Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

adblocktest

 

Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre VII - Rome, de 366 à 342

 

1. Guerres contre les Gaulois et contre les Herniques - 366 à 357 ([VII, 1] à [VII, 15])

 

Création de la préture et de l'édilité curule (366). Mort de Camille (365)

[VII,1]

(1) Cette année sera célèbre par le consulat d'un homme nouveau, célèbre par l'établissement de deux nouvelles magistratures, la préture et l'édilité curule. Les patriciens revendiquèrent ces dignités pour prix de l'un des consulats cédé au peuple. (2) Le peuple donna à L. Sextius le consulat qu'il avait conquis; les patriciens prirent la préture pour Sp. Furius Camillus, fils de Marcus, et l'édilité pour Cn. Quinctius Capitolinus et P. Cornelius Scipio, trois hommes de leur ordre, que leur influence servit au Champ de Mars. À L. Sextius, on donna pour collègue patricien L. Aemilius Mamercinus.

(3) Au commencement de l'année, le bruit que les Gaulois, récemment dispersés dans l'Apulie, s'étaient ralliés, et la nouvelle d'une défection des Herniques, agitèrent les esprits. (4) Mais on retardait à dessein toute décision, pour ôter au consul plébéien l'occasion d'agir, et il y eut vacance et repos de toute chose comme aux jours de "iustitium". (5) Seulement les tribuns ne purent supporter en silence, pour un seul consul plébéien, trois magistrats patriciens, siégeant en chaises curules, avec prétextes, ainsi que des consuls, tous acquis à la noblesse, (6) outre le préteur encore, chef de la justice, et collègue des consuls, créé sous les mêmes auspices; si bien que le sénat eut honte d'exiger qu'on choisît encore les édiles curules parmi les patriciens. On était convenu d'abord de les prendre, de deux en deux ans, au sein du peuple; on laissa le choix libre.

(7) Quelque temps après, sous le consulat de L. Genucius et de Q. Servilius, la sédition reposait ainsi que la guerre; mais comme si les alarmes et les dangers ne pouvaient quitter Rome, une peste violente éclata. (8) Un censeur, un édile curule, et trois tribuns du peuple, dit-on, succombèrent; parmi les citoyens, le nombre des victimes, en proportion, fut considérable: mais ce qui rendit surtout cette peste mémorable fut la mort, prévue et non moins cruelle, de M. Furius; (9) car c'était là vraiment un homme unique dans toutes les situations. Au premier rang déjà dans la paix, dans la guerre, avant de s'exiler, il s'illustra encore en son exil, ou des regrets de la cité qui, captive, implora l'aide du banni, ou du bonheur de ne se rétablir en la patrie que pour rétablir avec soi la patrie elle-même. (10) Puis, après avoir porté sans fléchir, pendant vingt-cinq années qu'il vécut encore, le poids de tant de gloire, il mérita d'être appelé, après Romulus, le second fondateur de la ville de Rome.

Création des Jeux scéniques (364)

[VII, 2]

(1) Cette année et l'année suivante, sous le consulat de C. Sulpicius Peticus et de C. Licinius Stolon, la peste continua. (2) Il ne se fit rien de mémorable, sinon que, pour demander la paix aux dieux, on célébra, pour la troisième fois depuis la fondation de la ville, un lectisterne: (3) mais, comme rien ne calmait encore la violence du mal, ni la sagesse humaine, ni l'assistance divine, la superstition s'empara des esprits, et l'on dit qu'alors, entre autres moyens d'apaiser le courroux céleste, on imagina les jeux scéniques: c'était une nouveauté pour ce peuple guerrier qui n'avait eu d'autre spectacle que les jeux du Cirque.

(4) Au reste, comme presque tout ce qui commence, ce fut chose simple, et même étrangère. Point de chant, point de gestes pour les traduire: des bateleurs, venus d'Étrurie, se balançant aux sons de la flûte, exécutaient, à la mode toscane, des mouvements qui n'étaient pas sans grâce. (5) Bientôt la jeunesse s'avisa de les imiter, tout en se renvoyant en vers grossiers de joyeuses railleries; et les gestes s'accordaient assez avec la voix. (6) La chose une fois accueillie se répéta souvent et prit faveur. Comme on appelait "hister", en langue toscane, un bateleur, on donna le nom d'histrions aux acteurs indigènes, (7) qui, ne se lançant plus comme avant ce vers pareil au fescennin, rude et sans art, qu'ils improvisaient tour à tour, représentaient dès lors des satires pleines de mélodie, avec un chant réglé sur les modulations de la flûte, et que le geste suivait en mesure.

(8) Quelques années après, Livius, laissant la satire, osa le premier lier d'une intrigue une action suivie; il était, comme alors tous les auteurs, l'acteur de ses propres ouvrages: (9) souvent redemandé, il fatigua sa voix, mais il obtint, dit-on, la faveur de placer devant le joueur de flûte un jeune esclave qui chanterait pour lui; et il joua son rôle, ainsi réduit, avec plus de vigueur et d'expression, car il n'avait plus souci de ménager sa voix. (10) Depuis ce temps, l'histrion eut sous la main un chanteur, et dut réserver uniquement sa voix pour les dialogues.

