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Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint

Chapitre XVI : De l'Italie, des Papes, et des autres affaires de l'Église aux VIIIe et IXe Siècles.

 

On a vu avec quelle prudence les Papes se conduisirent sous Pépin et sous Charlemagne, comme ils assoupirent habilement les querelles de Religion, et comme chacun d'eux établit sourdement les fondements de la grandeur Pontificale.

Leur pouvoir était déjà trop grand, puisque Grégoire IV rebâtit le Port d'Ostie et que Léon IV fortifia Rome à ses dépens. Mais tous les Papes ne pouvaient être de grands-hommes, et toutes les conjonctures ne pouvaient leur être favorables. Chaque vacance de siège causait presque autant de troubles que l'élection d'un Roi en Pologne. Le Pape élu avait à ménager à la fois le Sénat Romain, le Peuple et l'Empereur. La Noblesse Romaine avait grande part au Gouvernement, elle élisait alors deux Consuls tous les ans. Elle créait un Préfet, qui était une espèce de Tribun du Peuple. Il y avait un Tribunal de douze Sénateurs, et c'était ces Sénateurs qui nommaient les principaux Officiers du Duché de Rome. Ce Gouvernement municipal avait tantôt plus, tantôt moins d'autorité. Les Papes avaient à Rome plutôt un grand crédit qu'une puissance législative.

S'ils n'étaient pas Souverains de Rome, ils ne perdaient aucune occasion d'agir en Souverains de l'Église d'Occident.

Nicolas I écrivait ainsi à Hincmar, Archevêque de Reims en 863: «Nous avons appris par le rapport de plusieurs personnes fidèles, que vous avez déposé notre cher frère Rothade absent; c'est pourquoi nous vous mandons de venir incessamment à Rome avec ses accusateurs et le Prêtre qui a été le sujet de sa déposition. Si dans un mois après la réception de cette Lettre vous ne rétablissez pas Rothade, je vous défends de célébrer la Messe, etc.»

On résistait toujours à ces entreprises des Papes, mais pour peu que de tant d'Évêques un seul vînt à fléchir, sa soumission était regardée à Rome comme un devoir: il fallait donc nécessairement que l'Église de Rome, supérieure d'ailleurs aux autres, fût presque leur Souveraine à force de vouloir l'être.

Gontier Archevêque de Cologne, déposé par le même Nicolas I pour avoir été d'un avis contraire au Pape dans un Concile tenu à Metz en 864, écrivit à toutes les Églises, «Quoique le Seigneur Nicolas qu'on nomme Pape, et qui se compte Pape et Empereur, nous ait excommuniés, nous avons résisté à sa folie». Ensuite dans son écrit s'adressant au Pape même, «Nous ne recevons point, dit-il, votre maudite sentence, nous la méprisons, nous vous rejetons vous-même de notre Communion, nous contentant de celle des Évêques nos frères que vous méprisez», etc.

Un frère de l'Archevêque de Cologne porta lui-même cette protestation à Rome, et la mit sur le tombeau de Saint Pierre, l'épée à la main. Mais bientôt après l'état politique des affaires ayant changé, ce même Archevêque changea aussi. Il vint au Mont Cassin se jeter aux genoux du Pape Adrien successeur de Nicolas. «Je déclare, dit-il, devant Dieu et devant ses Saints, à vous Monseigneur Adrien, Souverain Pontife, aux
Évêques qui vous sont soumis, et à toute l'Assemblée, que je supporte humblement la sentence de déposition donnée canoniquement contre moi par le Pape Nicolas», etc. On sent combien un exemple de cette espèce affermissait les prétentions de l'Église Romaine, et les conjonctures rendaient ces exemples fréquents.

Le même Nicolas I excommunia la femme de Lothaire Roi de Lorraine, fils de l'Empereur Lothaire. Il n'était pas bien décidé si elle était épouse légitime; mais il était moins décidé encore, si le Métropolitain de Rome devait se mêler du lit d'un Souverain; ce n'était pas-là que se bornaient leurs prétentions.

