Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Clovis, ou la France chrétienne

Livre dix-neuvième

 

Des puissances du nord l’effroyable tempeste
Contre le roy des francs de toutes parts s’appreste.
Auberon en secret forme ses trahisons.
Il tient dé-ja deux chefs dans ses noires prisons ;
Et du prince Arderic il va corrompre l’ame,
Joignant l’espoir d’un sceptre à sa naissante flame.
Mon esprit, luy dit-il, a balancé long-temps,
Admirant de Clovis les exploits éclatans,
Pour m’unir avec luy d’une ferme alliance,
Et joindre mon estat à celuy de la France :
Preferant à mon regne un soin religieux,
Pour estendre par luy le culte de nos dieux.
Mais je voy que luy mesme ingrat les abandonne :
Qu’il aime une chrestienne, et flestrit sa couronne :
Que son camp contre luy commence à s’animer :
Qu’un orage terrible est prest à se former :
Et que les francs honteux que pour d’indignes charmes
Il laisse rallentir le bon-heur de leurs armes,
Elevent contre luy leurs genereuses voix,
Veulent que Cloderic soit mis sur le pavois,
Et vont à vostre sang accorder leur empire,
Pourveu qu’à leur dessein ma puissance conspire.
Je dois bien seconder une si juste ardeur,
Pour maintenir des francs le nom et la grandeur.
De mes filles, je veux faire un double hymenée.
Au prince Cloderic je destine l’aisnée :
Et je vay l’élever au trône de Clovis,
En luy prestant mes soins, mes forces, et mes advis.
Et sçachant ton amour, je l’agrée, et te donne
La fertile Austrasie, et ma chere Albione.
Arderic à ces mots ressent mille plaisirs,
Goustant le double honneur qui flate ses desirs :
Reçoit avec respect les biens qu’il luy presente ;
Puis l’écoute, d’une ame et soumise et contente.
Va trouver Cloderic, dit le traistre enchanteur.
Dy luy, qu’unis de sang, de puissance, et de cœur,
Nous devons des françois ayder la juste audace,
Qui se veulent choisir un roy de nostre race.
Qu’il sçache mes desseins, et suive mes leçons.
J’uniray ma puissance à celle des saxons.
Clovis tient loin de luy ses troupes divisées.
Celles qu’il se reserve, à vaincre sont aisées.
Il faut que vos guerriers, dont il fait son appuy,
Au plus fort du combat se tournent contre luy :
Joignant à ce dessein les marses, les bructeres,
Qui pour ne se voir plus ou serfs, ou tributaires,
Trouveront ce temps propre à vanger leur mal-heur ;
Et pourront sur le champ opprimer sa valeur.
Il faut que son grand cœur sous nos forces succombe.
J’éleve à Cloderic un trône sur sa tombe :
Et le vieux Sigisbert, languissant de ses coups,
De voir regner son fils ne sera pas jaloux.
Les valeureux saxons, contens de leur vangeance,
Nous laisseront le Rhein, pour bornes de la France.
Tu dois, pour ce projet, réveiller tes esprits,
Dont ma fille et mes biens seront le juste prix.
Le prince avec plaisir oyt ces raisons plausibles :
Dé-ja se croit vainqueur des françois invincibles :
A sa belle princesse il conte ses secrets.
L’espoir en ce depart adoucit ses regrets.
Il brule, il court, il vole, en quittant Albione.
Il pense à Cloderic porter une couronne.
La princesse en son cœur dédaigne son amour :
Mais sa playe, et son fruit qui croist de jour en jour,
La rendent inhabile aux travaux de la guerre.
Aux lieux les plus secrets sa honte la resserre.
Son corps souffre deux maux, par un double mal-heur :
Et son dépit amer en aigrit la douleur.
Dans un temple enrichy de colonnes pompeuses,
Auberon fait ses vœux aux deïtez trompeuses :
Immole à leurs autels cent taureaux mugissans :
Fait monter à la voute un nuage d’encens ;
Et croit, par les projets qui flatent son courage,
Que le ciel va se plaire à seconder sa rage.
