L'Angleterre
sous les Plantagenêts (XII° - XIV° siècle)
CHAPITRE SIXIÈME : Edouard III (1327 - 1377) et Richard
II (1377 - 1400), les derniers Plantagenêts
III : Les causes de la guerre de Cent Ans
Comme nous l’avons vu précédemment,
Edouard III s’empara du pouvoir à la fin de l’année 1330, chassant
Isabelle et Mortimer du trône[1].
1° Un
changement de dynastie en France[2]
–
Lorsque le roi de France Philippe IV mourut, en 1324, il confia le trône
à son fils Louis X le Hutin.
Le sacre de Louis X, par Jean Fouquet, enluminure issue de l'ouvrage
Grandes chroniques de France, Paris, France, XV°siècle.
Cependant, ce
dernier mourut rapidement, moins de deux ans après son accession au
pouvoir. Son fils Jean I° (surnommé le Posthume car il
naquit suite au décès de son père.) n’eut guère plus de chance, car il
expira quelques jours après sa naissance.
Gisant de Jean I° le Posthume, premier tiers du XIV° siècle, église saint
Denis.
N’ayant pas
d’autres héritiers mâles, la couronne de France passa donc en 1316 entre
les mains de Philippe V, frère puiné de Louis X.
Gisant de Philippe V le Long, vers 1327, église saint Denis.
Cependant, le
nouveau roi ne resta pas longtemps au pouvoir et mourut en 1322. Ne
laissant pas d’enfants mâles lui non plus, ce fut Charles IV, frère
cadet du défunt, qui fut désigné pour s’assoir sur le trône.
Gisant de Charles IV le Bel, vers 1327, église saint Denis.
Le dernier
des Capétiens n’eut toutefois pas un long règne, mourant sans héritier
mâle en 1328.
Dès la mort
de Charles IV, une nouvelle crise successorale éclata alors. Qui donc
allait monter sur le trône de France ? Depuis la mort de Louis X, il
avait été décidé que les femmes seraient écartées de la succession
royale, en vertu de la loi salique. De ce fait, il fut exclu qu’Isabelle
de France, fille de Philippe IV, ainsi que les filles de Louis X,
Philippe V et Charles IV soient nommées reines.
Cependant, si
les femmes ne pouvaient devenir reines, pouvaient elles cependant
transmettre l’héritage royal ? C’est ainsi qu’Edouard III, fils
d’Isabelle de France et donc petit fils de Philippe IV, décida de
revendiquer le trône de France.
Edouard III, gravure issue de l'ouvrage Histoire de l'Angleterre, par
David HUME.
Cependant,
les barons français ne pouvaient se résoudre à mettre un souverain
anglais sur le trône de France, et éliminèrent donc la possibilité de
transmission de l’héritage royal par les femmes.
En outre, la
reconnaissance d’Edouard III comme roi de France aurait entrainé des
contestations de la part des filles de Louis X, Philippe V et Charles
IV, qui elles aussi avaient mis au monde des héritiers mâles.
Finalement,
ce fut finalement Philippe VI de Valois qui fut couronné roi (son père,
Charles de Valois, était le frère de Philippe IV.).
Ce choix
lourd de conséquences fut ainsi à l’origine de la terrible guerre de
Cent Ans.
2° France et Angleterre à l’aube de la guerre de Cent Ans – Dans
ce premier tiers du XIV° siècle, nul n’aurait pu douter que ce terrible
conflit entre l’Angleterre et la France allait durer plus de cent
années.
En effet, les
deux pays, bien que partageant certaines similitudes, ne partaient
cependant pas sur le même pied d’égalité.
En effet,
l’Angleterre, à cette époque, ne comptait que quatre millions
d’habitants.
La France,
par contre, était déjà peuplée par 17 millions d’habitants (ce qui
faisait d’elle la première puissance démographique d’Europe.).
Les Anglais,
touchés par le refroidissement climatique du XIII° siècle, durent
abandonner certaines de leurs ressources agricoles (comme les vignes,
autrefois cultivées dans le sud du pays.). L’Angleterre avait donc
décidé de fonder son économie sur l’artisanat et le commerce
(particulièrement les laines anglaises, l’élevage d’ovins étant favorisé
par le climat pluvieux du pays.). De ce fait, l’Angleterre était très
dépendante de la Guyenne (importation de vins.), de la Bretagne
(importation de sels afin de conserver les aliments.), et de la Flandre
(exportation de laine anglaise.).