(11) Soumis à cette loi, le théâtre perdit sa libre et folâtre gaieté; par degrés, le divertissement devint un art; la jeunesse alors, abandonnant le drame au jeu des histrions, reprit l'usage de ses antiques et bouffonnes scènes, cousues de vers, et qui plus tard, sous le nom d'exodes, se rattachèrent de préférence aux fables atellanes. (12) Ce genre de divertissement qu'elle avait reçu des Osques, la jeunesse se l'appropria, et ne le laissa point profaner aux histrions. Depuis lors, il demeure établi que les acteurs d'Atellanes, étrangers, pour ainsi dire, à l'art du comédien, ne sont exclus ni de la tribu ni du service militaire. (13) Parmi les faibles commencements d'autres institutions, j'ai cru pouvoir aussi placer la première origine de ces jeux, afin de montrer combien fut sage en son principe ce théâtre, arrivé aujourd'hui à une si folle magnificence, que l'opulence d'un royaume y suffirait à peine.

Désignation d'un dictateur chargé de planter un clou (363)

[VII, 3]

(1) Cependant ces jeux, dont les premiers essais avaient pour but une expiation religieuse, ne guérirent ni les esprits de leurs pieuses terreurs, ni les corps de leurs souffrances. (2) Au contraire, le Tibre débordé vint un jour inonder le Cirque au milieu de la célébration des jeux, qui fut interrompue. Cette nouvelle preuve de l'aversion et du mépris des dieux pour ces moyens de fléchir leur colère, inspira de vives alarmes. (3) Aussi, sous le consulat de Cn. Genucius et de L. Aemilius Mamercinus, élus tous deux pour la seconde fois, comme les esprits étaient plus tourmentés de la recherche d'un remède expiatoire, que les corps de leurs souffrances, les vieillards, recueillant leurs souvenirs, rappelèrent, dit-on, qu'autrefois un dictateur, en enfonçant un clou, avait calmé la peste. (4) Cette croyance décida le sénat à faire nommer un dictateur pour planter le clou. On créa L. Manlius Imperiosus, qui nomma L. Pinarius maître de la cavalerie.

(5) Il est une ancienne loi qui porte écrit en vieilles lettres et en vieux langage: "Que le préteur suprême, aux ides de septembre, plante le clou". Elle était autrefois affichée à droite dans le temple de Jupiter très bon, très grand, du côté du sanctuaire de Minerve. (6) Ce clou, dans ces temps où l'écriture était si rare, marquait, dit-on, le nombre des années: et la loi fut ainsi consacrée dans le sanctuaire de Minerve, parce que Minerve avait inventé les nombres. (7) Les Volsiniens aussi désignaient le nombre des années par des clous enfoncés dans le temple de Nortia, déesse étrusque; c'est un fait affirmé par Cincius, garant scrupuleux pour des monuments de ce genre. (8) Ce fut le consul M. Horatius qui, aux termes de la loi, enfonça le clou dans le temple de Jupiter très bon, très grand, l'année qui suivit l'expulsion des rois; après les consuls, l'accomplissement de cette solennité fut confié aux dictateurs, dont l'autorité était plus grande. Cet usage s'était depuis interrompu; mais cette fois, pour un intérêt aussi grave, on crut devoir encore créer un dictateur, (9) et l'on créa L. Manlius. Mais on l'eût dit appelé là pour faire la guerre, et non pour effacer une souillure publique. Avide de porter la guerre aux Herniques, il tourmenta la jeunesse de levées rigoureuses, irrita contre lui tous les tribuns du peuple; puis enfin, par force ou par pudeur, il abdiqua la dictature.

Le fils du dictateur L. Manlius Imperiosus

[VII, 4]

(1) Néanmoins, au commencement de l'année suivante, sous les consuls Q. Servilius Ahala et L. Genucius, il fut cité en jugement par M. Pomponius, tribun du peuple. (2) Cette rigueur poussée dans les levées jusqu'à infliger, non des amendes seulement, mais des tortures corporelles, soit en frappant de verges, soit en traînant dans les fers ceux qui refusaient de répondre à l'appel, était chose odieuse; (3) mais ce qui, par dessus tout, était odieux, c'était son naturel féroce, et le surnom d'"Impérieux", à charge à une cité libre, et qu'il devait à l'effronterie d'une cruauté qu'il exerçait indistinctement sur les étrangers, sur ses proches et même sur son propre sang. (4) Entre autres griefs, l'accusation du tribun lui reprochait "que son jeune fils, innocent de toute faute, avait été par lui banni de la ville, du logis, du sein des pénates, privé du Forum, de la lumière, du commerce de ses amis, condamné à des travaux serviles, presque au fond d'une prison et d'un cachot d'esclaves. (5) Là, ce jeune homme venu de si haut lieu, ce fils de dictateur apprenait, par un supplice de chaque jour, qu'il était né d'un père vraiment impérieux. Et quel est son crime? il a peu de faconde et d'aisance à parler. (6) Mais ce vice de la nature, un père (s'il y avait âme d'homme en lui) ne devrait-il pas le cacher en son sein, au lieu de le punir et de le mettre en évidence par ses persécutions? Toutes muettes qu'elles sont, les bêtes elles-mêmes ne choient, ne chérissent pas moins ceux de leurs petits qui sont moins bien venus. (7) Mais, par Hercule, L. Manlius accroît le mal par le mal, il alourdit encore cet esprit paresseux; et, s'il reste en ce fils un peu de vigueur naturelle, il va l'éteindre par cette vie sauvage, ces habitudes rustiques, ce séjour au milieu des troupeaux."

