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Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre VIII - Rome, de 341 à 322

 

2. Guerres dans le sud de l'Italie et en Campanie - 336 à 327 ([VIII, 15] à [VIII, 26])

 

Chronique de l'année 336

[VIII, 15]

(1) Sous les consuls C. Sulpicius Longus et P. Aelius Paetus, quand la puissance de Rome et surtout la reconnaissance des peuples, acquise par ses bienfaits, assuraient partout une bonne paix, la guerre éclata entre les Sidicins et les Aurunques. (2) Les Aurunques, depuis que T. Manlius, consul, avait reçu leur soumission, n'avaient jamais remué: c'était un titre de plus à réclamer les secours de Rome. (3) Mais avant que les consuls eussent fait sortir l'armée de la ville (car le sénat avait ordonné de défendre les Aurunques), (4) la nouvelle arriva que les Aurunques épouvantés avaient abandonné leurs murs, et que, fuyant avec leurs femmes et leurs enfants, ils s'étaient fortifiés dans Suessa, qui s'appelle Aurunca maintenant: leurs antiques remparts et leur ville avaient été détruits par les Sidicins. (5) Alors le sénat, irrité contre les consuls dont la lenteur avait trahi des alliés, leur commanda de nommer un dictateur. Ils nommèrent C. Claudius Inregillensis, qui créa C. Claudius Hortator maître de la cavalerie. (6) Mais un scrupule religieux s'éleva contre cette dictature: les augures déclarèrent que l'élection était vicieuse; dictateur et maître de cavalerie abdiquèrent.

(7) Cette année, Minucia, vestale, soupçonnée d'abord pour sa parure trop recherchée, fut dénoncée ensuite aux pontifes par les révélations d'un esclave. (8) Un décret lui enjoignit de renoncer à ses pieuses fonctions, et de retenir tous ses esclaves en son pouvoir. Puis elle fut jugée, et enfouie vivante sous terre près de la porte Colline, à droite du chemin pavé, dans le champ du Crime, appelé ainsi, je pense, du crime de cette vestale.

(9) La même année, pour la première fois un plébéien, Q. Publilius Philo, fut nommé préteur, en dépit du consul Sulpicius qui refusait de le reconnaître: le sénat, qui n'avait pu leur fermer les dignités suprêmes, ne leur disputa point la préture.

Guerre contre les Ausones; prise de Calès (335-334)

[VIII, 16]

(1) L'année suivante, sous les consuls L. Papirius Crassus et Caeso Duilius, fut remarquable par la nouveauté plus que par l'importance d'une guerre contre les Ausones. (2) Ce peuple habitait la ville de Calès: il avait uni ses armes à celles des Sidicins, ses voisins. Un seul combat, peu mémorable d'ailleurs, dispersa l'armée des deux peuples: la proximité de leurs villes, qui avait pu hâter leur fuite, protégea cette fuite même.

(3) Le sénat cependant ne borna point là le cours de cette guerre; trop de fois déjà les Sidicins avaient ou repris les armes, ou aidé à les prendre, ou causé la guerre. (4) Aussi, de tout son pouvoir il s'efforça de faire une quatrième fois consul le meilleur général de ce temps-là, M. Valerius Corvus. (5) On donna pour collègue à Corvus M. Atilius Regulus; et, pour prévenir toute erreur du hasard, on obtint des consuls que Corvus, sans l'épreuve du sort, aurait cette province.

(6) Il reçoit des précédents consuls l'armée victorieuse, marche à Calès, foyer de cette guerre, et, du premier cri, du premier choc, disperse les ennemis, tremblants encore au souvenir de leur premier revers: puis, il décide l'attaque de la ville; (7) et telle était l'ardeur des soldats, qu'ils voulaient appliquer les échelles aux remparts et répondaient du succès de l'assaut. (8) Corvus, sachant l'oeuvre peu facile, aima mieux l'accomplir par le labeur de ses soldats, qu'au péril de leur vie: il fit donc disposer une terrasse et des mantelets, et il approcha les tours des murailles; mais un heureux hasard le dispensa d'en faire usage. (9) Un prisonnier romain, M. Fabius, qui, grâce à la négligence de ses gardiens, un jour de fête, avait brisé ses fers, et s'était glissé sur les mains, à l'aide d'une corde attachée au créneau de la muraille, jusqu'au pied du mur où travaillaient les Romains, (10) vient presser le général d'attaquer des ennemis endormis dans le vin et les festins; et ce ne fut pas une plus rude tâche de prendre la ville et les Ausones avec elle, que de les vaincre d'abord en bataille. Le butin fut immense. On plaça garnison dans Calès, et les légions revinrent à Rome.

