CHAPITRE DEUXIEME :
Les premières années de l’Empire
français
(1804 à 1805)
I : Vers l’Empire (1803 à 1804)
1° La constitution de l’an X
(1802) –Napoléon Bonaparte, en 1802, avait réussi à imposer la
paix tant aux frontières qu’à l’intérieur du pays. Fort de ses récents
succès, le premier consul demanda alors une révision de la constitution de
l’an VIII en sa faveur.
Dans un premier temps, le sénat accorda à Bonaparte dix années de mandat
supplémentaires, en plus des dix années pour lesquelles il avait été nommé
(8 mai 1802.).
Puis, le 4 août 1802, le sénat promulgua la constitution de l’an X
(de par ses réformes mineures, ce texte ne fut en réalité qu’un amendement
de la précédente constitution) : Bonaparte était désormais consul à vie
(alors qu’à l’origine son mandat était de dix ans.), avait le droit de
grâce, pouvait signer seul les traités, et avait un droit de regard sur son
successeur ; le Sénat conservateur voyait ses pouvoirs accrus, au détriment
de ceux du Tribunat et du Corps législatif (les sénateurs pouvaient
désormais modifier la constitution mais étaient plus soumis à Bonaparte.) ;
le Tribunat était réduit (il compterait 50 membres contre 100 à
l’origine.) ; le suffrage universel était abandonné au profit du suffrage
censitaire[1].
La
nouvelle constitution, adoptée par plébiscite, fut alors ratifiée.
Bonaparte, installé au Tuileries depuis 1800, commença à y constituer une
Cour, semblable à celle de l’Ancien régime. Suite au Concordat, le premier
consul, bien que n’étant pas catholique, assista à la messe tous les
dimanches.
L’objectif de Bonaparte était de montrer à la France entière que l’Etat
avait retrouvé son prestige d’antan, sans avoir renié les acquis de la
révolution.
Le
15 août 1802, Bonaparte décida de faire de cette journée la nouvelle fête
nationale. A noter que le premier consul était né le 15 août 1769 ;
toutefois, le 15 août correspondait aussi à la fête de l’Assomption, jour
chômé sous l’Ancien régime. L’objectif de Bonaparte était vraisemblablement
de mettre en place une sorte de syncrétisme, entre république, catholicisme
et royalisme[2].
A
noter toutefois que l’ascension de Bonaparte ne plaisait ni aux jacobins, ni
aux royalistes, qui avaient perdu leurs appuis politiques suite à la fin de
la seconde coalition.
Ces républicains extrémistes, surnommés les exclusifs, souhaitaient
assassiner le premier consul. En fin d’année 1800, un groupe de
Chouans[3]reprirent cette idée à leur compte,
faisant sauter un engin explosif lors du passage du carrosse de Bonaparte.
le carrosse de Napoléon Bonaparte, musée des carrosses, Versailles.
La
machine infernale, comme elle fut surnommée à l’époque, ne blessa pas
le premier consul, explosant quelques secondes après son passage. Toutefois,
elle fit plusieurs centaines de victimes parmi la suite de Bonaparte (une
dizaine de morts et une trentaine de blessés, plus les bâtiments
endommagés.).
Joseph
Fouché, ministre de la police, affirma qu’il s’agissait d’un complot
fomenté par
les jacobins, et une centaine d’entre eux furent alors déportés. Fouché, qui
souhaitait vraisemblablement se séparer de ses encombrants amis[4],
n’apporta la preuve de la culpabilité des Chouans à Bonaparte qu’après un
certain temps.
Portrait de Joseph Fouché.
2° La conspiration de 1804, l’exécution du duc d’Enghien –
Bien qu’ayant mis un terme aux insurrections des Vendéens et des Chouans, un
complot fomenté par les royalistes fut découvert en 1804.
Les conjurés, Georges Cadoudal (ancien chef des Chouans, il s’était
réfugié en Angleterre avant de rentrer en France.) et Jean Charles
Pichegru (vainqueur de la Hollande, ce dernier avait décidé de rejoindre
le camp royaliste avant d’être déporté en Guyane en 1797.), tentèrent alors
de gagner à leur cause le général Jean Victor Marie Moreau.
Jean Charles Pichegru et
Georges Cadoudal (en haut.) ; Jean Moreau, lieutenant colonel du 1er
bataillon d'Ille et Vilaine en 1792, château de Versailles, Versailles
(en bas).
Grâce aux informations de Fouché, ministre de la police, les conjurés furent
rapidement arrêtés. Ainsi, Moreau fut interpellé le 15 février 1804 (25
pluviôse an XII.), suivi par Pichegru le 27 février (7 ventôse an XII.).
