Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre I : De la Chine. |
En portant ma vue aux extrémités de l'Orient, je considère en premier lieu
l'Empire de la Chine, qui dès lors était plus vaste que celui de Charlemagne,
surtout en joignant la Corée et le Tonkin, Provinces alors tributaires des
Chinois, environ 29 degrés de longitude et 24 en latitude, forment son étendue.
Le corps de cet État subsiste avec splendeur depuis plus de 4000 ans, sans que
les lois, les moeurs, le langage, la manière même de s'habiller aient souffert
d'altération sensible.
Son Histoire incontestable et la seule qui soit fondée sur des observations
célestes, remonte par la Chronologie la plus sûre, jusqu'à une Éclipse calculée
2155 ans avant notre Ère vulgaire, et vérifiée par les Mathématiciens
missionnaires, qui envoyés dans les derniers siècles chez cette Nation inconnue,
l'ont admirée et l'ont instruite. Le Père Gaubil a examiné une suite de 36
Éclipses de Soleil, rapportées dans les Livres de Confucius, et il n'en a trouvé
que deux douteuses et deux fausses.
Il est vrai qu'Alexandre avait envoyé de Babylone en Grèce les observations des
Chaldéens, qui remontaient à 400 années plus haut que les Chinois, et c'est sans
contredit le plus beau monument de l'Antiquité: mais ces Éphémérides de Babylone
n'étaient point liées à l'Histoire des faits: les Chinois au contraire ont joint
l'Histoire du Ciel à celle de la Terre, et ont ainsi justifié l'une par l'autre.
Deux cent trente ans au-delà du jour de l'Éclipse (calculée 2155 ans avant notre
Ère vulgaire) leur Chronologie atteint sans interruption et par les témoignages
les plus authentiques, jusqu'à l'Empereur Hiao, habile Mathématicien pour son
temps, qui travailla lui-même à réformer l'Astronomie, et qui dans un règne
d'environ 80 ans, chercha à rendre les hommes éclairés et heureux. Son nom est
encore en vénération en la Chine, comme l'est en Europe celui des Titus, des
Trajans, et des Antonins.
Avant ce Grand-homme, on trouve encore six Rois ses prédécesseurs; mais la durée
de leur règne est incertaine. Je crois qu'on ne peut mieux faire dans ce silence
de la Chronologie, que de recourir à la règle de Newton, qui ayant composé une
année commune des années qu'ont régné les Rois de différents Pays, réduit chaque
règne à 22 ans ou environ. Suivant ce calcul, d'autant plus raisonnable qu'il
est plus modéré, ces six Rois auront régné à peu près 130 ans, ce qui est bien
plus conforme à l'ordre de la nature, que les 250 ans qu'on donne, par exemple,
aux sept Rois de Rome; et que tant d'autres calculs démentis par l'expérience de
tous les temps.
Le premier de ces Rois, nommé Fohi, régnait donc 25 siècles au moins avant l'Ère
vulgaire, au temps que les Babyloniens avaient déjà une suite d'observations
astronomiques: et dès lors la Chine obéissait à un Souverain. Ses 15 Royaumes
réunis sous un seul homme, prouvent que longtemps auparavant cet État était très
peuplé, policé, partagé en beaucoup de Souverainetés; car jamais un grand État
ne s'est formé que de plusieurs petits; c'est l'ouvrage du temps, de la
politique et du courage.
La Chine était au temps de Charlemagne comme longtemps auparavant, et surtout
aujourd'hui, plus peuplée encore que vaste. Le dernier dénombrement dont nous
avons connaissance, fait seulement dans les 15 Provinces qui composent la Chine
proprement dite, monte jusqu'à près de 60 millions d'hommes capables d'aller à
la guerre; en ne comptant ni les soldats vétérans, ni les vieillards au-dessus
de 60 ans, ni la jeunesse au-dessous de 20 ans, ni les Mandarins, ni la
multitude des Lettrés, ni les Bonzes, encore moins les Femmes qui sont partout
en pareil nombre que les hommes à un 13 ou 14 près, selon les observations de
ceux qui ont calculé avec le plus d'exactitude ce qui concerne le Genre-humain.
À ce compte il paraît impossible qu'il y ait moins de 130 millions d'habitants à
la Chine: notre Europe n'en a pas probablement beaucoup davantage, à compter (en
exagérant) 20 millions en France, 25 en Allemagne, et le reste à proportion.
