CHAPITRE PREMIER :
Le consulat, dernière institution
de la première république (1799 à 1804)
II : L’œuvre du consulat
(1800 à 1804)
1° L’Eglise et la noblesse –
Sous le Consulat s’opéra un net redressement de la situation du pays, en
grande partie grâce à l’action bénéfique de Bonaparte. En effet, ce dernier
décida de mettre en place très rapidement une politique d’apaisement.
Bonaparte, Premier Consul (inachevé), attribué à Anne-Louis
GIRODET, vers 1802, musée du château de Malmaison, Rueil-Malmaison.
Dès décembre 1799, la liberté de culte fut garantie, et le clergé fut invité
à rentrer en France ; la loi des otages (promulguée le 12 juillet
1799.), permettant d’accuser tout parent d’émigré, fut supprimée ; en 1802,
l’amnistie fut accordée aux émigrés et aux proscrits.
Ainsi, de nombreux émigrés rentrèrent en France ; Félicité Dupont,
veuve du révolutionnaire Jacques Pierre Brissot, reçut une pension de
l’Etat ; et Horace Camille Desmoulins, fils du révolutionnaire
Camille Desmoulins, reçut une bourse d’études[1].
Par ailleurs, les fêtes du 21 janvier (exécution de Louis XVI.), 31 mai
(prescription des girondins.) et du 27 juillet (chute de Robespierre.)
furent supprimées dans un esprit de consensus. La seule fête qui serait
célébrée serait le 14 juillet, jour de la prise de la Bastille.
En
septembre 1805, le calendrier révolutionnaire fut supprimé,
permettant ainsi aux Français de se reposer le dimanche (sous la Révolution,
il n’y avait qu’un jour de repos tous les dix jours, le calendrier
révolutionnaire prévoyant des semaines décadaires[2].).
Par ailleurs, Bonaparte souhaitait mettre un terme à la division du clergé
français. En effet, au tout début du XIX° siècle, le pays était divisé entre
prêtres jureurs et réfractaires (les premiers avaient juré
fidélité à la nation, les autres avaient refusé.). Bonaparte décida alors de
mettre en place des négociations avec le pape Pie VII.
Le pape Pie VII, début du XIX° siècle, château de Fontainebleau,
Fontainebleau.
C’est ainsi que fut signé le Concordat, le 15 juillet 1801 (26
messidor an IX.), autorisant la libre célébration de la religion catholique
en France[3].
Toutefois, afin de mettre un terme aux troubles, il fut décidé par les deux
partis que les évêques et prêtres en activité (jureurs comme réfractaires.)
devaient présenter leur démission, afin de mettre en place un nouveau clergé[4].
Toutefois, l’Eglise devait abandonner les bien ecclésiastiques confisqués
lors de la Révolution française (Comtat Venaissin y compris[5].),
les prêtres étaient toujours payés par l’Etat, devaient prêter serment de
fidélité au gouvernement, et une prière pour la république devait être dite
à la fin de chaque messe.
Enfin, les évêques étaient nommés par Paris, puis recevaient l’investiture
par Rome.
A
noter toutefois que le Concordat ne faisait pas du catholicisme la religion
officielle de France, bien que les catholiques représentent au début du XIX°
siècle la grande majorité des fidèles (un peu moins de 30 millions contre
600 000 protestants et 40 000 juifs.). En effet, des articles annexes furent
promulgués par Bonaparte en 1802 et 1808, afin de réglementer le culte
protestant et israélite (ce qui fut dénoncé par Rome.).
Allégorie du Concordat,
anonyme, vers 1802, musée du château de Malmaison, Rueil-Malmaison.
2° Réforme fiscale – En 1799, les impôts rentraient mal,
à cause des dix années de troubles causés par la révolution. Le 11 novembre
1799 (20 brumaire an VIII.), soit le lendemain du coup d’Etat, Bonaparte
décida de confier le portefeuille des finances à Martin Michel Charles
Gaudin, qui le conserva jusqu’en 1815.
Martin Michel Charles Gaudin, XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris.
