Cet ouvrage, parfois surtitré Programme juif de conquête du monde,
se répandit rapidement dans toute l'Europe, faisant éclater le
« complot » au grand jour.
Adolf Hitler
lui-même y fait expressément référence dans son ouvrage,
Mein Kampf,
publié en 1925.
Mais qu'en est-il réellement ? Existe-t-il, ou a-t-il existé un projet
juif de domination mondiale ? Ou bien le Protocole des Sages de Sion
n'est-il qu'une simple imposture ?
Edition finlandaise du Protocole des Sages de Sion.
En réalité, cet ouvrage fut
« fabriqué »
entre 1897 et 1903, non par une organisation secrète judéo-maçonnique,
mais sur ordre de l'Okhrana, la police secrète russe. Piotr
Ratchokovsky, chef du bureau à l'étranger de l'Okhrana, et basé à
Paris, avait pour fonction d'infiltrer les groupes révolutionnaires. En
1897, il commanda la rédaction d'un pamphlet antisémite à l'un de ses subordonné, Matveï Golovinski,
auteur chargé d'influencer la presse française en faveur de la politique
russe.
Pour ce faire, Golovinski s'inspira de l'ouvrage Dialogue aux Enfers
entre Machiavel et Montesquieu, publié par le journaliste Maurice
Joly en 1864. Ce dernier, qui partageait l'hostilité de Victor Hugo
envers Napoléon III, y fustigeait indirectement la politique de
l'Empereur (ce dernier n'est pas nommé une seule fois dans l'ouvrage) via l'échange
entre les deux protagonistes. A noter toutefois que Joly, peu objectif,
critiquait pêle-mêle le libéralisme, la centralisation, le suffrage
universel, etc.
Golovinski, réalisant un décalque de cet ouvrage, s'inspira aussi de
Biarritz, roman antisémite publié en 1868 par John Retcliffe
(de son vrai nom Hermann Goedsche), qui avait lui-même plagié
le Dialogue ; et de L'Etat des juifs, de Théodore Herzl,
publié en 1895 (cet auteur austro-hongrois, considéré aujourd'hui comme le fondateur du
sionisme, expliquait que les juifs étant mal tolérés en raison de leur
particularisme, et devaient parvenir à la création d'un Etat hébreu).
Le Protocole des Sages de Sion fut donc rédigé sous la forme d'un
programme politique mis au point par des juifs, soucieux d'asservir
l'humanité, regroupant les supposés comptes-rendus d'une vingtaine de
réunions secrètes.
Le fascicule, publié en Russie en 1903, avait donc pour objectif de
faire infléchir le tsar Nicolas II sur sa politique libérale,
jugée comme étant le résultat d'un complot judéo-maçonnique par les
milieux réactionnaires. Toutefois, ce projet fit long feu, car le tsar
n'adhéra pas à la supercherie, refusant de faire du Protocole un
instrument de propagande.
Edition russe du Protocole des Sages de Sion, 1912.
Uniquement diffusé dans les cercles de l'Okhrana et dans les milieux
antisémites, cet ouvrage fut traduit en Allemand à compter de 1909, puis
en anglais (1920) et en français (1921). Le Protocole se diffusa
d'autant plus que la révolution d'Octobre, en novembre 1918,
avait contraint à l'exil les monarchistes de Russie.
A noter cependant que l'authenticité de ce texte fit débat dès son
apparition sur la place publique. Dès l'été 1921, le Times,
quotidien britannique, dénonça l'imposture du Protocole. Néanmoins,
l'ouvrage contribua à déchaîner les passions, étant présenté comme la
preuve d'un complot juif d'ordre mondial par de nombreux polémistes : comme nous l'avons énoncé plus tôt, Hitler lui-même s'appuya sur le
Protocole des Sages de Sion pour justifier sa politique antisémite (et
rien ne laisse à penser qu'il considérait cet ouvrage comme étant un
faux). Aux Etats-Unis, l'industriel Henry Ford, antisémite
notoire et grand admirateur d'Hitler, fit publier le Protocole à 500 000
exemplaires, entre 1920 et 1922.
Largement utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, par le Troisième
Reich ou l'Italie fasciste, le Protocole se diffusa après-guerre au
Proche-Orient, contribuant ainsi à un net regain d'antisémitisme dans le monde
arabe. L'ouvrage, adapté en feuilleton télévisé, fut largement
popularisé. En Europe, il est parfois cité dans des ouvrages de fiction.
