
"principes" s'étaient placés en avant des travailleurs pour les couvrir de leurs
armes), soutinrent son attaque. (8) Outre la vaillance, la hauteur de la
position les servit encore. En plaine et sur un sol égal, les javelots et les
lances jetés à l'ennemi retombent presque toujours à plat et sans portée; ici,
lancés d'en haut, ils frappaient d'aplomb et se fixaient. (9) Les Gaulois,
accablés sous le poids de ces traits qui leur percent le corps ou s'attachent à
leurs boucliers qu'ils surchargent, étant parvenus en courant presque en face
des Romains, hésitent soudain et s'arrêtent: (10) ce moment d'incertitude
ralentit leur ardeur et ranime l'ennemi: refoulés en arrière, ils roulent et se
renversent les uns sur les autres, et cette déroute fut plus meurtrière que le
carnage même; car il y en eut plus d'écrasés dans cette chute rapide, que de
tués par le glaive.
Victoire
romaine
[VII, 24]
(1) Cependant la victoire n'était
point encore assurée aux Romains: descendus dans la plaine, il devaient y
trouver d'autres périls. (2) Les Gaulois surmontèrent la douleur de cette perte,
et de leur multitude surgit pour ainsi dire une armée nouvelle, qui opposa des
troupes fraîches à l'ennemi vainqueur. (3) Le Romain s'arrêta et retint son
élan: il était trop las pour suffire à un second combat; et puis le consul, qui
s'était porté sans prudence aux premiers rangs, avait eu l'épaule gauche presque
traversée d'un "matar", et s'était un moment éloigné du champ de bataille.
(4) Mais la victoire échappait avec
ces lenteurs; alors le consul, après avoir bandé sa blessure, revient en tête
des enseignes, et s'écrie: "Qu'attends-tu là, soldat? tu n'as point affaire ici
à un ennemi latin ou sabin, dont tu feras un allié après la victoire. (5) C'est
contre des bêtes féroces que nous avons tiré le fer; il faut verser leur sang ou
donner le nôtre. Vous les avez repoussés du camp, jetés à la renverse au fond de
la vallée, et, sur ces cadavres ennemis couchés à vos pieds, vous êtes debout
encore. Couvrez les plaines d'autant de morts que vous en avez jonché les
montagnes. (6) N'espérez pas qu'il vous fuient, si vous restez-là il faut aller
en avant, et charger l'ennemi!"
(7) À ces exhortations, ils
s'élancent de nouveau, font reculer les premiers manipules gaulois; puis, formés
en triangle, percent le centre de la ligne. (8) Alors, en pleine déroute, les
Barbares, qui n'avaient ni chefs ni discipline certaine, tournent leur marche
impétueuse vers leurs alliés; dispersés par les campagnes, et emportés dans leur
fuite au-delà même de leur camp, ils gagnent le lieu le plus élevé qu'ils
rencontrent, le mont Albain, qui se dresse à leur yeux comme une citadelle au
milieu des hauteurs voisines. (9) Le consul ne les poursuivit pas au-delà de
leur camp:il était appesanti par sa blessure, et il ne voulait pas exposer une
armée fatiguée du combat au pied de ces éminences occupées par l'ennemi. Il
donna au soldat le butin du camp, et ramena dans Rome son armée victorieuse, et
riche des dépouilles gauloises. (10) La blessure du consul retarda son triomphe.
Le même motif donna le regret au sénat de créer un dictateur pour tenir les
comices en l'absence des consuls malades. (11) L. Furius Camillus, nommé
dictateur, et secondé du maître de la cavalerie, P. Cornelius Scipio, rendit aux
patriciens l'antique possession du consulat. En mémoire de ce service, la vive
reconnaissance des patriciens le fit nommer consul; il eut pour collègue Appius
Claudius Crassus.
Détérioration
des relations avec la confédération latine (349)
[VII, 25]
(1) Avant l'entrée en fonctions des
nouveaux consuls, Popilius triompha des Gaulois, au grand contentement du
peuple: on se demandait tout bas dans la foule, "si quelqu'un s'était mal trouvé
d'un consul plébéien." (2) Puis on attaquait en même temps le dictateur, qui
avait pris le consulat en paiement de son mépris pour la loi Licinia: attentat
public, moins honteux peut-être que cette ambition privée d'un dictateur qui
s'était lui-même proclamé consul.