Par la suite, le premier consul
refusa de mettre en place de nouveaux impôts ou de procéder à un emprunt ;
au contraire, Bonaparte préférait diminuer les dépenses inutiles, mais aussi
faire en sorte que les taxes soient payées par toute la population.
L’objectif premier était de rétablir la confiance des Français, leur
montrant que le consulat n’était pas un énième régime révolutionnaire
éphémère.
Par ailleurs, la Banque de France fut créée le 13 février 1800 (il
s’agissait d’un organisme privé ayant le soutien du gouvernement.). La
banque avait comme objectif de fournir des avances à l’Etat, en attente de
la rentrée des impôts. Fut alors créé le franc germinal le 7 avril
1803, correspondant à cinq grammes d’argent[6].
Le
13 avril 1803 (23 germinal an XI.), la Banque de France obtint le monopole
de l’émission des billets de banque. Ces billets en francs ne connurent pas
le destin dramatique des assignats, restant en activité jusqu’à
l’aube du XXI° siècle[7].
3° Réforme administrative – Le 17 février 1800 fut
promulguée une loi sur l’administration locale. Les départements furent
conservés, mais ces derniers devaient être surveillés par les préfets,
fonction nouvellement créée[8].
Les préfets, nommés par Bonaparte, devaient visiter les communes de leur
département au moins deux fois par an, sous peine de destitution.
Chaque préfet, accompagné d’un sous-préfet, était assisté par le
conseil de préfecture, chargé de veiller au bon fonctionnement de
l’administration.
Par ailleurs, le conseil général du département et le conseil
d’arrondissement[9]
n’étaient plus élus mais nommés par l’Etat (ces deux assemblées devaient se
réunir au moins une fois par an pendant quinze jour.).
A
l’échelon inférieur, l’on retrouvait les 36 000 communes françaises. Les
maires, sous la tutelle du préfet, s’occupaient de l’administration, de la
police locale, ainsi que de la répartition des impôts.
Le
code civil français (ou code Napoléon.), dont une première
ébauche avait été rejetée en 1801, fut définitivement adopté le 21 mars
1804.
Le code civil.
L’objectif de Bonaparte était de mettre en place une union entre les acquis
de la révolution et l’héritage de l’Ancien régime, afin d’unifier le droit
civil de la France grâce à un même code.
Le
code civil, favorable à la bourgeoisie, définissait le droit des personnes
et de leurs propriétés (une des mesures les plus importantes fut la division
de l’héritage entre tous les héritiers et de façon égale[10].).
Ce
texte, bien qu’ayant évolué depuis le XIX° siècle, reste aujourd’hui le
fondement du droit français[11].
Par ailleurs, il inspira de nombreux codes civils à travers le monde.
En
mai 1802 fut créée la l’ordre de la légion d’honneur, décoration
aussi bien civile que militaire, récompensant les Français les plus
méritants.
Plaque de grand officier de la légion d'honneur, étoile de grand aigle de la
légion d'honneur, grand collier de l'ordre de la légion d'honneur, vers 1805,
décorations remises par Joseph Bonaparte en 1843 au gouvernement français, musée
des Invalides, Paris.
Cette décision ne fut pas du goût de tous, ses adversaires considérant que
ce système rappelait trop les décorations de l’Ancien régime[12].
Première distribution des croix de
la légion d'honneur, le 14 juillet 1804, par Jean Baptiste DEBRET,
vers 1812, musée des Invalides, Paris.
Enfin, fut votée le 1er mai 1802 (11 floréal an X.) la loi sur
l’enseignement. L’instruction était désormais divisée en quatre degrés : les
écoles primaires et secondaires étaient à la charge des administrations
locales ; les lycées et les écoles spéciales devaient être pris en charge
par l’Etat.
4° Réforme judiciaire – Les acquis de la révolution
concernant la justice ne furent pas remis en cause, même si une loi votée le
18 mars 1800 (27 ventôse an VIII.) modifia le système judiciaire.