Cadoudal, quant à lui, fut emprisonné le 9 mars 1804 (18 ventôse an XII.).
Cadoudal, lors de son interrogatoire, aurait alors indiqué aux policiers le
nom de Louis Antoine de Bourbon-Condé, duc d’Enghien. Le prince de
sang[5],
qui vivait à Ettenheim, en Bade, fut considéré par Bonaparte comme la tête
pensante de cette conspiration. Le premier consul ordonna donc à ses soldats
de franchir le Rhin, afin d’enlever le duc d’Enghien. L’opération, menée le
17 mars 1804, fut un franc succès. Le duc d’Enghien, fait prisonnier, fut
alors amené à Paris.
La capture du duc d'Enghien, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
Les papiers de ce prince de sang révélèrent qu’il n’avait pas participé à la
conspiration ; toutefois, ce dernier était à la tête d’un réseau royaliste,
dont les ramifications s’étendaient jusqu’en France.
Le
20 mars 1804 (29 ventôse an XII.), à l’issue d’un procès sommaire, le duc
d’Enghien fut jugé coupable d’avoir porté les armes contre la république,
d’être un agent de l’Angleterre, et de faire partie des complots tramés par
cette dernière.
Le
duc d’Enghien fut alors fusillé dans les fossés de Vincennes, le 21 mars
vers deux heures du matin.
Le duc d'Enghien dans le fossé de
Vincennes, par Jean Paul LAURENS, XIX° siècle, château de Chantilly,
Chantilly.
L’exécution scandalisa les royalistes, mais fut un signal fort envoyé aux
républicains, démontrant que Bonaparte pouvait lui aussi être régicide.
Ainsi, certains historiens pensent que le sang du duc d’Enghien n’aurait eu
d’autre fonction que celle de cimenter les fondations de l’Empire français.
Plus tard, Pichegru fut retrouvé mort dans sa cellule[6]
(6 avril 1804.) ; le 10 juin 1804, Cadoudal fut condamné à mort avec ses
complices ; le même jour, Moreau fut condamné à deux années de prison
(Napoléon décida néanmoins de gracier le général, qui partit alors pour les
Etats Unis[7].).
3° La constitution de l’an XII, acte de naissance de l’Empire
français (mai 1804) – Au printemps 1804, le Sénat conservateur décida
d’offrir le titre d’Empereur à Bonaparte, entraînant une nouvelle
modification de la constitution (à noter que le premier consul influença
très vraisemblablement le choix des sénateurs.).
En
réalité, la constitution de l’an XII n’apporta que peu de changements
au texte de l’an X : Bonaparte n’était plus premier consul mais Empereur ;
la dignité impériale était transmise selon le vieux principe de la
primogéniture mâle[8]
; toutefois, l’héritage pouvait être cédé au fils adoptif de l’Empereur.
Par ailleurs, une noblesse d’Empire était constituée, imitant celle
de l’Ancien régime. Enfin, les meilleurs généraux de Bonaparte furent
élevés à la dignité de maréchal.
A
noter que les deux autres consuls, Jean Jacques Régis de Cambacérès
et Charles François Lebrun, devenaient respectivement archichancelier
et architrésorier.
4° Le sacre de Napoléon (2 décembre 1804) – Bonaparte,
féru d’Histoire, n’avait pas choisi le titre d’Empereur au hasard. Cette
dignité héritée des Romains, puis ressuscitée lors du règne de
Charlemagne, était en principe supérieure à la royauté[9].
Napoléon en
triomphateur,
par François Frédéric LEMOT, XIX° siècle, musée du Louvre, Paris.
Par ailleurs, même si le nouveau régime était à première vue un Empire, ce
n’était en réalité (du moins dans un premier temps.) qu’une nouvelle forme
de la république. Ainsi, les pièces de monnaie du nouveau régime adoptèrent
la mention « république française » pendant encore quelques années.
Bonaparte se souvenait certainement de l’exemple de Jules César,
assassiné pour avoir ouvertement aspiré à la royauté. Au contraire, son
petit neveu et fils adoptif Octave (qui prit le nom d’Auguste
lors de son accession au pouvoir.), bien que fondant l’Empire romain en 14
avant Jésus Christ, n’adopta jamais le titre d’Empereur, mais bien celui de
princeps senatus, le « premier citoyen. »
Bonaparte décida de faire de l’aigle le symbole de l’Empire, s’inspirant des
légions romaines et de Charlemagne. La couleur pourpre du manteau impérial
était elle aussi une référence à l’Empire romain et aux carolingiens.
Aigle décorative, 1804, musée des Invalides, Paris.
Les abeilles, au contraire, rappelaient l’époque des mérovingiens (des
broches en forme d’abeille furent trouvées dans les tombes des souverains de
cette dynastie.).
