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La piraterie dans l'Antiquité

Chapitre XIII : Les Étrusques.—Les Ligures.

 

La lumière n'est pas encore faite sur l'origine des Étrusques. D'où venaient-ils? Les anciens eux-mêmes l'ignoraient. Les Grecs les désignaient sous le nom de Tyrrhènes ou Tyrrhéniens, et les Latins sous celui de Tusci (Turci, nom dérivé de Turrhènes[1]). Les Grecs parlaient souvent de la mer tyrrhénienne et de la trompette tyrrhénienne à forme recourbée. Ils appelaient souvent aussi ce peuple les Pélasges Tyrrhènes et le confondaient avec les Pélasges. Denys d'Halicarnasse affirme, au contraire, que ces deux peuples vivaient ensemble, mais qu'ils constituaient des races différentes, présentant une situation que nous pourrions assimiler à celle des Gallo-Romains par exemple. La question de l'origine des Étrusques ne sera résolue que le jour où la clef de leur langue sera retrouvée[2]. Quant à leur alphabet, on peut considérer comme certain qu'il dérive de l'alphabet grec archaïque. MM. Ottfried Muller, Steub, Mommsen, Maury, ont prouvé que les Étrusques reçurent des Grecs l'écriture. C'était l'opinion de Tacite[3].

[1] Les deux r se remplaçaient fréquemment par sc, ainsi l'on disait Pyrscus, pour Pyrrhus.

[2] La découverte de la ville biblique de Chétus, capitale des Hétéens, faite récemment et quelques mois avant sa mort, par le savant anglais G. Smith, éclaircira peut-être le problème de l'origine des Étrusques.

[3] Annal., XI, 14.

Les Étrusques ne connaissaient pas les arts avant l'arrivée des colons grecs; ils se formèrent sous la direction de ces derniers, mais leurs œuvres ont conservé un cachet original, et plusieurs de leurs représentations, telles que celles de certaines divinités et de femmes ailées, leur sont essentiellement propres et nationales.

Quoi qu'il en soit, le peuple que les Grecs désignaient sous le nom de Tyrrhéniens a précédé comme puissance maritime les Grecs et les Phéniciens eux-mêmes. Ces Tyrrhéniens passaient pour des écumeurs de mer; les anciens les appelaient «les farouches Tyrrhéniens». Une tradition dont j'ai parlé rapportait que les Argonautes les auraient déjà rencontrés sur les mers et que Bacchus aurait été fait prisonnier par ces pirates tyrrhéniens. Nous les avons vus aussi dans leurs tentatives d'invasion en Égypte sous les dix-neuvième et vingtième dynasties.

Le centre de l'empire tyrrhénien ou étrusque était la contrée qui s'étend entre l'Arno, l'Apennin et le Tibre, qui aujourd'hui encore conserve le nom de Toscane. Les Étrusques étaient constitués en douze cités avec un chef «lucumo». Cette constitution avait le même caractère que celle de la société ionienne, qui représente le mieux les traditions pélasges. De ces douze villes, appelées par Tite-Live «les têtes de la nation[1]», partirent des colonies qui étendirent la puissance des Étrusques. Il y eut une Étrurie dans le bassin du Pô dont les villes les plus célèbres furent Adria, qui donna son nom à la mer Adriatique, Felsina et Mantua. Au delà du Tibre, Fidènes, Crustuminia et Tusculum, colonisées, ouvrirent aux Étrusques la route vers les pays des Volsques et des Rutules, qui furent assujettis[2], et vers la Campanie, où, 800 ans avant notre ère, se forma une nouvelle Étrurie dont Vulturnum, Nola, Acerræ, Herculanum et Pompeï furent les principales cités. Enfin, les Étrusques, possesseurs de vastes rivages et de ports nombreux, dominèrent dans les deux mers italiennes, dont l'une portait leur nom même «Tuscum mare», et l'autre celui d'une de leurs colonies. Ils formèrent aussi des établissements dans les îles voisines, notamment en Corse et en Sardaigne; ils occupèrent même une partie de l'Espagne, car le nom de Tarago (Aragon) est étrusque. Au temps de la fondation de Rome, ils avaient, selon Tite-Live[3], rempli du bruit de leur nom la terre et la mer dans toute la longueur de l'Italie, depuis les Alpes jusqu'au détroit de Sicile.

Des ports de Luna, de Pise, de Télamone, de Gravisca, de Populonia, de Pyrgi, partaient des navires qui allaient faire le négoce et la course depuis les colonnes d'Hercule jusque sur les côtes de l'Asie-Mineure et de l'Égypte[4]. Les Étrusques étaient de grands métallurgistes; ils exploitèrent d'une manière savante les mines de la Maremme et de l'île d'Elbe. Leurs œuvres d'art en bronze surtout, qui excitent encore notre admiration, étaient fort recherchées dans l'antiquité. L'histoire nous apprend qu'à l'époque de la deuxième guerre punique, la ville de Populonia fournit à Scipion l'Africain tout le fer dont il avait besoin pour son expédition contre Carthage[5].

