| |
Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XXIII : Conquête de l'Angleterre par Guillaume Duc de
Normandie. |
Tandis que de simples Citoyens de Normandie fondaient si loin des
Royaumes, leurs Ducs en acquéraient un plus beau, sur lequel les Papes osèrent
prétendre le même droit que sur la Sicile. La Nation Britannique était, malgré
sa fierté, destinée à se voir toujours gouvernée par des étrangers. Après la
mort d'Alfred arrivée en 900, l'Angleterre retomba dans la confusion et la
barbarie. Les anciens Anglo-Saxons ses premiers vainqueurs, et les Danois ses
usurpateurs nouveaux, s'en disputaient toujours la possession, et de nouveaux
Pirates Danois venaient encore souvent partager les dépouilles. Ces Pirates
continuaient d'être si terribles et les Anglais si faibles, que vers l'année
1000 on ne put se racheter d'eux qu'en payant quarante-huit mille livres
sterling. On imposa pour lever cette somme, une taxe qui dura depuis assez
longtemps en Angleterre, ainsi que la plupart des autres taxes qu'on continue
toujours de lever après le besoin. Ce tribut humiliant fut appelé Argent Danois,
"Danngeld".
Canut Roi de Danemark qu'on a nommé le Grand, et qui n'a fait que de grandes
cruautés, remit sous sa domination en 1017 le Danemark et l'Angleterre. Les
naturels Anglais furent traités alors comme des esclaves. Les Auteurs de ce
temps avouent que quand un Anglais rencontrait un Danois, il fallait qu'il
s'arrêtât jusqu'à ce que le Danois eût passé.
La race de Canut ayant manqué en 1041, les États du Royaume reprenant leur
liberté, déférèrent la couronne à Édouard, un descendant des anciens
Anglo-Saxons, qu'on appelle le Saint et le Confesseur. Une des grandes fautes ou
un des grands malheurs de ce Roi, fut de n'avoir point d'enfants de sa femme
Édithe, fille du plus puissant Seigneur du Royaume. Il haïssait sa femme ainsi
que sa propre mère pour des raisons d'État, et les fit éloigner l'une et
l'autre. La stérilité de son mariage servit à sa canonisation. On prétendit
qu'il avait fait voeu de chasteté: voeu téméraire dans un mari, et absurde dans
un Roi qui avait besoin d'héritiers. Ce voeu, s'il fut réel, prépara de nouveaux
fers à l'Angleterre.
Les moeurs et les usages de ce temps-là ne ressemblent en rien aux nôtres.
Guillaume VIII Duc de Normandie, qui conquit l'Angleterre, loin d'avoir aucun
droit sur ce Royaume, n'en avait pas même sur la Normandie, si la naissance
donnait les droits. Son père le Duc Robert qui ne s'était jamais marié, l'avait
eu de la fille d'un Péletier de Falaise, que l'Histoire appelle "Harlot", terme
qui signifiait et signifie encore aujourd'hui en Anglais "concubine" ou femme
publique. Ce bâtard reconnu du vivant de son père pour héritier légitime, se
maintint par son habileté et par sa valeur contre tous ceux qui lui disputaient
son Duché. Il régnait paisiblement en Normandie, et la Bretagne lui rendait
hommage. Lorsqu'Édouard le Confesseur étant mort, il prétendit au Royaume
d'Angleterre, le droit de succession ne paraissait alors établi dans aucun État
de l'Europe. La couronne d'Allemagne était élective, l'Espagne était partagée
entre les Chrétiens et les Musulmans. La Lombardie changeait chaque jour de
Maître. La Race Carolingienne détrônée en France, faisait voir ce que peut la
force contre le droit du sang. Édouard le Confesseur n'avait point joui du trône
à titre d'héritage. Harald successeur d'Édouard n'était point de sa race, mais
il avait le plus incontestable de tous les droits, les suffrages de toute la
Nation. Guillaume le Bâtard n'avait pour lui ni le droit d'élection, ni celui
d'héritage, ni même aucun parti en Angleterre. Il prétendit que dans un voyage
qu'il fit autrefois dans cette Île, le Roi Édouard avait fait en sa faveur un
testament que personne ne vit jamais. Il disait encore qu'autrefois il avait
délivré de prison Harold, et qu'il lui avait cédé ses droits sur l'Angleterre.
Il appuya ses faibles raisons d'une forte armée.
Les Barons de Normandie assemblés en forme d'États, refusèrent de l'argent à
leur Duc pour cette expédition, parce que s'il ne réussissait pas, la Normandie
en resterait appauvrie, et qu'un heureux succès la rendrait Province
d'Angleterre; mais plusieurs Normands hasardèrent leur fortune avec leur Duc. Un
seul Seigneur nommé Fiz Othbern équipa quarante vaisseaux à ses dépens. Le Comte
de Flandres, beau-père du Duc Guillaume, le secourut de quelque argent. Le Pape
même entra dans ses intérêts. Il excommunia tous ceux qui s'opposeraient aux
desseins de Guillaume. Enfin il partit de Saint Valery avec une flotte
nombreuse. On ne sait combien il avait de vaisseaux, ni de soldats. Il aborda
sur les côtes de Sussex, et bientôt après se donna dans cette Province la
fameuse bataille de Hastings (14 Octobre 1066), qui décida seule du sort de
l'Angleterre. Les Anglais ayant leur Roi Harold à leur tête, et les Normands
conduits par leur Duc, combattirent pendant douze heures. La gendarmerie qui
commençait à faire ailleurs la force des armées, ne paraît pas avoir été
employée dans cette bataille. Les Chefs y combattirent à pied, Harold et deux de
ses frères y furent tués. Le vainqueur s'approcha de Londres, portant devant lui
une bannière bénite, que le Pape lui avait envoyée. Cette bannière fut
l'étendard auquel tous les Évêques se rallièrent en sa faveur. Ils vinrent aux
portes avec le Magistrat de Londres lui offrir la couronne qu'on ne pouvait
refuser au vainqueur.