L’agriculture
française, par contre, très développée, avait permis d’endiguer les
crises de subsistance, qui avaient disparu depuis le XII° siècle.
D’un point de vue militaire, les deux
pays étaient une nouvelle fois bien différents l’un de l’autre. Les
Anglais avaient mis à profit les affrontements qu’ils avaient livrés
contre l’Ecosse. Au cours de la bataille de Bannockburn, qui opposa le
roi d’Angleterre Edouard I° à Robert Bruce, les chevaliers
anglais furent mis en pièce par les piquiers écossais
[3].
Les Anglais décidèrent alors de s’adapter, préférant utiliser des hommes
se déplaçant à cheval mais combattant à pied, ainsi que de nombreux
archers. Expérimentant cette nouvelle tactique, les Anglais écrasèrent
les écossais aux cours des batailles de Dupplin Moor(1332.) et de la colline Halidon[4]
(1333.). En outre, le roi d’Angleterre expérimenta aussi en Ecosse la
stratégie des
chevauchées anglaises[5].
Ces nouvelles tactiques militaires allaient causer beaucoup de dégâts
aux Français.
La
France, par contre, tirait avantage de sa puissance démographique.
En effet, lorsque le roi convoquait le ban et l’arrière ban,
ce dernier pouvait parvenir à rassembler sous ses ordres plus de
50 000 hommes (cependant, deux problèmes se posaient alors : le
manque d’entraînement des hommes composant cette armée, ainsi que
son coût d’entretien.). En outre, le roi de France pouvait aussi
compter sur la noblesse française, qui formait alors la chevalerie
la plus puissante d’Europe. En effet, la noblesse française devait
justifier l’origine de son pouvoir de droit divin en défendant le
bas peuple. A cette époque, la guerre se faisait dans la
courtoisie : les seigneurs ennemis capturés au combat devaient payer
rançon une forte rançon pour retrouver leur liberté (ce qui était un
système très lucratif.). A la veille de la guerre de Cent Ans, le
prestige de la France était très grand (en effet, le réseau de
relation des rois de France était très important, s’étendant de
l’Espagne jusqu’à la cour de Russie.).
En Angleterre, le roi n’était pas aussi
puissant qu’en France. En effet, ce dernier devait respecter la
Grande Charte (la Magna Carta en latin.), que le roi Jean
sans Terre se retrouva contraint de signer en 1215
[6].
Ce texte garantissait de grandes libertés aux villes, et donnait au
parlement un pouvoir de contrôle sur la fiscalité. A noter que les
seigneurs anglais parlaient toujours le français, alors que le peuple
préférait utiliser l’anglo-saxon.
En
France, par contre, les souverains capétiens n’avaient eu de cesse,
au cours des siècles précédents, d’accroitre la centralisation. Le
pouvoir royal était donc plus fort qu’en Angleterre, mais les
souverains avaient néanmoins accordé des chartes aux communes, et
avaient instauré les Etats Généraux.
A l’aube de
la guerre de cent ans, France et Angleterre souffraient cependant des
mêmes difficultés : en effet, la poussée démographique avait entraîné
une surpopulation des campagnes. De ce fait, la taille des parcelles des
paysans diminuait à vue d’œil, à l’instar des prix agricoles.
En outre, le
refroidissement climatique avait provoqué de mauvaises récoltes,
entraînant des disettes dans tout le nord de l’Europe (amplifiées par la
hausse démographique.).
3° Rivalités
croissantes entre Philippe VI et Edouard III – En mai 1328
Philippe VI fut sacré roi de France à Reims.
Edouard III, en signe de protestation,
décida de ne pas se présenter à la cérémonie (alors que son rang de
pair de France réclamait sa présence
Au début du règne de Philippe VI, les
Français occupaient encore la Guyenne, suite aux expéditions militaires
entreprises sous Charles IV, en septembre 1324
Après
quelques mois de négociations, il avait été convenu que le roi
d’Angleterre ne récupérerait qu’une partie de la Guyenne (l’Agenais
étant confisqué par le roi de France.), et que les Français
resteraient sur les terres du roi d’Angleterre jusqu’à ce que ce
dernier consente à payer une forte indemnité de guerre.