(11) Le consul triompha par sénatus-consulte, et pour qu'Atilius ne restât pas sans gloire, les deux consuls eurent ordre de conduire ensemble l'armée contre les Sidicins. (12) Avant de partir, et suivant un décret du sénat, ils nommèrent dictateur, pour la tenue des comices, L. Aemilius Mamercinus, qui nomma maître de la cavalerie Q. Publilius Philo. À ces comices tenus par le dictateur, on créa consuls T. Veturius et Sp. Postumius. (13) La guerre n'était point achevée; mais avant d'en finir avec les Sidicins, ils voulurent prévenir par un bienfait les réclamations du peuple, et ils proposèrent l'envoi d'une colonie à Calès: un sénatus-consulte décida que deux mille cinq cents hommes seraient inscrits pour cette ville, et on créa triumvirs pour l'établissement de la colonie et le partage des terres Caeso Duilius, T. Quinctius et M. Fabius.

Alarmes diverses. Recensement de la population romaine. Création de deux nouvelles tribus (333)

[VIII, 17]

(1) Ensuite les nouveaux consuls reçurent des anciens le commandement de l'armée, entrèrent sur le territoire de l'ennemi, et pénétrèrent en le dévastant jusqu'aux remparts, jusqu'à la ville. (2) Là, s'était réunie une armée immense; les Sidicins, n'ayant plus d'autre espoir, semblaient résolus à une lutte acharnée; le bruit courait en outre que le Samnium s'ébranlait pour la guerre: il fallait un dictateur. (3) Par ordre du sénat, les consuls choisirent P. Cornelius Rufinus: il nomma M. Antonius maître de la cavalerie. (4) Mais survint un scrupule: l'élection parut vicieuse; ils abdiquèrent. Une peste suivit; on crut tous les auspices atteints du même vice, et on eut recours à l'interrègne. (5) Plusieurs interrois se succédèrent: le cinquième enfin, M. Valerius Corvus, put créer consuls A. Cornelius pour la deuxième fois, et Cn. Domitius.

(6) Rome était tranquille, mais le seul bruit guerre avec les Gaulois fit tumulte, et força de nommer un dictateur. On nomma M. Papirius Crassus, qui eut pour maître de cavalerie P. Valerius Publicola. (7) Tandis qu'ils pressent les levées avec plus de vigueur que d'ordinaire contre des ennemis voisins, des éclaireurs qu'on envoya rapportèrent que tout était calme chez les Gaulois.

(8) Depuis un an, on soupçonnait aussi le Samnium d'agitation et de projets hostiles; l'armée romaine ne quitta point le territoire des Sidicins. (9) Mais la guerre d'Alexandre d'Épire attira les Samnites en Lucanie: les deux peuples menèrent leurs enseignes contre ce roi qui avait fait une descente près de Paestum, et lui livrèrent bataille. (10) Vainqueur dans ce combat, Alexandre conclut la paix avec les Romains: on ne sait comment sa foi l'eût observée, s'il eût toujours eu même succès.

(11) La même année, on fit le cens: les nouveaux citoyens recensés, on ajouta, pour eux, les tribus Maecia et Scaptia; les censeurs étaient Q. Publilius Philo et Sp. Postumius. (12) Les habitants d'Accerra furent faits Romains par une loi du préteur L. Papirius, qui leur donna la cité sans le suffrage. Telles furent les opérations civiles et militaires de cette année.

L'affaire des empoisonneuses (331)

[VIII, 18]

(1) Suivit une année funeste par l'insalubrité de l'air ou par la perversité humaine, sous les consuls M. Claudius Marcellus et C. Valerius. (2) Le surnom de ce consul varie dans les annales: je lui trouve ceux de Flaccus et de Potitus, mais, en cela, peu importe la vérité: je voudrais plutôt qu'on se fût trompé (car les témoignages ne sont pas unanimes) en imputant au poison, la mortalité qui fit à cette année une si triste célébrité. (3) Cependant je ne puis démentir aucun témoignage: j'exposerai le fait tel qu'on le raconte. (4) Comme les principaux citoyens de Rome périssaient de maladies semblables, et presque tous, de la même manière, une esclave se présenta devant Q. Fabius Maximus, édile curule, et promit de révéler la cause de cette mortalité publique, s'il lui donnait l'assurance qu'elle n'aurait point regret de sa révélation.