Fin des poursuites contre le dictateur L. Manlius

[VII, 5]

(1) Ces accusations irritèrent tous les esprits plus que celui du jeune homme. Affligé plutôt d'être un sujet de haine, et de poursuites contre son père, (2) il voulut apprendre à tous, aux dieux et aux hommes, qu'il aimait mieux encore venir en aide à son père qu'à ses ennemis; il prit conseil de son âme rude et sauvage: ce ne fut point un modèle pour la cité, mais son pieux motif mérite des éloges.

(3) À l'insu de tous, un couteau sous sa robe, il vient un matin dans la ville, et de la porte marche droit à la maison du tribun M. Pomponius. Il dit au portier "qu'il a besoin de parler sur l'heure à son maître; qu'il annonce T. Manlius, fils de Lucius" (4) On l'introduit, on espère que, dans la colère qui l'anime contre son père, il apporte de nouvelles charges ou des conseils sur la conduite de l'affaire. Le salut reçu et rendu: "Il veut, dit-il, s'entretenir avec le tribun sans témoins". (5) On fait éloigner tout le monde. Alors, il tire son couteau, et, debout sur le lit, le fer tendu, il menace le tribun de l'en percer sur l'heure, s'il ne jure, dans les termes qu'il va lui dicter, "qu'il ne tiendra jamais d'assemblée du peuple pour y accuser son père." (6) Le tribun s'effraie: le fer brille à ses yeux; il se voit seul, sans armes, devant un jeune homme plein de vigueur, et, ce qui n'est pas moins à craindre, d'une brutale confiance en ses forces: il répète donc le serment qu'on lui impose; ensuite, il déclara que cette violence l'avait forcé de renoncer à son entreprise.

(7) Le peuple eût mieux aimé sans doute qu'on lui laissât la faculté de prononcer sur le sort d'un si cruel et si arrogant accusé; mais il ne sut pas mauvais gré au fils de ce qu'il avait osé pour son père, et tint l'action d'autant plus louable, que toute la rigueur paternelle n'avait pu rebuter la pieuse tendresse de son âme. (8) Aussi, non content de la remise faite au père de l'instruction de sa cause, il voulut encore honorer le jeune fils. (9) Pour la première fois, cette année, on avait déféré aux suffrages publics l'élection des tribuns de légions, qui, auparavant, comme aujourd'hui encore ceux qu'on appelle "Rufuli", étaient choisis par les généraux; et T. Manlius obtint la seconde des six places, sans aucun titre civil ou militaire qui lui méritât cette faveur, puisqu'il avait passé sa jeunesse aux champs, et loin de la société des hommes.

Le lac Curtius. Mort du consul L. Genucius dans une embuscade (362)

[VII, 6]

(1) La même année, on dit qu'un tremblement de terre ou toute autre cause ouvrit un vaste gouffre vers le milieu du Forum dont le sol s'écoula à une immense profondeur: (2) et les monceaux de terre que chacun, selon ses forces, y apporta, ne purent combler cet abîme. Sur un avis des dieux, on s'occupa de chercher ce qui faisait la principale force du peuple romain; (3) car c'était là ce qu'il fallait sacrifier en ce lieu, au dire des devins, si on avait à coeur l'éternelle durée de la république romaine. Alors M. Curtius, jeune guerrier renommé, s'indigna, dit-on, qu'on pût hésiter un instant que le plus grand bien pour Rome fût la vaillance et les armes. (4) Il impose silence, et, tourné vers les temples des dieux immortels qui dominent le Forum, les yeux sur le Capitole, les mains tendues au ciel ou sur les profondeurs de la terre béante, il se dévoue aux dieux Mânes; (5) puis, monté sur un coursier qu'il a, autant qu'il a pu, richement paré, il s'élance tout armé dans le gouffre, où une foule d'hommes et de femmes répandent sur lui les fruits et les offrandes qu'ils avaient recueillis; et c'est de là, plutôt que de Curtius Mettius, cet antique soldat de Titus Tatius, que le lac Curtius aurait tiré son nom. (6) Je n'aurais point épargné les recherches, si quelque voie pouvait conduire à la vérité; mais on doit aujourd'hui s'en tenir à la tradition, puisque l'ancienneté du fait en diminue l'authenticité: plus moderne, d'ailleurs, cette fable donne plus d'éclat au nom de ce lac.

(7) Après l'expiation d'un si grand prodige, et la même année, le sénat s'occupa des Herniques; il avait envoyé les féciaux leur demander raison, mais sans succès; il se décida donc à proposer sur l'heure au peuple de déclarer la guerre aux Herniques, et le peuple, en assemblée solennelle, ordonna la guerre. (8) Cette campagne échut au sort à L. Genucius, consul. La cité était dans l'attente: c'était le premier consul plébéien chargé de la conduite d'une guerre, et l'événement devait la justifier ou la punir de l'admission du peuple aux honneurs. (9) Le destin voulut que Genucius, marchant avec une vive ardeur à l'ennemi, se jetât dans une embuscade; les légions, surprises et effrayées, se dispersèrent, et le consul fut investi par l'ennemi, qui le tua sans le connaître.

(10) Quand cela fut annoncé dans Rome, les patriciens, moins affligés du malheur de la république que fiers de la malhabile gestion du consul plébéien, répétaient de toutes parts: "Allez! faites des consuls plébéiens! transmettez les auspices aux profanes! (11) On a pu, avec un plébiscite, déposséder les patriciens de leurs dignités, mais cette loi contre les auspices, a-t-elle pu valoir aussi contre les dieux immortels? Ils ont vengé leur divinité, leurs auspices: une fois ces auspices aux mains qui n'avaient ni le droit ni le pouvoir d'y toucher, l'armée périt avec son chef; on apprendra désormais à ne plus confondre, dans les comices, tous les droits des familles." (12) La curie, le Forum, retentissaient de ces discours. Appius Claudius, qui avait combattu la loi, accusait alors avec plus d'autorité que jamais le résultat d'une mesure qu'il avait repoussée; de l'avis unanime des patriciens, le consul Servilius le nomma dictateur. On ordonna une levée et le "iustitium".