Toutefois, si la véracité du Protocole fut longtemps discutée,
l'ouverture des archives russes, en 1992, quelques mois après la fin de
l'ère soviétique, permit aux historiens d'en savoir plus sur les
origines du Protocole. C'est ainsi que fut dévoilée au grand jour le
rôle de l'Okhrana dans la création de cette imposture.
Par ailleurs, une simple comparaison entre le Protocole des Sages de
Sion et le Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu permet de
repérer rapidement l'imposture. Ainsi, quant Joly écrivait : de la lassitude des idées et du choc des révolutions sont sorties des
sociétés froides et désabusées qui sont arrivées à l’indifférence en
politique comme en religion, qui n’ont plus d’autre stimulant que les
jouissances matérielles, qui ne vivent plus que par l’intérêt, qui n’ont
d’autre culte que l’or, dont les mœurs mercantiles le disputent à celles
des juifs qu’ils ont pris pour modèles (4° dialogue) ; Golovinski recopiait :
la lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le
monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœur.
Cette société deviendra complètement indifférente à la religion et à la
politique dont elle aura même le dégoût. La passion de l’or sera son
seul guide et elle fera tous ses efforts pour se procurer cet or qui,
seul, peut lui assurer les plaisirs matériels dont elle a fait son
véritable culte (4° protocole). Mais aussi : je ferai d’abord ratifier par le vote populaire le coup de force que
j’ai accompli contre l’Etat ; je dirai au peuple, dans les termes qui
conviendront : tout marchait mal ; j’ai tout brisé, je vous ai sauvé, voulez-vous de moi ?
Vous êtes libre de me condamner ou de
m’absoudre par votre vote (9° dialogue) ; et quand nous ferons notre
« coup d’Etat », nous dirons au peuple : « tout a très mal marché
jusqu’ici, vous avez tous souffert ; nous détruisons, maintenant, la
cause de vos souffrances, à savoir : les patries, les frontières et les
valeurs financières nationales. Certes, vous serez libres de nous
condamner, mais votre jugement sera-t-il juste, si vous le prononcez
sans avoir expérimenté ce que nous pouvons faire pour votre bien ? »
(10° protocole). Ou bien : mes raisons sont fort simples ; je ne veux pas qu’au sortir des écoles,
les jeunes gens s’occupent de politique à tort et à travers ; qu’à dix-huit ans, on se mêle de faire
des constitutions comme on fait des tragédies. Un tel enseignement ne
peut que fausser les idées de la jeunesse et l’initier prématurément à
des matières qui dépassent la mesure de sa raison. C’est avec ces
notions mal digérées, mal comprises, qu’on prépare de faux hommes
d’État, des utopistes dont les témérités d’esprit se traduisent plus
tard par des témérités d’action (16° dialogue) ; et de notre programme,
nous exclurons tout l’enseignement de la loi civile, comme celui de tout
autre sujet politique. A un petit nombre d’hommes, choisis parmi les
initiés pour leurs capacités évidentes, seront dévoilées ces sciences.
Les universités n’auront pas le droit de lancer dans le monde des
blancs-becs regardant les nouvelles réformes constitutionnelles comme si
elles étaient des comédies ou des tragédies, ou se préoccupant de la
question politique que leurs pères eux-mêmes ne comprennent pas (16°
protocole). Comme nous l'avons indiqué plus tôt, le Protocole des Sages
de Sion est effectivement une copie quasi-intégrale de l'ouvrage de
Maurice Joly.
Mais s'il ne reste aujourd'hui aucun doute quant à la falsification de
Golovinski, le Protocole reste encore largement répandu, principalement dans les
pays arabes, où règne un fort courant antisémite. Toutefois, s'il n'est
plus considéré comme véridique par de nombreux Etats de la région,
plusieurs personnalités y ont fait référence, depuis le début du XXI°
siècle. Parmi ceux-ci, l'on peut citer Mohammed Ahmad Hussein,
Grand Mufti
de Jérusalem, qui déclara en 2006 que les attentats suicides contre
Israël étaient légitimes, tant qu'ils jouent un rôle dans la
résistance ; ou Ekrima Said Sabri, ancien Grand Mufti de
Jérusalem et négationniste notoire, qui indiqua, en 2005, que
quiconque étudie le Protocole des Sages de Sion et spécifiquement le
Talmud, découvrira que l'un des objectifs de ces Protocoles est de créer
de la confusion dans le monde et de causer une atteinte à la sécurité du
monde entier