(5) Fabius aussitôt rapporta le fait aux consuls, les consuls au sénat, et l'ordre entier consentit à donner toute assurance à l'esclave. (6) Alors elle déclara que c'était la perversité des femmes qui désolait la ville; que des matrones préparaient des poisons, et que si on la voulait suivre sur l'heure, on pourrait en saisir la preuve. (7) On suivit l'esclave, on surprit quelques femmes occupées à cuire des drogues, on trouva des poisons cachés (8) qu'on apporta au Forum: vingt matrones environ, chez qui on les avait saisis, furent amenées par un appariteur. Deux d'entre elles, Cornelia et Sergia, l'une et l'autre de famille patricienne, soutinrent que c'étaient là des breuvages salutaires; l'esclave nia et leur ordonna d'en boire, afin de la convaincre d'imposture. (9) Elles demandèrent le temps de se consulter. Le peuple s'étant écarté, à la vue de tous elles se concertèrent avec les autres, qui, elles aussi, acceptèrent l'épreuve: chacune but de ce breuvage, et toutes périrent par leur propre crime.

(10) Arrêtées aussitôt, leurs complices dénoncèrent un grand nombre de matrones: cent soixante-dix environ furent condamnées. (11) Nul empoisonnement avant ce jour n'avait encore été jugé dans Rome. On tint le fait pour un prodige: on vit là des esprits égarés plutôt que criminels; (12) et comme les antiques traditions des annales rapportaient qu'autrefois, lors des sécessions de la plèbe, le dictateur avait planté un clou, et que cette solennité expiatoire avait ramené à la raison les esprits des hommes aliénés par la discorde, on s'empressa de créer un dictateur pour planter le clou. (13) On créa Cn. Quinctilius, qui nomma L. Valerius maître de la cavalerie. Le clou planté, ils abdiquèrent leurs fonctions.

Vitruvius Vaccus entraîne les Privernates dans la lutte contre Rome

[VIII, 19]

(1) On créa consuls L. Papirius Crassus pour la deuxième fois, et L. Plautius Venox. Au commencement de cette année, des députés volsques de Fabrateria et de Luca, vinrent demander à Rome d'être admis sous sa tutelle: (2) si on les protégeait contre les armes des Samnites, ils promettaient obéissance et fidélité à la domination romaine. (3) Le sénat envoya des députés enjoindre aux Samnites de s'interdire toute violation du territoire de ces deux peuples. Cette députation réussit, moins parce que les Samnites voulaient la paix que parce qu'ils n'étaient point encore préparés pour la guerre.

(4) La même année, la guerre s'engagea contre les Privernates: ils avaient pour alliés le peuple de Fundi, et pour chef même quelqu'un de cette ville, Vitruvius Vaccus, homme célèbre et dans sa ville et dans Rome même. Il avait au Palatium une maison dans les lieux qu'on appela depuis "Prés de Vaccus", quand la maison fut détruite et le terrain confisqué. (5) Contre cet ennemi qui étendait ses ravages sur les territoires de Setia, de Norba et de Cora, L. Papirius se mit en marche et prit position non loin de son camp.

(6) Vitruvius ne se sentit ni la ferme et prudente volonté de se tenir dans ses retranchements en présence d'un plus puissant adversaire, ni le coeur de s'éloigner de son camp pour combattre. (7) Il dispose hors de la porte du camp son armée, qui s'y développe avec peine et qui a plus en vue la retraite et la fuite, que l'attaque ou l'ennemi; et il livre bataille: (8) sa défaite fut prompte et certaine; mais, grâce au peu de distance et au facile accès d'un camp si rapproché, il préserva sans beaucoup d'efforts ses soldats du carnage: (9) à peine s'il en tomba quelqu'un dans la mêlée; et, dans la déroute, les derniers fuyards seulement furent tués aux portes du camp où ils se jetaient en foule. Aux premières ombres de la nuit, l'armée gagna Privernum en désordre, préférant à ses palissades l'abri plus sûr de ces murailles.

Laissant là Privernum, Plautius, l'un des consuls, dévaste au loin les campagnes, et chargé de butin, dirige son armée sur les terres de Fundi. (10) À son arrivée sur les frontières, le sénat de Fundi se présente à lui: "Ce n'est point pour Vitruvius, pour ses partisans et ses complices, qu'ils viennent le prier; c'est pour le peuple de Fundi, innocent du crime de cette guerre, au jugement même de Vitruvius, qui, dans sa déroute, s'est réfugié à Privernum plutôt qu'à Fundi, sa patrie. (11) C'est donc à Privernum qu'il faut chercher et poursuivre les ennemis du peuple romain, traîtres tout ensemble à Fundi et à Rome, ingrats à l'une et à l'autre patrie. Les gens de Fundi ont la paix à coeur, des sentiments romains, une mémoire reconnaissante du don de cité qu'ils ont reçu. (12) Ils conjurent le consul d'épargner la guerre à ce peuple innocent: leurs terres, leur ville, leurs personnes mêmes et celles de leurs femmes, de leurs enfants, sont et seront à jamais en la puissance du peuple romain."