Appius Claudius, dictateur, commande l'expédition contre les Herniques (362)

[VII, 7]

(1) Avant l'arrivée du dictateur et des légions nouvelles en présence des Herniques, un lieutenant, C. Sulpicius, avait eu l'occasion d'agir avec succès. (2) Les Herniques, après la mort du consul, s'étaient avancés avec mépris jusqu'au pied du camp romain, dans l'espoir certain de l'emporter: animés par le lieutenant, les soldats, dont l'âme était pleine d'indignation et de rage, firent une sortie, et les Herniques eurent bientôt perdu l'espoir d'approcher des palissades; rompus et dispersés, ils se retirèrent en désordre.

(3) Enfin, le dictateur arrive, rallie la nouvelle armée à l'ancienne, et double ses forces: puis il fait devant les troupes assemblées l'éloge du lieutenant et des soldats, dont la vaillance a défendu le camp; et cet éloge, qui redonne du coeur à ceux qui le méritent, inspire aux autres une vive ambition de les imiter. (4) L'ennemi, de son côté, se prépare avec non moins d'ardeur à la guerre: il a bon souvenir de ses premiers succès, et, comme il sait que les Romains ont accru leurs forces, il accroît aussi les siennes. Toute la population hernique, tout ce qui a l'âge militaire, entre en ligne: huit cohortes de quatre cents hommes, puissante élite de guerriers, sont enrôlées. (5) À cette fleur de la plus belle jeunesse, on assure par un décret double paie, ce qui la remplit d'espoir et de courage. On les exempte aussi des travaux militaires, afin que, réservés uniquement pour l'oeuvre du combat, ils sachent qu'ils doivent plus que leur simple part d'homme d'efforts et de labeur. (6) Dans l'ordre de bataille, on les place en avant et hors des rangs, afin de mettre plus en vue leur vaillance.

Une plaine de deux milles séparait le camp romain des Herniques: ce fut au centre de cette plaine, â une distance presque égale des deux camps, que le combat eut lieu. (7) D'abord le succès resta douteux, les cavaliers romains ayant vainement, et à plusieurs reprises, essayé de rompre, en la chargeant, la ligne ennemie. (8) Dans cette lutte, comme le résultat trahissait leurs efforts, les cavaliers consultent le dictateur, et, avec sa permission, quittent leurs chevaux; puis, poussant un grand cri, volent à la tête des enseignes, où ils commencent un nouveau combat; (9) et l'ennemi n'eût pu les soutenir, si ses cohortes extraordinaires ne leur eussent opposé un pareil renfort de corps et de courages.

Victoire romaine sur les Herniques

[VII, 8]

(1) L'action s'engage alors entre les plus braves des deux peuples, et si, d'un côté ou de l'autre, quelques-uns tombent, emportés par la commune destinée des batailles, ces pertes sont peu nombreuses, mais plus graves. La foule des soldats avait, pour ainsi dire, délégué le combat à ces braves, et remis son sort à leur valeur. Beaucoup sont tués de part et d'autre, plus encore sont blessés.

(2) Enfin les cavaliers, s'adressant de mutuels reproches, se demandent "ce qu'ils espèrent, après tout? À cheval, ils n'ont pu repousser l'ennemi; à pied, ils ne peuvent mieux faire. Quelle troisième chance de combat attendent-ils encore? À quoi bon s'être jetés fièrement à la tête des enseignes et combattre à la place des autres?" (3) Ils se raniment par ces paroles, poussent un nouveau cri, se portent d'un pas en avant, font perdre pied d'abord à l'ennemi, et le mettent enfin pleinement en déroute: (4) entre des forces tellement égales, il n'est pas facile de dire ce qui décida la victoire; peut-être cette constante fortune de l'un et de l'autre peuple, qui grandit le courage de l'un et abattit celui de l'autre.

(5) Le Romain poursuivit jusqu'à leur camp les Herniques fugitifs; mais on en différa l'assaut, parce qu'il était tard. Longtemps répétés sans succès, les sacrifices avaient empêché le dictateur de donner le signal avant midi; et le combat s'était ainsi prolongé jusqu'à la nuit. (6) Le lendemain, les Herniques avaient disparu; on trouva leur camp désert et quelques blessés à l'abandon: la troupe des fuyards, passant sous les murs de Signia, fut aperçue dans le délabrement de sa défaite par les habitants, qui la mirent en pièces et la dispersèrent tremblante et fugitive à travers les campagnes. (7) Cette victoire des Romains ne laissa pas d'être sanglante: on perdit un quart de l'armée, et, ce qui ne fut pas de moindre dommage, plusieurs cavaliers romains succombèrent.

Nouvelle attaque des Gaulois (361)

[VII, 9]

(1) L'année suivante, les consuls C. Sulpicius et C. Licinius Calvus menèrent l'armée contre les Herniques, et, ne trouvant point ces ennemis en campagne enlevèrent d'assaut Ferentinum, une de leurs villes. À leur retour, Tibur leur ferma ses portes. (2) Ce dernier outrage, après tant d'autres, après toutes les plaintes que se renvoyaient depuis longtemps les deux peuples, décida Rome à faire demander raison par ses féciaux aux Tiburtes, et à leur déclarer la guerre.