La cruelle Yoland, ardente à se vanger,
Est active, ne craint ny travail ny danger,
Prend les soins de la guerre ; et de bandes vaillantes
Fait le solide appuy de ses fureurs boüillantes.
Elle part du palais ; et dans tous ces climas,
Des plus hardis guerriers fait un puissant amas.
Les troupes des citez de la Vauge voisines,
Meslent dé-ja leur force aux brigades messines.
Le brave Sisenand, renommé par ses faits,
Conduit ceux de la Vauge, et Bouzon ceux de Mets
Le robuste Aribert à son secours ameine
Mille archers qui de Toul habitent le domaine.
Gripon, dés sa jeunesse instruit dans les combats,
Commande un puissant corps de trois mille soldats,
Que Treves fit sortir de ses portes antiques,
Armez de corcelets, et de tremblantes piques.
Sigivalde en conduit deux mille adroits et forts,
Que le Sar tournoyant vid naistre sur ses bords.
Les troupes dans Nancy par Arnulfe levées,
Aux vallons d’Epinal, desja sont arrivées.
Mainfroy, de verdunois conduit douze drapeaux.
Eubalde ameine ceux qu’abreuvent les ruisseaux
Qui grossissent les flots de la Meuse naissante.
La superbe Yoland enfin se void puissante ;
Et sent de doux transports, voyant de toutes parts
Voler à son secours ces nombreux estendards.
Mais de tous ces guerriers nul chef ne se compare
En noblesse, en valeur, au beau Viridomare,
Son voisin, son amant, et puissant souverain
De l’Alsace fertile et voisine du Rhein.
Puis arrive Armaric, roy de Vorms et de Spire.
Ces deux princes captifs sous son cruel empire,
Dont elle a jusqu’alors dédaigné le secours,
Maintenant sous ses loix marchent d’un viste cours.
Yoland sçait mesler l’addresse à l’arrogance ;
Et fait que son orgueil fleschit sous sa vangeance.
Chacun d’eux luy conduit deux bataillons puissans.
Elle flatte d’abord leurs espoirs languissans ;
Puis les regarde à peine ; et feint d’estre prudente ;
Et qu’elle craint d’aigrir leur jalousie ardente.
Trente mille guerriers sont comptez sous ses loix.
Sur le bruit que répand l’approche du françois,
Elle haste leurs pas vers les murs de Mayence,
Où le roy des germains r’assemble sa puissance.
Qui compteroit l’amas des gendarmes saxons,
Pourroit compter aussi les épics des moissons,
Les fleurs dont au printemps la terre se couronne,
Et sur les tertres verds les raisins de l’autonne.
Le prince Algerion, grand de cœur et de corps,
Pour sa garde en choisit dix mille des plus forts,
Qui tous, sortant des flancs de leurs meres fecondes,
Ont de l’Elbe glacé souffert les froides ondes :
Endurcis à la peine ; et qui ne craignent pas
Les attaques des temps, ny l’horreur des combas.
De cherusques archers une troupe infinie
Marche avec cent drapeaux sous le noble Arminie,
Issu de ce grand chef, dont l’indomptable cœur
Des superbes romains fut mille fois vainqueur ;
Qui d’un sort obstiné, fatal à tant d’armées,
Dans ses pieges surprit cent testes renommées.
Tous ces peuples sont fiers, nourris aux regions
Où le soc traisne encor les os des legions,
Pres des bords du Veser, et de la forest sombre,
Où souvent de Varus on void paroistre l’ombre,
Grande, pasle, et jettant de gemissantes voix,
Des siens cherchant encor les restes dans les bois.
De l’heur de leurs ayeux, ces troupes font les vaines,
Portant pour leurs drapeaux des enseignes romaines.
Puis les forts marcomans, et les campsaniens,
Et les sueves, couverts des monts herciniens,
Les cattes, les samnons, les hardis hermondures,
Qui du Necre et du Meyn boivent les sources pures,
Et les fiers allemans, dont l’heureuse valeur
A reduit tous ces noms sous la force du leur,
Marchent de lieux divers, à files inégales,
Sous le son des clairons, des tambours, des timbales.
