CHAPITRE SIXIÈME :
Charles VIII, le dernier des Valois
III : Charles VIII à la conquête du royaume de Naples
1° L’Italie à la fin du XV° siècle
– L’Italie de la Renaissance n’avait rien à voir avec l’Etat que nous
connaissons aujourd’hui. En effet, les habitants de la péninsule, divisés
depuis la chute de l’Empire romain, vivaient à cette époque au sein d’une
multitude de petites principautés.
Les Etats d'Italie en 1493.
a)
Le duché de Milan : un des plus importants Etats de la péninsule, le
duché de Milan, fut à l’origine de la première guerre d’Italie. En effet, à
cette époque, régnait Ludovic Sforza, dit Le More, tuteur de
son neveu, le duc de Milan Jean Galéas II Sforza. Cependant, son
épouse Isabelle, mécontente de la situation, envisageait de faire
appel à son grand père Ferdinand, roi de Naples.
Médaillon à l'effigie de Ludovic le More,
XV° siècle, musée du Louvre, Paris.
Ludovic étant alors en difficulté, il décida de se rapprocher du roi de
France, qui rêvait d’intervenir à Naples.
b)
Le royaume de Naples : Ferdinand de Naples, quant à lui, régnait avec
l’appui de l’Espagne et par la violence. Ce souverain était le fils d’Alphonse
V d’Aragon, qui s’était emparé du royaume de Naples en 1442, créant de
ce fait le royaume des Deux-Siciles, dépendance du royaume d’Aragon.
Alphonse V d'Aragon, attribué à Mino DI GIOVANNI (dit Mino DA FIESOLE), XV°
siècle, musée du Louvre, Paris.
A
noter que le royaume de Naples, fruit de multiples affrontements entre
Angevins et Aragonais, était
né de sa scission avec le royaume de Sicile, suite aux vêpres siciliennes de
1282[1].
A cette date, le roi Charles d’Anjou (frère de Saint Louis.) fut chassé de
Sicile par les armées de Pierre III d’Aragon, ne parvenant à maintenir son
autorité que sur la partie sud de la botte italienne.
c)
Rome : le Vatican, à cette époque, était entre les mains du pape
Alexandre VI, reconnu par Machiavel pour sa grande fourberie et sa
duplicité.
Le pape
Alexandre VI, anonyme, fin du XV° siècle, Bode museum, Berlin.
A
cette époque, Rome était entre les mains des Borgia, une dynastie restée
célèbre pour ses mœurs dissolues et son ambition démesurée.
Les Borgia, qui se considéraient alors comme les protecteurs du royaume de
Naples, voyaient d’un mauvais œil les plans de Charles VIII dans cette
région. En effet, le pape ne pouvait pas accepter l’arrivée d’un souverain
faible dans le royaume de Naples, cet Etat jouant le rôle de bouclier contre
l’invasion musulmane. Cependant, Alexandre VI ne pouvait pas non plus
accepter que le royaume soit dirigé par un souverain puissant, ce dernier
pouvant devenir une menace pour la papauté.
d)
La république de Venise : la république de Venise, libérée depuis
plusieurs décennies de la tutelle byzantine, était alors une puissance
maritime et commerciale. A cette époque, le territoire de cette république
dépassait de loin les frontières de la cité.
e)
Autres petits Etats : à noter toutefois que de nombreux autres Etats
constellaient la botte italienne, comme le duché de Toscane, le duché de
Savoie, le marquisat de Montferrat, le marquisat de Mantoue, etc.
2° Préparations de l’expédition vers Naples – Charles
VIII, héritier de son grand oncle René d’Anjou, avait donc des droits sur
le royaume de Naples. De ce fait, afin de mettre la main sur son héritage,
le roi de France se rapprocha de Ludovic Sforza, dit Le More,
tuteur de son neveu, le duc de Milan Jean Galéas II Sforza.
Par ailleurs, afin d’assurer ses arrières, Charles VIII signa une série de
traités avec les souverains européens hostiles à la France.
Charles VIII, château de Versailles, Versailles.
a)
Le traité d’Etaples : dans un premier temps, Charles VIII signa le
traité d’Etables avec Henri VII, roi d’Angleterre (novembre 1492.).