(3) Il est bien établi que, cette année, T. Quinctius Poenus fut dictateur, et Ser. Cornelius Maluginensis maître de la cavalerie. (4) Selon Macer Licinius, ce dictateur ne fut nommé que pour tenir les comices, et par le consul Licinius, qui, voyant son collègue négliger la guerre et hâter les comices pour se maintenir au consulat, voulut déjouer cette coupable ambition. (5) Mais cet empressement de Licinius à louer sa famille ôte quelque poids à son témoignage; et comme je ne trouve aucune mention de ce fait dans nos antiques annales, j'inclinerais plutôt à croire que la guerre des Gaulois fut la seule cause alors du choix d'un dictateur. (6) Il est certain que, cette année, les Gaulois vinrent camper à trois milles de Rome, sur la voie Salaria, au-delà du pont de l'Anio.

Au bruit du tumulte gaulois, le dictateur proclame le "iustitium", appelle au serment toute la jeunesse, sort de la ville avec une armée nombreuse, et place son camp sur la rive citérieure de l'Anio. (7) Un pont séparait les deux armées, et ni l'une ni l'autre n'osait le rompre pour ne point marquer de frayeur. On s'en disputait la possession par de fréquentes attaques, mais à forces presque égales, et sans qu'on pût assez prévoir qui l'emporterait. (8) Enfin un Gaulois d'une taille gigantesque, s'avance sur ce pont libre alors, et de toute la puissance de sa voix s'écrie: "Que le plus vaillant des guerriers de Rome vienne et combatte, s'il l'ose, afin que l'issue de notre lutte apprenne qui des deux peuples vaut plus à la guerre".

L'exploit de Titus Manlius Torquatus

[VII, 10]

(1) Il se fit un long silence aux premiers rangs de la jeunesse romaine: on rougissait de refuser le combat, mais on craignait de courir seul toutes les chances du danger. (2) Alors T. Manlius, fils de Lucius, qui avait délivré son père des attaques d'un tribun, quitte son poste, et s'approchant du dictateur: "Sans ton ordre, général, lui dit-il, je n'aurais jamais combattu hors de rang, même avec l'assurance de la victoire. (3) Si tu le permets, je veux montrer à cette brute, qui gambade insolemment devant les enseignes ennemies, que je suis sorti de cette famille qui renversa de la roche Tarpéienne une armée de Gaulois". (4) Alors le dictateur: "Courage, T. Manlius, lui dit-il; sois dévoué à ta patrie, ainsi qu'à ton père. Marche, et prouve, avec l'aide des dieux, que le nom romain est invincible".

(5) Le jeune homme est armé par ses amis; il prend un bouclier d'infanterie, et ceint un glaive espagnol, commode pour combattre de près. Ainsi armé et équipé, ils le conduisent en face du Gaulois, qui, dans sa stupide joie (c'est un trait que les anciens ont cru digne de mémoire), tirait la langue par raillerie. (6) Ils regagnent leur poste, et les deux rivaux sont laissés seuls au milieu, où ils semblent plutôt donner un spectacle que subir une loi de la guerre. À en juger par les yeux et sur l'apparence, la lutte n'était point égale. (7) L'un se présente avec une taille gigantesque, et tout resplendissant des mille couleurs de ses vêtements et de ses armes peintes et ciselées en or; l'autre, avec la taille moyenne du soldat, et le modeste éclat de ses armes, plus commodes que brillantes; (8) point de chants, point de bonds, point de vaine agitation de ses armes; mais une âme pleine de courage et d'une muette colère, et qui gardait toute sa fierté pour l'épreuve du combat.

(9) Quand ils sont en présence entre les deux armées, entre ces rangs où battent tant de coeurs d'hommes suspendus par la crainte et l'espérance, le Gaulois, comme une masse géante prête à tout écraser, tend son bouclier de la main gauche, et, du tranchant de son épée, frappe avec un bruit horrible, mais sans succès, les armes de l'ennemi qui s'avance. (10) Le Romain, l'épée haute et droite, heurte du bouclier le bas du bouclier gaulois, pénètre de tout son corps sous cet abri qui le préserve des blessures, se glisse entre les armes et le corps de l'ennemi, lui plonge et lui replonge son glaive dans le ventre et dans l'aine, et l'étend sur le sol, dont il couvre un espace immense. (11) À ce cadavre renversé, il épargna toute injure; seulement il le dépouilla de son collier, qu'il passa, tout mouillé de sang, à son cou. (12) Les Gaulois demeuraient immobiles de terreur et de surprise. Les Romains s'élancent joyeux de leur poste au-devant de leur soldat, et, le louant, lui faisant fête, le conduisent au dictateur. (13) Au milieu des chants grossiers et des saillies de leur gaieté militaire, on entendit retentir le surnom de Torquatus, qui, partout accueilli, fit plus tard la gloire de ses descendants et de sa famille. (12) Le dictateur y ajouta le don d'une couronne d'or, et, devant l'armée assemblée, releva par d'admirables éloges l'éclat de cette victoire.

