[814]
Comme le seigneur empereur Charles passait l’hiver à Aix-la-Chapelle, il sortit
de cette vie terrestre dans la soixante et onzième année environ de son âge, la
quarante-septième de son règne, la quarante-troisième depuis la soumission de
l’Italie, et la quatorzième à dater du moment où il reçut les titres d’empereur
et d’Auguste. Plusieurs messagers portèrent la nouvelle de sa mort à son fils
Louis, à sa maison de campagne de Doué en Aquitaine, où il passait l’hiver. Ce
prince arriva à Aix-la-Chapelle, trente jours après cet événement, et succéda à
son père du consentement et de l’agrément unanime de tous les Francs. Consacrant
tous ses soins à l’administration du royaume qu’il venait de recevoir, il
entendit et renvoya les députations de divers peuples venues auprès de son père,
et donna de même audience à d’autres députations destinées à son père, mais qui
se rendirent près de lui. Entre ces dernières, la plus remarquable fut celle qui
amenait de Constantinople. L’empereur Léon, successeur de Michel, en congédiant
Amalhaire, évêque, et Pierre, abbé, qui, quoique adressés à Michel, remplirent
près de lui leur mission, les fit accompagner de ses ambassadeurs, Christophore,
officier de ses gardes, et Grégoire, diacre, chargés de porter au seigneur
Charles la copie et la ratification du traité d’alliance entre les deux nations.
Le seigneur Louis reçut ces envoyés, les congédia, et députa Norbert, évêque de
Reggio, et Rechwin, comte de Poitiers, à l’empereur Léon, à l’effet de
renouveler amitié avec lui, et de confirmer le traité dont il vient d’être
parlé. Après avoir ensuite tenu à Aix-la-Chapelle une assemblée générale de la
nation pour terminer les procès, et porter remède aux vexations dont souffrait
le peuple, il fit parcourir toutes les frontières du royaume par des
commissaires, combla de présents Bernard son neveu, qu’il avait appelé près de
lui, et le laissa libre de retourner dans ses États ; il conclut enfin et
sanctionna un traité avec Grimoald, duc des Bénéventins, aux mêmes conditions
que son père, c’est-à-dire, à la charge pour ceux-ci de payer chaque année un
tribut de sept mille sous d’or.
Ce fut alors
que deux de ses fils, Lothaire et Pépin reçurent de lui l’ordre de se rendre, le
premier en Bavière, et le second en Aquitaine. Vers le même temps, Hériold et
Rainfroi, princes danois, vaincus et chassés de leurs États l’année précédente
par les enfants de Godefroi, rassemblèrent de nouvelles forces et recommencèrent
la guerre ; Rainfroi et l’aîné des fils de Godefroi y périrent ; Hériold se
défiant alors du succès de ses affaires vint trouver l’empereur, et se remit
entre ses mains. Ce prince l’accueillit bien, et lui commanda d’aller en Saxe
attendre le moment où il pourrait utilement lui porter les secours qu’il
sollicitait.
[815]
Les Saxons et les Obotrites eurent de l’empereur l’ordre de se préparer à cette
expédition ; deux fois on tenta cet hiver le passage de l’Elbe ; mais la
température changea subitement, l’air s’adoucit et les glaces du fleuve se
rompirent ; il fallut donc renoncer à mettre à fin cette entreprise, et attendre
jusque vers le milieu de mai que, l’hiver étant terminé, le temps plus favorable
permit d’entrer en campagne. Alors tous les comtes Saxons et toutes les troupes
des Obotrites, se rendirent, conformément aux instructions de Louis, et sous la
conduite de Balderic son lieutenant, dans le pays des Normands, au lieu nommé
Sinleu, au-delà du fleuve de l’Eyder, pour secourir Hériold ; ensuite, quittant
cet endroit, ils posèrent enfin, et après sept jours de marche, leur camp sur le
rivage de l’Océan, et y demeurèrent trois jours ; mais comme les fils de
Godefroi, quoiqu’ils eussent rassemblé des troupes nombreuses et une flotte de
deux cents voiles, restaient enfermés dans une île séparée du continent par une
distance de trois milles, et n’osaient en venir aux mains, les nôtres ravagèrent
tous les bourgs des environs, reçurent des peuples de ce pays quarante et un
otages, et retournèrent en Saxe auprès de l’empereur.
Il tenait
alors à Paderborn une assemblée générale de la nation, où tous les grands et les
députés des Esclavons orientaux vinrent le trouver. Avant qu’il se rendit dans
cette ville, et lorsqu’il était encore dans sa résidence ordinaire, on lui
rapporta que quelques-uns des principaux d’entre les Romains avaient conspiré de
tuer le pape Léon dans Rome même, et qu’ensuite le pontife ayant eu révélation
de ce complot, avait fait égorger tous les chefs de cette faction ennemie.
Mécontent de cette affaire, Louis termina promptement celle des Esclavons et
d’Hériold, renvoya celui-ci en Saxe, et se rendit à son palais de Francfort. A
son arrivée, il chargea son neveu Bernard, roi d’Italie, qui l’avait accompagné
dans le pays des Saxons, d’aller à Rome prendre connaissance de ce qui s’était
passé.
A peine
Barnard fut-il arrivé dans cette ville, que la maladie le força de s’aliter ; il
manda cependant à l’empereur par le comte Gérold, envoyé avec lui à cet effet,
tout ce qu’il avait appris de cette affaire. Ce messager fut suivi de près par
l’évêque Jean Théodore, maître des cérémonies, et le duc Serge, députés du
pontife, qui satisfirent pleinement César sur toutes les accusations portées
contre leur maître.
Les envoyés
des Sardes vinrent alors de Cagliari, et apportèrent des présents. Vers ce temps
encore la paix faite avec Abulaz, prince des Sarrasins, fut, après trois ans,
rompue comme inutile, et l’on reprit les hostilités contre lui.
Cependant
l’évêque Norbert et le comte Richwin revinrent de Constantinople et rapportèrent
l’expédition du traité que leur avait remise l’empereur Léon, ils racontèrent,
entre autres choses, que, dans le mois d’août, un violent tremblement de terre,
qui dura cinq jours consécutifs, avait renversé beaucoup d’édifices de cette
ville et ruiné les habitants de plusieurs autres cités ; on dit même que, dans
les Gaules, Saintes, ville d’Aquitaine, en éprouva, en septembre, quelques
secousses, et que le fleuve du Rhin, grossi par les eaux des Alpes, se déborda
d’une manière extraordinaire.
A cette époque
les habitants des États romains, voyant le pape Léon prêt à succomber sous la
maladie, se réunissent en armes, pillent d’abord et détruisent ensuite par le
feu les maisons que ce pontife avait bâties récemment sur le territoire de
chacune des cités ; cela fait, ils arrêtent d’aller à Rome et de reprendre par
la force tout ce qu’ils se plaignaient qu’on leur eût enlevé. Le roi Bernard,
instruit de ce projet, envoie des troupes, sous la conduite de Winégise, duc de
Spolète, apaise la sédition, contraint les rebelles de se désister de leur
entreprise, et expédie des messagers chargés de rendre compte à l’empereur de ce
qu’il avait fait.
[816]
Cependant les Esclavons Sorabes se montraient peu soumis ; quand l’hiver fut
passé, les Saxons et les Francs orientaux reçurent donc l’ordre de marcher
contre eux, l’exécutèrent avec courage et réprimèrent, sans grande fatigue,
l’audace des rebelles. Lorsqu’en effet on eut pris une seule ville, tout ce qui,
dans cette nation, montrait du penchant à la révolte, promit de se soumettre et
se tint tranquille.
D’un autre
côté les Gascons, qui habitent au-delà de la Garonne et au pied des Pyrénées,
mécontents d’être privés de leur duc, nommé Siegwin, que l’empereur leur avait
enlevé à cause de sa trop grande insolence et de la dépravation de son
caractère, poussés par leur légèreté accoutumée, formèrent une conjuration et
s’abandonnèrent à tous les excès de la rébellion. Mais deux campagnes les
réduisirent si bien qu’il leur tardait de se soumettre et d’obtenir la paix.
Cependant le
seigneur pape Léon sortit de ce monde dans la vingt-et-unième année de son
pontificat, vers le 25 du mois de mai.
Le diacre Étienne fut élu et ordonné à sa place ; deux mois ne s’étaient pas
encore écoulés depuis sa consécration qu’il s’efforça de se rendre, à aussi
grandes journées qu’il le put, auprès de l’empereur auquel il avait cependant
envoyé déjà deux légats pour le prévenir de son élévation à la papauté. Dès que
Louis fut informé de son arrivée, il résolut de venir le recevoir à Reims,
envoya des gens chargés de l’y conduire, alla de sa personne au-devant de lui,
et l’accueillit avec les plus grands honneurs. Le pontife se hâta de dire à
l’empereur quelques mots sur le motif de son voyage, célébra la messe avec toute
la solennité accoutumée, et couronna ce prince en lui mettant le diadème sur la
tête. Après avoir l’un et l’autre échangé de nombreux présents, prodigué des
festins magnifiques, cimenté leur amitié par les liens les plus forts, et pris
les mesures que permettait l’opportunité des circonstances pour l’avantage
ultérieur de la sainte Église de Dieu, ils retournèrent, le pape à Rome, et
l’empereur à son palais de Compiègne.
Pendant le
séjour qu’il y fit, ce monarque y reçut les députés des Obotrites et ceux que
lui adressa d’Espagne Abdérame, fils du prince Abulaz. Après s’être arrêté dans
ce lieu vingt jours entiers et même plus, Louis se rendit à Aix-la-Chapelle pour
y passer l’hiver.