A
noter que le souverain anglais était alors en guerre contre la France,
assiégeant Boulogne. Charles VIII accepta de régler les dettes du duché de
Bretagne envers l’Angleterre (soit 600 000 écus plus un bonus de 145 000
écus en prime.) ; en échange, le souverain anglais reconnaissait le
rattachement du duché de Bretagne à la France, et promettait aussi sa
neutralité dans le futur conflit en Italie.
b)
Le traité de Barcelone : par la suite, en janvier 1493, Charles VIII
signa un nouveau traité, cette fois ci avec le roi d’Aragon Ferdinand. Par
le traité de Barcelone, Charles VIII abandonnait à son homologue le
Roussillon et la Cerdagne, deux régions dont s’était emparé Louis XI au
début de son règne. Charles VIII abandonna aussi la créance de 200 000 écus
contre laquelle Jean II d’Aragon avait abandonné ses provinces à la France[2].
A
noter que la signature de ce traité n’empêcha pas Ferdinand de s’attaquer à
la France quelques mois après le début de l’expédition vers Naples.
c)
Le traité de Senlis : enfin, Charles VIII signa un dernier traité
avec son rival Maximilien d’Autriche, en juin 1493. Le traité de Senlis
avait pour objectif de répartir une nouvelle fois les territoires issus de
la disparition du duché de Bourgogne.
En
1482, Louis XI et Maximilien avaient signé le traité d’Arras : Charles VIII,
encore enfant, devait épouser Marguerite, fille de Marie de Bourgogne et de
Maximilien, cette dernière apportant en dot la Franche Comté et l’Artois[3].
Cependant, Charles VIII ayant épousé Anne de Bretagne, il décida donc de
rendre ces territoires à Maximilien, tout en gardant des droits de suzerain
sur ces deux provinces.
Maximilien Empereur,
par Bernhard STRIGEL, 1496, Deutsches historisches museum, Berlin.
A
noter que Ludovic le More, allié de Charles VIII, avait lui aussi signé un
traité avec Maximilien, en avril 1493. L’Autrichien épousa donc Blanche
Marie Sforza, la nièce de Ludovic le More, qui jouait ainsi un subtil double
jeu.
3° Première guerre d’Italie (1494 à 1497) – Une fois
avoir signé ces traités avec les puissances européennes les plus hostiles à
la France, Charles VIII pouvait s’estimer tranquille. Finalement,
l’expédition fut lancée en mars 1494, deux mois après la mort de
Ferdinand, le roi de Naples[4]
(ce fut alors le fils de ce dernier, Alphonse II, qui monta sur le
trône.).
Ducat à l'effigie d'Alphone II de Naples,
vers 1494, Bode museum, Berlin.
Gilbert de Montpensier, cousin du roi, fut nommé capitaine général
des troupes de terre ; Louis II d’Orléans fut chargé d’aller occuper le
littoral génois à la tête de ses troupes (composées de Suisses et de
Lombards en majorité.) ; Pierre de Beaujeu fut nommé lieutenant général du
royaume ; et Anne retrouva son poste de régente.
Charles VIII se rendit à Lyon, puis traversa finalement les Alpes en
septembre 1494, accompagné d’une armée de 15 000 hommes (dont la moitié
étaient Suisses ou Allemands.), 15 000 cavaliers, et une artillerie de 70
pièces.
Charles VIII et l'armée royale traversent les Alpes, gravure issue de
l'ouvrage
Histoire de France, par François GUIZOT, France, 1875.
Cependant, l’expédition avait à peine commencé que les finances de Charles
VIII étaient déjà dans le rouge. En effet, ce dernier se retrouva contraint
de taxer lourdement les habitants de Lyon pour financer l’effort de guerre.
a)
Une expédition sans encombre : Dans un premier temps, les Français ne
rencontrèrent pas de difficultés majeures. Début septembre, Louis II
d’Orléans s’attaqua à une petite flotte napolitaine, mettant rapidement
l’ennemi en déroute.
Charles VIII, quant à lui, arriva à Turin plus tard dans le mois, où il fut
bien reçu (le marquisat de Montferrat avait des liens avec le duché de
Savoie, dont était originaire la mère du roi de France.).
Par la suite, le gros de l’armée royale arriva à Asti, où Charles VIII ne
tarda pas à se rendre. Après avoir reçu la visite de Ludovic le More, le roi
de France quitta la ville en octobre 1493.