On ne doit donc pas être surpris, si les Villes Chinoises sont immenses; si
Pékin, la nouvelle Capitale de l'Empire, a près de six de nos grandes lieues de
circonférence, et renferme environ quatre millions de Citoyens: si Nankin,
l'ancienne Métropole, en avait autrefois davantage: si une simple Bourgade
nommée Quientzeng, où l'on fabrique la Porcelaine, contient environ un million
d'habitants.
Les Forces de cet État consistent selon les relations des hommes les plus
intelligents qui aient jamais voyagé, dans une Milice d'environ 800000 soldats
bien entretenus; cinq cent soixante et dix mille chevaux sont nourris ou dans
les écuries ou dans les pâturages de l'Empereur, pour monter les gens de guerre,
pour les voyages de la Cour, et pour les courriers publics. Plusieurs
Missionnaires, que l'Empereur Cang-hi dans ces derniers temps approcha de sa
personne par amour pour les Sciences, rapportent qu'ils l'ont suivi dans ces
chasses magnifiques vers la grande Tartarie, où 100000 cavaliers et 60000 hommes
de pied marchaient en ordre de bataille.
Les Villes Chinoises n'ont jamais eu d'autres fortifications que celles que le
bon-sens a inspiré à toutes les Nations, avant l'usage de l'Artillerie. Un
fossé, un rempart, une forte muraille et des tours, depuis même que les Chinois
se servent de canons, ils n'ont point suivi le modèle de nos Places de guerre;
mais au-lieu qu'ailleurs on fortifie des Places, les Chinois ont fortifié leur
Empire. La grande muraille qui séparait et défendait la Chine des Tartares,
bâtie cent trente-sept ans avant notre Ère, subsiste encore dans un contour de
500 lieues, s'élève sur des montagnes, descend dans des précipices, ayant
presque partout 20 de nos pieds de largeur sur plus de 30 de hauteur. Monument
supérieur aux Pyramides d'Égypte par son utilité, comme par son immensité.
Ce rempart n'a pu empêcher les Tartares de profiter dans la suite des temps des
divisions de la Chine, et de la subjuguer; mais la constitution de l'État n'en a
été ni affaiblie ni changée. Le Pays des Conquérants est devenu une partie de
l'État conquis, et les Tartares Mandchous, maîtres aujourd'hui de la Chine,
n'ont fait autre chose que se soumettre les armes à la main aux Lois du Pays
dont ils ont envahi le Trône.
Le revenu ordinaire de l'Empereur se monte, selon les supputations les plus
vraisemblables, à deux cents millions d'onces d'argent. Il est à remarquer que
l'once d'argent ne vaut pas cent de nos sous valeur intrinsèque, comme le dit
l'Histoire de la Chine; car il n'y a point de valeur intrinsèque numéraire; mais
à prendre le marc de notre argent à 50 de nos livres de compte, cette somme
revient à 1250 millions de notre monnaie en 1740. Je dis en ce temps; car cette
valeur arbitraire n'a que trop changé parmi nous, et changera peut-être encore:
c'est à quoi ne prennent pas assez garde les Écrivains plus instruits des livres
que des affaires, qui évaluent souvent l'argent étranger d'une manière fort
fautive.
Ils ont eu des Monnaies d'or et d'argent frappées avec le coin, longtemps avant
que les Dariques fussent frappés en Perse. L'Empereur Cang-hi avait rassemblé
une suite de 3000 de ces monnaies, parmi lesquelles il y en avait beaucoup des
Indes; autre preuve de l'ancienneté des Arts dans l'Asie; mais depuis longtemps
l'or n'est plus une mesure commune à la Chine, il y est marchandise comme en
Hollande, l'argent n'y est plus monnaie: le poids et le titre en font le prix;
on n'y frappe plus que du cuivre, qui seul dans ce Pays a une valeur arbitraire.
Le Gouvernement dans des temps difficiles a passé en papier, comme on a fait
depuis dans plus d'un État de l'Europe; mais jamais la Chine n'a eu l'usage des
Banques publiques, qui augmentent les richesses d'une Nation, en multipliant son
crédit.
Ce Pays favorisé de la Nature possède presque tous les fruits de notre Europe,
et beaucoup d'autres qui nous manquent. Le Blé, le Riz, la Vigne, les Légumes,
les Arbres de toutes espèces y couvrent la terre; mais les Peuples n'ont jamais
fait de Vin, satisfaits d'une liqueur assez forte qu'ils savent tirer du riz.
