Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XIII : De l'Angleterre vers le IVe Siècle. |
L'Angleterre après avoir été divisée en sept petits Royaumes,
s'était presque réunie sous le Roi Egbert, lorsque ces mêmes Pirates vinrent la
ravager aussi bien que la France. On prétend qu'en 852 ils remontèrent la Tamise
avec trois cents Voiles. Les Anglais ne se défendirent guère mieux que les
Francs. Ils payèrent, comme eux, leurs vainqueurs. Un Roi nommé Ethelbert suivit
le malheureux exemple de Charles le Chauve. Il donna de l'argent; la même faute
eut la même punition. Les Pirates se servirent de cet argent pour mieux
subjuguer le Pays. Ils conquirent la moitié de l'Angleterre. Il fallait que les
Anglais, nés courageux et défendus par leur situation, eussent dans leur
Gouvernement des vices bien essentiels, puisqu'ils furent toujours assujettis
par des Peuples qui ne devaient pas aborder impunément chez eux. Ce qu'on
raconte des horribles dévastations qui désolèrent cette Île, surpasse encore ce
qu'on vient de voir en France. Il y a des temps où la Terre entière n'est qu'un
théâtre de carnage, et ces temps sont trop fréquents.
Il me semble que le Lecteur respire enfin un peu, lorsque dans ces horreurs il
voit s'élever quelque grand-homme qui tire sa patrie de la servitude, et qui le
gouverne en bon Roi.
Je ne sais s'il y a jamais eu sur la Terre un homme plus digne des respects de
la postérité qu'Alfred le Grand, qui rendit ses services à sa patrie.
En 872 il succédait à son frère Ethelred I qui ne lui laissa qu'un droit
contesté sur l'Angleterre, partagée plus que jamais en Souverainetés, dont
plusieurs étaient possédées par les Danois. De nouveaux Pirates venaient encore,
presque chaque année, disputer aux premiers usurpateurs le peu de dépouilles qui
pouvaient rester.
Alfred n'ayant pour lui qu'une Province de l'Ouest, fut vaincu d'abord en
bataille rangée par ces Barbares, et abandonné de tout le monde il ne se retira
point à Rome dans le Collège Anglais, comme Butred son oncle, devenu Roi d'une
petite Province et chassé par les Danois; mais seul et sans secours, il voulut
périr ou venger sa patrie. Il se cacha six mois chez un Berger dans une
chaumière environnée de marais. Le seul Comte de Devon qui défendait encore un
faible château, savait son secret. Enfin ce Comte ayant rassemblé des troupes et
gagné quelque avantage, Alfred couvert de haillons d'un Berger, osa se rendre
dans le camp des Danois, en jouant de la harpe: voyant ainsi par ses yeux la
situation du camp et ses défauts, instruit d'une fête que les Barbares devaient
célébrer, il court au Comte de Devon qui avait des milices prêtes, il revient
aux Danois avec une petite troupe mais déterminée, il les surprend et gagne une
victoire complète. La discorde divisait alors les Danois. Alfred sut négocier
comme combattre; et ce qui est étrange, les Anglais et les Danois le reconnurent
unanimement pour Roi. Il n'y avait plus à réduire que Londres, il la prit, la
fortifia, l'embellit, équipa des flottes, contint les Danois d'Angleterre,
s'opposa aux descentes des autres, et s'appliqua ensuite pendant douze années
d'une possession paisible, à policer sa patrie. Ses lois furent douces, mais
sévèrement exécutées. C'est lui qui fonda les Jurés, qui partagea l'Angleterre
en Shires ou Comtés, et qui le premier encouragea ses sujets à commercer. Il
prêta des vaisseaux et de l'argent à des hommes entreprenants et sages, qui
allèrent jusqu'à Alexandrie, et de-là passant l'Isthme de Suez, trafiquèrent
dans la Mer de Perse. Il institua des Milices, il établit divers Conseils, mit
partout la règle et la paix qui en est la suite.
Il me semble qu'il n'y a point de véritablement grand-homme, sans avoir un bon
esprit. Alfred fonda l'Académie d'Oxford. Il fit venir des livres de Rome.
L'Angleterre toute barbare n'en avait presque point. Il se plaignait qu'il n'y
eût pas alors un Prêtre Anglais qui sût le Latin. Pour lui, il le savait. Il
était même assez bon Géomètre pour ce temps-là. Il possédait l'Histoire. On dit
même qu'il faisait des vers en Anglo-Saxon. Les moments qu'il ne donnait pas aux
soins de l'État, il les donnait à l'étude. Une sage économie le mit en état
d'être libéral. On voit qu'il rebâtit plusieurs Églises, mais aucun Monastère.
Il pensait sans-doute que dans un État désolé, qu'il fallait repeupler, il eût
mal servi sa patrie, en favorisant trop ces familles immenses sans père et sans
enfants, qui se perpétuent aux dépens de la Nation: aussi ne fut-il pas au
nombre des Saints; mais l'Histoire, qui d'ailleurs ne lui reproche ni défaut ni
faiblesse, le met au premier rang des Héros utiles au Genre-humain, qui sans ces
hommes extraordinaires eût toujours été semblable aux bêtes farouches.
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