En juin 1329, afin de débloquer la
situation, Edouard III consentit à se rendre à Amiens, afin de prêter
hommage à Philippe VI. Cependant, il ne fut prêté que l’hommage simple,
et pas l’hommage lige, contrairement à ce que souhaitait le roi de
France
[9]
(Edouard III reconnut qu’il s’agissait bien d’un hommage lige en mars
1331.).
Edouard III prête hommage à
Philippe VI, par Jean Froissart, enluminure issue de l'ouvrage
Chroniques, Paris, France, XV°siècle.
Edouard III prête hommage à Philippe VI,
gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par François GUIZOT,
France, 1875.
a) Première cause de rivalité entre
France et Angleterre, la seconde guerre d’indépendance de l’Ecosse
[10]: comme nous l’avons vu dans la section précédente, l’Ecosse était
alors en guerre contre l’Angleterre, qui souhaitait mettre la main sur
ce pays.
Edouard
III, montant sur le trône d’Angleterre en 1330, décida rapidement
d’engager les hostilités contre les Ecossais. De ce fait, les
premières années de règne de ce souverain furent en grande parties
monopolisées par ce conflit.
Remportant
plusieurs importantes batailles, Edouard III ne parvint cependant pas à
prendre durablement le contrôle de l’Ecosse. En effet, le roi
d’Angleterre ne put mener la guerre contre cette région jusqu’au bout,
en raison des relations tendues qu’Edouard III entretenait avec la
France.
Philippe VI,
en vertu de la Vieille Alliance, décida donc d’aider le roi d’Ecosse
David II, réfugié en France depuis juillet 1333, suite à sa défaite au
cours de la bataille de la colline Hallidon.
David II et son épouse rencontrent Philippe VI, par Jean Froissart,
enluminure issue de l'ouvrage Chroniques, Paris, France,
XV°siècle.
Edouard III, voyant que Français et
Ecossais complotaient contre lui, décida de rechercher des alliés dans
le nord de la France. C’est ainsi que le roi d’Angleterre épousa
Philippa[11]
(appelée aussi parfois Philippine.), fille de Guillaume I°,
comte de Hainaut (octobre 1327.).
Le couronnement de Philippa, par Jean Froissart, enluminure issue de
l'ouvrage Chroniques, Paris, France, XV°siècle.
Par la suite, en 1337, Edouard III
parvint à s’allier avec l’Empereur germanique Louis IV de Bavière.
Ce dernier, alors en difficulté avec la papauté, accepta la proposition
du roi d’Angleterre, car Philippe VI avait de bons rapports avec Avignon
Cependant, ce
furent les rivalités qui eurent lieu en Flandre qui déclenchèrent
véritablement la guerre de Cent Ans.
b) Seconde cause de rivalité entre
France et Angleterre, les affaires de Flandre : à cette époque, la
Flandre, bien qu’étant une région indépendante, était néanmoins
contrôlée par la France. Tentant de mettre fin à cette domination
française, les Flamands avait tenté de se révolter à la fin du XIII°
siècle, sans succès
Louis
I°,
comte de Flandre, était allié aux Français (il était d’ailleurs
marié depuis 1317 à Marguerite, la fille du roi de France
Philippe V.). Successeur de son grand père Robert III, le
nouveau compe n’avait jusqu’alors jamais mis les pieds en Flandre.
Le comte de
Flandre ne fut jamais accepté par son peuple : il ne connaissait pas la
région, était résolument pro-français, et refusa donc de s’allier avec
l’Angleterre (ce qui était fort préjudiciable au commerce des draps
flamands.).
C’est ainsi
que plusieurs villes de Flandre se révoltèrent, mais les soulèvements
furent rapidement réprimés par Philippe VI (ce dernier remporta ainsi la
bataille de Cassel, en août 1328.).
La bataille de Cassel, par Guillaume Fillastre, enluminure issue de
l'ouvrage Toison d'Or, France, Paris, XV° - XVI° siècle.
La bataille de Cassel, par
Jean Froissart, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
La bataille de Cassel, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
En 1335, le
roi de France décida de profiter de ses récentes victoires pour diminuer
les privilèges de villes flamandes, et les obligea à attaquer les
navires anglais. En outre, Louis I° fit arrêter les marchands anglais
qui se trouvaient en Flandre.