(13) Après avoir félicité les sénateurs, le consul manda par lettre à Rome que Fundi restait dans le devoir, et tourna ses pas vers Privernum. Claudius écrit que le consul voulut auparavant punir les chefs de la sédition; (14) qu'il envoya chargés de fers à Rome près de trois cent cinquante conjurés; que cet acte de soumission ne fut point agréé du sénat, dans l'opinion que le peuple de Fundi avait voulu acquitter la nation tout entière aux dépens de ces pauvres et obscurs citoyens.

Châtiment de Vitruvius Vaccus (329)

[VIII, 20]

(1) Pendant que les deux armées consulaires assiégeaient à la fois Privernum, on rappela un des consuls à Rome pour les comices. (2) Cette année, les premiers "carceres" (= niches de départ) furent construits dans le Cirque.

On n'était point encore délivré du souci de la guerre privernate, quand le bruit éclata d'un tumulte gaulois: bruit terrible, que le sénat ne négligea jamais. (3) Aussitôt les consuls nouveaux, L. Aemilius Mamercinus et C. Plautius, le jour même de leur entrée en fonctions, aux calendes de juillet, eurent ordre de se partager les provinces; et Mamercinus, à qui la guerre des Gaulois était échue, de lever une armée sans accorder une seule dispense: tout le peuple, (4) même des artisans, des ouvriers sédentaires, gens peu propres au métier des armes, fut, dit-on, enrôlé. À Véies, une forte armée s'assembla pour marcher, de cette ville, au devant des Gaulois: (5) on ne lui permit point de s'en éloigner, de peur de manquer l'ennemi, qui pouvait gagner Rome par un autre chemin.

Après quelques jours de calme, qui suffirent pour rassurer les esprits, toutes les forces dirigées contre les Gaulois se tournèrent contre Privernum. (6) Ici deux versions dans les auteurs: selon les uns, la ville fut prise d'assaut et Vitruvius amené vivant au pouvoir des Romains; d'autres affirment que, sans attendre cette dernière épreuve, les assiégés vinrent, le caducée à la main, se remettre à la discrétion du consul, et que Vitruvius fut livré par les siens. (7) Le sénat, consulté sur Vitruvius et les Privernates, ordonna au consul Plautius de renverser les murs de Privernum, d'y placer une forte garnison et de venir recevoir le triomphe: il décida que Vitruvius serait gardé en prison jusqu'au retour du consul, puis fouetté et mis à mort; (8) que sa maison, sise au Palatium, serait détruite, et ses biens consacrés à Semo Sancus: de la somme qu'on en tira, on fit deux disques de bronze qu'on plaça dans le sanctuaire de Sancus, du côté du temple de Quirinus. (9) À l'égard du sénat privernate, on décréta que tout sénateur demeuré dans Privernum depuis sa défection, habiterait au-delà du Tibre, sous les mêmes peines que les Véliternes.

(10) Ces décisions prises, on ne parla plus des Privernates jusqu'au triomphe de Plautius: après son triomphe, et quand Vitruvius et ses complices furent mis à mort, le consul, persuadé que le supplice des coupables avait assouvi toute vengeance, et qu'on pouvait sans danger parler des Privernates: (11) "Puisque les auteurs de la révolte, dit-il, ont reçu des dieux immortels et de vous, pères conscrits, un juste châtiment, que voulez-vous faire de cette multitude innocente? (12) Pour moi, bien que mon devoir soit ici de demander plutôt que de donner conseil, en voyant les Privernates si voisins des Samnites, avec qui nous n'avons aujourd'hui qu'une paix incertaine, je voudrais que le moindre ressentiment ne pût rester entre eux et nous."

