1. Un nouveau genre de milice est né, dit-on, sur la
terre, dans le pays même que le Soleil levant est venu visiter du haut des
cieux, en sorte que là même où il a dispersé, de son bras puissant, les princes
des ténèbres, l’épée de cette brave milice en exterminera bientôt les
satellites, je veux dire les enfants de l’infidélité. Elle rachètera de nouveau
le peuple de Dieu et fera repousser à nos yeux la corne du salut, dans la maison
de David son fils (Luc I, passim). Oui, c’est une milice d’un nouveau genre,
inconnue aux siècles passés, destinée à combattre sans relâche un double combat
contre la chair et le sang, et contre les esprits de malice répandus dans les
airs. Il n’est pas assez rare de voir des hommes combattre un ennemi corporel
avec les seules forces du corps pour que je m’en étonne ; d’un autre côté, faire
la guerre au vice et au démon avec les seules forces de l’âme, ce n’est pas non
plus quelque chose d’aussi extraordinaire que louable, le monde est plein de
moines qui livrent ces combats ; mais ce qui, pour moi, est aussi admirable
qu’évidemment rare, c’est de voir les deux choses réunies, un même homme pendre
avec courage sa double épée à son côté et ceindre noblement ses flancs de son
double baudrier à la fois. Le soldat qui revêt en même temps son âme de la
cuirasse de la foi et son corps d’une cuirasse de fer, ne peut point ne pas être
intrépide et en sécurité parfaite ; car, sous sa double armure, il ne craint ni
homme ni diable. Loin de redouter la mort, il la désire. Que peut-il craindre,
en effet, soit qu’il vive, soit qu’il meure, puisque Jésus-Christ seul est sa
vie et que, pour lui, la mort est un gain ? Sa vie, il la vit avec confiance et
de bon cœur pour le Christ, mais ce qu’il préférerait, c’est d’être dégagé des
liens du corps et d’être avec le Christ ; voilà ce qui lui semble meilleur.
Marchez donc au combat, en pleine sécurité, et chargez les ennemis de la croix
de Jésus-Christ avec courage et intrépidité, puisque vous savez bien que ni la
mort, ni la vie ne pourront vous séparer de l’amour de Dieu qui est fondé sur
les complaisances qu’il prend en Jésus-Christ, et rappelez-vous ces paroles de
l’Apôtre, au milieu des périls : " Soit que nous vivions ou que nous mourions,
nous appartenons au Seigneur " (Rm XIV, 8). Quelle gloire pour ceux qui
reviennent victorieux du combat, mais quel bonheur pour ceux qui y trouvent le
martyre ! Réjouissez-vous, généreux athlètes, si vous survivez à votre victoire
dans le Seigneur, mais que votre joie et votre allégresse soient doubles si la
mort vous unit à lui : sans doute votre vie est utile et votre victoire
glorieuse ; mais c’est avec raison qu’on leur préfère une sainte mort ; car s’il
est vrai que ceux qui meurent dans le Seigneur sont bienheureux, combien plus
heureux encore sont ceux qui meurent pour le Seigneur ?
2. Il est bien certain que la mort des saints dans
leur lit ou sur un champ de bataille est précieuse aux yeux de Dieu, mais je la
trouve d’autant plus précieuse sur un champ de bataille qu’elle est en même
temps plus glorieuse. Quelle sécurité dans la vie qu’une conscience pure ! Oui,
quelle vie exempte de trouble que celle d’un homme qui attend la mort sans
crainte, qui l’appelle comme un bien, et la reçoit avec piété. Combien votre
milice est sainte et sûre, et combien exempte du double péril auquel sont
exposés ceux qui ne combattent pas pour Jésus-Christ ! En effet, toutes les fois
que vous marchez à l’ennemi, vous qui combattez dans les rangs de la milice
séculière, vous avez à craindre de tuer votre âme du même coup dont vous donnez
la mort à votre adversaire, ou de la recevoir de sa main, dans le corps et dans
l’âme en même temps. Ce n’est point par les résultats mais par les sentiments du
cœur qu’un chrétien juge du péril qu’il a couru dans une guerre ou de la
victoire qu’il y a remportée, car si la cause qu’il défend est bonne, l’issue de
la guerre, quelle qu’elle soit, ne saurait être mauvaise, de même que, en fin de
compte, la victoire ne saurait être bonne quand la cause de la guerre ne l’est
point et que l’intention de ceux qui la font n’est pas droite. Si vous avez
l’intention de donner la mort, et qu’il arrive que ce soit vous qui la receviez,
vous n’en êtes pas moins un homicide, même en mourant ; si, au contraire, vous
échappez à la mort, après avoir tué un ennemi que vous attaquiez avec la pensée
ou de le subjuguer ou de tirer quelque vengeance de lui, vous survivez sans
doute, mais vous êtes un homicide : or il n’est pas bon d’être homicide, qu’on
soit vainqueur ou vaincu, mort ou vif, c’est toujours une triste victoire que
celle où on ne triomphe de son semblable qu’en étant vaincu par le péché, et
c’est en vain qu’on se glorifie de la victoire qu’on a remportée sur un ennemi,
si on en a laissé remporter une aussi sur soi à la colère ou à l’orgueil. Il y a
des personnes qui ne tuent ni dans un esprit de vengeance ni pour se donner le
vain orgueil de la victoire, mais uniquement pour échapper eux-mêmes à la mort :
eh bien ! je ne puis dire que cette victoire soit bonne, attendu que la mort du
corps est moins terrible que celle de l’âme ; en effet celle-ci ne meurt point
du même coup qui tue le corps, mais elle est frappée à mort dès qu’elle est
coupable de péché.
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