[817]
Les ambassadeurs envoyés de Saragosse par Abdérame, fils d’Abulaz, prince des
Sarrasins, étaient venus pour demander la paix. Louis leur donna d’abord
audience à Compiègne, puis leur enjoignit de le devancer à Aix-la-Chapelle. A
son arrivée dans cette ville, il y trouva Nicéphore que lui députait Léon,
empereur de Constantinople, relativement à quelques difficultés avec les
Dalmates, et lui ordonna d’attendre Cadolach, chargé de la garde des frontières
de cette contrée, qui n’était pas présent et qu’on croyait devoir venir sous
peu. Dès que celui-ci fut arrivé, la discussion des plaintes, portées par
l’envoyé de l’empereur s’établit entre eux ; mais, comme la question intéressait
plusieurs peuples et spécialement les Romains et les Esclavons, on remit à la
décider sur les lieux mêmes, et Albigaire, neveu d’Unroch, fut envoyé à cet
effet avec Cadolach et le député grec dont on a parlé.
Quant aux
ambassadeurs d’Abdérame, après avoir été retenus pendant trois mois, et quand
déjà ils commençaient à désespérer de pouvoir s’en aller, ils obtinrent enfin la
permission de partir.
Les fils de
Godefroi, roi des Danois, tourmentés par les ravages continuels qu’Hériold
exerçait dans leur pays, envoyèrent à l’empereur une députation pour demander la
paix et jurer de l’observer fidèlement mais ces protestations parurent plus
feintes que sincères ; on les négligea donc, comme choses vaines, et on soutint
Hériold contre eux.
Le 5 février,
il y ce une éclipse de lune vers la seconde heure de la nuit, et une comète
parut dans le signe du Sagittaire vers le 5 janvier précédent. Le pape Étienne
mourut avant la fin du troisième mois qui suivit son retour à Rome. On élut pour
son successeur Paschal, qui, après avoir été solennellement consacré, envoya des
présents à l’empereur, avec une lettre d’excuse, dans laquelle il l’assurait que
le pontificat lui avait été imposé non seulement contre son vœu, mais encore
malgré ses refus réitérés. Ne s’en tenant pas là, il fit partir une ambassade
pour solliciter le renouvellement et la confirmation du traité conclu avec ses
prédécesseurs. Théodore, son maître des cérémonies, chargé de cette mission,
obtint ce qu’il demandait. Le cinquième jour de la Semaine Sainte, auquel jour
de la fête se célèbre la cène du Seigneur, comme Louis, revenant de l’église
après l’office, passait sous un portique en bois construit avec des matériaux
peu solides, les poutres qui supportaient la charpente et le plafond, et qui,
déjà pourries et vermoulues, ne pouvaient soutenir le moindre poids,
s’écroulèrent tout à coup sur l’empereur et plus de vingt personnes qui
l’accompagnaient, et les jetèrent par terre. La chute de ces poutres blessa
grièvement plusieurs de ceux qu’elle renversa ; quant au roi, il n’eut d’autre
mal qu’une contusion que lui fit aux dernières côtes du côté gauche la garde de
son épée, une légère blessure derrière l’oreille droite, et une meurtrissure à
la cuisse droite, auprès de l’aine, produite par quelque éclat d’un lourd
morceau de bois ; mais il fut promptement rétabli par le secours des médecins
qui s’empressèrent de lui donner des soins. Le vingtième jour, en effet, après
cet accident, il se rendit à Nimègue, et put s’y livrer à l’exercice de la
chasse. De retour à Aix-la-Chapelle, il y tint, comme de coutume, une assemblée
générale de la nation, y couronna Lothaire, le premier né de ses fils, et
l’associa au titre et à la puissance d’empereur. Quant à ses autres fils qu’on
appelait seulement rois, il préposa l’un au gouvernement de l’Aquitaine, et
l’autre à celui de la Bavière. Cette assemblée terminée, comme il allait chasser
dans les forêts des Vosges, il rencontra des députés de l’empereur Léon, et leur
donna audience dans son palais d’Ingelheim, près de Mayence ; mais,
reconnaissant que leur mission n’était autre que celle dont avait été tout
récemment chargé près de lui Nicéphore, envoyé du même souverain, il les
congédia promptement, et poursuivit sa route.
Ayant appris
vers cette époque la rébellion des Obotrites et de Sclaomir, il en instruisit
par un messager les comtes qui résidaient habituellement dans des forts auprès
de l’Elbe, pour mettre à l’abri de toute attaque les frontières confiées à leur
garde. La cause de cette révolte était l’ordre donné à Sclaomir, qui jusqu’alors
avait exercé seul l’autorité royale sur les Obotrites depuis la mort de
Thrasicon, de la partager avec Ceadrag, fils de celui-ci. Cette injonction avait
tellement irrité Scluomir, qu’il jura dès ce moment de ne jamais passer le
fleuve de l’Elbe pour se rendre au palais de l’empereur, et députa sur-le-champ
au-delà de la mer, vers les fils de Godefroi, afin de contracter alliance avec
eux. Il obtint de ces princes d’envoyer une armée au-delà de l’Elbe : leur
flotte, en effet, remonta ce fleuve jusqu’au château d’Esselfeld, et dévasta
toute la rive de la Sture, pendant que Gluom, préposé à la garde de la frontière
contre les Normands, conduisait des corps d’infanterie, et se rendait par terre,
en même temps que les Obotrites, au pied de ce même château ; les nôtres leur
ayant opposé une courageuse résistance, ils abandonnèrent le siège de ce fort,
et se retirèrent.
Pendant que
ces choses se passaient, l’empereur, après avoir terminé sa chasse, était
retourné à Aix-la-Chapelle ; on lui apprit là que son neveu Bernard, roi
d’Italie, poussé par les conseils de quelques hommes pervers, et affectant la
tyrannie, avait fortifié tous les passages, ou cluses, par lesquels on peut
entrer en Italie, et entraîné toutes les cités de ce pays à lui prêter serment
de fidélité. De ce rapport une partie était vraie et l’autre fausse. Comme
cependant, pour comprimer ces mouvements de révolte, l’empereur avait rassemblé
en grande hâte, de tous les points de la Gaule et de la Germanie, une immense
armée et s’avançait à marches forcées vers l’Italie, Bernard, inquiet de l’état
de ses affaires, depuis surtout qu’il se voyait chaque jour abandonné par les
siens, posa les armes et vint à Châlons-sur-Saône, se remettre entre les mains
de son oncle. Tous ses partisans suivirent son exemple, et non seulement mirent
bas les armes et se rendirent à discrétion, mais encore déclarèrent
volontairement et à la première question qu’on leur fit, comment les choses
s’étaient passées. Les chefs de cette entreprise criminelle furent Eggidéon le
premier d’entre tous les amis du roi, Reginbard camérier de ce prince,
Reginhaire fils du comte Meginhaire, dont l’oncle maternel Hardrad avait
autrefois ourdi en Germanie, avec un grand nombre de nobles de cette contrée,
une conspiration contre l’empereur Charles. Beaucoup d’autres personnages
illustres et d’un haut rang trempèrent en outre dans ce crime, et parmi eux
étaient quelques prélats, tels qu’Anselme évêque de Milan, Wolfold de Crémone,
et Théodulfe d’Orléans.
[818]
L’empereur ayant éclairci cette oeuvre de ténèbres, mis au grand jour la
conspiration et réduit tous les séditieux en sa puissance, reprit la route
d’Aix-la-Chapelle. Quand le temps de jeûne du carême fut fini, et peu de jours
après la Pâque, Louis ordonna que les chefs de la conjuration qu’on a nommés
plus haut, et le roi Bernard, tous condamnés à la peine capitale par le jugement
des Francs, fassent seulement privés de la vue ; il confina dans des monastères
les évêques, préalablement déposés par un décret svnodal, et quant aux autres il
les exila ou les fit tondre et enfermer dans des couvents, selon qu’ils parurent
plus ou moins coupables. Ces choses ainsi réglées il marcha de sa personne en
Bretagne avec une armée considérable, et tint à Pannes l’assemblée générale de
la nation. Entrant ensuite dans la province dont il vient d’être parlé, il prit
toutes les places fortes des rebelles, et se rendit bientôt maître, sans
beaucoup de fatigues, du pays entier. Après, en effet, que Morman qui s’y était
arrogé l’autorité royale au mépris de l’usage constant des Bretons, eut été tué
par les troupes de l’empereur, il ne se trouva plus un seul Breton qui résistât,
ou qui refusât soit d’obéir aux ordres qu’il recevait, soit de fournir les
otages qu’on exigeait de lui. Cette expédition achevée, l’empereur, après avoir
congédié son armée, retourna dans la cité d’Angers ; la reine Hermengarde sa
femme, qu’en quittant cette ville il y avait laissée malade, et dont l’état
s’était toujours empiré, mourut là, le 3 octobre et deux jours après que son
mari fut venu la rejoindre. Le 8 juillet il y eut une éclipse de soleil.
L’empereur revint par Rouen, Amiens et Cambrai, passer l’hiver à
Aix-la-Chapelle ; comme il arrivait à Herstall, il rencontra des députés de
Siggon duc de Bénévent, qui apportaient des présents, et venaient excuser leur
maître sur la mort du duc Grimoald son prédécesseur. Là étaient aussi les
envoyés d’autres nations, et particulièrement ceux des Obotrites et de Borna duc
des Guduscans et des Timotians,
qui ayant rompu récemment toute société avec les Bulgares, s’étaient portés sur
nos frontières ; là se trouvèrent encore les députés de Liudewit, duc de la
Pannonie inférieure, qui machinant de nouvelles entreprises, s’efforçait
d’accuser d’insolence et de cruauté le comte Cadolach, préfet des Marches du
Frioul. L’empereur, après avoir entendu et congédié toutes ces députations, se
rendit à Aix-la-Chapelle pour y séjourner pendant l’hiver.