Passant par Pavie et Plaisance en octobre 1494, Charles VIII décida de
marcher sur Florence, alors entre les mains de Pierre II de Médicis,
seigneur de Toscane. En effet, ce dernier avait décidé de rester neutre, ce qui
avait fortement déplu au roi de France.
Signant peu de temps après un accord avec Charles VIII, Pierre II fut
néanmoins renversé par Jérôme Savonarole, un influent prédicateur
dominicain, resté dans l’Histoire pour son dédain des arts de la Renaissance
(ce dernier étant favorable au roi de France, Charles VIII n’inquiéta pas Savonarole qui put mettre en place un véritable
gouvernement théocratique dans Florence.).
Savonarole.
A
la fin de l’année, les Français approchèrent de Rome. Alexandre VI, pensant
un moment fuir, décida finalement d’ouvrir les portes de la ville, faisant
mine de se soumettre (fin décembre 1494.).
Dans le courant du mois de janvier 1495, progressant vers Naples et livrant
quelques escarmouches contre des petites troupes napolitaines, Charles VIII
apprit l’abdication d’Alphonse II, qui céda le trône à son fils Ferdinand
II.
Cependant, ce changement de souverain ne fit pas faire rebrousse chemin aux
Français. En effet, cette mesure ne fit qu’affaiblir un peu plus la
résistance napolitaine, le jeune Ferdinand II s’enfuyant de Naples peu de
temps après son couronnement.
Finalement, l’armée royale rentra dans Naples en février 1495, sans
rencontrer de difficultés.
Le
roi de France, afin de s’attirer la sympathie des Napolitains, décida alors
de diminuer les impôts et de garantir les privilèges de la noblesse.
Cependant, tous les offices et territoires furent confiés à des Français,
excluant de ce fait les seigneurs napolitains.
b)
Un spectaculaire retournement de situation : cependant, cette
mainmise française sur le royaume de Naples ne tarda guère à faire des
envieux. C’est ainsi que se constitua en mars 1495 la Ligue de Venise,
réunissant la république de Venise, le duché de Milan[5],
les Etats pontificaux, le Saint Empire romain germanique, ainsi que le
royaume d’Aragon.
Ludovic le More, signataire du traité, décida donc de s’attaquer à Louis II
d’Orléans, qui était resté dans le nord de l’Italie afin de faire valoir ses
droits sur le duché de Milan[6].
Charles VIII, qui rentra dans Naples en mai 1495, ne resta pas longtemps
dans la cité. En effet, il prit le chemin du retour vers la France moins
d’une semaine après, accompagné d’une armée de 9 000 hommes (cette dernière
avait été décimée par une épidémie de syphilis.).
Entrée de Charles VIII à Naples, 12
mai 1495, XIX° siècle, château de Versailles, Versailles.
Gilbert de Montpensier, nommé vice roi, fut chargé de défendre le royaume de
Naples à la tête de 3 000 hommes (dont 2 500 Suisses.).
Au
cours du mois de juin 1495, Charles VIII passa par Rome (d’où le pape
s’était enfui.), Sienne et Pise.
C’est à partir de ce moment là que les difficultés apparurent. En effet, le
passage vers le nord était situé entre la mer et les Apennins, où les
Italiens avaient implanté de nombreuses forteresses. Au même moment,
Maximilien envoyait de nouvelles troupes auprès de ces alliés, ces derniers
étant trois fois plus nombreux que les Français.
Finalement, le roi de France arriva près de Fournoue en juillet 1495.
Rattrapé par une armée coalisée comptant près de 35 000 hommes, les Français
ne purent échapper à la bataille.
La bataille de Fournoue, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
Les coalisés, attaquant l’avant-garde et l’arrière garde française
s’emparèrent alors des bagages français, qu’ils décidèrent de piller.
L’armée royale sut alors exploiter l’avidité de l’ennemi, parvenant à mettre
ce dernier en déroute.
La bataille de Fornoue, gravure issue de l'ouvrage
Histoire de France, par François GUIZOT, France, 1875.
Les coalisés se réfugièrent alors à Parme, et les Français décidèrent
de continuer leur chemin vers la France (ils décidèrent de ne pas assiéger
les coalisés, ces derniers étant en large supériorité numérique.).
Arrivé à Asti, à la tête d’une armée fatiguée par la faim et la syphilis,
Charles VIII dut alors se rendre au secours de Louis II d’Orléans, qui
s’était laissé enfermer dans Novare par les troupes de Ludovic Sforza.