Puis dans Mayence arrive un prince imperieux,
Mandragan le danois, au regard furieux,
De qui l’ame brutale, aux vices occupée,
Ne croit point d’autres dieux que le bras et l’espée :
Qui ne craint ny le sort, ny le ciel, ny l’enfer ;
Qui met en mesme rang et Christ et Jupiter :
Endurcy dans sa honte, et dont la vie infame
Dédaigne également et l’honneur et le blâme.
Il traisne sous son ordre un camp remply d’horreur.
L’un le sert en tremblant ; l’autre plein de fureur,
Est illustre en forfaits, sçachant qu’aux rangs sublimes
Nul n’attaint sous leur roy que par les plus grands crimes.
Il se joint aux saxons dans leurs guerriers explois,
Aimant le seul mestier qui renverse les loix ;
Non par un beau desir d’anoblir sa memoire ;
Mais par l’amour du sang, plustost que de la gloire.
Comme quand par les airs les aquilons volans
Traisnent de toutes parts les nuages roulans,
De l’amas il se forme une nuë épaissie,
Dont le voile estendu rend la terre obscurcie :
Ainsi de toutes parts vient le soldat germain :
Puis s’assemble, et s’estend depuis les bords du Meyn
Jusqu’à ceux que le Rhein arrose de ses ondes ;
Et couvre jusqu’à Vorms tant de plaines fecondes.
De ces fertiles champs les heureuses moissons
Suffisent peu de jours à tant de nourrissons.
A peine par convoys toute la Germanie
Peut soustenir un temps cette tourbe infinie.
Leur prince, dans la Gaule ardent à s’engager,
Veut les nourrir par elle, et par eux se vanger :
Et sur les larges ponts de Vorms et de Mayence,
Fait filer des germains l’innombrable puissance.
Dans la plaine il les range en épais bataillons :
Leur fait en lieux divers planter les pavillons :
Et pour les rafraischir, les disperse, et les place
Dans les champs, dans les bois, dans les bourgs de l’Alsace.
Mais tandis qu’à son gré le passage est trop lent,
Il entend les clairons des troupes d’Yoland.
La princesse à ses yeux pousse un cheval d’Espagne,
Devançant de cent pas son camp qui l’accompagne.
Les princes ses amans, par sa veuë excitez,
Dans une égale ardeur courent à ses costez.
Des germains estonnez elle écarte la presse :
Puis descend du coursier ; à Myrrhine le laisse :
Saluë Algerion, et s’offre à le servir.
Le prince, de la voir ne sçauroit s’assouvir.
Chacun sent qu’elle inspire et l’amour et la guerre.
Tous ses chefs apres elle aussi-tost sont à terre.
Le grand roy les reçoit, et les embrasse tous ;
Et leur parle d’un air majestueux et doux.
La princesse par Berthe est encore embrassée,
Que l’éclat d’une lance au bois avoit blessée.
Le monarque germain, et l’un et l’autre amant,
Aux princesses alors s’engagent par serment,
De vanger sur le franc leurs cruelles blessures,
Aux injures des dieux unissant leurs injures.
De l’espoir de le vaincre ils se sentent ravis :
Et cét orage est prest à tomber sur Clovis.
Desja le joint son camp diligent et fidelle.
Desja pour les combattre il franchit la Moselle,
Et vers tant d’ennemis precipite ses pas.
Cherchons-les, dit le prince, et ne les comptons pas.
Seulement d’un ennuy que cache son silence,
D’Aurele et de Lisois il regrette l’absence.
Arderic qui le suit, dit pour l’épouvanter,
Leur grand nombre d’archers ne se peut surmonter.
Leurs traits nous couvriront comme un nuage sombre.
Hé bien, répond Clovis, nous combattrons à l’ombre.
A l’envy tous les chefs, incapables d’effroy,
Approuvent par leurs voix la réponse du roy :
Et son camp, par ses cris, donne une seûre marque,
Qu’ils sont dignes soldats d’un si digne monarque.
Enfin le prince attaint les plaines de Blamont.