[1] V, 33.—Ces 12 cités ne sont énumérées nulle part, mais c'étaient probablement Clusium, Perusia, Cortona, Vétulonium, Volaterra, Arretium, Tarquinii, Rusellæ, Falerii, Cære, Veii, Volsinii.

[2] Velleius Paterculus, I, 7.

[3] I, 2; V, 33.

[4] Duruy, Histoire des Romains, I, 2.

[5] Tite-Live, III, VIII.

Enclins à la violence et au pillage, les Étrusques furent l'effroi des Hellènes, pour qui le grappin d'abordage était d'invention tyrrhénienne. Corsaires audacieux et féroces, ils se postaient sur le cap escarpé de Sorrente et sur le rocher de Capri, d'où ils commandaient tout le golfe de Naples et la mer tyrrhénienne, pour y guetter une proie à saisir au passage. Toutes les peuplades de l'Italie primitive, du reste, vivaient de brigandage. Le soir, des feux étaient allumés le long des côtes pour attirer les navigateurs comme dans un port, et aussitôt descendus à terre, les malheureux étaient massacrés et leur cargaison était pillée et emportée dans des bourgs fortifiés, oppida, placés au sommet d'un rocher presque inaccessible. Ces populations ont conservé les mêmes instincts, et il n'y a pas longtemps qu'elles guettaient encore les navires ou les barques qui se réfugiaient, en cas de mauvais temps, dans les criques de la côte, et s'en emparaient. Elles faisaient même des prières pour que les naufrages fussent nombreux sur leurs rivages.

J'ai dit que Carthage jugea prudent de faire avec l'Étrurie, puissante sur mer, une alliance armée pour lutter contre l'envahissement de la race hellénique, et que l'empire maritime tusco-carthaginois s'écroula après les désastres des Carthaginois en Sicile et la défaite des Étrusques devant Cumes (475 av. J.-C.). L'Étrurie, menacée de tous côtés et dépourvue de lien politique serré et fort, succomba sous les coups de Rome, qui livra ses villes opulentes au pillage. Devenue province romaine, elle ne joua plus aucun rôle politique, et quand Tibérius Gracchus la traversa au retour de Numance, il fut effrayé de sa dépopulation.

Au nord de l'Étrurie, le long des côtes de l'Italie et d'une partie de celles de la Gaule, vivaient des peuples connus sous le nom de Ligures et dont l'origine est aussi mystérieuse que celle des Étrusques et fait encore le sujet de savantes controverses entre les historiens. Sur les côtes où ils étaient divisés en petites nations, Apuans, Ingaunes, Intémèles, Védiantiens, etc., ils vivaient de la pêche, du commerce, le plus souvent même de la piraterie, qui alors était en honneur. Dès que la tempête commençait à troubler les mers, ces hardis corsaires mettaient à flot leurs barques ou radeaux, soutenus par des outres, et tombaient sur les navires étrangers. Gênes était leur port principal; ils y avaient des chantiers de constructions navales, des arsenaux et un marché national. Ils infestèrent souvent les côtes d'Étrurie et d'Italie, où les anciens les redoutaient comme des hommes «rudes, farouches, fourbes, perfides et intéressés[1]». Les Phocéens de Marseille furent leurs premiers adversaires. Après avoir, eux aussi, longtemps exercé la piraterie[2], les Massaliotes s'organisèrent en nation maritime de premier ordre. Ils enlevèrent aux Ligures une partie de leur territoire et y fondèrent les colonies de Tauroentium (La Ciotat), Olbia (Hyères), Antipolis (Antibes), Nicæa (Nice), etc. Ils livrèrent de nombreux combats aux Ligures et aux Ibères, leurs rivaux sur mer. Alliés avec Rome, les Phocéens parvinrent à donner la sécurité aux navigateurs. Les Ligures se retirèrent dans les montagnes, où ils résistèrent pendant un demi-siècle aux Romains.

[1] «Salyes atroces, Ligyes asperi,» Festus Avienus, Ora maritima, V, 691 et 609;—Virgile, Géorg., II, 168;—Diodore, IV, 20, V, 39;—Strabon, VI, VI, 4.—Sur les Ligures, voir la Gaule romaine, t. II, ch. II, par E. Desjardins, et les notes.

[2] Piscando, mercando, plerumque etiam latrocinio maris, quod illis temporibus gloriæ habebatur, vitam tolerabant, Justin, XL. III, 33.

 
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