[819]
Cette année on envoya l’armée des Saxons et des Francs orientaux au-delà de
l’Elbe punir la perfidie de Sclaomir, roi des Obotrites ; lui-même fut amené à
Aix-la-Chapelle par les préfets des frontières de Saxe et les lieutenants de
l’empereur qui commandaient les troupes ; les principaux d’entre son peuple, qui
avaient eu ordre de le suivre, l’accusaient d’une foule de crimes ; lui ne
pouvant opposer une raisonnable défense aux reproches qu’on lui faisait, il fut
donc condamné à l’exil et dépouillé de son royaume en faveur de Céadrag, fils de
Thrasicon. Il en arriva autant à Loup, duc de Gascogne, qui livra, cette même
année, à Bérenger, comte de Toulouse, et à Warin, comte d’Auvergne, une bataille
dans laquelle il perdit son frère Garuhand, homme d’une remarquable folie, et où
il aurait infailliblement péri lui-même s’il n’eût cherché son salut dans la
fuite. Ayant comparu devant l’empereur, et ne pouvant se justifier de la
perfidie dont le taxaient les susdits comtes, il fut exilé pour un certain
temps. L’assemblée d’Aix-la-Chapelle se tint après la fête de Noël ; on y
discuta et arrêta plusieurs dispositions relatives à l’état des églises et des
monastères ; on ajouta aux lois et fixa par écrit quelques capitulaires
indispensables et qui manquaient. Cette réunion terminée, l’empereur, s’étant
fait présenter beaucoup de filles des premières familles, choisit pour femme
Judith, fille du comte Guelfe, de Bavière. Il tint ensuite dans le mois de
juillet, à son palais d’Ingelheim, une autre assemblée de la nation, et envoya
une armée d’Italie en Pannonie pour punir la rébellion de Liudewit ; nos troupes
obtinrent peu de succès et revinrent sans avoir presque rien fait. Liudenit,
alors enflé d’orgueil, députa vers l’empereur, sous couleur de demander la paix,
et fit proposer certaines conditions avec promesse de rentrer dans le devoir si
on les lui accordait ; elles furent rejetées ; mais dans le temps même qu’il
chargeait les envoyés d’en offrir de nouvelles, jugeant qu’il lui serait plus
avantageux de persister dans la perfidie où il s’était engagé, il expédia de
tous côtés des messagers et ne négligea rien pour entraîner les nations voisines
à la guerre. Il parvint si bien à détourner les Timotians, qui avaient rompu
toute société avec les Bulgares, de se rendre auprès de l’empereur et de se
remettre en sa puissance, et les abusa si complètement par des espérances
illusoires, qu’abandonnant leur premier dessein, ils devinrent les complices et
les auxiliaires de sa révolte. Cependant, après que notre armée eut quitté la
Pannonie, Cadolach, duc de Frioul, fut saisi de la fièvre et mourut sur le
territoire même de ses marches. Balderie, qu’on lui donna pour successeur, était
à peine entré dans le pays des Carinthiens compris dans son commandement, qu’il
se trouva en face de l’armée de Liudewit ; quoiqu’il n’eût qu’une poignée de
monde, il l’attaqua dans sa marche auprès de la Drave, lui tua beaucoup de
monde, le contraignit de prendre une autre route, et lui fit évacuer cette
contrée. Mais dans le même temps, Borna, duc de Dalmatie, avant, à la tête de
nombreuses troupes, tenté d’arrêter sur les bords de la Kulpe Liudewit qui
s’avançait contre lui, fut, au premier choc, abandonné des Guduscans ; protégé
cependant par les efforts de ses gardes, il parvint à s’échapper. Dans le combat
périt Dragomose, beau-père de Liudewit, qui avait rompu avec son gendre dès le
commencement de sa révolte et s’était uni à Borna. Celui-ci soumit de nouveau
les Guduscans rentrés dans leurs foyers ; mais Liudewit, profitant d’une
occasion favorable, entra en Dalmatie, dans le mois de décembre, avec un fort
corps de troupes et ravagea tout par le fer et le feu ; alors Borna, qui se
voyait hors d’état de tenir la campagne contre lui, enferme dans ses châteaux
forts tout ce qu’il possède, puis,avec un corps d’élite, se porte tantôt sur les
derrières, tantôt sur les flancs de l’armée de Liudewit ; l’attaque de jour, de
nuit, partout où il peut, ne souffre pas qu’elle parcourre impunément son pays,
la force enfin de le quitter après lui avoir fait éprouver de grandes pertes,
tué trois mille hommes, pris plus de trois cents chevaux, enlevé ses bagages et
toute sorte de butin, et envoie des messagers rendre compte à l’empereur de la
manière dont les choses s’étaient passées.
Dans le même
temps et du côté de l’occident, Pépin, l’un des fils de Louis, entra en
Gascogne, par l’ordre de son père, à la tête d’une armée, enleva tous les
séditieux de cette province, et la pacifia si complètement qu’il paraissait n’y
être demeuré aucun individu rebelle ou même désobéissant. Alors aussi Hériold,
que les Obotrites avaient reconduit jusqu’à ses vaisseaux d’après les
instructions de l’empereur, gagna par mer sa patrie ; dans l’espoir d’en occuper
le trône ; mais on dit qu’on lui associa, pour régner conjointement avec lui,
deux des fils de Godefroi, et qu’on chassa du pays les deux autres : ceci fut,
au reste, regardé comme l’œuvre de la ruse.
L’empereur,
avant congédié l’assemblée de la nation, alla d’abord à Creutznach, puis à
Bingen et navigua heureusement sur le Rhin jusqu’à Coblentz ; de là il se rendit
dans les Ardennes pour prendre l’exercice de la chasse, et après s’y être livré,
suivant sa coutume, avec une suite nombreuse, il retourna passer l’hiver à
Aix-la-Chapelle.
[820]
Au mois de janvier il se tint dans cette même ville une assemblée générale de la
nation ; on y traita de la rébellion et de Liudewit ; on y arrêta de faire
marcher tout à la fois trois armées de trois côtés différents pour dévaster son
pays et réprimer son audace ; et Borna envoya d’abord des députés, puis vint
lui-même suggérer ce qu’il lui paraissait utile de faire à cet égard. Pendant
cette même assemblée, Bera, comte de Barcelone, que ses voisins taxaient depuis
longtemps de fraude et d’infidélité, combattit à cheval son accusateur, et fut
vaincu. Lorsque ensuite on l’eut jugé coupable de lèse-majesté, et condamné à la
peine capitale, la miséricorde de l’empereur lui fit grâce de la vie et l’exila
à Rouen.
Dès que
l’hiver fut passé, et que l’herbe put fournir à la pâture des chevaux, les trois
armées destinées à combattre Liudewit, partirent ; l’une entra chez lui par
l’Italie et les Alpes Noriques, l’autre par le pays des Carinthiens, et la
troisième par la Bavière et la Pannonie supérieure. Deux de ces armées, celle de
droite et celle de gauche, ne pénétrèrent que tard chez l’ennemi ; l’une eut à
disputer, contre une poignée d’hommes déterminés, le passage des Alpes ; l’autre
fut retardée par la longueur du chemin et par la Drave qu’il lui fallut passer ;
mais la troisième, qui venait par la Carinthie, plus heureuse quoiqu’elle
rencontrât de la résistance sur trois points, battit l’ennemi trois fois,
traversa la Drave, et arriva, plus tôt à sa destination. Liudewit, qui n’avait
fait aucune disposition contre de si grands préparatifs, se tint renfermé lui et
les siens dans les murailles d’un château fort qu’il avait élevé sur une
montagne escarpée, et l’on assure que ni par lui-même, ni par députés, il
n’entama aucun pourparler ni sur la guerre ni sur la paix. Cependant les trois
armées opérèrent leur jonction, ravagèrent presque tout le pays par le fer et le
feu, et rentrèrent chez elles sans avoir éprouvé aucun échec considérable. Celle
pourtant qui revint par la Pannonie supérieure, souffrit beaucoup de la
dysenterie au passage de la Drave, par suite de l’insalubrité des eaux et des
lieux, et perdit de cette maladie une bonne partie de son monde. Ces trois
armées, au surplus, avaient été levées dans la Saxe, la France orientale,
l’Allemagne, la Bavière et l’Italie. Quand elles eurent regagné leurs foyers,
ceux de la Carniole, qui habitent les bords de la Save et touchent presque au
Frioul, se soumirent à Balderie, et une portion des Carinthiens, qui nous
avaient abandonnés pour suivre le parti de Liudewit, s’empressa d’imiter cet
exemple.
Vers ce même
temps, le traité juré entre nous et Abulaz, roi des Sarrasins, fut rompu de
dessein prémédité, comme n’étant assez avantageux à aucune des parties, et on
entreprit la guerre contre ce prince.
Pendant que
ces choses se passaient, des pirates prirent et submergèrent, dans la mer
d’Italie, huit vaisseaux marchands qui revenaient de Sardaigne en Italie. Mais
treize corsaires sortis de la Normandie, et qui tentèrent d’abord de piller le
littoral de la Flandre, furent repoussés par les garnisons ; toutefois, et par
l’incurie des gardes, ils brûlèrent sur ce point quelques misérables chaumières,
et enlevèrent un peu de menu bétail. Avant ensuite essayé d’en faire de même à
l’embouchure de la Seine, ils essuyèrent une vigoureuse résistance de la part
des gardes du rivage, eurent cinq des leurs tués, et se retirèrent sans avoir
réussi ; plus heureux enfin sur les côtes de l’Aquitaine, ils dévastèrent
entièrement un certain bourg nommé Buin, et regagnèrent leur patrie chargés d’un
immense butin.