En 876, Le Pape Jean VIII dans une sentence qu'il prononça contre Formose Évêque de Porto, qui fut depuis Pape, dit positivement qu'il a élu et ordonné Empereur son cher fils Charles le Chauve.

Je passe beaucoup d'entreprises de cette nature, qui rempliraient des volumes. Il suffit de voir quel était l'esprit de Rome.

La plus grande affaire que l'Église eut alors, et qui en est encore une très-importante aujourd'hui, fut l'origine de la séparation totale des Grecs et des Latins. La Chaire Patriarcale de Constantinople étant, ainsi que le Trône, l'objet de l'ambition, était sujette aux mêmes révolutions. L'Empereur mécontent du Patriarche Ignace, l'obligea à signer lui-même sa déposition, et mit à sa place Photius, Eunuque du Palais, homme d'une grande qualité, d'un vaste génie, et d'une science universelle. Il était Grand-Écuyer et Ministre d'État. Les Évêques pour l'ordonner Patriarche, le firent passer en six jours par tous les degrés. Le premier jour on le fit Moine, parce que les Moines étaient alors regardés comme faisant partie de la Hiérarchie. Le second jour il fut Lecteur, le troisième Sous-Diacre, puis Diacre, Prêtre, et enfin Patriarche le jour de Noël en 858.

Le Pape Nicolas prit le parti d'Ignace, et excommunia Photius. Il lui reprochait surtout d'avoir passé de l'État Laïc à celui d'Évêque avec tant de rapidité; mais Photius répondait avec raison, que Saint Ambroise, Gouverneur de Milan et à peine Chrétien, avait joint la dignité d'Évêque à celle de Gouverneur plus rapidement encore. Photius excommunia donc le Pape à son tour, et le déclara déposé. Il prit le titre de Patriarche OEcuménique, et accusa hautement d'hérésie les Évêques d'Occident de la communion du Pape. Le plus grand reproche qu'il leur faisait, roulait sur la procession du Père et du Fils. Les autres sujets d'anathème étaient que les Latins se servaient de pain non levé pour l'Eucharistie, mangeaient des oeufs en Carême, et que leurs Prêtres se faisaient raser la barbe. Étranges raisons pour brouiller l'Occident avec l'Orient.

L'Empereur Basile, assassin de Michel son bienfaiteur et des protecteurs de Photius, déposa ce Patriarche dans le temps qu'il jouissait de sa victoire. Rome profita de cette conjoncture pour faire assembler, en 869, à Constantinople, le huitième Concile OEcuménique, composé de trois cents Évêques. Il est à remarquer que les Légats qui présidaient ne savaient pas un mot de Grec, et que parmi les autres Évêques très peu savaient le Latin. Photius y fut universellement condamné comme intrus, et soumis à la pénitence publique. On signa pour les cinq Patriarches avant de signer pour le Pape. Mais en tout cela les questions qui partageaient l'Orient et l'Occident, ne furent point agitées, on ne voulait que déposer Photius.

Quelques temps après, le vrai Patriarche, Ignace, étant mort, Photius eut l'adresse de se faire rétablir par l'Empereur Basile. Le Pape Jean VIII le reçut à sa communion, le reconnut, lui écrivit, et malgré ce huitième Concile OEcuménique, qui avait anathématisé ce Patriarche, le Pape envoya ses Légats à un autre Concile, en 879, à Constantinople, dans lequel Photius fut reconnu innocent par quatre cents Évêques, dont trois cents l'avaient auparavant condamné. Les Légats de ce même siège de Rome, qui l'avaient anathématisé, servirent eux-mêmes à casser le huitième Concile OEcuménique. On a beaucoup blâmé cette condescendance du Pape Jean VIII mais on n'a pas assez songé que ce Pontife avait alors besoin de l'Empereur Basile. Un Roi de Bulgarie, nommé Bogoris, gagné par l'habileté de sa femme qui était Chrétienne, s'était converti à l'exemple de Clovis et du Roi Egbert. Il s'agissait de savoir de quel Patriarcat cette nouvelle Province Chrétienne dépendrait. Constantinople et Rome se la disputaient. La décision dépendait de l'Empereur Basile. Voilà en partie le sujet des complaisances qu'eut l'Évêque de Rome pour celui de Constantinople.