Discussion au sénat sur le sort des Privernates

[VIII, 21]

(1) La chose par elle-même était douteuse; car chacun suivait son penchant, qui lui conseillait ou plus de rigueur ou plus d'indulgence; mais un des députés privernates augmenta encore toutes les incertitudes, pour avoir plus songé à la condition où il était né qu'à sa fortune présente. (2) Un des partisans d'une mesure plus sévère lui demanda "quelle peine méritaient, selon lui, les Privernates? - Celle, dit-il, que méritent ceux qui se jugent dignes de la liberté." (3) La fierté de cette réponse irrita encore ceux qui déjà combattaient la cause des Privernates: le consul s'en aperçoit, et pour s'attirer, par une question bienveillante, une plus douce réponse: (4) "Mais si nous vous remettons toute peine, quelle paix aurons-nous à espérer de vous? - Si vous nous la faites bonne, dit-il, vous l'aurez sûre et constante; si mauvaise, peu durable." (5) Alors on se récrie: "Il menace, et sans détours, ce Privernate; c'est par de telles paroles qu'on excite à la révolte les peuples soumis à nos armes." (6) Mais la meilleure partie du sénat interpréta mieux cette réponse; elle dit que "c'était parler en homme, et en homme libre. Peut-on croire qu'un peuple, ou un homme enfin, veuille demeurer dans une condition qui lui répugne, plus longtemps que de nécessité? (7) La paix est sûre et fidèle, là où elle est volontairement consentie; mais partout où on veut l'esclavage, il n'y a point de fidélité à attendre."

(8) Le consul appuya ce sentiment; il y ramena les esprits en s'adressant de temps à autre aux consulaires qui votaient les premiers, et en leur disant assez haut pour être entendu de plusieurs autres. (9) "Ceux-là vraiment qui n'ont souci que de la liberté, sont dignes d'être Romains." (10) Si bien qu'ils gagnèrent leur cause dans le sénat; et, par ordre des Pères, on proposa au peuple d'accorder aux Privernates le droit de cité. (11) La même année, on envoya trois cents colons à Anxur; ils reçurent chacun deux arpents de terre.

Les féciaux adressent des réclamations aux Palaepolitains (327)

[VIII, 22]

(1) L'année suivante, sous les consuls P. Plautius Proculus et P. Cornelius Scapula, nul autre événement remarquable à l'armée ou dans la ville que l'établissement d'une colonie à Frégelles, (2) dont le territoire avait été aux Segnini, puis aux Volsques; et une distribution de viande offerte au peuple par M. Flavius aux funérailles de sa mère. (3) On a dit, pour expliquer ce fait, que, sous prétexte d'honorer sa mère, il payait ainsi sa dette au peuple qui l'avait absous d'une accusation dirigée contre lui par les édiles pour avoir violé une mère de famille. (4) Cette distribution de viande qu'il offrait en reconnaissance d'un premier bienfait, lui valut encore une faveur, le tribunat du peuple, aux élections suivantes où, bien qu'absent, il fut préféré à tous ceux qui se présentèrent.

(5) Palaepolis était autrefois à peu de distance du site actuel de Naples. Les deux villes étaient habitées par le même peuple, originaire de Cumes, et les Cumains tiraient leur origine de Chalcis en Eubée. (6) La flotte qui les y avait apportés de leur pays, fit leur puissance sur les rivages qu'ils occupent. Après avoir envahi d'abord les îles d'Aenaria et de Pithécusses, ils osèrent bientôt s'établir sur le continent. (7) Cet État, confiant en ses forces, et comptant sur l'alliance des Samnites qui trahissaient Rome, ou sur la peste peut-être, qui venait d'atteindre, disait-on, la cité romaine, exerça de nombreuses hostilités contre les Romains établis sur les territoires de la Campanie et de Falerne.

(8) L. Cornelius Lentulus et Q. Publilius Philo étaient alors consuls, tous deux pour la seconde fois. Les féciaux envoyés à Palaepolis pour demander réparation, rapportèrent de ces Grecs, plus hardis à parler qu'à agir, une insolente réponse sur la proposition du sénat; le peuple ordonna qu'on ferait la guerre aux Palaepolitains. (9) Les consuls se partagent les provinces: le soin de poursuivre et de combattre les Grecs échut à Publilius; Cornelius, avec l'autre armée, dut s'opposer aux mouvements des Samnites; (10) et comme le bruit courait que, dans la vue d'une prochaine défection de la Campanie, ils porteraient leur camp de ce côté, ce fut là aussi que le consul jugea à propos de prendre position.

Poursuite du conflit en Campanie et dans les Samnium (327)

[VIII, 23]

(1) L'un et l'autre consul n'ayant plus qu'un faible espoir de conserver la paix avec les Samnites, en informa le sénat. Publilius annonça que deux mille soldats nolains et quatre mille Samnites, sur une injonction des Nolains plutôt que sur la demande des Grecs, avaient été reçus dans Palaepolis; (2) Cornelius, que les magistrats samnites avaient ordonné des levées, que tout le Samnium était sur pied, et cherchait ouvertement à soulever les cités voisines, Privernum, Fundi et Formies. (3) On voulut envoyer des députés aux Samnites avant de leur porter la guerre.