Cette année,
les pluies continuelles et la trop grande humidité qui ramollit l’air, causèrent
de grandes maladies ; en effet, la contagion qui enlevait les hommes et les
bêtes à cornes étendit si cruellement et si au loin ses ravager, qu’à peine
aurait-on pu trouver dans tout le royaume des Francs un seul coin que ce fléau
eût laissé intact et exempt de malheur. D’un autre côté, les grains et les
légumes, gâtés par l’abondance continue des pluies, ne purent être récoltés ou
se pourrirent après l’avoir été. Le vin même, dont on ne fit que très peu cette
même année, fut aigre et plat, faute de chaleur. Dans quelques endroits, enfin,
les eaux dont les fleuves débordés avaient couvert la terre, y séjournèrent si
longtemps et empêchèrent tellement les semailles d’automne, qu’on ne put
absolument confier à la terre aucun de ses fruits avant l’époque du printemps.
Il y eut une éclipse de lune le 24 novembre, à la seconde heure de la nuit.
L’empereur après avoir tenu à Quiersy l’assemblée de la nation, et fait, suivant
la coutume, les grandes chasses d’automne, revint à Aix-la-Chapelle.
[821]
L’assemblée générale eut lieu dans cette ville au mois de février ; elle
s’occupa de la guerre contre Liudewit, et décréta que trois armées iraient
encore l’été suivant dévaster tour à tour les terres de ce perfide. Les mêmes
mesures furent prises relativement aux Marches d’Espagne, et les mêmes ordres
donnés aux préfets de cette frontière ; on arrêta de plus qu’une seconde
assemblée se réunirait au mois de mai à Nimègue, et l’on désigna les comtes qui
devraient s’y rendre. Le seigneur empereur se rendit dans cette ville, en
s’embarquant sur la Meuse, après la célébration des fêtes de Pâques : là, il
examina de nouveau le partage du royaume entre ses fils, fait et enregistré les
années précédentes, et voulut que les grands alors présents le garantissent par
leurs serments ; là encore, il reçut Pierre, évêque de Civita-Vecchia, et Léon
maître des cérémonies, députés du pontife romain Paschal, et les congédia
promptement. Après avoir ensuite désigné ceux des comtes présents qu’il chargea
de l’expédition de la Germanie, et n’être demeuré que fort peu de temps à
Nimègue, il reprit le chemin d’Aix-la-Chapelle. Quelques jours après son arrivée
dans cette ville, il se rendit à Trèves et à Metz, en traversant les Ardennes ;
de là gagnant le château de Remiremont, il passa le reste des chaleurs de l’été,
et la moitié de l’automne, à prendre l’exercice de la chasse, dans les lieux les
plus retirés des forêts des Vosges.
Cependant
Borna, duc de Dalmatie et de Croatie, étant mort, son neveu, nommé Ladasclav
[Ladislas], lui succéda sur la demande du peuple et du consentement de
l’empereur. Il se répandit, vers ce même temps, relativement à la mort de Léon,
empereur de Constantinople, qu’il avait été tué dans son propre palais, victime
d’une conspiration des grands de sa cour, et particulièrement de Michel comte
des domestiques, qu’on disait ceint du bandeau impérial par le suffrage des
citoyens et le dévouement des gardes prétoriennes. Alors encore Fortunat,
patriarche de Grado, accusé pros de l’empereur par un prêtre de son église,
nommé Tibère, d’avoir exhorté Liudewit à persévérer dans la révolte où il
s’était engagé, et de l’avoir aidé à fortifier ses châteaux, en lui fournissant
des maçons et d’autres ouvriers, reçut ordre de venir au palais. Faisant d’abord
mine d’obéir, il partit pour l’Istrie, feignit ensuite de retourner à Grado, et
sans qu’aucun des siens, excepté ceux avec lesquels il avait concerté son
projet, en eût le moindre soupçon, saisit un moment favorable et s’embarqua
secrètement ; arrivé à Jadère, cité de Dalmatie, il découvrit la cause de sa
fuite à Jean, préfet de sa province, qui lui donna place dans un vaisseau, et le
fit passer sur-le-champ à Constantinople.
Dans le milieu
du mois d’octobre se tint à Thionville une assemblée générale, où accourut en
foule la nation des Francs ; Lothaire, le premier né de l’empereur, y épousa
solennellement, suivant l’ancienne coutume, Hermengarde, fille du comte Hugues ;
Théodore primicier et Florus, envoyés du pontife romain, y vinrent aussi chargés
de riches présents ; on vit encore dans cette même assemblée les comtes revenus
de Pannonie, qui, après avoir ravagé tout le pays des rebelles et des adhérents
de Liudewit, et ne trouvant aucun ennemi qui se présentât pour combattre,
rentrèrent dans leurs foyers. Là, enfin, brilla dans tout son éclat la
singulière clémence du pieux empereur envers ceux qui, avec son neveu Bernard
avaient conspiré en Italie pour lui ravir sa couronne et le jour. Les ayant fait
comparaître en sa présence, non seulement il leur fit grâce de la vie, et de la
perte des membres ; mais encore il leur restitua par un excès de libéralité,
leurs possessions confisquées, par jugement de la loi, au profit du fisc ; il
rappela aussi Adalhard d’Aquitaine, on il l’avait exilé, le rétablit supérieur
et abbé du monastère de Corbie, comme il l’était précédemment, et renvoya avec
lui dans le même monastère Bernard, son frère, admis au pardon. Ayant ainsi
terminé toutes les choses entreprises pour l’avantage du royaume, et fait
confirmer par tous les grands le serment qu’une partie seulement d’entre eux
avaient prêté à Nimègue, ce prince revint à Aix-la-Chapelle, et, après avoir
célébré les nones de son fils Lothaire, avec la pompe accoutumée, il l’envoya
passer l’hiver à Worms.
Cette année,
tout fut tranquille du côté des Danois. Les fils de Godefroi avaient admis
Hériold au partage du royaume, et l’on attribue à cet arrangement la paix qui
régnait alors entre eux ; mais, comme on soupçonnait Céadrag, prince des
Obotrites, de trahison, et d’avoir contracté quelque alliance avec les fils de
Godefroi, Sclaomir, son rival, eut permission de retourner dans sa patrie. A
peine était-il arrivé en Saxe qu’il tomba malade, reçut le sacrement du baptême
et mourut.
Cette année
encore, la continuité des pluies empêcha dans plusieurs endroits les semailles
d’automne. A ces pluies succéda un hiver si long et si âpre que non seulement
les petits ruisseaux et les rivières peu considérables, mais encore les plus
grands et les plus célèbres fleuves, tels que le Rhin, le Danube, l’Elbe, la
Seine, et tous ceux qui vont, à travers la Gaule et la Germanie, se décharger
dans l’Océan, se couvrirent d’une glace tellement solide que, pendant plus de
trente jours, ils portèrent les chariots de transport d’une rive à l’autre,
comme si des ponts les eussent réunies ; ensuite la fonte de cette glace ne
causa pas de médiocres dommages aux métairies bâties sur les bords du Rhin.
[822]
Dans le pays des Thuringiens, en un certain lieu près d’un fleuve, un tertre de
gazon de cinquante pieds en longueur sur quatorze de largeur et un demi pied de
hauteur, fut coupé et enlevé de terre sans travail de la main des hommes, et
trouvé à vingt-cinq pieds de l’endroit d’où il avait été arraché. De même, dans
la partie orientale de la Saxe qui touche aux frontières des Sorabes, en un
certain lieu désert, prés du lac qu’on nomme Arnsee, le sol se souleva en forme
de terrasse, et, dans l’espace d’une seule nuit, sans le concours d’aucun
travail humain, éleva, sur une longueur d’une lieue, un boulevard qui présentait
l’aspect d’un véritable rempart.
Cette année,
Winégise, duc de Spolète, appesanti déjà par la vieillesse, quitta l’habit
séculier, et s’asservit à la vie monastique ; mais peu de temps après il mourut
accablé par les infirmités, et Suppon, comte de Brescia, fut mis en sa place.
Vers ce temps, le seigneur empereur ayant réuni un conseil composé des évoques
et des grands de ses États, fut pardonné par ses frères qu’il avait fait raser
contre leur vœu, et fit publiquement confession et pénitence tant pour ce fait
que pour les actes de sévérité exercés contre Bernard, fils de son frère Pépin,
ainsi que contre l’abbé Adalilard et son fière Wala. Ces mortifications, il s’y
soumit de nouveau en présence de tout son peuple dans l’assemblée générale de la
nation, qu’il tint cette même année, dans le mois d’août, à Attigny, et apporta
le soin le plus pieux à réparer tout ce qu’il put découvrir d’actions semblables
commises par son père ou par lui.
On avait
cependant envoyé une armée d’Italie en Pannonie, afin de terminer la guerre
contre Liudewit. A l’approche de ces troupes, celui-ci, abandonnant sa cité de
Siscia, s’enfuit chez les Sorabes, nation qu’on dit maîtresse d’une grande
partie de la Dalmatie, fit périr par trahison un de leurs ducs qui l’avait
accueilli, et réduisit en sa puissance le territoire où celui-ci commandait.