Victoires sur les Tiburtins et sur les Gaulois (360)

[VII, 11]

(1) Et, par Hercule, tel fut l'effet de ce combat sur l'issue de toute la guerre, que, la nuit suivante, l'armée gauloise, désertant son camp à la hâte, passa sur les terres de Tibur; puis, après avoir fait alliance de guerre avec les Tiburtes qui lui fournirent généreusement des vivres, elle se retira dans la Campanie. (2) Pour cette raison, l'année suivante, C. Poetelius Balbus, consul, mena, par ordre du peuple, une armée contre les Tiburtes. À son collègue M. Fabius Ambustus était échue la campagne contre les Herniques. (3) Les Gaulois accoururent de la Campanie au secours de leurs alliés: de hideuses dévastations, évidemment dirigées par les Tiburtes, désolèrent les territoires de Labicum, de Tusculum et d'Albe. (4) Contre un ennemi comme les Tiburtes, un consul suffisait à la république; mais le tumulte gaulois força de créer un dictateur: on créa Q. Servilius Ahala, qui nomma T. Quinctius maître de la cavalerie, et qui, sur autorisation du sénat, fit voeu, si l'issue de cette guerre était heureuse, de célébrer les grands jeux. (5) Le dictateur, pour occuper séparément les Tiburtes du seul intérêt de leur guerre, fit demeurer le consul avec son armée; puis il appela au serment toute la jeunesse, et nul ne refusa le service.

(6) On combattit non loin de la porte Colline, avec toutes les forces de la ville, à la vue des parents, des femmes et des enfants: puissantes inspirations de courage, partout, même absentes, et dont la présence en ce jour remplissait tout ensemble le soldat de pudeur et de compassion. (7) Après un grand carnage de part et d'autre, les Gaulois tournèrent enfin le dos, et s'enfuirent à Tibur, l'asile et comme l'arsenal de cette guerre gauloise. Dans leur désordre, surpris non loin de Tibur par le consul Poetelius, ils sont refoulés jusque dans les murailles de la ville avec les Tiburtes, sortis pour leur porter secours. (8) Cette guerre fut conduite avec éclat et par le dictateur et par le consul.

De son côté, l'autre consul, Fabius, après quelques légers succès contre les Herniques finit par les vaincre entièrement dans une seule et mémorable bataille, où l'ennemi l'avait attaqué avec toutes ses forces. (9) Le dictateur loua grandement les consuls dans le sénat et devant le peuple, leur attribua même une part de sa gloire, puis abdiqua la dictature. Poetelius triompha deux fois, des Gaulois et des Tiburtes. On jugea suffisant d'accorder l'ovation à Fabius. (10) Les Tiburtes se moquèrent du triomphe de Poetelius: "Où donc leur a-t-il livré bataille! Quelques habitants, sortis de la ville pour être témoins de la fuite et de l'épouvante des Gaulois, voyant qu'on s'élançait aussi sur eux et qu'on massacrait sans distinction tout ce qui se rencontrait, s'étaient réfugiés dans leurs murs et c'est là un exploit digne du triomphe, aux yeux des Romains! (11) Qu'ils ne fassent pas merveille et grand bruit d'une alarme jetée aux portes de l'ennemi; ils verront bientôt plus d'épouvante encore aux pieds de leurs murailles".

Attaque des Tiburtins, guerre contre les Tarquiniens. Révolte dans l'armée du dictateur (359-358)

[VII, 12]

(1) À cet effet, l'année suivante, sous les consuls M. Popilius Laenas et Cn. Manlius, dans le premier calme de la nuit, une armée ennemie part de Tibur, et arrive devant Rome. (2) Brusquement arrachés au sommeil, les Romains s'effraient de cette subite attaque et de cette alarme nocturne; plusieurs ignorent d'ailleurs quel est et d'où vient l'ennemi. (3) Cependant on crie vivement aux armes, et des renforts courent se placer aux portes et protéger les murailles. Mais quand le jour naissant n'eut montré qu'une faible troupe devant les remparts et nul autre ennemi que les Tiburtes, les deux consuls, sortis par deux portes, viennent attaquer à la fois cette armée déjà parvenue au pied des murailles. (4) On vit bien qu'elle avait plus compté sur l'occasion que sur son courage, tant elle eut peine à soutenir le premier choc des Romains! Au reste, leur arrivée fut vraiment profitable aux Romains: une sédition s'élevait déjà entre les patriciens et le peuple; et la terreur d'une guerre si voisine l'étouffa.

(5) Dans une autre guerre qui suivit bientôt, la présence de l'ennemi porta plus d'effroi dans les campagnes que dans la ville. (6) Les Tarquiniens envahirent le territoire de Rome et le dévastèrent, surtout vers la partie qui borde l'Étrurie. On leur demanda raison, sans succès; et les nouveaux consuls, C. Fabius et C. Plautius, par ordre du peuple, leur déclarèrent la guerre: à Fabius échut cette campagne, celle des Herniques à Plautius. (7) En même temps le bruit d'une invasion gauloise grandissait de jour en jour. Mais, au milieu de tant d'alarmes, ce fut une consolation d'accorder la paix aux désirs des Latins; ils offrirent, aux termes de leur ancien traité, suspendu depuis tant d'années, des troupes nombreuses, qu'on accepta: (8) ce secours fortifia la puissance romaine, et l'aida à porter plus légèrement la nouvelle de l'arrivée des Gaulois à Préneste, et de leur halte aux environs de Pédum. (9) On s'empressa de nommer un dictateur, C. Sulpicius; le consul C. Plautius, fut mandé pour cette élection: un maître de cavalerie, M. Valerius, fut adjoint au dictateur. Ces chefs, à la tête des plus vaillants soldats, choisis dans les deux armées consulaires, marchèrent contre les Gaulois.

