Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XVII : État de l'Empire de l'Occident, de l'Italie, et
de la Papauté sur la fin du IXe Siècle,
dans le cours du Xe et dans la moitié du XIe jusqu'à Henri III. |
Après la déposition de Charles le Gros, l'Empire d'Occident ne
subsista plus que de nom. Arnould, Arnolfe ou Arnold, bâtard de Carloman et
d'une fille nommée Carantine, se rendit maître de l'Allemagne; mais l'Italie
était partagée entre deux Seigneurs, tous deux du sang de Charlemagne par les
femmes; l'un était un Duc de Spoléte, nommé Gui; l'autre Bérenger Duc de Frioul.
Tous deux investis de ces Duchés par Charles le Chauve, tous prétendants à
l'Empire aussi bien qu'au Royaume de France. Arnould en qualité d'Empereur,
regardait aussi la France comme lui appartenant de droit, tandis que la France
détachée de l'Empire était partagée entre Charles le Simple qui la perdait et le
Roi Eudes grand-oncle de Hugues Capet, qui l'usurpait.
Un Bozon, Roi d'Arles, disputait encore l'Empire. Le Pape Formose, Évêque peu
accrédité de la malheureuse Rome, ne pouvait que donner l'Onction Sacrée au plus
fort. Il couronna en 892 ce Gui de Spoléte. L'année d'après il couronna Bérenger
vainqueur, et deux autres années après il fut forcé de couronner cet Arnoud qui
vint assiéger Rome et la prit d'assaut. Le serment équivoque, que reçut Arnoud
des Romains, prouve que déjà les Papes prétendaient à la souveraineté de Rome.
Tel était ce serment: «Je jure par les Saints Mystères que sauf mon honneur, ma
loi et ma fidélité à Monseigneur Formose Pape, je serai fidèle à l'Empereur
Arnoud».
Les Papes étaient alors en quelque sorte semblables aux Califes de Bagdad, qui
révérés dans tous les États Musulmans comme les Chefs de la Religion, n'avaient
plus guère d'autre droit que celui de donner les investitures des Royaumes à
ceux qui les demandaient les armes à la main; mais il y avait entre ces Califes
et ces Papes cette différence, que les Califes étaient tombés, et que les Papes
s'étaient élevés.
Il n'y avait réellement plus d'Empire, ni de droit ni de fait. Les Romains qui
s'étaient donnés à Charlemagne par acclamation, ne voulaient plus reconnaître
des bâtards, des étrangers, à peine maîtres d'une partie de la Germanie.
Le Peuple Romain dans son abaissement, dans son mélange avec tant d'étrangers,
conservait encore comme aujourd'hui cette fierté secrète que donne la grandeur
passée. Il trouvait insupportable que des Bructères, des Cattes, des Marcomans,
se disent les successeurs des Césars, et que les rives du Main et la forêt
Hercynie fussent le centre de l'Empire de Titus et de Trajan.
On frémissait à Rome d'indignation, et on riait en même temps de pitié,
lorsqu'on apprenait qu'après la mort d'Arnoud, son fils Hiludovic, que nous
appelons Louis, avait été créé Empereur des Romains à l'âge de trois ou quatre
ans dans un Village barbare, nommé Fourkem, par quelques Seigneurs et Évêques
Germains. C'était en effet un étrange Empire Romain que ce Gouvernement qui
n'avait alors ni les Pays entre le Rhin et la Meuse, ni la France, ni la
Bourgogne, ni l'Espagne, ni rien enfin dans l'Italie, et pas même une Maison
dans Rome qu'on pût dire appartenir à l'Empereur.
Du temps de ce Louis, dernier Empereur du sang de Charlemagne par bâtardise,
mort en 912, l'Empire Romain resserré en Allemagne, fut ce qu'était la France,
une Contrée dévastée par les guerres civiles et étrangères, sous un Prince élu
en tumulte et mal obéi.
Tout est révolution dans les Gouvernements: c'en est une frappante que de voir
ces Saxons, sauvages traités par Charlemagne comme les Ilotes par les
Lacédémoniens, donner ou prendre au bout de 112 ans cette même dignité, qui
n'était plus dans la maison de leur vainqueur. Othon, Duc de Saxe, après la mort
de Louis, met par son crédit la couronne d'Allemagne sur la tête de Conrad Duc
de Franconie; et après la mort de Conrad, le fils du Duc Othon de Saxe, Henri
l'Oiseleur est élu. Tous ceux qui s'étaient fait Princes héréditaires en
Germanie, joints aux Évêques, faisaient ces élections.
Dans la décadence de la famille de Charlemagne, la plupart des Gouverneurs des
Provinces s'étaient rendus absolus. Mais ce qui d'abord était usurpation, devint
bientôt un droit héréditaire.