Puis aux sources du Sar, qui ruissellent d’un mont,
Il arreste l’armée, en quartiers la partage ;
Et des eaux et des bois tire un double avantage.
Pour arrester le cours des saxonnes fureurs,
Il fait partir du camp les prompts avant-coureurs :
En de sombres vallons dresse des embuscades :
Sur le mont fait un fort, bordé de palissades :
Et pendant que son soin le porte en divers lieux,
Un heraut d’Alaric se presente à ses yeux :
Chacun court, et luy preste un curieux silence.
Quelque temps de parler il attend la licence :
Puis jette un fier regard sur le roy des françois :
Et fait oüyr ainsi son éclatante voix.
Je t’annonce, Clovis, de la part de mon maistre,
Puisque tous deux vaillans le ciel vous a fait naistre,
Que chacun desormais, sur son bras seulement
Doit fonder tout l’espoir de son contentement.
Et puisqu’à tous les deux Clotilde est enlevée,
Sa beauté n’est pas deüe à qui l’aura trouvée :
Mais à qui par son fer la sçaura conquerir :
Et pour la posseder, il faut vaincre, ou mourir.
Alaric te promet, et te donne asseurance,
Que si le sort heureux la met sous sa puissance,
Il sçaura par raison differer son bonheur.
Il veut, par un duel en acquerir l’honneur.
Donne une mesme borne à ta flame amoureuse,
Si pour la rencontrer ta route est plus heureuse.
Arreste tes desirs, jusqu’au celebre jour,
Où la seule valeur doit couronner l’amour.
Le prince reçoit l’offre, et par serment s’engage :
Et desja son grand cœur luy promet l’avantage.
La nuit enferme tout sous son voile obscurcy :
Et de tous, le sommeil enferme le soucy.
Au lever du soleil, le roy sçait les nouvelles
Que du camp ennemy s’avancent les deux ailes :
Et qu’on les void couvrir les champs de toutes parts,
Plus loin que nul ne peut estendre ses regards.
Clovis dedaigne alors d’avoir ses dieux propices :
Et ne perd plus de temps à de vains sacrifices.
Et prestres, et devins, il a tout à mépris.
Aux soins de la bataille il met tous ses esprits.
Entre deux monts couverts d’une forest obscure,
S’estendoit d’un grand pré l’agreable verdure ;
Mais dont le beau tapis et d’herbes et de fleurs,
Va noyer dans le sang ses diverses couleurs.
Le roy sage et vaillant veut qu’Arbogaste range
Dans la pointe du pré la françoise phalange.
Elle marche orgueilleuse, et tient le premier rang.
Celle de Marconir est placée à son flanc.
Puis voulant des gaulois honorer la vaillance,
Il fait que Belsonac à l’autre flanc s’avance.
Elbinge et Burgolin à leur dos sont placez.
Le bructere et le marse au milieu sont laissez.
Ces troupes sous son joug non encore affermies,
Pourroient joindre leur force aux troupes ennemies.
Le tongre armé de hache, et les archers gaulois,
Sont rangez dans les monts, sur la rive des bois.
Arderic déguisant son ame envenimée,
Avec ses ubiens ferme toute l’armée.
Pour les pressans besoins, le prince dans le fort,
De françois aguerris se reserve un renfort,
Prest à porter par tout une attaque soudaine :
Et laisse à cette bande Ulde pour capitaine.
Arembert et Valdon, Berulse et Vandalmar,
Font un corps avancé vers la source du Sar,
Opposant sur la droite, aux saxons innombrables,
Des chevaliers françois les troupes indomptables.
Sisulfe et Gondoland, au deffaut de Lisois,
Commandent l’autre corps de gendarmes françois,
Qui forme l’aile gauche, et de mesme s’avance,
Sans craindre des germains le nombre ou la vaillance.
Derriere à costé droit, d’un front plus estendu,
Des gendarmes gaulois un mont est deffendu.
Du prince Cloderic l’autre attend sa deffense :
Mais au lieu de combattre, il se promet la France.