L'Insecte précieux qui produit la Soie, est originaire de la Chine; c'est de-là
qu'il passa en Perse assez tard avec l'Art de faire des étoffes, du duvet qui
les couvre; et ces étoffes étaient si rares du temps même de Justinien, que la
Soie se vendait en Europe au poids de l'or.
Le Papier fin et d'un blanc éclatant était fabriqué chez les Chinois de temps
immémorial, on en faisait avec les filets de bois de Bambou bouilli. On ne
connaît pas la première époque de la Porcelaine et de ce beau Vernis qu'on
commence à imiter et à égaler en Europe.
Ils savent depuis 2000 ans fabriquer le Verre, mais moins beau et moins
transparent que le nôtre.
L'Imprimerie y fut inventée par eux du temps de Jules César. On sait que cette
Imprimerie est une gravure sur des planches de bois, telle que Gutenberg la
pratiqua le premier à Mayence au XIVe Siècle. L'Art de graver les caractères sur
le bois, est plus perfectionné à la Chine; notre méthode d'employer les
caractères mobiles et de fonte, beaucoup supérieure à la leur, n'a point encore
été adoptée par eux, tant ils sont attachés à leurs anciens usages.
Ils avaient un peu de Musique, mais si informe et si grossière, qu'ils
ignoraient les semi-tons.
L'usage des Cloches est chez eux de la plus haute antiquité. Ils ont cultivé la
Chimie, et sans devenir jamais bons Physiciens, ils ont inventé la poudre; mais
ils ne s'en servaient que dans des Fêtes, dans l'Art des Feux d'artifice, où ils
ont surpassé les autres Nations. Ce furent les Portugais qui dans ces derniers
Siècles leur ont enseigné l'usage de l'Artillerie, et ce sont les Jésuites qui
leur ont appris à fondre le Canon. Si les Chinois ne s'appliquent pas à inventer
ces instruments destructeurs, il ne faut pas en louer leur vertu, puisqu'ils
n'en ont pas moins fait la guerre.
Jamais leur Géométrie n'alla au-delà des simples éléments. Ils poussèrent plus
loin l'Astronomie, en tant qu'elle est la science des yeux et le fruit de la
patience. Ils observèrent le Ciel assidûment, remarquèrent tous les phénomènes,
et les transmirent à la postérité. Ils divisèrent, comme nous, le cours du
Soleil en 365 parties. Ils connurent, mais confusément, la précision des
Équinoxes et des Solstices. Ce qui mérite peut-être le plus d'attention, c'est
que de temps immémorial ils partagent le mois en semaines de sept jours.
On montre encore les instruments dont se servit un de leurs fameux Astronomes
mille ans avant notre Ère, dans une Ville qui n'est que du troisième ordre.
Nankin, l'ancienne Capitale, conserve un Globe de bronze, que trois hommes ne
peuvent embrasser, porté sur un cube de cuivre qui s'ouvre, et dans lequel on
fait entrer un homme pour tourner ce Globe, sur lequel sont tracés les méridiens
et les parallèles.
Pékin a un Observatoire rempli d'Astrolabes et de Sphères armillaires;
instruments à-la-vérité inférieurs aux nôtres pour l'exactitude, mais
témoignages célèbres de la supériorité des Chinois sur les autres Peuples
d'Asie.
La Boussole qu'ils connaissaient, ne servait pas à son véritable usage de guider
la route des Vaisseaux. Ils ne naviguaient que près des côtes; possesseurs d'une
terre qui fournit tout, ils n'avaient pas besoin d'aller, comme nous, au bout du
Monde. La Boussole, ainsi que la Poudre à tirer, était pour eux une simple
curiosité, et ils n'en étaient pas plus à plaindre.
Il est étrange que leur Astronomie et leurs autres Sciences soient en même temps
si anciennes chez eux et si bornées: ce qui est moins étonnant, c'est la
crédulité avec laquelle ces Peuples ont toujours joint leurs erreurs de
l'Astrologie judiciaire aux vraies Connaissances célestes.
Cette superstition a été celle de tous les hommes, et il n'y a pas longtemps que
nous en sommes guéris, tant l'erreur semble faite pour le Genre humain.
Si on cherche pourquoi tant d'Arts et de Sciences cultivées sans interruption
depuis si longtemps à la Chine, ont cependant fait si peu de progrès, il y en a
peut-être deux raisons; l'une est le respect prodigieux que ces Peuples ont pour
ce qui leur a été transmis par leurs Pères, et qui rend parfait à leurs yeux
tout ce qui est ancien, l'autre est la nature de leur Langue, premier principe
de toutes les connaissances.