(3) L'année fut remarquable par le
nombre et la variété des événements. Les Gaulois, descendus des monts Albains,
où ils n'avaient pu supporter la rigueur de l'hiver, erraient par les plaines et
les côtes maritimes, qu'ils dévastaient. (4) La mer était infestée de vaisseaux
grecs, qui désolaient les rivages d'Antium, le pays laurentin et les bouches du
Tibre. Une fois, les brigands de la mer en vinrent aux prises avec les brigands
de la terre: l'issue de la bataille demeura douteuse, et ils se retirèrent, les
Gaulois dans leur camp, les Grecs sur leurs vaisseaux, incertains de part et
d'autre s'ils étaient vaincus ou vainqueurs.
(5) Cependant survinrent bientôt de
plus vives alarmes: une assemblée des peuples latins, réunie dans le bois sacré
de Ferentina, répondit sans détour aux Romains qui lui commandaient de fournir
des troupes: "Qu'on devait s'abstenir de commander à ceux dont on avait besoin:
(6) les Latins aimaient mieux prendre les armes pour leur liberté propre, que
pour l'empire d'autrui." (7) Au moment de soutenir à la fois deux guerres
étrangères, la défection des alliés inquiétait le sénat; mais il comprit que la
crainte contiendrait ceux que leur foi n'avait pu contenir: il ordonna aux
consuls de déployer dans une levée toutes les forces de la république; car Rome
devait compter sur une armée citoyenne, quand l'appui des alliés lui manquait.
(8) On enrôla partout, et la jeunesse de la ville et celle des campagnes, et on
en forma, dit-on, dix légions, chacune de quatre mille deux cents fantassins et
de trois cents cavaliers. (9) Improviser aujourd'hui une armée pareille, au
premier bruit d'une invasion étrangère, dût cette puissance du peuple romain,
que l'univers entier contient à peine, réunir toutes ses forces, ne serait point
oeuvre facile: tant il est vrai que nous n'avons grandi que pour notre ruine, en
richesses et en luxe.
(10) Parmi les autres événements de
cette année, il faut compter la perte de l'un des consuls, Appius Claudius, qui
mourut au milieu des préparatifs de la guerre. (11) Le pouvoir fut remis à
Camille, demeuré seul au consulat grâce à son mérite, qu'on n'osa point
soumettre à l'autorité dictatoriale, ou à son nom peut-être, qui parut d'heureux
augure dans un tumulte gaulois; le sénat ne crut point convenable de lui
substituer un dictateur. (12) Ce consul laissa deux légions pour garder la
ville, partagea les huit autres avec le préteur L. Pinarius; et, fier du
souvenir de son vaillant père, il prend pour lui, sans l'épreuve du sort, la
guerre des Gaulois, (13) et charge le préteur de défendre la côte maritime et de
repousser les Grecs des rivages. Il descend sur le territoire pontin; mais il ne
voulait point combattre en rase campagne sans y être contraint; il pensait
d'ailleurs que, s'opposer aux dévastations d'un ennemi forcé par la nécessité de
vivre de rapines, ce serait assez pour le réduire: il choisit un lieu favorable,
et s'y retrancha.
L'exploit de
M. Valerius Corvinus (349)
[VII, 26]
(1) Là, pendant qu'on passait le
temps à observer sans agir, un Gaulois s'avança, remarquable par sa grandeur et
par son armure. De sa lance il heurte son bouclier, impose silence, et provoque,
par interprète, un des Romains à combattre avec lui. (2) Il y avait là un tribun
des soldats, un jeune homme, M. Valerius, qui s'estima non moins digne de cet
honneur que T. Manlius. Il demande et prend les ordres du consul, et s'avance
hors des rangs avec ses armes. (3) L'intervention des dieux dans cette lutte fit
perdre à l'homme une part de sa gloire.
Déjà en effet le Romain était aux
prises, quand soudain un corbeau se percha sur son casque, faisant face à
l'ennemi, (4) ce qui parut d'abord un augure envoyé du ciel; le tribun l'accepte
avec joie, puis il prie, "le dieu ou la déesse qui lui envoie cet heureux
message, de lui être favorable et propice." (5) Chose merveilleuse: non
seulement l'oiseau demeure au lieu qu'il a choisi, mais, chaque fois que la
lutte recommence, se soulevant de ses ailes, il attaque du bec et des ongles le
visage et les yeux de l'ennemi, qui, tremblant enfin à la vue d'un tel prodige,
les yeux et l'esprit troublés tout ensemble, tombe égorgé par Valerius: le
corbeau disparaît alors, emporté vers l'orient.