(10) La guerre se prolongea plus que n'eussent désiré les deux partis: d'abord les Gaulois seuls aspiraient au combat: et bientôt le soldat romain, impatient de prendre les armes et d'en venir aux mains, surpassa même la fougue des Gaulois: (11) mais le dictateur n'était point tenté, quand rien ne l'exigeait, de se hasarder contre un ennemi que le temps épuiserait chaque jour, sur cette terre étrangère où nulle réserve de vivres, nul retranchement ne protégeait son séjour: d'ailleurs des âmes et des corps, dont un premier élan fait la force, s'énerveraient du moindre délai. (12) Dans cette vue, le dictateur traînait la guerre en longueur; il avait menacé d'un châtiment sévère celui qui sans ordre combattrait l'ennemi.

Les soldats ne pouvaient souffrir cette défense: ils murmuraient entre eux, dans les postes et les corps de garde, contre le dictateur; parfois même ils attaquaient l'ordre entier des patriciens, qui n'avait point remis à des consuls la conduite de cette guerre. (13) "On a choisi là un beau général, un chef unique, qui s'imagine, à rien faire, que la victoire s'en va lui tomber du ciel dans les bras". On répéta bientôt publiquement ces propos, et de plus hardis encore: "Ou ils combattront en dépit du général, ou ils retourneront tous à Rome". (14) Les centurions se joignent aux soldats, et déjà ce ne sont plus quelques murmures de groupes isolés: mille clameurs éclatent et se confondent sur la place d'armes, devant la tente du dictateur; la foule croît et grandit comme une assemblée solennelle; de toutes parts on crie: "Il faut aller à l'instant auprès du dictateur; Sextus Tullius portera la parole au nom de l'armée, et d'une manière digne de son courage".

Discours du centurion Sextus Tullius (358)

[VII, 13]

(1) Pour la septième fois Tullius était le primipile, et nul dans l'armée, de ceux du moins qui avaient fait le service d'infanterie, n'était plus célèbre par ses exploits. (2) Suivi d'une troupe de soldats, il marche au tribunal, il s'adresse à Sulpicius, étonné de cet attroupement, et surtout de voir à sa tête Tullius, un soldat si docile à la discipline.

(3) "Dictateur, je te dirai que l'armée entière, persuadée que tu la condamnes de lâcheté, et que c'est pour l'en punir honteusement que tu la tiens là désarmée, m'a prié de plaider sa cause devant toi. (4) Certes, quand on pourrait nous reprocher d'avoir un jour lâché pied, ou tourné le dos à l'ennemi, ou perdu lâchement nos enseignes, je croirais pourtant devoir obtenir de toi, comme une justice, la permission de réparer cette faute par notre courage, et d'effacer par une nouvelle gloire le souvenir de cet opprobre. (5) Battues sur l'Allia, les légions qui avaient perdu la patrie par leur frayeur, sorties bientôt de Véies, surent la reconquérir par leur bravoure."

"Quant à nous, grâce à la bonté des dieux, à ta fortune, à celle du peuple romain, notre position et notre gloire sont intactes: (6) si pourtant j'ose parler de gloire, alors que nous nous cachons comme des femmes derrière une palissade, en butte aux risées et aux outrages de l'ennemi; alors que toi, notre général, ce qui nous est plus pénible encore, tu crois ton armée sans coeur, sans armes, sans bras, et que, même avant de nous éprouver, tu désespères de nous comme si tu croyais ne commander qu'à des soldats manchots et débiles. (7) Sans cela, en effet, pour quelle raison un chef vétéran, si vaillant à la guerre, resterait-il assis là, comme on dit, les bras croisés? Quoi qu'il en soit, il est certain que tu sembles douter de notre valeur plus que nous de la tienne."

(8) "Si pourtant ce n'est point ta volonté, mais la volonté de ceux qui gouvernent, si c'est quelque complot des patriciens et non la guerre des Gaulois qui nous tient éloignés de la ville et de nos pénates, je te prie de considérer ce que je vais dire comme le langage, non du soldat au général, mais du peuple aux patriciens; vous avez vos volontés, il aura les siennes, il le déclare; et qui dont pourrait s'en indigner? (9) Nous sommes soldats et non vos esclaves, envoyés à la guerre, non à l'exil. Nous sommes tous prêts, si on donne le signal, si on nous mène au combat, à combattre dignement en hommes, en Romains! Que cela soit dit au Sénat."

(10) "Toi, général, nous te prions, nous tes soldats, de nous donner l'occasion de combattre. Si nous désirons vaincre, c'est pour vaincre sous tes ordres, pour te déférer un noble laurier, pour rentrer avec toi triomphants dans la ville, et suivre ton char au temple de Jupiter très bon, très grand, en te glorifiant, en te rendant grâces".

(11) Au discours de Tullius succédèrent les prières de la multitude; et de tous côtés on lui criait de donner le signal,de faire prendre les armes.

Dispositif des troupes romaines

[VII, 14]

(1) Le dictateur comprit que l'action était bonne en soi, mais qu'il n'en devait point encourager l'exemple; néanmoins il promit de faire ce que désiraient les soldats. Puis, il prend à part Tullius, et lui demande ce que signifie cela, et quelle est cette façon d'agir? (2) Tullius supplie instamment le dictateur "de croire qu'il n'a oublié ni la discipline militaire, ni ce qu'il est, ni ce qu'il doit à la souveraineté du commandement: mais une multitude soulevée d'ordinaire imite ses chefs; il n'a point refusé de se mettre à leur tête, de peur qu'il ne se trouvât là un de ces hommes que les troupes révoltées se donnent toujours pour maîtres: (3) car il n'eût jamais agi, lui, contre le gré de son général. Toutefois, le dictateur doit veiller avec soin à contenir son armée. Tout délai désormais est impossible avec des esprits si agités: ils choisiront le lieu et le temps pour combattre, et le prendront, si le général ne le leur donne".