L'Art de faire connaître ses idées par l'écriture, qui devrait n'être qu'une
méthode très-simple, est chez eux ce qu'ils ont de plus difficile. Chaque mot a
des caractères différents: un Savant à la Chine est celui qui connaît le plus de
ces caractères, quelques-uns sont arrivés à la vieillesse avant de savoir bien
écrire.
Ce qu'ils ont le plus connu, le plus cultivé, le plus perfectionné, c'est la
Morale et les Lois. Le respect des enfants pour les Pères est le fondement du
Gouvernement Chinois. L'autorité paternelle n'y est jamais affaiblie. Un fils ne
peut plaider contre son Père qu'avec le consentement de tous les parents, des
amis, et des Magistrats. Les Mandarins lettrés y sont regardés comme les Pères
des Villes et des Provinces, et le Roi comme le Père de l'Empire. Cette idée
enracinée dans les coeurs, forme une famille de cet État immense.
Tous les vices y existent comme ailleurs, mais plus réprimés par le frein des
Lois.
Les cérémonies continuelles qui y gênent la société, et dont l'amitié seule se
défait dans l'intérieur des maisons, ont établi dans toutes les Nations une
retenue et une honnêteté qui donne à la fois aux moeurs de la gravité et de la
douceur. Ces qualités s'étendent jusqu'au dernier du peuple. Des Missionnaires
racontent que souvent dans des Marchés publics, au milieu de ces embarras et de
ces confusions qui excitent dans nos Contrées des clameurs si barbares et des
emportements si fréquents et si odieux, ils ont vu les Paysans se mettre à
genoux les uns devant les autres selon la coutume du Pays, se demander pardon de
l'embarras dont chacun s'accusait, s'aider l'un l'autre, et débarrasser tout
avec tranquillité.
Dans les autres Pays les Lois punissent les Crimes; à la Chine elles font plus,
elles récompensent la Vertu. Le bruit d'une action généreuse et rare se
répand-il dans une Province, le Mandarin est obligé d'en avertir l'Empereur, et
l'Empereur envoie une marque d'honneur à celui qui l'a si bien mérité. Cette
Morale, cette obéissance aux Lois, jointe à l'adoration d'un Être suprême,
forment la Religion de la Chine, celle des Empereurs et des Lettrés. L'Empereur
est de temps immémorial le premier Pontife, c'est lui qui sacrifie au "Tien", au
Souverain du Ciel et de la Terre. Il doit être le premier Philosophe, le premier
Prédicateur de l'Empire; ses Édits sont presque toujours des instructions qui
animent à la vertu.
Congfutsée que nous appelons "Confucius", qui vivait il y a 2300 ans, un peu avant
Pythagore, rétablit cette Religion, laquelle consiste à être juste. Il
l'enseigna et la pratiqua dans la grandeur, dans l'abaissement, tantôt premier
Ministre du Roi tributaire de l'Empereur, tantôt exilé, fugitif et pauvre. Il
eut de son vivant 5000 disciples, et après sa mort ses disciples furent les
Empereurs, les "Colao", c'est-à-dire les Mandarins, les Lettrés, et tout ce qui
n'est pas peuple.
Sa famille subsiste encore, et dans un Pays où il n'y a d'autre Noblesse que
celle des services actuels, elle est distinguée des autres familles en mémoire
de son Fondateur: pour lui, il a tous les honneurs, non pas les honneurs divins
qu'on ne doit à aucun homme, mais ceux que mérite un homme, qui a donné de la
Divinité les idées les plus saines que puisse former l'esprit humain sans
Révélation.
Quelque temps avant lui, Lao-Kum avait introduit une Secte, qui croit aux
Esprits malins, aux Enchantements, aux Prestiges. Une Secte semblable à celle
d'Épicure fut reçue et combattue à la Chine 500 ans avant Jésus Christ : mais
dans le premier Siècle de notre Ère, ce Pays fut inondé de la superstition des
Bonzes. Ils apportèrent des Indes l'idole de "Fo" ou de "Foé", adoré sous différents
noms par les Japonais et les Tartares, prétendu Dieu descendu sur la Terre, à
qui on rend le culte le plus ridicule, et par conséquent le plus fait pour le
Vulgaire. Cette Religion née dans les Indes près de mille ans avant Jésus
Christ, a infecté l'Asie orientale; c'est ce Dieu que prêchent les "Bonzes" à la
Chine, les "Talapoins" à Siam, les "Lamas" en Tartarie. C'est en son nom qu'ils
promettent une vie éternelle, et que des milliers de Bonzes consacrent leurs
jours à des exercices de pénitence, qui effrayent la nature. Quelques-uns
passent leur vie nus et enchaînés; d'autres portent un carcan de fer, qui plie
leurs corps en deux et tient leur front toujours baissé à terre. Leur fanatisme
se subdivise à l'infini. Ils passent pour chasser des Démons, pour opérer des
miracles; ils vendent aux peuples la rémission des péchés. Cette Secte séduit
quelquefois des Mandarins, et par une fatalité qui montre que la même
superstition est de tous les Pays, quelques Mandarins se sont fait tondre en
Bonzes par piété.