Dans les divers projets qu’il medite en son cœur,
Il pretend par son crime un souverain honneur ;
Et croit qu’Algerion, averty de sa trame,
Doit payer d’un grand prix sa trahison infame.
Clovis reserve un corps d’invincibles françois,
Qu’il range à ses costez pour entendre sa voix,
Dont Adolfe, et Guerpin, et Varoc, et Voltrade,
Chacun dans les combas meinent une brigade.
Pour sa troupe il choisit deux cens jeunes guerriers,
Tous d’un illustre sang, amoureux des lauriers,
Aux perils, aux travaux, ardens, infatigables,
Pour porter en tous lieux ses ordres secourables.
Luy seul de toutes parts veut estendre ses soins ;
Et que ses yeux par tout des beaux faits soient témoins.
La troupe des amans, et vaillante et chrestienne,
Aura l’heur de combattre à costé de la sienne.
Alors les sons divers des tambours, des clairons,
Frapent l’air et les cœurs par tout aux environs.
Le prince est revestu de ses armes celestes,
Aux yeux des ennemis brillantes et funestes :
Monte sur Aquilon, qui sous luy s’émouvant,
En vistesse desja voudroit passer le vent ;
Du pied frape la terre ; et ramenant sa teste,
Se vange avec les dents de son mords qui l’arreste.
Clovis, pour l’appaiser, le flate de la voix,
Puis donne l’oriflame à Sigalde gaulois.
Cette auguste banniere aime une main chrestienne ;
Et ne peut endurer qu’un payen la soustienne.
Elle vole, elle ondoye, elle plaist aux regards.
Il semble qu’elle regne entre les estendards ;
Et qu’elle brille autant sur les autres bannieres,
Que la lune a d’éclat sur les moindres lumieres.
Aux ennemis de Christ elle inspire la peur ;
Confond toute surprise, et tout projet trompeur.
Auberon craint sa force, et les celestes armes :
Et s’enferme en la Vauge, avec ses foibles charmes.
La trompette saxonne alors parmy les airs
Fait aux françois ardens ouïr ses tons divers.
Puis leurs yeux sont frapez d’une flote soudaine
D’infinis estendards qui volent dans la plaine.
Desja les escadrons paroissent avancez,
Dont l’un et l’autre mont peuvent estre embrassez.
Et le premier combat de ce jour memorable,
Se fait à soustenir cette veuë effroyable.
Seul esprit qui sçais tout, ame de l’univers,
Illumine la mienne, et renforce mes vers :
Afin que la fureur de l’horrible journée
Soit par mes chants hardis dignement entonnée.
Les superbes françois, pour haster leur bonheur,
Du choc, aux fiers germains veulent ravir l’honneur.
La troupe d’Arembert court la lance baissée.
Une troupe saxonne en est soudain percée,
Dont, malgré leur valeur éprouvée aux combas,
Desja du premier rang les plus forts sont à bas.
La troupe de Berulfe, à l’égal enflammée,
Heurte le mesme front de la nombreuse armée.
Desja deux escadrons sont par elle enfoncez :
Desja passent les francs sur les corps renversez.
Vandalmar et Valdon, les deux jumeaux aimables,
Font sentir aux saxons leurs coups épouvantables.
Gondoland et Sisulfe, à l’envy s’animans,
D’un cours precipité rompent les allemans.
Arbogaste conduit sa phalange pressée,
Qui dans la mesme ardeur marche à pique baissée :
Ne rencontre en son cours nul obstacle assez fort,
Qui ne tombe soudain sous son puissant effort :
Des valeureux germains rompt les troupes serrées :
Fait tomber les chevaux sous les pointes ferrées :
Jonche tout son chemin de lances et d’écus :
Se fait de deux costez deux ramparts de vaincus :
Aux cherusques archers passe malgré leurs flesches :
Dans leurs forts regimens ouvre de larges bresches :
Desja combat le sueve, et par tout se fait jour :
Puis libre se répand dans les champs d’alentour.
Ainsi que dans les bois, une flame irritée
Augmente par les vents sa fureur indomptée ;
Brule des verds taillis les branchages menus ;
Puis d’un cours ondoyant passe aux arbres chenus ;
Destruit en un moment une forest entiere ;
Et se perd dans les airs, n’ayant plus de matiere.