Toutefois il fit partir des députés pour l’armée de l’empereur, et se dit dans
l’intention de comparaître par-devant ce prince. Cependant les Saxons
construisirent, par les ordres de Louis, un fort au-delà de l’Elbe et dans un
lieu nommé Delbend, dont ils avaient chassé les Esclavons qui l’occupaient
auparavant ; et, pour s’opposer aux incursions de ce peuple, on y mit une
garnison saxonne. D’un autre côté, les comtes des Marches d’Espagne pénétrèrent
dans ce royaume au-delà de la Sègre, dévastèrent les campagnes, brûlèrent un
grand nombre de métairies, et revinrent chargés d’un butin considérable ; de
même les comtes des Marches de Bretagne, après l’équinoxe d’automne, se jetèrent
sur les possessions d’un certain breton nommé Wihomarch, qui restait encore en
état de rébellion, et ravagèrent tout par la flamme et le fer. L’empereur, ayant
clos alors l’assemblée d’Attigny, alla chasser dans les Ardennes, et envoya son
fils Lothaire en Italie ; il le fit accomgagner du moine Wala, son parent, comme
frère de l’abbé Adalhard, et de Gérung, chef des portiers du palais, afin qu’il
se gouvernât par leurs conseils dans l’administration tant de sa maison que des
affaires relatives aux intérêts de son royaume. Quant à Pépin, son père lui
enjoignit de se rendre en Aquitaine ; mais auparavant il le maria à la fille de
Théodebert, comte de Mâcon, et le fit partir après ses noces pour les contrées
de l’ouest. Pour lui, lorsqu’il eut fini la chasse d’automne, il alla passer
l’hiver à Francfort, au-delà du Rhin ; et là, dans une assemblée générale de la
nation, il s’occupa, conformément à l’antique usage, de régler, avec les grands
qu’il avait convoqués à cet effet, tout ce qui importait à la sûreté des
frontières orientales de son royaume. Ce fut dans cette même assemblée qu’il
reçut les députations et les présents que lui envoyèrent les Esclavons
orientaux, c’est-à-dire, les Obotrites, les Sorabes, les Wiltzes, les Bohémiens,
les Marvaniens, les Prédénécentins et les Avares, habitants de la Pannonie. Des
ambassades venues de Normandie, au nom tant d’Hériold que des fils de Godefroi,
se rendirent également à cette assemblée. Après les avoir entendues et
congédiées toutes, Louis séjourna l’hiver dans cette même ville de Francfort, où
il avait fait construire, ainsi qu’il se l’était proposé, de nouveaux bâtiments
nécessaires pour tenir sa cour.
[823]
Une autre assemblée se réunit au même lieu dans le mois de mai. On n’y appela
pas les grands de toute la France ; ceux de la France orientale, de la Saxe, de
l’Allemagne, de la Bourgogne contiguë à l’Allemagne, et des contrées qui
avoisinent le Rhin, eurent seuls l’ordre de s’y rendre. Parmi les autres
députations des nations barbares qui s’y présentèrent, soit de leur propre
mouvement, soit en vertu d’injonctions qui leur avaient été faites, parurent
deux frères, tous deux rois des Wiltzes, en discussion pour l’empire ; ils
s’appelaient Méligast et Céléadrag, et tous deux étaient fils de Liub, roi des
Wiltzes, qui, quoiqu’il eût partagé le royaume avec ses frères, exerçait
toutefois en qualité d’aîné la suprême autorité sur tout le pays. ll avait été
tué dans un combat contre les Obotrites, et les Wiltzes s’étaient donné pour roi
Méligast son fils aîné ; mais, comme il usait peu dignement de l’autorité que la
nation lui avait confiée, conformément à ses anciens usages, on le rejeta et
l’on transporta à son frère les honneurs de la royauté. Cette affaire amena les
deux frères devant l’empereur. Dès que ce prince les eut entendus, et se fut
assuré que les vœux de la nation penchaient davantage en faveur du plus jeune,
il décida que celui-ci jouirait de la puissance que lui avait conférée le
peuple, et les renvoya cependant tous deux comblés de présents et liés à
l’obéissance par un serment.
Dans la même
assemblée on accusa auprès de Louis Céadrag, prince des Obotrites, d’en agir
avec peu de fidélité à l’égard des Francs, et de trop tarder à paraître en
présence de leur monarque ; on lui envoya donc des commissaires qu’il fit
accompagner à leur retour par quelques-uns des principaux de sa nation, chargés
de promettre en son nom qu’il se rendrait l’hiver prochain auprès de l’empereur.
Cependant
Lothaire après avoir, suivant l’ordre de son père, fait droit en Italie à toutes
les justes réclamations, se préparait à revenir ; mais il alla jusqu’à Rome, à
la sollicitation du pape Pascal. Accueilli par ce pontife avec de grands
honneurs, il reçut de lui, le jour même de Pâques et dans la basilique de
Saint-Pierre, la couronne, marque distinctive de l’autorité, ainsi que les
titres d’empereur et d’Auguste. Sur le compte qu’il rendit à son père des
affaires qu’il avait terminées par ses décisions, où préparées en Italie,
Adalhard, comte du palais, fut envoyé dans ce pays, avec ordre de s’adjoindre
Mauring, comte de Brescia, et d’apporter tous ses soins à statuer définitivement
sur ce qui n’était encore que commencé. Vers le même temps, Louis, d’après
l’élection faite et le consentement exprimé par le clergé de la ville de Metz,
donna pour pasteur à cette église, Drogon son frère qui vivait sous la loi
canonique, et trouva bon de l’élever au pontificat. Dans cette même assemblée on
indiqua le temps et le lieu de la tenue de l’assemblée suivante, savoir le mois
de novembre et le palais de Compiègne.
Au moment où
ces plaids finissaient et où, après avoir congédie les grands, l’empereur était
sur le point de quitter Francfort, on lui apporta la nouvelle de la mort de
Liudewit, qui, ayant laissé là les Sorabes, se rendit en Dalmatie chez Liudemuth,
oncle du duc Bernard, demeura quelque temps chez lui, et périt par la perfidie
de son hôte. Le bruit se répandit aussi que Théodore, primicier de la sainte
Église romaine, et Léon son gendre, maître des cérémonies, avaient été d’abord
privés de la vue, et ensuite décapités dans le palais pontifical de Latran, et
cela parce qu’ils s’étaient montrés fidèles en toutes choses au jeune empereur
Lothaire. Quelques gens prétendaient même que ces cruautés s’étaient commises
par l’ordre, ou au moins de l’aveu du pape Pascal. Adalung, abbé du monastère de
Saint-Vaast et Hunfroi, comte de la cour de justice impériale, furent chargés
d’aller prendre des informations, et faire une enquête sévère à cet égard. Mais
ils n’étaient pas encore partis que l’évêque Jean, et Benoît, archidiacre du
Saint-Siège apostolique, ambassadeurs de Pascal, arrivèrent et supplièrent
l’empereur de laver le pontife de l’accusation infime qui tendait à faire croire
qu’il avait donné son consentement à la mort des hommes dont on a parlé plus
haut. Louis leur répondit comme la raison l’exigeait, les congédia, et enjoignit
à ses commissaires susdits d’aller à Rome, ainsi qu’il l’avait réglé d’abord,
pour rechercher la vérité des faits. Quant à lui, il finit l’été dans le pays de
Worms, passa ensuite dans les Ardennes, et après les chasses d’automne se rendit
à Compiègne, comme il l’avait dit, au commencement de novembre. Ses commissaires
arrivés à Rome ne purent acquérir aucune certitude sur ce qui s’y était passé ;
car le pape Pascal se purgea par le serment, ainsi qu’un très grand nombre
d’évêques, de toute participation à ce crime, défendit de tout son pouvoir,
comme gens appartenant au clergé de Saint-Pierre, les meurtriers des personnages
dont en a parlé, déclara ceux qui avaient été tués coupables de lèse-majesté, et
affirma qu’ils avaient été mis à mort justement. A cette occasion donc il députa
vers l’empereur, et fit suivre les commissaires envoyés par ce prince de
l’évêque Jean, de Serge bibliothécaire, de Quirinus sous-diacre, et de Léon,
maître de la milice.
Lorsque Louis
eut appris, tant par eux que par ses propres délégués, le serment du pontife et
la justification de ceux qu’on accusait, persuadé qu’il n’y avait plus lieu pour
lui à pousser davantage cette affaire, il renvoya l’évêque Jean et ses collègues
au pape avec une réponse convenable.
Vers le même
temps Céadrag, prince des Obotrites, se montrant fidèle à ses promesses, vint à
Compiègne, arec quelques-uns des principaux de sa nation, et offrit à l’empereur
des excuses assez plausibles pour avoir différé cette démarche pendant tant
d’années. Aussi, quoiqu’il parût coupable en certaines choses, par considération
cependant pour les bons services des siens, il lui fut permis de retourner dans
son royaume, non seulement quitte de toute peine, mais même comblé de présents.
Hériold accourut aussi de Normandie, sollicitant des secours contre les fils de
Godefroi, qui menaçaient de le chasser de sa patrie. Les comtes Théothaire et
Rotmund furent envoyés vers ceux-ci pour informer avec soin sur cette affaire.
Se hâtant de reconnaître à fond et la conduite des fils de Godefroi, et l’état
général de tout le royaume des Normands, ils devancèrent le retour d’Hériold et
mirent clairement sous les yeux de l’empereur tous les documents qu’ils avaient
recueillis dans ces contrées. Avec eux revint Ebbon, archevêque de Reims, qui,
de l’avis de l’empereur et avec l’autorisation du pontife romain, s’était rendu
sur les frontières des Danois pour prêcher la religion, et avait, l’été
précédent, baptisé beaucoup d’entre eux convertis à la foi.
On raconte que
certains prodiges se firent remarquer cette année. Les principaux furent un
tremblement de terre qu’on ressentit dans le palais d’Aix, et une jeune fille, à
peine âgée de douze ans, qui, dans le territoire de Toul et près de la ville de
Commercy, s’abstint de toute nourriture pendant dix mois. En Saxe, dans un bourg
appelé Firisaz [Freysachs], la foudre tomba en plein jour, par un temps serein,
et le feu du ciel brûla vingt-trois maisons des champs ; dans plusieurs endroits
la grêle détruisit tous les fruits de la terre, et avec cette grêle on vit
tomber des pierres véritables et d’un grand poids. Les flammes d’en haut
consumèrent aussi des maisons çà et là, et l’on rapporte encore que plus
d’hommes et d’autres animaux que dans d’autres temps furent frappés du tonnerre.