Ce sont eux qui dans la Tartarie ont à leur tête le "Dailama", Idole vivante qu'on
adore, et c'est là peut-être le triomphe de la Superstition humaine.
Ce "Dailama", successeur et vicaire du Dieu "Fo", passe pour immortel. Les Prêtres
nourrissent toujours un jeune "Lama" désigné successeur secret du Souverain
Pontife, qui prend sa place dès que celui-ci, qu'on croit immortel, est mort.
Les Princes Tartares ne lui parlent qu'à genoux. Il décide souverainement tous
les points de Foi sur lesquels les Lamas sont divisés. Enfin il s'est depuis
quelque temps fait Souverain du Tibet à l'occident de la Chine. L'Empereur
reçoit ses Ambassadeurs, et lui en envoie avec des présents considérables.
Ces Sectes sont tolérées à la Chine pour l'usage du Vulgaire, comme des aliments
grossiers faits pour le nourrir; tandis que les Magistrats et les Lettrés
séparés en tout du peuple, se nourrissent d'une substance plus pure. Confucius
gémissait pourtant de cette foule d'erreurs: "Pourquoi", dit-il dans un de ses
Livres, "y a-t-il plus de crimes chez la populace ignorante que parmi les
Lettrés? C'est que le peuple est gouverné par les Bonzes".
Beaucoup de Lettrés sont à-la-vérité tombés dans le Matérialisme, mais leur
Morale n'en a point été altérée. Ils pensent que la vertu est si nécessaire aux
hommes, et si aimable par elle-même, qu'on n'a pas même besoin de la
connaissance d'un Dieu pour la suivre.
On prétend que vers le VIIIe Siècle, du temps de Charlemagne, la Religion
Chrétienne était connue à la Chine. On assure que nos Missionnaires ont trouvé
dans la Province de Kinski une inscription en caractères Syriaques et Chinois.
Ce monument qu'on voit tout au long dans Kirker, atteste qu'un Évêque nommé
"Olopuen", partit de Judée l'an de Notre Seigneur 636 pour annoncer l'Évangile;
qu'aussitôt qu'il fut arrivé au faubourg de la Ville Impériale, l'Empereur
envoya un Colao au devant de lui, et lui fit bâtir une Église Chrétienne, etc.
La date de l'inscription est de l'année 782.
Ce monument est peut-être une de ces fraudes pieuses, qu'on s'est toujours trop
aisément permises. Ce nom d'Olopuen, qui est Espagnol, rend déjà le monument
bien suspect. Cet empressement d'un Empereur de la Chine à envoyer à cet Olopuen
un Grand de sa Cour, est plus suspect encore dans un Pays où il était défendu
sous peine de mort aux Étrangers de passer les frontières. La date de
l'inscription ne porte-t-elle pas encore le caractère du mensonge? Les Prêtres
et les Évêques de Jérusalem ne comptaient point leurs années au VIIe Siècle,
comme on les compte dans ce monument. L'Ère Vulgaire de Denys le Petit n'est
point reçue chez les Nations Orientales, et on ne commença même à s'en servir en
Occident que vers le temps de Charlemagne. De plus, comment cet Olopuen
aurait-il pu, en arrivant, se faire entendre dans une Langue qu'on peut à peine
apprendre en dix années; et comment un Empereur eut-il fait tout d'un coup bâtir
une Église Chrétienne en faveur d'un Étranger qui aurait bégayé par interprète
une Religion si nouvelle?
Il est donc probable qu'au temps de Charlemagne, la Religion Chrétienne était
absolument inconnue à la Chine.
Je me réserve à jeter les yeux sur Siam, sur le Japon, et sur tout ce qui est
situé vers l'Orient et le Midi, lorsque je serai parvenu au temps où l'industrie
des Européens s'est ouvert un chemin facile à ces extrémités de notre
Hémisphère.
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