Arbogaste est pareil en son cours violent.
Et Marcomir le suit, de mesme ardeur brulant.
Du gendarme gaulois une troupe estenduë,
Seule par les saxons est enfin confonduë.
Amalgar vainement tasche à les repousser.
Un grand flot de germains vient soudain l’enfoncer :
Et Sigalde voyant la troupe qui s’entame,
Tient ferme, et n’ose pas engager l’oriflame ;
Dont la force autour d’elle asseure les gaulois ;
Et des plus forts payens arreste les explois.
Le monarque soigneux à son secours envoye
Les françois sous Guerpin, dont la troupe foudroye,
Qui des gaulois épars r’anime la langueur ;
Et des rudes saxons rallentit la vigueur.
D’autre part Cloderic, par un lasche courage,
Au grand Algerion livre un large passage.
Les saxons irritez du succes des françois,
Attaquent les archers qui munissent les bois ;
Trouvent par les costaux la montagne accessible :
De tongres, de gaulois, font un carnage horrible :
Sont maistres du sommet, redoublent leur fierté ;
Et fondent aux vallons, d’un cours precipité.
Comme un large torrent, qu’une nuit a fait naistre,
Surprend, ébranle, abbat une maison champestre ;
Noye avec les troupeaux les pasteurs endormis ;
Delà sort en vainqueur ; et de flots ennemis
Destruit jusqu’aux vallons sa natale montagne :
Puis d’un plus libre cours ravage la campagne.
De mesme les saxons, en jettant mille cris,
Sur Elbinge estonné, sur Belsonac surpris,
D’un flot victorieux tombent dans la prairie ;
Et de sang et de corps couvrent l’herbe fleurie.
Arderic les approche ; et d’un accent germain
S’offre à suivre leur rage, à leur prester la main.
Puis au marse Mammol, au prince des bructeres,
Venez, suivez, dit-il, vos voisins et vos freres.
Sous le joug des françois cessez d’estre asservis.
Les saxons à ce coup vous vangent de Clovis.
Comme son protecteur la troupe le regarde.
Sous ses ordres desja marche l’arriere-garde.
Et le roy des danois, l’impie et le cruel,
Qui suit de ce torrent le flot continuel,
Amant de la fureur, dont le timbre terrible
D’un cheval à crins noirs porte la queuë horrible,
Par tout de corps meurtris jonche le verd gazon.
Il aime à triompher par une trahison.
Et les siens à l’envy secondant ses outrages,
D’une voix insolente irritent leurs courages.
Le monarque des francs entend de loin ces cris :
Et croit que par le dos l’ennemy l’a surpris.
Il ne peut d’Arderic craindre la perfidie.
Mais Cloderic, d’une ame insolente et hardie,
Se tourne, et luy jettant un regard furieux :
Par ton trépas, dit-il, je viens vanger nos dieux,
Qui rendent contre toy nos fureurs legitimes,
Pour leur avoir, ingrat, refusé des victimes.
Les francs quittent ton joug, et me veulent pour roy :
Et l’empire gaulois m’appartient mieux qu’à toy.
Puis il veut par ses coups soustenir son audace.
Traistre, répond Clovis, honte de nostre race,
Voila doncque ce crime où tu t’es engagé,
Dont j’ay receu l’advis, que j’ay trop negligé.
Mais je m’en vay punir ta rage déloyale,
Trop heureux de mourir par une main royale.
Soudain sur Cloderic il pousse son coursier :
Et desja dans le flanc luy plonge son acier.
Tous les jeunes guerriers courent contre le traistre :
L’arrachent de fureur aux fureurs de leur maistre.
Varoc avec Voltrade à ce bruit accourant,
De ce trouble ne sçait nul sujet apparent.
Adolfe se retourne, et Guerpin le consulte :
Puis d’égale vistesse ils courent au tumulte.
Soudain fondent sur eux ubiens et saxons.
Clovis plein de courroux, haussé sur les arçons,
De son glaive tranchant abbat casques et testes.