A ces fléaux succédèrent une peste affreuse et une grande mortalité qui,
répandant leurs cruels ravages dans toute la France, enlevèrent par leurs
fureurs une innombrable multitude de personnes de tout âge et de tout sexe.
[824]
Omortag, roi des Bulgares, envoya vers l’empereur des députés avec des lettres,
sous le prétexte de conclure la paix. Louis, ayant entendu ces hommes et lu les
dépêches qu’ils apportaient, fut justement étonné de la nouveauté du fait, et
renvoya au susdit roi des Bulgares, avec ses propres messagers, un certain
Machelme, Bavarois, pour s’enquérir avec soin de la véritable cause d’une
ambassade si extraordinaire, et telle que jusqu’alors il n’en était jamais venu
en France. Cependant l’hiver fut si long et si dur que non seulement des
animaux, mais encore plusieurs hommes, périrent de la rigueur du froid. Il y eut
une éclipse de lune le 5 mars, à la seconde heure de la nuit. On répandit, vers
ce temps, le bruit de la mort de Suppon, duc de Spolète ; d’autre part, les
députés du pontife romain le trouvèrent, à leur retour à Rome, attaqué d’une
maladie grave, et déjà tout prés de sa fin : deux jours en effet après leur
arrivée, ce pape sortit de cette vie [le 11 mai]. Le peuple s’étant partagé sur
le choix de son successeur, deux sujets furent élus en même temps ; mais Eugène,
alors archi-prêtre du titre de sainte Sabine, l’emporta par les efforts de sa
noblesse, fut mis en leur place et consacré. Le sous-diacre Quirinus, qui
faisait partie de la précédente députation, vint rendre compte de cette affaire
à l’empereur. C’était le moment où l’assemblée générale de la nation, indiquée
pour le 24 juin, se tenait à Compiègne, et où Louis se préparait à faire en
personne une expédition en Bretagne. Ce prince envoya donc à Rome Lothaire, son
fils et son associé à l’empire, pour le remplacer et régler sur des bases
solides, entre le nouveau pontife et le peuple romain, tout ce que paraîtrait
exiger la nécessité des circonstances. Le jeune prince se rendit en Italie vers
le milieu d’août, pour exécuter cette commission. Mais l’empereur différa la
course qu’il voulait faire en Bretagne jusqu’au commencement de l’automne, à
cause de la famine qui se faisait alors sentir dans toute sa force. Ayant enfin
réuni ses troupes de toutes parts, il se dirigea sur Rennes, cité contiguë aux
frontières de la Bretagne. Là divisant son armée en trois corps, il en confia
deux à ses fils, Pépin et Louis, se réserva la troisième, pénétra dans la
Bretagne, et la ravagea par le fer et par le feu. Après avoir employé quarante
jours et plus à cette expédition, et reçu les otages qu’il avait ordonné au
perfide Breton de lui livrer, il partit le 17 novembre pour la ville de Rouen,
où il avait prescrit à sa femme de l’attendre, et aux députés de l’empereur
Michel de venir à sa rencontre. Avec eux se rendit auprès de lui Fortunat,
patriarche de Grado ; mais les envoyés de Michel apportaient des présents et des
lettres, se disant uniquement chargés de resserrer les liens de la paix, et ne
parlèrent en rien de Fortunat ; cependant, tout en traitant les autres objets de
leur mission, ils mirent en avant quelque chose du culte des images, et
annoncèrent qu’ils devaient faire le voyage de Rome, pour consulter à cet égard
le chef du siège apostolique. Louis, après les avoir entendus et congédiés avec
sa réponse, ordonna de les conduire à Rome, où ils assuraient vouloir se rendre.
Quant à Fortunat., le monarque s’étant informé de la cause de sa fuite, lui
enjoignit de se rendre aussi à Rome, afin d’y être interrogé par le pape.
Lui-même enfin partit pour Aix-la-Chapelle, où il avait résolu de passer
l’hiver.
Lorsqu’il y
fut arrivé et y eut célébré les fêtes de la naissance de Notre-Seigneur, on lui
rapporta que des ambassadeurs du roi des Bulgares étaient en Bavière. Envoyant à
leur rencontre, il leur fit dire d’attendre dans ce pays le moment où il
jugerait à propos de les recevoir ; mais en même temps il permit d’arriver
jusqu’à Aix-la-Chapelle à ces députés qu’on lui disait venir vers lui de la part
des Obotrites, vulgairement nommas Prédénécentins, et qui habitent la Dacie,
province située le long du Danube, et limitrophe de la Bulgarie ; et comme ces
peuples se plaignaient d’être injustement molestés par les Bulgares, et
sollicitaient contre eux des secours, il fut enjoint à leurs envoyés de
retourner chez eux et de se présenter au terme fixé pour entendre les
ambassadeurs Bulgares. Suppon étant mort à Spolète, comme on l’a dit plus haut,
son duché fut alors conféré à Adalhard, comte du palais, qu’on appelait Adalbard
le jeune ; mais il jouissait de ce poste honorable depuis à peine cinq mois,
qu’il fut pris de la fièvre et mourut. Mauring, comte de Brescia, qu’on lui
donna pour successeur, tomba malade au moment où il venait de recevoir l’annonce
de l’honneur qu’on lui déférait, et termina sa vie peu de jours après. Dans ce
temps, les comtes Eble et Asinaire, envoyés avec des troupes gasconnes à
Pampelune, et, rentrant en France après avoir rempli l’objet de leur mission,
tombèrent dans une embuscade sur le sommet des Pyrénées, par la trahison des
montagnards ; cernés de toutes parts, et faits prisonniers, ils virent les
troupes qu’ils avaient avec eux mises en déroute, et presque entièrement
massacrées. Un dirigea Eble sur Cordoue ; mais Asinaire obtint, de la pitié de
ceux qui s’étaient emparés de lui et le considéraient comme un homme du même
sang qu’eux, la permission de retourner chez lui.
Cependant
Lothaire, qui s’était rendu à Rome ainsi que lui avait commandé son père, fut
reçu par le pape Eugène avec de grands honneurs. Ayant fait connaître ensuite à
ce pontife les ordres dont il était porteur, il réforma si bien, avec le
bienveillant assentiment d’Eugène, l’administration de l’État romain, corrompue
par la perversité de certains chefs, que tous ceux qu’on avait cruellement
ruinés, par le pillage de ce qu’ils possédaient, se virent magnifiquement
indemnisés par la restitution de leurs biens, et la durent à la bonté de Dieu et
à l’arrivée de ce prince.
Cette année,
peu de jours avant le solstice d’été, la température changea subitement ; un
effroyable orage éclata sur le territoire d’Autun, et l’on raconte qu’avec la
grêle tomba un énorme morceau de glace de quinze pieds de longueur, sept de
largeur et onze d’épaisseur.
[825]
Après avoir célébré, avec la plus grande solennité, la sainte fête de Pâques à
Aix-la-Chapelle, et dès que la saison du printemps commença de sourire à la
terre, l’empereur alla chasser à Nimègue, et ordonna que les ambassadeurs
Bulgares se rendissent vers le milieu de mai dans la première de ces deux
villes, car il était résolu de retourner à cette époque pour tenir l’assemblée
générale, dont, à son retour de Bretagne, il avait indiqué à ses grands la
réunion pour ce moment et dans ce lieu. La chasse terminée, il revint en effet à
Aix-la-Chapelle et donna audience à la députation de Bulgarie, dont la mission
avait pour but de fixer les limites entre les Francs et les Bulgares. A
l’assemblée dont il s’agit se trouvèrent presque tous les principaux de la
Bretagne, et entre autres Wihomarch, qui avait troublé, par sa rébellion, tout
son pays, provoqué par sa folle obstination la colère de l’empereur et attiré
sur lui l’exécution militaire dont il a été parlé ; rendu enfin à des idées plus
saines il ne balançait pas, disait-il, à venir se remettre au nombre des fidèles
de l’empereur. Ce prince lui pardonna donc, le combla même de présents, et le
laissa retourner chez lui avec les autres grands de sa nation ; mais, retombant
dans la perfidie ordinaire à sa race, Wihomarch viola promptement, comme il
était habitué à le faire, la foi qu’il avait jurée, et ne cessa de désoler ses
voisins par le pillage et l’incendie jusqu’au moment où enfin il fut cerné et
tué dans sa propre demeure par les hommes du comte Lambert.
Cependant
l’empereur, après avoir entendu l’ambassade de Bulgarie, répondit aux lettres du
roi de ce pays par les envoyés même que ce prince avait chargés de les lui
apporter. Ayant ensuite congédié l’assemblée de la nation, il alla chasser à
Remiremont dans les Vosges et y vit son fils Lothaire qui vint l’y trouver à son
retour d’Italie. La chasse finie, Louis reprit le chemin d’Aix-la-Chapelle et y
tint au mois d’août, suivant l’usage consacré, l’assemblée générale de son
peuple. Dans ce plaid, il reçut, entre autres députations arrivées des divers
pays, celle qu’envoyaient de Normandie les fils de Godefroi, et fit ratifier, au
mois d’octobre et sur leurs frontières même, la paix qu’ils lui demandaient.
Toutes les affaires qui paraissaient de la compétence de cette assemblée une
fois terminées, l’empereur se rendit à Nimègue avec son fils aîné ; le cadet
Louis, il l’envoya en Bavière, et lui-même, après les chasses d’automne, revint
à Aix-la-Chapelle vers le commencement de l’hiver.