(4) Pendant cet entretien, un Gaulois enlevait des chevaux qui paissaient d'aventure hors du retranchement; deux soldats romains les reprirent. Les Gaulois leur lancent des pierres: alors du poste romain un cri s'élève; de part et d'autre on accourt; (5) et l'affaire allait devenir générale, si les centurions n'eussent promptement séparé les combattants.

C'était là une preuve que Tullius avait dit vrai au dictateur; l'affaire n'admettait plus de retards: on annonça que le lendemain on livrerait bataille. (6) Néanmoins le dictateur, qui venait au combat plus sûr de l'ardeur que des forces de ses soldats, cherche en lui-même tous les moyens de jeter la terreur au sein de l'ennemi. Son esprit habile imagine un expédient neuf, dont plusieurs généraux depuis, romains et étrangers, quelques-uns même de nos jours, ont profité, (7) il fait enlever les bâts aux mulets, ne leur laisse que des housses pendantes, et les fait monter par des muletiers qu'il décore des armes prises à l'ennemi ou de celles des malades. Il en équipe ainsi mille environ, leur adjoint cent cavaliers, avec ordre de gravir pendant la nuit les hauteurs qui dominent le camp, de se cacher dans les bois, et de n'en point sortir sans en avoir reçu de lui le signal.

(9) Lui, au point du jour, étendit exprès sa ligne au pied des montagnes, afin que l'ennemi prît position en face de ces hauteurs, (10) où il avait dressé le vain appareil de cet épouvantail, qui lui servit plus en quelque sorte que ses véritables forces. Les chefs gaulois croyaient d'abord que les Romains ne descendraient point dans la plaine; mais les voyant tout à coup se mouvoir, ils s'élancent, avides de combattre, et la lutte s'engage avant que les chefs aient donné le signal.

Triomphe du dictateur sur les Gaulois; revers devant Tarquines. Création de deux nouvelles tribus (358)

[VII, 15]

(1) Les Gaulois assaillirent plus vivement l'aile droite: on n'aurait pu leur tenir tête; mais le dictateur se trouvait là: il appelle Sex. Tullius par son nom, lui fait honte et lui demande: (2) "Est-ce ainsi que les soldats devaient combattre? est-ce là ce qu'il a promis? Où sont ces cris pour réclamer des armes? ces menaces de livrer bataille sans l'ordre du général? Le général, le voici qui les appelle à haute voix au combat, et qui s'avance armé à la tête des enseignes. Oseront-ils au moins le suivre, eux qui voulaient le conduire, eux si braves au camp, si peureux dans l'action!"

(3) Il disait vrai; ils l'entendent; la pudeur les aiguillonne; ils se jettent au-devant des traits ennemis: leur esprit égaré oubliait le péril. Cet assaut presque insensé ébranle d'abord les Gaulois; la cavalerie arrive ensuite et les met en déroute. (4) Le dictateur, voyant les ennemis battus de ce côté, passe avec les enseignes à l'aile gauche, où ils se ralliaient en grand nombre, et donne aux Romains placés sur les hauteurs le signal convenu. (5) De ce point aussi un nouveau cri s'élève, une troupe s'avance sur les flancs de la montagne; on la voit marcher au camp des Gaulois, qui, tremblant d'être coupés, cessent de combattre et regagnent leur camp dans une course désordonnée. (6) Là, ils rencontrent M. Valerius, maître de la cavalerie, qui, depuis la défaite de l'aile droite, manoeuvrait en avant des retranchements ennemis; (7) ils tournent leur fuite alors vers les montagnes et les forêts; plusieurs y furent reçus par les muletiers, par ces cavaliers de trompeuse apparence; et de tous ceux que la peur entraîna ainsi dans les bois, il se fit un carnage atroce, longtemps encore après le combat. (8) Nul autre, depuis M. Furius, ne mérita mieux que C. Sulpicius de triompher des Gaulois. Comme lui, il dépouilla les Gaulois d'une assez forte somme d'or, qu'il consacra au Capitole, dans un local muré de pierres de taille.

(9) Cette année, les consuls firent aussi la guerre, mais non pas tous deux avec les mêmes chances. En effet C. Plautius vainquit et subjugua les Herniques; mais Fabius, son collègue, se présenta avec imprévoyance et légèreté aux coups des Tarquiniens; (10) et cet échec fut moins grave par lui-même que par la perte de trois cent sept soldats romains prisonniers, que les Tarquiniens immolèrent. L'horreur d'un tel supplice fit encore plus éclater la honte du peuple romain. (11) À cet échec se joignit la dévastation du territoire de Rome par une incursion subite des Privernates, puis des Véliternes.

(12) La même année, on créa encore deux tribus, la Pomptina et la Publilia. On célébra les jeux que M. Furius, dictateur, avait voués; une loi contre la brigue fut pour la première fois présentée au peuple romain par C. Poetelius, tribun du peuple, avec l'approbation du sénat: (13) on crut, par cette loi, réprimer surtout les intrigues des hommes nouveaux, qui avaient l'habitude de courir les foires et les marchés.

 

 

 

 


 

Publicités
 
Partenaires

  Rois & PrésidentsEgypte-Ancienne

Rois et Reines Historia Nostra

Egypte

 

 Histoire Généalogie