Les Samnites rendirent une réponse insolente. (4) Ils accusaient Rome des premiers torts, sans négliger pour cela de se justifier de ceux qu'on leur imputait. (5) "La nation n'a ni consenti ni participé aux secours donnés aux Grecs: on n'a cherché à soulever ni Fundi ni Formies, car on ne serait point en peine de ses propres forces si on voulait la guerre. (6) Du reste, on ne peut dissimuler que la cité des Samnites voit avec douleur Frégelles, prise aux Volsques et ruinée par elle, relevée par les Romains, et cette colonie imposée par eux au sol samnite et que leurs colons nomment Frégelles. (7) C'est là un outrage et une injure dont les auteurs doivent réparation; sinon, les Samnites à tout prix sauront s'en faire justice."

(8) Un député romain proposait de s'en rapporter à des alliés, à des amis communs: "Pourquoi tant de détours? lui répond-on. Nos différends, Romains, n'ont besoin ni du verbiage des ambassadeurs, ni de la médiation des hommes; que les plaines de Campanie, où nous pouvons combattre, que les armes, que la commune destinée de la guerre, en décident! (9) Retrouvons-nous donc entre Capoue et Suessula; que nos camps s'y rencontrent, et que là se décide si le Samnite ou le Romain doit commander à l'Italie". (10) Les députés romains répondirent qu'ils iraient, non point où les appelait un ennemi, mais où leurs chefs voudraient les conduire.

Déjà Publilius, maître d'une position favorable entre Palaepolis et Naples, avait arrêté les communications de ces deux villes, qui jusqu'alors s'étaient prêté mutuellement secours suivant leurs besoins. (11) Le jour des comices approchait; mais comme le rappel de Publilius, alors qu'il menaçait de si près les remparts ennemis et qu'il avait chaque jour l'espoir de prendre la ville, eût été funeste à la république, (12) on engagea les tribuns à proposer au peuple de laisser à Publilius Philo, à l'expiration de son consulat, le commandement comme proconsul jusqu'à l'achèvement de la guerre contre les Grecs.

(13) L. Cornelius était entré déjà dans le Sanmium, et comme on ne voulait point non plus retarder le progrès de ses armes, on lui écrivit de nommer un dictateur pour présider les élections. (14) Il choisit M. Claudius Marcellus, qui nomma maître de la cavalerie Sp. Postumius. Toutefois ce dictateur ne tint pas les comices: la validité de son élection fut contestée: les augures consultés, prononcèrent que l'élection semblait vicieuse. (15) Les tribuns attaquèrent cette décision qu'ils soupçonnaient et qu'ils accusaient de mauvaise foi. "Ce n'est pas là un vice facile à connaître, car le consul se lève la nuit, en silence, pour créer le dictateur; le consul n'a écrit sur ce sujet à personne, ni au sénat ni à des particuliers; (16) il n'existe pas un mortel qui dise avoir vu ou entendu rien qui pût interrompre les auspices; et les augures, siégeant à Rome, n'ont pu deviner un vice survenu au camp, chez un consul. Qui ne voit clairement que le vice du dictateur, aux yeux des augures, c'est qu'il est plébéien?" (17) Malgré ces objections et d'autres encore vainement présentées par les tribuns, il fallut en venir à l'interrègne: les comices furent longtemps différés pour une cause ou pour une autre; enfin le quatorzième interroi, L. Aemilius, créa consuls C. Poetelius et L. Papirius Mugillanus, ou Cursor, que je trouve en d'autres annales.

Mort d'Alexandre l'Épirote (326)

[VIII, 24]