En
représailles, Edouard III décida de mettre fin aux exportations de laine
anglaise vers la Flandre, une denrée vitale à l’économie flamande (la
Flandre était alors réputée pour ses draps, fabriqués grâce à la laine
anglaise.).
C’est alors
qu’en 1337, une nouvelle révolte éclata à Gand, menée par un bourgeois
du nom de Jacques Van Artevelde (parfois aussi appelé Jacob.).
Ce dernier décida de s’allier avec Edouard III, et promit de le
reconnaitre comme roi de France s’il levait l’embargo.
Jacques Van Artevelde,
gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par François GUIZOT,
France, 1875.
Le roi
d’Angleterre, trop heureux de trouver un allié sur le continent, décida
donc d’accepter la proposition de Jacques Van Artevelde.
C’en fut trop pour Philippe VI, qui
décida de confisquer la Guyenne à son vassal Edouard III, pour cause de
félonie
[14].
Le roi d’Angleterre, quant à lui, s’empressa de riposter : en octobre
1337, il envoya une missive à Paris, jetant le gant au soi disant roi
de France, et réclamant ainsi la couronne.
La guerre
de Cent Ans commençait.
Edouard III prend les armes de France, par Jean Froissart,
enluminure issue de l'ouvrage Chroniques,
Paris, France, XV°siècle.
[1]
Pour en savoir plus, voir la section I, chapitre sixième,
l’Angleterre sous les Plantagenêts.
[2]
Pour en savoir plus sur les derniers capétiens, voir le chapitre
huitième, Les Capétiens.
[3]
Pour en savoir plus sur la bataille de Bannockburn, référez vous
au b), 1, section II, chapitre cinquième, l’Angleterre sous
les Plantagenêts.
[4]
Pour plus de détails sur la bataille de Dupplin Moor, voir le
b), 1, section II, chapitre sixième, l’Angleterre sous les
Plantagenêts ; pour en savoir plus sur la bataille de la
colline Halidon, référez vous au d), 1, section II, chapitre
sixième, l’Angleterre sous les Plantagenêts.
[5]
Les chevauchées consistaient à lancer des raids contre le pays
ennemi, pillant ses ressources, et parcourant des centaines de
kilomètres.
[6]
Pour plus de renseignements sur la Grande Charte et Jean sans
Terre, voir le 3, section II, chapitre deuxième, l’Angleterre
sous les Plantagenêts
[7]
A l’origine, il existait douze pairs de France ; six laïcs et
six ecclésiastiques. Ces grands féodaux étaient des vassaux
directs du roi de France, et devaient lui rendre l’hommage lige
(l’hommage lige était l’hommage le plus important qu’un vassal
pouvait prêter.). En effet, n’oublions pas qu’à cette époque le
roi d’Angleterre était vassal du roi de France.
[8]
Pour en savoir plus sur l’expédition de Guyenne, voir le 2,
section I, chapitre cinquième, l’Angleterre sous les
Plantagenêts.
[9]
Un vassal, au Moyen âge, pouvait prêter hommage à plusieurs
seigneurs. De ce fait, les vassaux pouvaient se trouver en
délicate posture, si les seigneurs auxquels il avait prêté
hommage se faisaient la guerre. C’est pourquoi il fut instauré
l’hommage lige. Il s’agissait d’un hommage principal, primant
sur tous les autres serments.
[10]
Pour plus de renseignements sur la deuxième guerre
d’indépendance de l’Ecosse, voir la section I, chapitre sixième,
l’Angleterre sous les Plantagenêts.
[11]
A noter que Philippa était la fille de Guillaume I° et Jeanne
de Valois, sœur de Philippe VI.
[12]
A cette époque, les papes avaient quitté Rome et résidaient en
Avignon.
[13]
Pour en savoir plus sur la guerre de Flandre, voir le 2, section
VII, chapitre septième, les Capétiens.
[14]
Au Moyen âge, la félonie était un acte grave : elle était
invoquée lorsque le félon avait porté atteinte à l’honneur des
femmes (épouse, fille, mère, sœur.) du seigneur ; avait trahi le
seigneur pour rejoindre le camp de ses ennemis ; avait attenté à
la vie du seigneur ou celle de ses proches. La punition était la
confiscation immédiate des fiefs du félon, voire parfois le
bannissement ou la peine de mort.