Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Introduction. |
Plusieurs esprits infatigables ayant débrouillé autant qu'on le
peut, le chaos de l'Antiquité, et quelques Génies éloquents ayant écrit
l'Histoire Universelle jusqu'à Charlemagne, j'ai regretté qu'ils n'aient pas
fourni une carrière plus longue. J'ai voulu pour m'instruire de ce qu'ils ne
disent pas, mettre sous mes yeux un précis de l'Histoire, laquelle nous
intéresse, à mesure qu'elle devient plus moderne.
Ma principale idée est de connaître autant que je pourrai, les mœurs des
Peuples, et d'étudier l'Esprit humain. Je regarderai l'ordre des Successions des
Rois et la Chronologie comme mes guides, mais non comme le but de mon travail.
Ce travail serait bien ingrat, si je me bornais à vouloir apprendre seulement en
quelle année un Prince indigne d'être connu, succéda à un Prince barbare.
Il semble en lisant les Histoires, que la Terre n'ait été faite que pour
quelques Souverains, et pour ceux qui ont servi leurs passions; tout le reste
est négligé. Les Historiens, semblables en cela aux Rois, sacrifient le
Genre-Humain à un seul homme. N'y a-t-il donc eu sur la Terre que des Princes;
et faut-il que presque tous les Inventeurs des Arts soient inconnus, tandis
qu'on a des suites chronologiques de tant d'hommes qui n'ont fait aucun bien ou
qui ont fait beaucoup de mal? Autant il faut connaître les grandes actions des
Souverains qui ont changé la face de la Terre, et surtout de ceux qui ont rendu
leurs Peuples meilleurs et plus heureux; autant on doit ignorer le vulgaire des
Rois, qui ne servirait qu'à charger la mémoire.
Je me propose de diviser mon étude par Siècles; mais je sens qu'en ne présentant
à mon esprit que ce qui se fait précisément dans le Siècle que j'aurai sous les
yeux, je serai obligé de trop partager mon attention et de séparer en trop de
parties les idées suivies que je veux me faire, d'abandonner la recherche d'une
Nation, ou d'un Art, ou d'une Révolution, que pour ne la reprendre que longtemps
après. Je remonterai donc quelquefois à la source éloignée d'un Art, d'une
Coutume importante, d'une Loi, d'une Révolution. J'anticiperai quelquefois, mais
le moins que je pourrai, et en évitant, autant que ma faiblesse me le permettra,
la confusion et la dispersion des idées. Je tâcherai de présenter à mon esprit
une peinture fidèle de ce qui mérite d'être connu dans l'Univers.
Avant de considérer l'état où était l'Europe vers le temps de Charlemagne, et
les débris de l'Empire Romain, j'examine d'abord s'il n'y a rien qui soit digne
de mon attention dans le reste de notre Hémisphère. Ce reste est douze fois plus
étendu que la Domination Romaine, et m'apprend d'abord que ces monuments des
Empereurs de Rome, chargés des titres de Maîtres et de Restaurateurs de
l'Univers, sont des témoignages immortels de vanité et d'ignorance, non moins
que de grandeur.
Frappés de l'éclat de cet Empire, de ses accroissements et de sa chute, nous
avons dans la plupart de nos Histoires Universelles traité les autres hommes
comme s'ils n'existaient pas. La Province de la Judée, la Grèce, les Romains se
sont emparés de toute notre attention; et quand le célèbre Bossuet dit un mot
des Mahométans, il n'en parle que comme d'un déluge de Barbares. Cependant
beaucoup de ces Nations possédaient des Arts utiles, que nous tenons d'elles:
leurs Pays nous fournissaient des commodités et des choses précieuses, que la
Nature nous a refusées, et vêtus de leurs étoffes, nourris des productions de
leurs terres, instruits par leurs inventions, amusés même par les jeux qui sont
le fruit de leur industrie, nous nous sommes fait avec trop d'injustice une loi
de les ignorer.
|
|
|