Abeille pour la décoration de Notre Dame de Paris, 1804, musée des
Invalides, Paris.
L’objectif de Bonaparte était de se présenter en tant que fondateur d’une
nouvelle dynastie, faisant suite aux Mérovingiens, aux Carolingiens et aux
Capétiens (Valois, Valois-Angoulême et Bourbons faisant partie de la lignée
capétienne.).
A
la mi-octobre, Bonaparte invita le pape Pie VII à participer à la
cérémonie du sacre, mais le souverain pontife émit quelques réticences. En
effet, le futur Empereur avait prévu de prononcer un discours jurant de
respecter la liberté des cultes ; en outre, Bonaparte avait prévu de se
couronner lui-même.
Grâce à l’habileté de Charles Maurice de Talleyrand-Périgord,
ministre des affaires, Pie VII se laissa finalement convaincre.
Charles Maurice de
Talleyrand-Périgord,
par Pierre Paul PRUD'HON, 1817, Metropolitan museum of art, New York.
Toutefois, arrivé à Paris, le pape apprit avec surprise que Bonaparte et son
épouse Joséphine de Beauharnais[10]
n’étaient pas unis religieusement. Le souverain pontife, ne souhaitant pas
bénir un couple vivant en état de péché mortel, annonça alors son
intention de quitter la capitale.
Arrivée de Pie VII à Paris, XIX° siècle, château de Fontainebleau,
Fontainebleau.
Bonaparte fut donc contraint de s’incliner, et un mariage religieux fut
célébré le 1er décembre 1804 au soir (10 frimaire an XIII.).
Le
sacre de Napoléon eut lieu le 02 décembre 1804 (11 frimaire an XIII.) dans
la cathédrale Notre Dame de Paris. L’Empereur prononça un discours,
s’engageant à défendre la loi, la justice et la paix de l’Eglise. Suivirent
alors de longues litanies, dont le texte, semblable à celui de l’Ancien
régime, fut toutefois corrigé et expurgé.
Diorama du sacre impérial, dôme des Invalides, Paris.
Enfin, Napoléon se dirigea vers l’autel, prit la couronne de Charlemagne, se
couronna, puis couronna Joséphine. Le pape Pie VII se contenta alors de
donner sa bénédiction au nouveau souverain.
La cérémonie du sacre, par Jacques Louis DAVID, 1804, musée du
Louvre, Paris.
Une cérémonie
civile suivit la cérémonie religieuse, mais le pape n’y assista pas.
[1]
Seuls les citoyens actifs avaient le droit de vote : ces derniers
devaient être de sexe masculin, avoir au moins 25 ans, être installé
dans un canton depuis un an, et payer un cens équivalent à trois
jours de salaire. Ces derniers représentaient environ 15% de la
population française.
[2]
Pour en savoir plus sur l’histoire de l’Assomption,
cliquez ici.
[3]
Les Chouans, royalistes, s’étaient révoltés lors de la Révolution
française.
[4]
Fouché, avant d’être ministre de la police, était un jacobin.
[5]
Les princes de sang descendaient du roi de France
Louis IX. En cas d’extinction de la branche royale, ces
derniers pouvaient prétendre au trône.
[6]
Pichegru s’étrangla vraisemblablement avec sa cravate. Toutefois, il
est impossible aujourd’hui de savoir s’il s’agissait d’un suicide ou
bien d’un crime déguisé (dans ce cas, qui en aurait été le
commanditaire et pourquoi ?).
[7]
Ce dernier quitta les Etats Unis suite à la défaite de Napoléon en
Russie. Moreau décida alors d’offrir ses services au tsar
Alexandre I°, mais mourut en septembre 1813.
[8]
L’héritier était le premier enfant de sexe masculin.
[9]
Lors de la division de l’Empire de Charlemagne, ses descendants
adoptèrent le titre de roi, mais un seul d’entre eux eut le
privilège d’être Empereur.
[10]
Joséphine avait épousé Alexandre François Marie, vicomte de
Beauharnais. Originaire de la Martinique, le couple s’installa en
France en 1779. Alexandre de Beauharnais participa à la guerre
contre la première coalition, mais, accusé de trahison, il fut
arrêté en janvier 1794 et guillotiné en juillet (à peine une semaine
avant la chute de Robespierre, ce qui lui aurait peut être permis de
sauver sa tête.). Le couple avait eu deux enfants, Eugène et
Hortense (cette dernière épousa Louis Bonaparte en 1802,
frère cadet de Napoléon. Le couple donna alors naissance à
Napoléon III, ce dernier étant donc neveu et petit fils par
alliance de Napoléon Bonaparte.).