(6) Jusque-là les deux armées
étaient restées immobiles, mais quand le tribun se mit à dépouiller le cadavre
de son ennemi mort, les Gaulois ne se tinrent plus à leur poste, et l'élan des
Romains vers le vainqueur fut plus rapide encore. Et là, autour du corps du
Gaulois terrassé, une lutte s'engage, un combat sanglant a lieu. (7) Des
manipules des postes avancés, l'action gagne les légions entières qui se
confondent. À ses soldats joyeux de la victoire du tribun, joyeux de
l'assistance et de l'appui des dieux, Camille ordonne de marcher au combat; et
montrant le tribun paré de ses nobles dépouilles: "Imite-le, soldat, disait-il;
et près du cadavre de leur chef couche à terre ces hordes gauloises."
(8) Les dieux et les hommes prirent
part à cette affaire; on livra bataille aux Gaulois: et le résultat n'en fut
point douteux; tant l'issue de la lutte des deux combattants l'avait marqué
d'avance à l'esprit de l'une et l'autre armée! (9) Aux premiers postes
seulement, dont la rencontre avait entraîné les autres, le combat fut acharné:
tout le reste, avant d'en venir à la portée du trait, tourna le dos. Dispersés
d'abord chez les Volsques et sur le territoire de Falerne, ils gagnèrent ensuite
l'Apulie et la mer inférieure.
(10) Le consul convoqua l'armée,
fit l'éloge du tribun, et lui donna dix boeufs et une couronne d'or; puis, sur
un ordre du sénat, il prit en main la guerre maritime et réunit son camp à celui
du préteur: (11) mais, voyant que la lâcheté des Grecs, qui refusaient le
combat, prolongeait la guerre, le sénat lui ordonna de nommer dictateur, pour la
tenue des comices, T. Manlius Torquatus. (12) Le dictateur nomma maître de la
cavalerie A. Cornelius Cossus, et tint les comices consulaires; son rival de
gloire, quoique absent, M. Valerius Corvus (car ce fut désormais son surnom) fut
par lui, aux applaudissements du peuple, et à vingt-trois ans, proclamé consul.
(13) On donna pour collègue plébéien, à Corvus, M. Popilius Laenas, appelé ainsi
pour la quatrième fois au consulat.
Camille ne fit aucun exploit
mémorable contre les Grecs, mauvais guerriers sur terre comme le Romain l'était
sur mer. (14) Enfin repoussés des côtes, et tourmentés même, entre autres
besoins, du manque d'eau, il quittèrent l'Italie. (15) Quelle contrée, quelle
nation avait envoyé cette flotte? on l'ignore: peut-être les tyrans de Sicile;
je le croirais du moins, car la Grèce, fatiguée en ce temps-là de guerres
intestines, tremblait déjà au bruit de la puissance macédonienne.
Problèmes
intérieurs (348-347). Capitulation de Satricum (346)
[VII, 27]
(1) Les armées licenciées, la paix
faite au dehors, les ordres étaient d'accord, et la ville en repos; c'était trop
de bonheur: la peste attaqua Rome et força le sénat de commander aux décemvirs
de consulter les livres Sibyllins. D'après leur avis, on fit un lectisterne. (2)
La même année, les Antiates établirent une colonie à Satricum, et relevèrent la
ville, détruite par les Latins. À Rome, on conclut un traité avec des envoyés de
Carthage, qui étaient venus demander alliance et amitié.
(3) La même tranquillité au dedans
et au dehors continua sous le consulat de T. Manlius Torquatus et de C. Plautius:
on réduisit seulement l'intérêt du douzième au vingt-quatrième; on arrêta que
les dettes s'acquitteraient en quatre paiements égaux, dont le premier comptant,
et le reste dans l'espace de trois ans; (4) même ainsi cet arrangement gênait
encore une partie du peuple, mais le respect de la foi publique intéressa plus
le sénat que les malaises particuliers. Ce qui surtout soulagea la ville, c'est
qu'il y eut sursis aux levées de tribut et de soldats.