On assure que,
dans le territoire de Toul et prés de Commercy, une certaine jeune fille
d’environ douze ans, après avoir reçu, le jour de Pâques, la sainte communion de
la main d’un prêtre, suivant la coutume des chrétiens, s’abstint d’abord de
pain, ensuite de toute nourriture et de toute boisson, et poussa son jeûne si
loin que, vers ce temps, s’accomplit la troisième année qu’elle avait passée
sans faire entrer dans son corps le moindre aliment et sans même souhaiter
aucune nourriture ; elle commença en effet son abstinence l’année de
l’incarnation de Notre-Seigneur 823, comme on l’a dit plus haut dans l’histoire
de cette même année, et c’est dans celle dont il s’agit actuellement,
c’est-à-dire en 825, vers le commencement de novembre, que, mettant fin à son
jeûne, elle se remit à prendre de la nourriture et à vivre à la manière du reste
des mortels.
[826]
Lorsque les ambassadeurs du roi des Bulgares lui eurent rendu compte de ce
qu’ils avaient fait, il envoya de nouveau à l’empereur, avec des lettres, le
même homme qu’il lui avait député d’abord, suppliant ce prince d’ordonner que la
démarcation des frontières fût fixée sans aucun retard, ou que si cela ne lui
convenait pas, chacun au moins conservât ses limites actuelles, quoiqu’on n’eût
conclu aucun traité de paix ; mais il se répandit que le roi des Bulgares avait
été détrôné ou tué par un de ses grands. L’empereur différa donc de répondre à
l’envoyé ; il lui enjoignit au contraire d’attendre, et dépêcha Bertheric, comte
du palais, dans le pays des Carinthiens, vers les comtes Balderic et Gérold,
préposés à la garde des frontières des Avares, avec mission de s’assurer de la
vérité du bruit en question. Mais Bertheric, à son retour, n’ayant rien rapporté
de certain sur ce que publiait la renommée, Louis appela près de lui le député,
puis le fit repartir sans lettres.
Cependant le
roi Pépin, fils de l’empereur, se rendit, conformément à l’ordre qu’il en avait
reçu, avec les grands de son royaume et les commandants de la frontière
d’Espagne, vers le commencement de février, à Aix-la-Chapelle, où son père
passait alors l’hiver. Lorsqu’on eut discuté de concert avec eux et arrêté les
dispositions à faire pour défendre les frontières de l’Ouest contre les
Sarrasins, Pépin retourna dans l’Aquitaine, où il demeura l’été suivant tout
entier. Quant à Louis, quittant, dans le milieu de mai, Aix-la-Chapelle, il
arriva vers le commencement de juin à Ingelheim, y tint une assemblée nationale
assez nombreuse, entendit et congédia beaucoup de députations envoyées des
diverses parties de la terre. La principale, et qui l’emportait sur toutes les
autres, était celle dont le pontife romain avait chargé Léon, évêque de
Civita-Vecchia, Théophylacte, maître des cérémonies, et Dominique, abbé du
Mont-des-Oliviers des contrées au-delà des mers. Les fils de Godefroi, roi des
Danois, députèrent aussi pour solliciter paix et alliance. Quelques-uns des
principaux d’entre les Obotrites vinrent également du pays des Esclavons accuser
leur duc Céadrag; on porta plainte encore contre Tunglon, l’un des chefs des
Sorabes, de ce qu’il ne se montrait pas obéissant aux ordres qu’il recevait ; et
il fut signifié aux deux inculpas que, s’ils ne se rendaient de bonne heure à
l’assemblée générale que tiendrait l’empereur au mois d’octobre, ils porteraient
la peine due à leur peu de foi. On vit de plus à ce plaid quelques-uns des
grands de Bretagne amenés par les commandants de cette frontière. Vers ce même
temps, arriva Hériold avec sa femme et un grand nombre de ses Danois. Il fut
baptisé dans l’église de Saint-Albin, à Mayence, avec tous ceux qui
l’accompagnaient ; puis, comblé de présents par Louis, entreprenant le chemin
par lequel il était venu, il retourna chez lui par la Frise, où on lui donna un
comté appelé Rhiustri, afin qu’il pût s’y retirer avec ce qu’il possédait, si
quelque nécessité l’y contraignait. A cette même assemblée, assistèrent Balderic
et Gérold, comte des frontières de Pannonie, qui déclarèrent n’avoir pu parvenir
encore à rien savoir des mouvements des Bulgares contre nous. Avec Balderic
était venu un certain prêtre de Venise, nommé George, qui se disait en état de
fabriquer un orgue. L’empereur l’envoya à Aix-la-Chapelle avec le sacristain
Thanculf, et ordonna de lui fournir tous les objets nécessaires à la confection
de cet instrument. La prochaine assemblée générale ayant été fixée et annoncée
pour le milieu d’octobre, et toutes les autres affaires étant terminées suivant
l’ancienne coutume, Louis se rendit avec sa suite, par-delà le Rhin, à une
maison de campagne nommée Selz. Là lui arrivèrent, de la part des Napolitains,
des députés qui repartirent dès qu’ils eurent reçu sa réponse. Là aussi on lui
apporta la nouvelle de la fuite et de la perfidie d’Aizon, qui, entré dans
Ausone par trahison, et accueilli des habitants séduits par ses artifices, avait
détruit la cité de Roda, approvisionné les châteaux de cette contrée qui
paraissaient les plus forts, envoyé son frère auprès d’Abdérame, roi des
Sarrasins, et reçu de ce prince les secours qu’il sollicitait contre nous.
L’empereur, quoique vivement affecté de ces détails, mais ne voulant rien faire
sans une mûre réflexion, résolut d’attendre l’époque de la réunion de ses
conseillers. Après les chasses d’automne, il s’embarqua vers le commencement
d’octobre sur le Mein, et se rendit heureusement par ce fleuve à Francfort ; de
là il arriva vers le milieu du même mois à Ingelheim où il tint, comme il avait
été arrêté, l’assemblée générale de son peuple. Il y donna audience à Céadrag,
duc des Obotrites, et à Tunglon, qui tous deux étaient accusés près lui de
trahison. Ayant consenti à recevoir le fils de Tunglon comme otage de sa
fidélité, il permit à celui-ci de retourner chez lui : mais pour Céadrag, il le
retint, congédia tous les autres Obotrites, et envoya dans leur pays des
commissaires chargés de rechercher si la masse de la nation voulait que Céadrag
régnât sur elle. Cela fait, Louis partit pour Aix-la-Chapelle, où il avait
résolu de passer l’hiver. Comme les commissaires envoyés chez les Obotrites
rapportèrent, à leur retour, que la nation était partagée sur la question de
reprendre leur roi, mais que les plus grands et les plus considérables
s’accordaient à le recevoir, Louis reçut de Céadrag les otages qu’il avait
exigés, et le fit rétablir dans ses États.
Pendant que
ces choses se passaient, Hilduin, abbé de Saint-Denis martyr, envoya chercher à
Rome les os du bienheureux martyr du Christ Sébastien, qu’Eugène, chef alors du
Saint-Siège apostolique, avait accordés à ses prières, et les fit placer à
Soissons dans la basilique de Saint Médard. Tandis que ces reliques, toujours
renfermées dans le coffre où on les avait apportées, n’étaient encore que
déposées dans cette église auprès du tombeau de saint Médard, il éclata une
telle multitude de miracles et de prodiges, et la bonté divine manifesta
tellement sa toute-puissance par les guérisons de tous genres opérées au nom de
ce bienheureux martyr, que nul mortel ne pourrait se faire une idée du nombre de
ces miracles, et que les paroles ne suffiraient pas à en exprimer la variété.
Quelques-uns même frappèrent, dit-on, d’un tel étonnement, qu’ils passeraient
les bornes de la croyance permise à notre faible humanité, s’il n’était certain
que Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour qui ce saint martyr avait souffert, peut
faire tout ce qu’il lui plaît par l’intervention de cette puissance divine, à
laquelle tout créature est soumise dans le ciel et sur la terre.
[827]
L’empereur chargea, l’année suivante, Hélisachar, prêtre et abbé, ainsi que les
comtes Hildebrand et Donat, d’aller réprimer les mouvements de rébellion qui
troublaient les Marches d’Espagne. Avant leur arrivée, Aizon, fort de l’appui
des Sarrasins, attaqua fréquemment les gens préposés à la garde de cette
frontière, et les fatigua tellement par de continuelles incursions, que
plusieurs d’entre eux se retirèrent, et abandonnèrent les châteaux qu’ils
devaient défendre. Un fils de Béra, nommé Hillemund, et beaucoup d’autres que la
légèreté naturelle à leur nation entraînait à l’amour des nouveautés,
désertèrent nos drapeaux pour les siens, et réunis aux Sarrasins, désolaient
journellement par le pillage et l’incendie la Cerdagne et le Vallais espagnol.
Pendant que d’une part l’abbé Hélisachar, de concert avec les autres délégués de
l’empereur, prenait, et par l’effet de sa propre sagesse et par les conseils de
ses collègues, les meilleures mesures pour calmer et ramener au devoir les
esprits des Goths et des Espagnols de cette frontière, et que de l’autre
Bernard, comte de Barcelone, opposait une courageuse résistance aux piéges d’Aizon,
à la ruse et aux machinations frauduleuses de ceux qui avaient embrassé son
parti, et rendait vains leurs téméraires efforts, il se répandit qu’une armée
envoyée par Abdérame, roi des Sarrasins, au secours d’Aizon, s’approchait du
côté de Saragosse. Abumarvan, parent du roi, qui lui avait confié le
commandement de ces troupes, se promettait, sur la parole d’Aizon, une victoire
certaine. L’empereur avait chargé Pépin son fils de marcher contre lui à la tête
d’une immense armée de Francs, et enjoint à ce jeune prince de mettre à l’abri
de tout danger les frontières de son propre royaume. Cet ordre eût été exécuté
si, par suite de la négligente lenteur des ducs qui commandaient les divers
corps des Francs, les troupes qu’ils amenaient ne fussent arrivées dans les
Marches d’Espagne plus tard que la nécessité des circonstances ne le demandait.