Charles VIII signa alors la paix de Verceil en octobre 1495 avec le
duc de Milan. Louis II d’Orléans et ses hommes quittèrent alors Novare, mais
plus de 3 000 soldats moururent d’épuisement peu de temps après.
La
fin de l’année s’acheva de mauvaise manière pour Charles VIII. Non seulement
son armée devait abandonner le royaume de Naples sans avoir été vaincue ; en
outre le dauphin Charles Orland, à peine âgé d’un an, mourut en
décembre 1495 (un nouveau dauphin, Charles, naquit en septembre 1496,
mais ne vécut pas même un mois ; un autre, François, naquit en
juillet 1497 mais mourut au bout de quelques jours.).
Le dauphin Charles Orland,
Jean HEY, 1494, musée du Louvre, Paris.
c)
Derniers soubresauts français en Italie : pendant ce temps, Gilbert
de Montpensier luttait pour tenter de conserver le royaume de Naples.
Abandonnant Naples en février 1496, il perdit aussi Attela en juin. En
juillet, Ferdinand II fit son entrée dans la capitale, massacrant les
Français qui se trouvaient encore là.
En
octobre 1496, Gilbert de Montpensier mourut de la peste, et Tarente se
rendit au roi de Naples en février 1497.
Les Français restés dans le royaume de Naples attendirent longtemps une aide
de la part de Charles VIII, cependant, celle-ci n’arriva jamais. En effet,
le roi de France était rentré complètement désargenté de cette expédition en
Italie.
Ferdinand d’Aragon, qui était l’instigateur de cette révolte contre la
France, était vainqueur sur tous les tableaux : il avait récupéré la
Cerdagne et le Roussillon sans combattre ; avait chassé les Français de
Naples ; et maria sa fille Jeanne à Philippe le Beau, fils de
Maximilien.
En
février 1497, Charles VIII et Ferdinand s’entendirent pour une suspension
d’armes, qui fut transformée en véritable traité en novembre 1497.
A
cette date, le roi de Castille et le roi de France signent la trêve
d’Alcala de Henares, dans lequel Ferdinand s’engageait à aider Charles
VIII à reconquérir le royaume de Naples en échange de la Calabre.
4° Mort de Charles VIII – Bien que vaincu, Charles VIII
ne renonçait pas à l’idée de remettre la main sur le royaume de Naples.
Soutenu par Ferdinand, et les membres de la Ligue de Venise s’étant
déchirés, le roi de France commença à mettre en place de nouveaux plans de
conquête en début d’année 1498.
En
effet, il envoya de nombreuses ambassades auprès des princes italiens afin
de mener à bien son projet de conquête.
Cependant, les projets du roi de France firent long feu, ce dernier mourant
en avril 1498, après avoir heurté un linteau de pierre placé trop bas.
Ayant eu plusieurs enfants mais tous morts en bas âge, Charles VIII ne
laissait pas d’héritiers. En application de la loi salique, excluant les
femmes de la succession, ce fut donc le plus proche parent mâle de feu le
roi qui fut choisi comme successeur.
De
ce fait, ce fut Louis II d’Orléans, cousin de Charles VIII, qui monta sur le
trône, épousant Anne de Bretagne, et mettant fin à la dynastie des Valois.
Les obsèques de
Charles VIII eurent lieu à Saint Denis au mois de mai 1498.
[1]
Pour en savoir plus sur les vêpres siciliennes,
cliquez ici.
[2]
Pour plus de renseignements sur Louis XI et Jean II d’Aragon,
référez vous au 2, section II, chapitre cinquième, les Valois.
A noter que le Roussillon et la Cerdagne ne furent récupérées que
sous le règne de Louis XIV.
[3]
Pour plus de renseignements sur le traité d’Arras, voir le 4,
section II, chapitre cinquième, les Valois.
[4]
Ne pas confondre Ferdinand, roi de Naples, et Ferdinand, roi
d’Aragon.
[5]
A noter que Ludovic le More avait prit le contrôle du duché de
Milan, suite au décès mystérieux de son neveu Jean Galéas II
Sforza en octobre 1494.
[6]
A noter que Valentine Visconti, grand-mère de Louis II d’Orléans,
était la fille d’un duc de Milan.