(5) Deux ans après le
rétablissement de Satricum par les Volsques, on apprit du Latium que des députés
antiates parcouraient les cités latines pour les soulever; (6) avant que le
nombre des ennemis n'augmentât, M. Valerius Corvus, élu pour la seconde fois
consul avec C. Poetelius, eut ordre de porter la guerre aux Volsques, et marcha
sur Satricum, à la tête d'une armée redoutable. Là, les Antiates et les autres
Volsques, qui, pour faire face aux premiers mouvements de Rome, avaient préparé
des forces, vinrent à sa rencontre; et, entre peuples animés d'une vieille
haine, le combat ne se fit pas attendre.
(7) Les Volsques, plus ardents à la
révolte qu'habiles à faire la guerre, furent vaincus; il gagnèrent, en pleine
déroute, les remparts de Satricum; et, comme ils comptaient peu sur la sûreté de
ses murailles, quand ils virent la ville, environnée de troupes, près d'être
escaladée et prise d'assaut, ils se rendirent, au nombre de quatre mille
soldats, outre une foule d'habitants sans armes. (8) La place fut démolie et
brûlée: le feu n'épargna que le temple de Mater Matuta. Tout le butin fut donné
au soldat. On n'en détacha que les quatre mille hommes qui s'étaient rendus: le
consul les mena enchaînés devant son char de triomphe; puis il les vendit, et en
rapporta le prix, qui fut immense, au trésor public. (9) Des écrivains disent
que tous ces prisonniers n'étaient que des esclaves: ce qui rend le fait plus
vraisemblable; car on n'eût point vendu des soldats qui s'étaient rendus.
Guerre contre
les Aurunques
[VII, 28]
(1) À ces consuls succédèrent M.
Fabius Dorsuo, Ser. Sulpicius Camerinus. Bientôt après, une incursion des
Aurunques, qui commença brusquement la guerre, (2) fit craindre, dans cet acte
d'un seul peuple, la complicité de toute la confédération latine; et, comme en
présence du Latium en armes, on créa un dictateur, L. Furius, qui nomma maître
de la cavalerie Cn. Manlius Capitolinus. (3) Puis, comme toujours dans les
grandes alarmes, on proclama le "iustitium", on pressa la levée, sans exempter
personne; et les légions, avec toute la diligence possible, marchèrent contre
les Aurunques. On trouva là des pillards, et non des ennemis. Une première
rencontre décida la victoire. (4) Néanmoins, comme ils avaient spontanément
commencé la guerre, et, sans balancer, accepté le combat, le dictateur, croyant
avoir besoin du secours des dieux, avait, pendant l'action, voué un temple à
Junon Moneta: enchaîné par ce voeu, il retourna vainqueur à Rome, et abdiqua la
dictature. (5) Par ordre du sénat, des duumvirs furent créés pour veiller à
faire ce temple digne de la majesté du peuple romain: on lui destina dans la
citadelle l'emplacement qu'avait occupé la maison de M. Manlius Capitolinus. (6)
Les consuls profitèrent, pour combattre les Volsques, de l'armée du dictateur;
ils attaquèrent l'ennemi sans défiance, et lui enlevèrent Sora.
Un an après avoir été voué, le
temple de Moneta fut dédié, sous les consuls C. Marcius Rutilus et T. Manlius
Torquatus, élus, celui-ci pour la seconde fois, celui-là pour la troisième. (7)
Cette dédicace fut aussitôt suivie d'un prodige semblable à l'antique prodige du
mont Albain: car il tomba une pluie de pierres, et la nuit sembla voiler la
lumière du jour. On consulta les livres; et comme la cité était pleine d'une
religieuse terreur, le sénat crut devoir nommer un dictateur pour une
célébration des féries. (8) On nomma P. Valerius Publicola: on lui donna pour
maître de cavalerie Q. Fabius Ambustus. On ne se contenta pas d'envoyer les
tribus en supplications solennelles; on y appela même les peuples voisins, et on
fixa à chacun un rang et un jour pour venir en prières.
(9) À cette année, on rapporte
quelques jugements cruels du peuple contre des usuriers, assignés devant lui par
les édiles. Enfin survint un interrègne, dont on ne peut au juste déterminer la
cause. (10) Il cessa, et ceci pourrait expliquer son but, par la création de
deux consuls patriciens: M. Valerius Corvus, élu pour la troisième fois, et A.
Cornelius Cossus.
|