Il ne faut pas oublier que dans ce Concile, ainsi que dans le précédent, il y eut des "Cardinaux". On nommait ainsi des Prêtres et des Diacres qui servaient de Conseils aux Métropolitains. Il y en avait à Rome comme dans d'autres Églises. Ils étaient déjà distingués, mais ils signaient après les Évêques et les Abbés.

Le Pape donna par ses Lettres et par ses Légats le titre de "Votre sainteté" au Patriarche Photius. Les autres Patriarches sont aussi appelés "Papes" dans ce Concile. C'est un nom Grec, commun à tous les Prêtres, et qui peu à peu est devenu le terme distinctif du Métropolitain de Rome.

On eut encore l'adresse de ne point parler dans ce Concile des points qui divisaient les Églises d'Orient et d'Occident. Le Pape écrivit au Patriarche, qu'il était convenable de suspendre la grande querelle sur le "qui ex Patre Filioque procedit"; et que l'usage immémorial étant à Rome de chanter dans le Symbole "qui ex Patre procedit", il fallait s'en tenir à cet usage, sans blâmer ceux qui ajoutaient "ex Filio".

Il paraît que Jean VIII se conduisait avec prudence; car ses successeurs s'étant brouillés avec l'Empire Grec, et ayant alors adopté le huitième Concile OEcuménique de 869, et rejeté l'autre, qui absolvait Photius, la paix établie par Jean VIII fut alors rompue. Photius éclata contre l'Église Romaine, la traita d'hérétique au sujet de cet article du "Filioque procedit", des oeufs en Carême, de l'Eucharistie faite avec du pain sans levain, et de plusieurs autres usages. Mais le grand point de la division était la Primatie. Photius et ses successeurs voulaient être les premiers Évêques du Christianisme, et ne pouvaient souffrir que l'Évêque de Rome, d'une Ville qu'ils regardaient alors comme barbare, séparée de l'Empire par sa rébellion, et en proie à qui voudrait s'en emparer, disputât la préférence à l'Évêque de la Ville Impériale. Le temps a décidé la supériorité de Rome et l'humiliation de Constantinople.

Photius qui eut dans sa vie plus de revers que de gloire, fut déposé par des intrigues de Cour, et mourut malheureux, mais ses successeurs attachés à ses prétentions, les soutinrent avec vigueur.

Le Dogme ne troubla point encore l'Église d'Occident; à peine a-t-on conservé la mémoire d'une petite dispute excitée en 814 par un nommé Jean Godescale sur la Prédestination et sur la Grâce; et je ne ferai nulle mention d'une folie épidémique, qui saisit le peuple de Dijon en 844, à l'occasion d'une Sainte Bénigne qui donnait, disait-on, des convulsions à ceux qui priaient sur son tombeau; je ne parlerais pas, dis-je, de cette superstition populaire, si elle ne s'était renouvelée de nos jours avec fureur dans des circonstances toutes pareilles. Les mêmes folies semblent destinées à reparaître de temps en temps sur la scène du Monde: mais aussi le bon-sens est le même dans tous les temps, et on n'a rien dit de si sage sur les miracles modernes de Saint Médard de Paris, que ce que dit en 844 un Évêque de Lyon sur ceux de Dijon. «Voilà un étrange Saint, qui estropie ceux qui ont recours à lui: il me semble que les miracles devraient être faits pour guérir les maladies, et non pour en donner».

Ces minuties ne troublaient point la paix en Occident, et les querelles Théologiques n'étaient point ce à quoi Rome s'attachait; on travaillait à augmenter la puissance temporelle. Elles firent plus de bruit en Orient, parce que les Ecclésiastiques y étaient sans puissance temporelle. Il y a encore une autre cause de la paix en Occident, c'est la grande ignorance des Ecclésiastiques.

 

 
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