L’on trouvait ainsi un tribunal dans chaque arrondissement, composé de trois
à quatre juges, chargé de s’occuper d’affaire mineures ; les départements
avaient chacun un tribunal criminel, où étaient jugés les crimes de
sang (composés de deux juges et d’un accusateur public.) ; et il existait 29
tribunaux d’appel, correspondant aux provinces de l’Ancien régime ;
enfin, il existait un tribunal de cassation en haut de l’échelle.
Les juges du tribunal de cassation étaient élus, à l’instar des juges de
paix, chargés de s’occuper des affaires mineures ou cantonales. Les
délits les plus importants étaient confiés à des magistrats professionnels,
nommés par le premier consul.
A
noter qu’il y eut toutefois des tribunaux d’exception et des arrestations
arbitraires, la police étant très puissante sous le consulat (et plus tard
sous l’Empire.).
Enfin, le ministère de la Police fut confié à Joseph Fouché en
novembre 1799, poste qu’il conserva jusqu’en 1815[13].
A la même date, le ministère des affaires étrangères fut confié à Charles
Maurice de Talleyrand-Périgord, qui avait participé à la Révolution
française. Enfin, le ministère de l’Intérieur fut confié à Jean Antoine
Chaptal (21 janvier 1801.), qui parvint à efficacement réorganiser le
pays suite à dix années de troubles.
Charles Maurice de
Talleyrand-Périgord,
par Pierre Paul PRUD'HON, 1817, Metropolitan museum of art, New York.
5° Les insurrections – Pendant la Révolution française,
plusieurs révoltes fédéralistes avaient éclaté en France, en Lozère ou dans
la vallée du Rhône, mais la plus importante fut l’insurrection des Vendéens
(en Loire atlantique.) et des Chouans (en Bretagne.).
Les rebelles, vaincus, avaient accepté de signer le traité de la Jaunaye
en février 1795, qui mit fin à la première guerre de Vendée. La
liberté de culte était rétablie, les églises pouvaient rouvrir, les familles
ayant perdu leurs biens au cours du conflit seraient indemnisés ; en
échange, les insurgés acceptaient de déposer les armes (un traité similaire
fut conclut avec les Chouans à la même date.).
Toutefois, une nouvelle insurrection éclata lors de la tentative ratée de
débarquement royaliste à Quiberon, en mai 1795. Cette seconde guerre de
Vendée s’acheva toutefois rapidement, les principaux chefs vendéens
étant arrêtés et exécutés en début d’année 1796.
Toutefois, une troisième guerre de Vendée éclata en 1799, à laquelle
participèrent aussi les Chouans. Cette nouvelle insurrection n’eut toutefois
pas la même ampleur que les précédentes, Bonaparte obtenant la soumission
des chefs chouans dès novembre 1799.
A
la même date, les Vendéens subirent plusieurs revers militaires qui les
contraignirent à faire la paix.
6° Les oppositions politiques – Le coup d’Etat de
brumaire, même s’il parvint à mettre un terme à dix années de troubles, ne
fut pas accepté par la France entière. En effet, plusieurs voix s’élevèrent
contre le premier consul et le nouveau régime.
Bien que se présentant comme l’héritier de la révolution, Bonaparte
rencontra de nombreuses oppositions, en particulier dans la presse. Ainsi,
en janvier 1800, une soixantaine de journaux furent interdits de
publication, sur les 73 qui existaient alors[14].
Par la suite, le premier consul favorisa la création de journaux de
sciences, d’art, de commerce, etc.
Enfin, les libertés d’expression et de réunion furent limitées afin de
diminuer les risques d’opposition au régime
a)
L’opposition jacobine : comme nous l’avons vu précédemment, les
élections de mai 1799 avaient porté au pouvoir de nombreux jacobins,
favorables à la poursuite de la révolution. Ces derniers, évincés par
Bonaparte suite au coup d’Etat de brumaire, n’appréciaient donc guère le
premier consul.
Bonaparte, faisant appel aux services de Fouché, décida alors de poursuivre
certains de ces anciens députés. Les plus virulents furent condamnés au
bagne, les autres furent emprisonnés.
Portrait de Joseph Fouché.
