3. Quels seront donc le fruit et l’issue, je ne dis pas de la
milice, mais de la malice, séculière, si celui qui tue pèche
mortellement et celui qui est tué périt éternellement ? Car, pour me
servir des propres paroles de l’Apôtre : " Celui qui laboure la terre
doit labourer dans l’espérance d’en tirer du fruit, et celui qui bat le
grain doit espérer d’en avoir sa part " (1 Co IX, 10). Combien étrange
n’est donc point votre erreur, ou plutôt quelle n’est pas votre
insupportable fureur, ô soldats du siècle, de faire la guerre avec tant
de peine et de frais, pour n’en être payés que par la mort ou par le
péché ? Vous chargez vos chevaux de housses de soie, vous recouvrez vos
cuirasses de je ne sais combien de morceaux d’étoffe qui retombent de
tous côtés ; vous peignez vos haches, vos boucliers et vos selles ;
vous prodiguez l’or, l’argent et les pierreries sur vos mors et vos
éperons, et vous volez à la mort, dans ce pompeux appareil, avec une
impudente et honteuse fureur. Sont-ce là les insignes de l’état
militaire ? Ne sont-ce pas plutôt des ornements qui conviennent à des
femmes ? Est-ce que, par hasard, le glaive de l’ennemi respecte l’or ?
Épargne-t-il les pierreries ? Ne saurait-il percer la soie ? Mais ne
savons-nous pas, par une expérience de tous les jours, que le soldat qui
marche au combat n’a besoin que de trois choses, d’être vif, exercé et
habile à parer les coups, alerte à la poursuite et prompt à frapper ? Or
on vous voit au contraire nourrir, comme des femmes, une masse de
cheveux qui vous offusquent la vue, vous envelopper dans de longues
chemises qui vous descendent jusqu’aux pieds et ensevelir vos mains
délicates et tendres sous des manches aussi larges que tombantes.
Ajoutez à tout cela quelque chose qui est bien fait pour effrayer la
conscience du soldat, je veux dire, le motif léger et frivole pour
lequel on a l’imprudence de s’engager dans une milice d’ailleurs si
pleine de dangers ; car il est bien certain que vos différends et vos
guerres ne naissent que de quelques mouvements irréfléchis de colère,
d’un vain amour de la gloire, ou du désir de quelque conquête terrestre.
Or on ne peut certainement pas tuer son semblable en sûreté de
conscience pour de semblables raisons.
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