Et ses coups furieux ressemblent des tempestes.
Yoland contre luy pousse ses regimens.
Et l’ayant remarqué, regarde ses amans.
Sus, dit-elle, Armaric, et toy, Viridomare,
Si le cœur est à moy, que le bras le declare.
Je suis à qui rendra mes regards assouvis
Du spectacle fameux de la mort de Clovis.
Tous les deux à l’envy fondent sur le monarque,
Pour donner de leur flame une sensible marque.
Le prince les reçoit : son œil brille de feux.
Tous deux il les combat, et les soustient tous deux.
De l’espoir de sa mort elle se sent ravie :
Et parfois dans son ame elle craint pour sa vie :
Rallume, puis esteint ses transports vehemens ;
Et pour luy dans son cœur combat ses deux amans.
Mais sous ce rude bras de qui nul ne se pare,
Desja tombe le corps du beau Viridomare.
Dans un sommeil paisible il semble qu’il s’endort.
Il conserve sa grace encore dans la mort :
Comme une belle fleur que la faux a tranchée,
Qui languit et se meurt, sur les herbes couchée.
Le vaillant Armaric alors s’estime heureux,
Se voyant delivré d’un rival dangereux :
Et r’animant son bras avec son esperance,
Desja croit sa princesse acquise à sa vaillance.
Mais le roy valeureux, du fendant coutelas,
Luy tranche l’esperance, en luy tranchant le bras.
Trois fois de s’affermir vainement il essaye.
Il tombe ; et par le sang l’ame sort de sa playe.
Yoland de fureur s’anime en ce moment,
Plustost que de pitié pour son fidelle amant.
Elle presse Aribert, Arnulfe, Sigivalde,
Le brave Sisenand, Bouzon, le fort Eubalde,
Et Gripon et Mainfroy, tous d’un commun effort,
De vanger des guerriers et la honte et la mort.
Pour les mieux animer, elle mesme les meine :
Et porte au vaillant prince une attaque soudaine.
Les jeunes chevaliers, et la troupe d’amans,
Opposent leur courage à tant de regimens,
Couvrent leur cher monarque, afin que dans sa peine
Au moins pour un moment il puisse prendre haleine.
Il monte sur un tertre ; et fremit en son cœur
De voir que des gaulois le saxon est vainqueur.
Il void sur les costaux leur sanglante furie ;
Et des flots empourprez qui couvrent la prairie ;
Où le cruel danois, plongé jusques au flanc,
Se plaist à se baigner dans un fleuve de sang.
Il void, montant plus haut, ses troupes fugitives :
Il void traisner par tout ses enseignes captives :
Et dans son desespoir, veut, d’un triste dessein,
Ou s’immoler aux coups, ou se percer le sein.
Il envoye à son fort son escuyer fidelle :
Mais le saxon y porte une attaque cruelle.
De toutes parts il tasche à rallier les siens.
Aigoland void des flots de saxons, d’ubiens :
Que nul chef ne paroist des troupes de la France :
Que l’ennemy par tout regne avec insolence.
Chere Argine, dit-il, hé bien, il faut perir.
Contre tant de payens, pour Christ il faut mourir.
Hé bien, mourons pour Christ, dit la vaillante Argine.
Soit accomplie en nous la volonté divine.
Tous repetent alors ; mourons pour nostre foy :
Et pour le nom de Christ, et pour sauver le roy.
Argine tend les bras. Amy, reçoy, dit-elle,
Ce seul et digne prix de ton amour fidelle.
Et toutes à l’envy donnent à leurs amans
Le premier et dernier de leurs embrassemens.
Aigoland en cinq rangs soudain les fait estendre.
C’est le roy qu’en mourant nous avons à deffendre,
Dit-il. Ce poste estroit, par de bons combatans,
Contre tant d’ennemis se peut garder long-temps.
Par ces mots genereux, la bande ranimée,
Dans un beau desespoir attend toute l’armée :
Et leur cœur indompté, du nombre combattu,
Soustient tant de fureurs, par sa seule vertu.

 
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