La
résistance jacobine fut réduite à néant entre 1801 et 1802.
b)
L’opposition royaliste : les royalistes, aussi étrange que cela
puisse paraitre, n’appréciaient guère la politique d’apaisement de
Bonaparte. En effet, cette dernière leur enlevait tout prétexte pour
continuer la lutte, les privant par ailleurs de nombreux appuis. Les
royalistes continuèrent néanmoins leur propagande, imprimant des milliers de
tracts contre le Corse usurpateur.
En
outre, Louis, comte de Provence[15]
(futur Louis XVIII.), constatant les mesures d’apaisement mises en
place par Bonaparte, invita alors le premier consul à le restaurer sur le
trône, lui envoyant un courrier le 20 février 1800 (1er ventôse
an VIII.). Bonaparte préféra toutefois refuser, ce qu’il prit soin de faire
après avoir remporté la seconde campagne d’Italie (nous y reviendrons
au cours du chapitre suivant.).
c)
L’opposition libérale : une partie des partisans du coup d’Etat de
brumaire n’avaient pas imaginé que le nouveau régime s’orienterait vers
l’autoritarisme, synonyme de monarchie à leurs yeux.
Ces derniers, fidèles aux idéaux de 1789, ne parvinrent guère à faire
entendre leurs voix (ces derniers manifestèrent toutefois contre la
légion d’honneur en 1802, à leurs yeux trop semblables aux décorations
de l’Ancien régime ; contre le Concordat, qui portait atteinte à la
constitution civile du clergé ; et contre le premier projet de code civil,
jugé trop conservateur et rejeté en 1801.).
Bonaparte, afin de lutter contre le parlementarisme, décida en 1802 de
supprimer 1/5ème des sièges du Tribunat, comme le prévoyait la
constitution (les députés les plus hostiles au premier consul furent alors
congédiés, remplacés par des proches de Bonaparte.).
Par ailleurs, le
Tribunat fut divisé en trois sections, et interdiction fut faite de réunir
l’ensemble des députés lors d’une session.
[1]
Brissot et Desmoulins avait été guillotinés lors de la Terreur.
[2]
Les Français n’appréciaient pas le calendrier révolutionnaire, qui
imposait un jour de congé tous les dix jours, contre un jour de
congé tous le sept jours pour le calendrier grégorien.
[3]
Le Concordat resta en application jusqu’en 1905, date de la
séparation de l’Eglise et de l’Etat. A noter que l’Alsace et la
Moselle vivent encore aujourd’hui selon le concordat de 1801 (Ces
territoires, sous domination allemande de 1870 à 1918, ne furent pas
concernés par la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en
1905).
[4]
A noter qu’une quarantaine d’évêques réfractaires refusèrent de
démissionner, donnant naissance à la Petite Eglise. Ce
mouvement, particulièrement mineur aujourd’hui (moins de 5 000
fidèles.), est implanté en Vendée, dans la région lyonnaise, en
Bourgogne et en Belgique. Les messes de la Petite Eglise sont
semblables à celles de l’Ancien régime.
[5]
Avignon avait été annexée par les révolutionnaires en septembre
1791.
[6]
Le franc germinal fut une monnaie très stable, du moins jusqu’à la
première guerre mondiale. Il fut remplacé par le franc Poincaré
en 1928.
[7]
Les billets en francs furent supprimé lors de l’arrivée de l’€uro,
en janvier 2002.
[9]
L’arrondissement est la circonscription se trouvant entre le
département, plus grand, et le canton, plus petit.
[10]
Jusqu’au XIX° siècle, seul l’aîné recevait l’héritage du défunt.
[11]
A noter que Cambacérès avait présenté un projet de code civil en
1793, 1794 et 1796, mais sa proposition avait été rejetée.
Ainsi, lors de la mise en place du consulat, la majeure partie
du texte était déjà rédigée.
[12]
Existant encore aujourd’hui, la légion d’honneur reste la plus haute
décoration honorifique française.
[13]
Fouché était proche des jacobins. Napoléon pensait pouvoir mieux
surveiller ceux-ci en ayant un des leurs à la tête de la police.
[14]
A noter qu’au cours de la Révolution française, plusieurs il
existait plusieurs centaines de journaux différents.