(1) À la même année se rapporte la fondation d'Alexandrie en Égypte, et la mort d'Alexandre, roi d'Épire, tué par un exilé de Lucanie; événement qui confirma les prédictions de Jupiter de Dodone. (2) Quand il fut appelé par les Tarentins en Italie, l'oracle lui dit "de se garder de l'eau achérusienne et de la ville de Pandosia: c'est là qu'était marqué le terme de sa destinée." (3) Il se hâta donc de passer en Italie, pour s'éloigner le plus possible de la ville de Pandosia en Épire, et du fleuve Achéron qui, sorti de Molossie, coule dans les lacs infernaux et se perd dans le golfe de Thesprotie. (4) Mais presque toujours, en fuyant sa destinée, on s'y précipite. Après avoir souvent battu les légions bruttiennes et lucaniennes; pris aux Lucaniens Héraclée, colonie de Tarente, Sipontum, Consentia et Terina qui appartenaient aux Bruttiens, d'autres villes encore appartenant aux Messapiens et aux Lucaniens; après avoir envoyé en Épire trois cents familles illustres comme otages, (5) il vint occuper non loin de Pandosia, ville voisine des confins de la Lucanie et du Bruttium, trois éminences, situées à quelque distance l'une de l'autre. De là, il dirigeait des incursions sur tous les points du territoire ennemi. (6) Il avait autour de lui environ deux cents exilés lucaniens, qu'il croyait sûrs, mais dont la foi, comme il arrive d'ordinaire aux esprits de cette sorte, changeait avec la fortune.

(7) Des pluies continuelles avaient inondé toutes les campagnes, et rompu les communications entre les trois armées, qui ne pouvaient plus se prêter secours. Les deux postes, où le roi n'était pas, sont brusquement attaqués par l'ennemi, qui les enlève, les détruit, et réunit toutes ses forces pour investir le roi lui-même. (8) Alors les exilés lucaniens envoient des messages à leurs compatriotes, et, pour prix de leur rappel, promettent de livrer le roi mort ou vif. (9) Lui cependant, avec une troupe choisie et dans l'élan d'une noble audace, se fait jour au travers de l'ennemi et tue le chef des Lucaniens qui s'avançait à sa rencontre; (10) puis, ralliant son armée dispersée et fugitive, gagne un fleuve, où les ruines récentes d'un pont entraîné par la violence des eaux, lui marquaient sa route. (11) Comme sa troupe passait l'eau par un gué peu sûr, un soldat, rebuté du péril et de la fatigue, et maudissant l'abominable nom de ce fleuve, s'écria: "Ce n'est pas sans raison qu'on t'appelle Achéron." Ce mot arriva aux oreilles du roi, et lui rappela soudain sa destinée. Il s'arrête; il hésite à passer. (12) Alors Sotimus, un des jeunes serviteurs du roi, lui demande "ce qui peut le retenir dans un si pressant danger;" et l'avertit que les Lucaniens cherchent l'occasion de le perdre.

(13) Le roi se retourne, et les voyant au loin venir en troupe contre lui, il tire son épée et pousse son cheval au milieu du fleuve. Il allait déjà prendre terre, quand un javelot lancé par un exilé lucanien vint lui percer le corps. (14) Il tombe, et son cadavre inanimé où le trait tient encore est porté par le courant aux postes ennemis. Là, il se fit de ce cadavre une hideuse mutilation. On le coupa en deux: une moitié fut envoyée à Consentia; on retint l'autre pour s'en faire un jouet, (15) et on l'attaquait de loin à coups de javelots et de pierres, quand une femme, au milieu de ces transports d'une rage plus qu'humaine et qui passe toute croyance, se mêle à cette troupe forcenée, prie qu'on s'arrête un peu, et dit en pleurant, "qu'elle a un époux et des enfants prisonniers chez l'ennemi: elle espère avec ce cadavre de roi, tout déchiré qu'il est, racheter sa famille". (16) Les mutilations cessèrent: ce qui resta de ces membres en lambeaux fut enseveli à Consentia par les soins d'une seule femme; les ossements du roi, renvoyés à l'ennemi dans Métaponte, (17) furent de là portés en Épire, à Cléopâtre sa femme et à sa soeur Olympias, dont l'une était mère et l'autre soeur d'Alexandre le Grand. (18) Telle fut la triste fin d'Alexandre d'Épire: quoique la fortune lui ait épargné la guerre avec Rome, comme il porta néanmoins ses armes en Italie, j'ai dû la raconter en peu de mots, qui suffiront.

Les Palaepolitains livrent leur cille aux Romains (326)

[VIII, 25]

(1) La même année on célébra dans Rome un lectisterne, pour la cinquième fois depuis la fondation de la ville, et toujours afin d'apaiser les dieux. (2) Ensuite les nouveaux consuls, après avoir, par ordre du peuple, envoyé déclarer la guerre aux Samnites, préparèrent d'abord, pour la soutenir, de plus puissantes ressources que contre les Grecs: puis, il leur vint d'ailleurs un secours étranger qu'alors ils n'attendaient guère. (3) Les Lucaniens et les Apuliens, peuples avec qui Rome n'avait jamais eu affaire jusqu'à ce jour, vinrent demander son alliance et promirent des armes et des hommes pour la guerre: par un traité, on les reçut en amitié. (4) Durant ce temps, les légions avaient du succès dans le Samnium: trois places tombèrent en leur pouvoir, Allifae, Callifae et Rufrium; et partout ailleurs, à l'arrivée des consuls, le territoire fut dévasté dans tous les sens.