Guillaume sut gouverner comme il sut conquérir. Plusieurs révoltes étouffées,
des irruptions des Danois rendues inutiles, des lois rigoureuses durement
exécutées signalèrent son règne. Anciens Bretons, Danois, Anglo-Saxons, tous
furent confondus dans le même esclavage. Les Normands qui avaient eu part à sa
victoire, partagèrent par ses bienfaits, les terres des vaincus. De-là toutes
ces Familles Normandes, dont les descendants ou du-moins les noms subsistent
encore en Angleterre. Il fit faire un dénombrement exact de tous les biens des
Sujets, de quelque nature qu'ils fussent. On prétend qu'il en profita pour se
faire en Angleterre un revenu de quatre cents mille livres sterling; ce qui
ferait aujourd'hui environ cinq millions sterling, et plus de cent millions de
France. Il est évident qu'en cela les Historiens se sont trompés. L'État
d'Angleterre d'aujourd'hui, qui comprend l'Écosse et l'Irlande, n'a pas un si
gros revenu, si vous en déduisez ce qu'on paye pour les anciennes dettes du
Gouvernement. Ce qui est sûr, c'est que Guillaume abolit toutes les Lois du Pays
pour y introduire celles de Normandie. Il ordonna qu'on plaidât en Normand, et
depuis lui tous les Actes furent expédiés en cette langue jusqu'à Édouard III.
Il voulut que la langue des vainqueurs fût la seule du Pays. Des Écoles de la
Langue Normande furent établies dans toutes les Villes et les Bourgades. Cette
langue était le Français mêlé d'un peu de Danois: idiome barbare, qui n'avait
aucun avantage sur celui qu'on parlait en Angleterre. On prétend qu'il traitait
non seulement la Nation vaincue avec dureté, mais qu'il affectait encore des
caprices tyranniques. On en donne pour exemple la "Loi du couvre-feu", par
laquelle il fallait au son de la cloche éteindre le feu dans chaque maison à
huit heures du soir. Mais cette loi bien loin d'être tyrannique, n'est qu'une
ancienne police Ecclésiastique, établie presque dans tous les anciens Cloîtres
du Pays du Nord. Les maisons étaient bâties de bois, et la crainte du feu était
un objet des plus importants de la Police générale.
On lui reproche encore d'avoir détruit tous les Villages qui se trouvaient dans
un circuit de quinze lieues, pour en faire une Forêt, dans laquelle il pût
goûter le plaisir de la chasse. Une telle action est trop insensée pour être
vraisemblable. Les Historiens ne font pas attention qu'il faut au moins vingt
années pour qu'un nouveau plan d'arbres devienne une Forêt propre à la chasse.
On lui fait semer cette Forêt en 1080, il avait alors 63 ans. Quelle apparence y
a-t-il qu'un homme raisonnable ait à cet âge détruit des Villages pour semer
quinze lieues en bois dans l'espérance d'y chasser un jour?
Le Conquérant de l'Angleterre fut la terreur du Roi de France Philippe Ier qui
voulut abaisser trop tard un Vassal si puissant, se jeta sur le Maine, qui
dépendait alors de la Normandie. Guillaume repassa la mer, reprit le Maine, et
contraignit le Roi de France à demander la paix.
Les prétentions de la Cour de Rome n'éclatèrent jamais plus singulièrement
qu'avec ce Prince. Le Pape Grégoire VII prit le temps qu'il faisait la guerre à
la France pour demander qu'il lui rendît hommage du Royaume d'Angleterre. Cet
hommage était fondé sur cet ancien Denier de Saint Pierre, qu'une partie de
l'Angleterre payait à l'Église de Rome. Il revenait à environ trois livres de
notre monnaie par chaque maison, aumône trop forte que les Papes regardaient
comme un tribut. Guillaume le
Conquérant fit dire au Pape, qu'il pourrait bien continuer l'aumône, mais au
lieu de faire hommage il fit défense en Angleterre de ne reconnaître d'autre
Pape que celui qu'il approuverait. La proposition de Grégoire VII devint par-là
ridicule à force d'être audacieuse. C'est ce même Grégoire VII qui bouleversait
l'Europe pour élever le Sacerdoce au-dessus de l'Empire; mais avant de parler de
cette querelle mémorable et des Croisades qui prirent naissance dans ces temps,
il faut voir en peu de mots en quel état étaient les autres Pays de l'Europe.
|
|
|
| |
|