Les Évêques de plusieurs grands sièges, déjà puissants par leur dignité,
n'avaient plus qu'un pas à faire pour être Princes, et ce pas fut bientôt fait.
De-là vient la puissance séculière des Évêques de Mayence, de Cologne, de
Trêves, de Wurtzbourg, et de tant d'autres en Allemagne et en France. Les
Archevêques de Reims, de Lyon, de Beauvais, de Langres, de Laon, s'attribuèrent
les droits régaliens. Cette puissance des Ecclésiastiques ne dura pas en France,
mais en Allemagne elle est affermie pour longtemps. Enfin les Moines eux-mêmes
devinrent Princes, les Abbés de Fulde, de Saint Gal, de Kempten, de Corbie, etc.
Ils étaient de petits Rois dans les Pays où 80 ans auparavant ils défrichaient
avec leurs mains quelques terres que des propriétaires charitables leur avaient
données. Tous ces Seigneurs, Ducs, Comtes, Marquis, Évêques, Abbés, rendaient
hommage au Souverain. On a longtemps cherché l'origine de ce Gouvernement
Féodal. Il est à croire qu'elle n'en a point d'autre que l'ancienne coutume de
toutes les Nations, d'imposer un hommage et un tribut au plus faible. On sait
qu'ensuite les Empereurs Romains donnèrent des Terres à perpétuité à de
certaines conditions. On en trouve des exemples dans les vies d'Alexandre Sévère
et de Probus. Les Lombards furent les premiers qui érigèrent des Duchés relevant
en fief de leur Royaume. Spoléte et Bénévent furent sous les Rois Lombards des
Duchés héréditaires.
Avant Charlemagne, Tassillon possédait le Duché de Bavière à condition d'un
hommage, et ce Duché eût appartenu à ses descendants, si Charlemagne ayant
vaincu ce Prince, n'eût dépouillé le père et les enfants.
Point de Villes libres alors en Allemagne, ainsi point de commerce, point de
grandes richesses. Les Villes n'avaient pas même de murailles. Cet État qui
pouvait être si puissant, était devenu si faible par le nombre et la division de
ses Maîtres, que l'Empereur Conrad fut obligé de promettre un tribut annuel aux
Hongrois, Huns ou Pannoniens, si bien contenus par Charlemagne, et si humiliés
par les Empereurs de la Maison d'Autriche. Mais alors ils semblaient être ce
qu'ils avaient été sous Attila. Ils ravageaient l'Allemagne, les Frontières de
la France. Ils descendaient en Italie par le Tyrol, après avoir pillé la
Bavière, et revenaient ensuite avec les dépouilles de tant de Nations.
C'est au règne d'Henri l'Oiseleur que se débrouilla un peu le chaos de
l'Allemagne. Ses limites étaient alors le Fleuve de l'Oder, la Bohême, la
Moravie, la Hongrie, les rivages du Rhin, de l'Escaut, de la Moselle, de la
Meuse, et vers le Septentrion la Poméranie et le Holstein étaient ses barrières.
Il faut que Henri l'Oiseleur fût un des Rois des plus dignes de régner. Sous lui
les Seigneurs de l'Allemagne si divisés sont réunis. Le premier fruit de cette
réunion est l'affranchissement du tribut qu'on payait aux Hongrois, et une
grande victoire remportée sur cette Nation terrible (936). Il fit entourer de
murailles la plupart des Villes d'Allemagne. Il institua des Milices. On lui
attribua même l'invention de quelques Jeux militaires, qui donnaient quelques
idées des Tournois. Enfin l'Allemagne respirait, mais il ne paraît pas qu'elle
prétendît être l'Empire Romain. L'Archevêque de Mayence avait sacré Henri
l'Oiseleur. Aucun Légat du Pape, aucun Envoyé des Romains n'y avait assisté.
L'Allemagne sembla pendant tout ce règne oublier l'Italie.
Il n'en fut pas ainsi sous Othon le Grand, que les Princes Allemands, les
Évêques et les Abbés élurent unanimement après la mort d'Henri son père.
L'héritier reconnu d'un Prince puissant, qui a fondé ou rétabli un État, est
toujours plus puissant que son père, s'il ne manque pas de courage; car il entre
dans une carrière déjà ouverte, il commence où son prédécesseur a fini. Ainsi
Alexandre avait été plus loin que Philippe son père, Charlemagne plus loin que
Pépin, et Othon le Grand passa beaucoup Henri l'Oiseleur.
Les Italiens toujours factieux et faibles ne pouvaient ni obéir à leurs
compatriotes, ni être libres, ni se défendre à la fois contre les Sarrasins et
les Hongrois, dont les incursions infestaient encore leur Pays.
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