(5) Pendant que cette guerre s'engageait si heureusement, celle qu'on faisait d'autre part aux Grecs assiégés touchait à sa fin. Les ennemis en effet, dont les communications étaient coupées, et les forces divisées, avaient encore à souffrir dans leurs murailles plus de maux qu'ils n'en redoutaient du dehors: (6) prisonniers, pour ainsi dire, de leurs propres défenseurs, qui outrageaient indignement leurs enfants même et leurs femmes, ils enduraient toutes les calamités des villes conquises. (7) Ils apprirent que Tarente et les Samnites leur envoyaient de nouveaux secours: des Samnites, ils pensaient en avoir dans leurs murs plus qu'ils n'en voulaient; (8) mais les Tarentins, soldats grecs dans une ville grecque, devaient les protéger autant contre les Samnites et les Nolains que contre le Romain ennemi; ils les attendaient dans cet espoir. Néanmoins ils jugèrent que le moindre des maux serait encore de se rendre aux Romains. (9) Charilaus et Nymphius, les premiers de la ville, après s'être concertés sur la conduite de cette affaire, se partagèrent les rôles: l'un passerait auprès du général romain, l'autre demeurerait dans la place, pour la tenir prête à l'exécution de l'entreprise.

(10) Ce fut Charilaus qui vint trouver Publilius Philo: "C'est pour le bien, le profit, le bonheur des Palaepolitains et du peuple romain qu'il a résolu de livrer la ville. Que par ce fait il trahisse ou sauve sa patrie, cela dépend de la foi romaine. Pour lui-même, il n'exige et ne demande rien: (11) pour la ville, il demande, sans l'exiger toutefois, que si l'entreprise réussit, le peuple romain considère plutôt ce qu'il avait fallu de dévouement et de courage pour revenir à son amitié que de folie et d'audace pour se détacher du devoir." (12) Le général l'approuve, et lui donne trois mille soldats pour occuper la partie de la ville où s'étaient établis les Samnites: cette troupe était sous les ordres de L. Quinctius, tribun militaire.

Prise de la ville par les Romains

[VIII, 26]

(1) Pendant ce temps, Nymphius avait adroitement attaqué le préteur des Samnites, et, lui montrant l'armée romaine tout entière autour de Palaepolis et dans le Samnium, l'avait amené à lui permettre de monter une flotte pour aller envahir le territoire de Rome, où il dévasterait non seulement la côte maritime, mais les lieux voisins de la ville même. (2) Mais, pour cette entreprise, il fallait partir la nuit, et sur l'heure mettre à flot les navires. Pour hâter ces apprêts, toute l'armée des Samnites, moins la garde nécessaire au service de la ville, fut envoyée au rivage.

(3) Là, pendant que Nymphius, au milieu des ténèbres et de cette multitude qui s'embarrasse elle-même, s'applique à tout confondre par milles ordres contraires, et gagne ainsi du temps; Charilaus, d'intelligence avec ses partisans, s'introduit dans la place, garnit de soldats romains les hauteurs de la ville, et fait jeter le cri d'attaque. Les Grecs, secrètement avertis par leurs chefs, restent en repos; (4) les Nolains s'élancent vers la porte opposée et s'enfuient par le chemin qui mène à Nola. Les Samnites n'étaient pas dans la place; et plus la fuite leur sembla facile d'abord, plus elle leur fit honte après le danger, (5) car ils n'avaient plus d'armes, plus de bagages; ils avaient tout laissé aux mains de l'ennemi; et, moqués de l'étranger, de leurs compatriotes même, ils rentrèrent chez eux dépouillés et dénués de tout.

(6) Je n'ignore point qu'une autre tradition impute la remise de cette place aux Samnites, mais j'ai voulu suivre des auteurs plus dignes de foi; d'ailleurs le traité fait avec Naples (qui devint ensuite la ville souveraine de l'empire des Grecs) rend plus vraisemblable leur retour volontaire à l'amitié de Rome. (7) On décerna le triomphe à Publilius: on comprit assez que le siège avait dû dompter l'ennemi et l'amener à se rendre. Cet homme obtint le premier deux faveurs singulières: la prorogation du commandement qu'on n'avait accordée à nul autre avant lui, et le triomphe après le consulat.

 

 


 

 
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