Ce retard fut si nuisible qu’Abumarvan, après avoir ravagé les campagnes de
Barcelone et de Gironne, brûlé les métairies et pillé tout ce qu’il avait trouvé
hors des murs des villes, se retira dans Saragosse avec son armée sans qu’elle
eût éprouvé la moindre perte. On regarda comme des présages de ce revers des
armées qui on aperçut plusieurs fois dans le ciel, et la chute toujours si
terrible de feux nocturnes à travers les airs.
Cependant
Louis avait tenu deux assemblées nationales, l’une à Nimègue, nécessitée par la
perfidie dont Herric, fils de Godefroi, roi des Danois, s’était rendu coupable
en faussant la promesse par laquelle il s’était engagé à comparaître dans cette
ville, en présence de l’empereur ; l’autre à Compiègne, pour recevoir les dons
annuels, et prescrire à ceux qu’on envoyait dans les Marches Espagnoles ce
qu’ils avaient à faire, et quelle conduite ils devaient tenir. Lui-même ensuite
partagea son temps entre Compiègne, Quiersy, et les autres palais voisins de
ceux-ci, jusqu’au commencement de la saison d’hiver.
Pendant ce
temps-là, les rois des Danois, c’est-à-dire les fils de Godefroi, excluant
Hériold de toute association au royaume, le forcèrent à s’éloigner des
frontières des Normands ; d’un autre côté les Bulgares, envoyant une armée
navale par la Drave, portèrent le fer et le feu dans le territoire des Esclavons
établis en Pannonie, chassèrent leurs ducs, et leur imposèrent des chefs
Bulgares. Dans le mois d’août mourut le pape Eugène ;
le diacre Valentin élu et consacré en sa place par les Romains, jouit à peine un
mois du pontificat ; lui mort, on élut Grégoire prêtre du titre de saint Marc ;
mais on ne le fit consacrer qu’après qu’un commissaire de l’empereur fut venu à
Rome, et eut examiné la validité de l’élection faite en septembre par le peuple.
Des députés de Michel, empereur de Constantinople, vinrent à Compiègne avec la
mission apparente de resserrer les liens d’amitié entre les deux nations ; Louis
les accueillit avec bienveillance, puis les congédia dans le courant d’octobre.
Enfin les corps des bienheureux martyrs Marcellin et Pierre furent apportés de
Rome en France, où les vertus de ces saintes reliques se manifestèrent avec
éclat, et par une foule de prodiges.
[828]
L’assemblée d’Aix-la-Chapelle se tint au mois de février suivant; entre beaucoup
d’autres affaires, on traita spécialement tout ce qui regardait les Marches
d’Espagne ; les hommes qui avaient commandé l’armée furent reconnus coupables et
punis, comme ils le méritaient, par la perte de leurs dignités. on dépouilla
également de ses honneurs Balderic, duc de Frioul, qui, par une lâche indolence,
avait laissé les Bulgares dévaster impunément les frontières de la Pannonie, et
l’on partagea entre quatre comtes le territoire qui lui était confié.
Halitcaire, évêque de Cambrai, et Ansfried, abbé du monastère de Nonentola,
envoyés à Constantinople, y furent honorablement traités par l’empereur Michel.
Louis vint dans le mois de juin à Ingelheim, et y tint un plaid qui ne dura que
quelques jours. Il y prit la détermination de faire partir ses fils Lothaire et
Pépin pour les Marches d’Espagne, et leur traça la conduite qu’ils avaient à
tenir ; il entendit et congédia Quirinus primicier et Théophylacte maître des
cérémonies, députés du pontife romain, qui étaient venus le trouver dans ce
lieu ; puis il partit pour Francfort. Après y avoir séjourné quelque temps, il
se rendit à Worms, et de là continua sa route pour Thionville, d’où il dirigea
son fils Lothaire, avec une grande armée de Francs, sur la frontière d’Espagne.
Celui-ci, arrivé à Lyon, s’y arrêta pour se donner le temps de recevoir des
nouvelles qui lui confirmassent l’approche des Sarrasins. Pendant cette attente,
il eut des conférences avec son frère Pépin, et quand on sut enfin que les
Sarrasins n’osaient pas, ou ne voulaient pas se présenter sur la frontière,
Pépin reprit le chemin de l’Aquitaine, et Lothaire retourna vers son père à
Aix-la-Chapelle. Cependant comme on allait s’occuper, sur la frontière des
Normands, tant de renouveler l’alliance entre ces peuples et les Francs que de
statuer sur les intérêts d’Hériold, et lorsque déjà presque tous les comtes de
la Saxe s’étaient réunis à cet effet avec les commandants des Marches, Hériold,
trop empressé de hâter la conclusion de cette affaire, rompit la paix jurée et
garantie par des otages, pilla et incendia quelques métairies des Normands. A
cette nouvelle les fils de Godefroi rassemblent promptement des troupes,
marchent sur la frontière, passent le fleuve de l’Eyder, tombent sur les nôtres
qui, campés sur la rive, ne s’attendaient pas à une telle attaque, emportent les
retranchements, forcent nos gens à la fuite, mettent tout au pillage, et se
retirent dans leur camp avec toute leur armée. Ensuite, avisant aux moyens de
détourner la vengeance d’une telle action, ils envoyèrent une députation à
l’empereur, pour lui représenter que c’était bien malgré eux et uniquement
contraints par la nécessité qu’ils s’étaient portés à cette extrémité ; qu’au
surplus, ils étaient prêts à fournir toutes les satisfactions possibles, et s’en
remettaient à la volonté de l’empereur de la réparation qu’il exigerait, pour
que d’ailleurs la paix demeurât stable entre les deux nations.
Vers ce temps,
le comte Boniface, à qui était confiée la garde de l’île de Corsé, ayant pris
avec lui son frère Berchaire et certains autres comtes, partit de la Toscane
avec une petite flotte, et croisa autour de la Corse et de la Sardaigne ; comme
il n’aperçut en mer aucun pirate, il passa en Afrique, débarqua entre Utique et
Carthage, rencontra une innombrable multitude d’habitants qui s’étaient
rassemblés subitement, en vint aux mains avec eux, les dispersa et les mit en
fuite cinq fois et plus, puis regagna ses vaisseaux, après avoir couché par
terre un grand nombre d’Africains, perdu par sa témérité quelques-uns des siens,
et imprimé par cette expédition une grande frayeur dans l’âme des gens du pays.
Au commencement de juin, et à la petite pointe du jour, la lune s’éclipsa au
moment de son coucher ; elle s’obscurcit de même au milieu de la nuit, le 25
décembre, c’est-à-dire le jour de la nativité de Notre-Seigneur. L’empereur
arriva vers la fête de la Saint-Martin, à Aix-la-Chapelle, pour y séjourner
l’hiver, et y employa tout le temps de cette saison en diverses assemblées
convoquées pour régler les affaires urgentes du royaume.
[829]
Quand l’hiver fut à peu près fini, dans le temps même du jeûne du carême, et peu
de jours avant la sainte Pâques, un tremblement de terre se fit sentir pendant
la nuit à Aix-la-Chapelle ; en même temps s’éleva un vent si impétueux qu’il
enleva les toits, non seulement des maisons des petites gens, mais même d’une
bonne partie de la basilique de la sainte mère de Dieu, qu’on nomme la Chapelle,
quoiqu’elle fût recouverte de lames de plomb. Louis, que diverses occupations
avaient retenu à Aix-la-Chapelle jusqu’au commencement de juillet, résolut enfin
de partir dans le mois d’août avec sa suite pour l’assemblée générale qui devait
se tenir à Worms. Mais avant qu’il se fût mis en route, il reçut la nouvelle que
les Normands voulaient envahir la partie de la Saxe au-delà de l’Elbe, et que
dans ce dessein leur armée s’approchait déjà de nos frontières. Fortement
troublé de ce rapport, il envoya dans toutes les contrées de la France l’ordre
que le peuple en masse marchât vers la Saxe en toute hâte, et il annonça que, de
sa personne, il passerait le Rhin à Nuitz dans le milieu de juillet. Cependant
aussitôt qu’il eut appris que le bruit répandu sur l’invasion des Normands
n’avait aucun fondement, il se rendit à Worms vers le milieu d’août, comme il
s’y était décidé. Là il tint l’assemblée générale de la nation, reçut les dons
annuels qui lui furent offerts, entendit et congédia plusieurs députations
venues tant de Rome et de Bénévent que d’autres pays éloignés. L’assemblée
finie, il envoya son fils Lothaire en Italie, et nomma chambellan du palais
Bernard, comte de Barcelone, qui jusqu’alors avait commandé dans les Marches
d’Espagne. Après que les autres affaires, qui paraissaient de la compétence de
l’assemblée, furent aussi préparées ou terminées comme il le fallait, et que
chacun eut été renvoyé chez soi, l’empereur se rendit à sa maison de Francfort
pour les chasses d’automne. Lorsqu’elles furent achevées, il retourna passer
l’hiver à Aix-la-Chapelle, et y célébra avec de grands transports de joie la
fête de Saint-Martin, celle du bienheureux apôtre André et le très saint jour de
la nativité de Notre-Seigneur.
FIN DES
ANNALES D’ÉGINHARD
|